N° S.09.0079.N
N. R.,
Me Willy van Eeckhoutte, avocat à la Cour de cassation,
contre
ASEA BROWN BOVERI, société anonyme,
Me Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 4 novembre 2008 par la cour du travail de Bruxelles.
Le conseiller Eric Dirix a fait rapport.
L'avocat général Ria Mortier a conclu.
II. Les moyens de cassation
Le demandeur présente deux moyens libellés dans les termes suivants :
(...)
Second moyen
Dispositions légales violées
- article 20, plus spécialement § 2, de la convention collective de travail n° 77bis, conclue le 19 décembre 2001 au sein du Conseil national du travail, remplaçant la convention collective de travail n° 77 du 14 février 2001 instaurant un système de crédit-temps, de diminution de carrière et de réduction des prestations de travail à mi-temps, enregistrée le 11 janvier 2001 sous le numéro 60502/CO/300 et rendue obligatoire par arrêté royal du 25 janvier 2002 ;
- articles 100, 100bis, 101 et 101bis, ce dernier article dans la version applicable avant son abrogation par la loi-programme du 9 juillet 2004, de la loi de redressement du 22 janvier 1985 contenant des dispositions sociales ;
- articles 37, § 1er, 38, §§ 1er et 2, 39 et 82 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail.
Décisions et motifs critiqués
Par la décision attaquée, la cour du travail décide que le demandeur n'a pas droit à une indemnité de congé complémentaire et déboute en conséquence le demandeur de son appel à cet égard. La cour du travail statue ainsi par tous les motifs fondant la décision et, notamment, par les motifs que :
« 2. L'indemnité de congé complémentaire.
1. (Le demandeur) réclame une indemnité de rupture égale à neuf mois de rémunération. Il allègue à cet égard que, le préavis donné durant la période de suspension du contrat de travail étant illégal, les trois mois de préavis ayant couru durant cette période ne peuvent être pris en compte (...).
2. La première question qui se pose est de savoir si le préavis donné durant la période de suspension était susceptible de donner cours au délai de préavis durant la période du 1er juillet au 30 septembre 2003.
La question qui se pose en réalité est la question de savoir si un délai de préavis peut prendre cours durant une période de suspension d'un contrat de travail.
Il y a lieu de constater avec le premier juge qu'il n'existe pas de règle générale s'opposant à ce qu'un délai de préavis prenne cours durant une période de suspension d'un contrat de travail. Cela est le cas uniquement lorsque la loi le prévoit expressément.
La convention collective de travail n° 77bis du 19 décembre 2001 instaure un système de protection comparable à celui de l'article 100 de la loi de redressement du 22 janvier 1985 contenant des dispositions sociales (interdiction de licenciement pour des motifs autres que le motif grave ou un motif étranger à la suspension du contrat de travail) mais ne prévoit pas qu'en cas de congé régulier, le délai de préavis ne puisse prendre cours durant la période de suspension du contrat.
L'article 101bis de la même loi de redressement du 22 janvier 1985, tel qu'il était applicable à l'époque du préavis, dispose uniquement qu'en cas de préavis donné par l'employeur, le délai de préavis ne court pas durant la suspension de l'exécution du contrat de travail prévue aux articles 100 et 100bis. Cet article ne fait pas référence au système de crédit-temps visé à la sous-section 3bis de la loi.
Certes, la loi-programme du 9 juillet 2004 a rétabli dans la loi de redressement du 22 janvier 1985 l'article 106bis qui prévoyait la suspension du préavis dans tous les cas d'interruption de la carrière et, en conséquence, en cas d'exercice du droit au crédit-temps, mais ajoute expressément que l'article 267 de la loi s'applique seulement aux préavis dont la prise de cours se situe après la date d'entrée en vigueur de l'article.
Il ne peut être déduit de la circonstance qu'il ressort des travaux préparatoires de la loi-programme du 9 juillet 2004 que, par cette disposition, le législateur a voulu pallier une omission commise par les partenaires sociaux lors de l'élaboration du système de crédit-temps, que le cours du délai de préavis était suspendu alors que le législateur n'avait pas encore expressément prévu cette suspension ». (...)
