N° C.18.0302.N
1. P. V.,
2. UNION NATIONALE DES MUTUALITÉS SOCIALISTES,
Me Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation,
contre
1. AMLIN EUROPE, s.a.,
2. KATHOLIEKE UNIVERSITEIT LEUVEN,
Me Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 8 novembre 2017 par la cour d'appel de Bruxelles.
Le conseiller Koen Mestdagh a fait rapport.
L'avocat général André Van Ingelgem a conclu.
II. Le moyen de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, les demandeurs présentent un moyen.
III. La décision de la Cour
Sur le moyen :
Quant à la première branche :
Quant aux premier et deuxième rameaux :
1. Le juge apprécie souverainement si une obligation contractuelle constitue une obligation de moyen ou de résultat. La Cour ne peut que se borner à vérifier si le juge ne déduit pas des faits qu'il a constatés des conséquences dépourvues de liens avec ces faits ou qui ne sont susceptibles, sur leur fondement, d'aucune justification.
2. L'arrêt constate et considère que :
- les demandeurs estiment qu'il existe, en ce qui concerne les infections nosocomiales, une obligation de résultat de sécurité dans le chef du dispensateur de soins et de l'hôpital ;
- les demandeurs soutiennent que l'obligation de résultat et donc la volonté d'imputer les conséquences d'une infection nosocomiale à la charge de l'hôpital découlent à tout le moins de la volonté implicite mais certaine des parties et observent à cet égard qu'il convient de tenir compte du fait que le risque d'infection nosocomiale n'est pas un risque thérapeutique, mais un risque sans lien avec l'affection initiale dont souffre le patient et qui doit son existence au seul fait que le patient a reçu des soins au sein d'un hôpital ;
- les demandeurs relèvent en outre que l'hôpital n'a fourni aucune information et que, lorsqu'une partie contractante choisit de ne pas communiquer à son cocontractant la moindre information importante concernant les risques présents tout en concluant un contrat de soins, il convient de considérer que les parties ont convenu de manière implicite mais certaine dans le cadre du contrat de soins que le risque d'infection nosocomiale serait supporté, au plan juridique, par l'hôpital ;
- la question se pose de savoir si l'obligation accessoire du médecin ou de l'hôpital relative à la prévention des infections nosocomiales est une obligation de moyen ou de résultat ;
- il n'a pas été démontré que l'hôpital a garanti une sécurité absolue ;
- il faut dès lors rechercher l'intention commune implicite des parties ;
- le principal critère à retenir dans ce cadre concerne le caractère aléatoire ou non du résultat ;
- il ressort d'une étude de prévalence des infections nosocomiales en Belgique, réalisée en 2008 par le Centre fédéral d'expertise des soins de santé, que 6,2 pour cent de l'ensemble des patients d'hôpitaux sont confrontés à une infection nosocomiale ;
- l'adoption de mesures axées sur l'optimisation de l'hygiène en milieu hospitalier permettrait d'éviter environ 30 pour cent de ces infections ;
- il s'en déduit logiquement qu'il ne peut être paré à quelque 70 pour cent des infections nosocomiales, en dépit de toutes les mesures ciblant l'optimisation de l'hygiène en milieu hospitalier ;
- eu égard au caractère aléatoire du résultat, l'obligation de l'hôpital en matière de prévention des infections nosocomiales doit être qualifiée d'obligation de moyen.
3. Par ces motifs, l'arrêt répond en la rejetant à la défense des demandeurs invoquant que l'obligation d'éviter les infections nosocomiales est une obligation de résultat, et justifie légalement sa décision.
Le moyen, en ces premier et deuxième rameaux, ne peut être accueilli.
Quant au troisième rameau :
4. Aux termes de l'article 1349 du Code civil, les présomptions sont des conséquences que la loi ou le magistrat tire d'un fait connu à un fait inconnu.
5. Bien que le juge constate de manière souveraine les faits qu'il considère comme des présomptions de l'homme et que la loi abandonne aux lumières et à la prudence du magistrat quelle conséquence il en déduit à titre de présomption de l'homme, la Cour contrôle néanmoins si le juge n'a pas violé la notion légale de présomption de l'homme et, en particulier, s'il n'a pas tiré, des constatations ainsi faites, des conséquences qui sont sans lien avec elles ou qui ne sont susceptibles, sur leur fondement, d'aucune justification.
6. L'arrêt constate que :
- il ressort d'une étude de prévalence des infections nosocomiales en Belgique, réalisée en 2008 par le Centre fédéral d'expertise des soins de santé, que 6,2 pour cent de l'ensemble des patients d'hôpitaux sont confrontés à une infection nosocomiale ;
- l'adoption de mesures axées sur l'optimisation de l'hygiène en milieu hospitalier permettrait d'éviter environ 30 pour cent de ces infections ;
- il s'en déduit logiquement qu'il ne peut être paré à quelque 70 pour cent des infections nosocomiales, en dépit de toutes les mesures ciblant l'optimisation de l'hygiène en milieu hospitalier.
7. L'arrêt a pu, sans violer la notion légale de présomption de l'homme, déduire de ces constatations que le résultat de l'obligation de l'hôpital en matière de prévention des infections nosocomiales présente un caractère aléatoire.
Dans la mesure où il est pris de la violation des articles 1349 et 1353 du Code civil, le moyen, en ce rameau, ne peut être accueilli.
8. Pour le surplus, le moyen, en ce rameau, est déduit de ce qui précède, partant, est irrecevable.
[...]
Quant à la troisième branche :
11. L'objet de la demande est le résultat factuel poursuivi par le demandeur dans sa demande.
Le juge, qui, saisi d'une demande en réparation du dommage né de la non-réalisation d'un avantage ou de la réalisation d'un désavantage, accorde la réparation de la perte d'une chance d'obtenir cet avantage ou d'éviter ce désavantage, ne modifie pas l'objet de la demande. Il est en droit de le faire dès lors qu'il respecte les droits de la défense.
12. L'arrêt, qui considère que « la perte d'une chance [constitue] un poste de dommage distinct dont les [demandeurs] ne demandent pas réparation » et qui rejette, par ce motif, la demande des demandeurs comme étant non fondée, ne justifie pas légalement sa décision.
Le moyen, en cette branche, est fondé.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l'arrêt attaqué, sauf en tant qu'il décide que l'obligation de l'hôpital d'éviter les infections nosocomiales n'est pas une obligation de résultat mais une obligation de moyen et que le lien de causalité n'est pas établi entre le défaut d'adoption de mesures de précaution suffisantes et le dommage réellement subi ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt partiellement cassé ;
Réserve les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour d'appel d'Anvers.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Eric Dirix, président, le président de section Alain Smetryns et les conseillers Koen Mestdagh, Antoine Lievens et Koenraad Moens, et prononcé en audience publique du cinq septembre deux mille dix-neuf par le président de section Eric Dirix, en présence de l'avocat général André Van Ingelgem, avec l'assistance du greffier Vanessa Van de Sijpe.
Traduction établie sous le contrôle du président de section Mireille Delange et transcrite avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.