Griefs
1.1. En vertu de l'article 37, § 1er, de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail, en abrégé ci-après loi du 3 juillet 1978, chacune des parties à un contrat de travail conclu pour une durée indéterminée peut résilier ce contrat moyennant notification à l'autre partie d'un préavis mentionnant le début et la durée du délai de préavis.
La durée du délai de préavis auquel l'employeur est tenu en cas de résiliation d'un contrat d'employé est fixée à l'article 82 de la loi du 3 juillet 1978.
L'article 38, §§ 1er et 2, de la loi du 3 juillet 1978 prévoit explicitement qu'en cas de congé donné par l'employeur avant ou pendant certains cas bien déterminés de suspension, le délai de préavis ne court pas pendant la suspension. Toutefois, cette disposition n'énumère pas de manière limitative les cas de suspension pendant lesquels le délai de préavis ne court pas. La suspension du cours du délai de préavis peut également être prévue de manière implicite ou explicite dans d'autres cas par d'autres lois.
Il suit de l'article 39 de la loi du 3 juillet 1978 qu'une indemnité de congé est due dans la mesure où le délai de préavis, éventuellement prolongé en raison d'une suspension, n'est pas respecté.
1.2.1. L'article 20, § 2, de la convention collective de travail n° 77bis, conclue le 19 décembre 2001 au sein du Conseil national du travail, remplaçant la convention collective de travail n° 77 du 14 février 2001 instaurant un système de crédit-temps, de diminution de carrière et de réduction des prestations de travail à mi-temps, en abrégé ci-après convention collective de travail n° 77bis du 19 décembre 2001, dispose que l'employeur ne peut faire aucun acte tendant à mettre fin unilatéralement à la relation de travail sauf pour motif grave au sens de l'article 35 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail, ou pour un motif dont la nature et l'origine sont étrangères à la suspension du contrat de travail ou à la réduction des prestations de travail à mi-temps du fait de l'exercice du droit au crédit-temps, à la diminution de carrière ou de prestations à mi-temps visé respectivement aux articles 3, 6 et 9 de la convention collective de travail.
1.2.2. Dès avant l'élaboration, en 2001, de la réglementation instaurant le système du crédit-temps, de la diminution de carrière ou de prestations à mi-temps, la loi de redressement du 22 janvier 1985 contenant des dispositions sociales réglait un système d'interruption de la carrière professionnelle. Ses articles 100 et 100bis prévoyaient et prévoient plus spécialement la possibilité d'une suspension de l'exécution du contrat de travail de commun accord entre le travailleur et l'employeur, l'application d'une convention collective de travail prévoyant une telle suspension et la suspension du contrat de travail en cas de soins palliatifs donnés à une personne.
L'article 101 de cette loi interdit également à l'employeur, en cas de suspension de l'exécution du contrat de travail en application des articles 100 et 100bis de la loi de redressement du 22 janvier 1985, de faire des actes tendant à mettre fin unilatéralement à la relation de travail, sauf pour motif grave au sens de l'article 35 de la loi du 3 juillet 1978, ou pour un motif suffisant, c'est-à-dire un motif reconnu comme tel par le juge, dont la nature et l'origine sont étrangères à la suspension visée aux articles 100 et 100bis.
La loi de redressement du 22 janvier 1985 contenait un article 101bis qui, jusqu'à son abrogation par la loi-programme du 9 juillet 2004, prévoyait qu'en cas de préavis donné par l'employeur, le délai de préavis ne court pas durant la suspension de l'exécution du contrat de travail prévue aux articles 100 et 100bis de la loi.
1.3. Une sous-section 3bis, intitulée « Application de la convention collective de travail conclue au sein du Conseil national du travail instaurant un système de crédit-temps, de diminution de carrière et de réduction des prestations de travail à mi-temps », a été insérée à partir du 1er janvier 2002 dans la loi de redressement du 22 janvier 1985, dont l'article 103ter prévoit que les articles 100 et 102 ne s'appliquent pas aux travailleurs visés à la convention collective de travail conclue au sein du Conseil national du travail instaurant un système de crédit-temps, de diminution de carrière et de réduction des prestations de travail à mi-temps, dans la mesure où ces dispositions ont le même objet que la convention collective de travail.
Il suit a contrario de l'article 103ter que la disposition de l'article 101bis de la loi de redressement du 22 janvier 1985 est applicable aux travailleurs visés à la convention collective de travail n° 77bis du 19 décembre 2001, de sorte qu'en cas de préavis donné par l'employeur, le délai de préavis ne court pas durant la suspension de l'exécution du contrat de travail prévue par la convention collective de travail.
1.4. A tout le moins, les dispositions légales applicables en l'espèce révèlent clairement la volonté du législateur de ne pas donner cours au délai de préavis durant la période de suspension de l'exécution du contrat de travail en raison de l'exercice du droit au crédit-temps visé à la convention collective de travail n° 77bis du 19 décembre 2001. En effet, les cas de suspension de l'exécution du contrat de travail en application des articles 100 ou 100bis de la loi de redressement du 22 janvier 1985 et les cas de suspension de l'exécution du contrat de travail en application de la convention collective de travail n° 77bis du 19 décembre 2001 sont fortement comparables.
2. Il ressort des constatations de fait de la cour du travail que, le 29 novembre 2002, le demandeur, occupé en qualité d'employé, a sollicité le bénéfice du droit au crédit-temps avec interruption complète de la carrière pour une période de six mois prenant cours le 1er mai 2003 et que, par lettre du 26 mars (lire : juin) 2003, la défenderesse a mis fin au contrat de travail moyennant un délai de préavis de trois mois courant durant la période de suspension de l'exécution du contrat de travail (...).
Le demandeur a fait valoir dans ses conclusions régulièrement déposées au greffe de la cour du travail que le délai de préavis ne pouvait courir durant la période d'interruption complète de la carrière et a réclamé (notamment) pour ce motif le paiement d'une indemnité de rupture compensatoire (...).
La cour du travail considère dans l'arrêt attaqué que (...) :
- il n'existe pas de règle générale s'opposant à ce qu'un délai de préavis coure durant une période de suspension du contrat de travail et que ce n'est le cas que lorsque la loi le prévoit expressément ;
- la convention collective de travail n° 77bis du 19 décembre 2001 instaure un système de protection comparable à celui de l'article 100 de la loi de redressement du 22 janvier 1985 mais ne prévoit pas qu'en cas de congé régulier, le délai de préavis ne puisse courir durant la période de suspension du contrat ;
- l'article 101bis de la même loi de redressement du 22 janvier 1985, tel qu'il était applicable à l'époque du préavis donné au demandeur, dispose uniquement que le délai de préavis ne court pas durant la suspension de l'exécution du contrat de travail prévue aux articles 100 et 100bis et cet article ne fait pas référence au système de crédit-temps visé à la sous-section 3bis de la loi ;
- la loi-programme du 9 juillet 2004 a introduit dans la loi de redressement du 22 janvier 1985 un nouvel article 106bis qui prévoit la suspension du préavis dans les cas d'interruption de la carrière, donc aussi en cas d'exercice du droit au crédit-temps, mais ajoute expressément en son article 267 (lire : 268) que cette nouvelle disposition s'applique seulement aux préavis dont la prise de cours se situe après la date d'entrée en vigueur de l'article ;
- il ne peut être déduit de la circonstance qu'il ressort des travaux préparatoires de la loi-programme du 9 juillet 2004 que, par cette disposition, le législateur a voulu pallier une omission, que le cours de délai de préavis était suspendu alors que le législateur n'avait pas encore expressément prévu cette suspension.
Toutes les dispositions du législateur doivent être interprétées et appliquées selon leur objectif. Contrairement à ce que la cour du travail considère, il n'est pas requis que le législateur ait disposé expressément qu'en cas de préavis donné par l'employeur, le délai de préavis ne court pas durant la période de suspension de l'exécution du contrat de travail en raison de l'exercice du droit au crédit-temps pour que le délai de préavis soit suspendu.
Ainsi qu'il a été exposé au point 1, la lecture conjointe des articles 20,
§ 2, de la convention collective de travail n° 77bis du 19 décembre 2001 et 100, 100bis, 101 et 101bis de la loi de redressement du 22 janvier 1985 révèle clairement la volonté du législateur de suspendre également le cours du délai du préavis donné par l'employeur durant la période de suspension de l'exécution du contrat de travail en raison de l'exercice du droit au crédit-temps. En conséquence, en décidant que le délai de préavis pouvait courir durant la période de la suspension complète de l'exécution du contrat de travail du demandeur en raison de l'exercice de son droit au crédit-temps, la cour du travail viole les dispositions précitées.
Conclusion.
La cour du travail ne décide pas légalement que le demandeur n'a pas droit à une indemnité de congé complémentaire et, en conséquence, ne déboute pas légalement le demandeur de son appel à cet égard (violation de toutes les dispositions légales citées en tête du moyen).
III. La décision de la Cour
(...)
Sur le second moyen :
2. En vertu de l'article 106bis de la loi de redressement du 22 janvier 1985 contenant des dispositions sociales, en cas de préavis donné par l'employeur, le délai de préavis ne court pas durant la suspension complète du contrat de travail en raison de l'exercice par le travailleur du droit au crédit-temps. Cette disposition a été insérée par l'article 267 de la loi-programme du 9 juillet 2004 qui prévoit en son article 268 que la nouvelle disposition s'applique aux préavis dont la prise de cours se situe après son entrée en vigueur, le 25 juillet 2004.
3. Il ressort de l'arrêt que l'exécution du contrat de travail a été suspendue pour une période de six mois prenant cours le 1er mai 2003 et que la défenderesse a mis fin au contrat de travail moyennant un délai de préavis de trois mois courant durant la période de suspension. Il s'ensuit que le préavis donné par la défenderesse était antérieur au 25 juillet 2004.
Sur la base de ces constatations, les juges d'appel ont pu décider légalement qu'il ne pouvait être déduit de l'article 106bis de la loi de redressement du 22 janvier 1985 contenant des dispositions sociales que le délai du préavis donné par la défenderesse était suspendu durant la période de suspension de l'exécution du contrat de travail en raison de l'exercice du droit au crédit-temps.
Dans cette mesure, le moyen ne peut être accueilli.
4. Avant son abrogation par la loi-programme du 9 juillet 2004, l'article 101bis de la loi de redressement du 22 janvier 1985 contenant des dispositions sociales disposait qu'en cas de préavis donné par l'employeur, le délai de préavis ne courait pas durant la suspension de l'exécution du contrat de travail prévue aux articles 100 et 100bis de la loi.
En vertu de l'article 103ter de la même loi de redressement, les articles 100 et 102 de la loi ne s'appliquent pas aux travailleurs et aux employeurs visés à l'article 103bis, c'est-à-dire aux travailleurs et employeurs soumis à l'application de la convention collective de travail conclue au sein du Conseil national du travail instaurant un système de crédit-temps, de diminution de carrière et de réduction des prestations de travail à mi-temps, dans la mesure où ces dispositions ont le même objet que la convention collective de travail.
Il ne peut être déduit de cette disposition que l'article 101bis précité était applicable aux travailleurs soumis à l'application de la convention collective de travail n° 77bis, conclue le 19 décembre 2001 au sein du Conseil national du travail, remplaçant la convention collective de travail n° 77 du 14 février 2001 instaurant un système de crédit-temps, de diminution de carrière et de réduction des prestations de travail à mi-temps.
Dans cette mesure, le moyen manque en droit.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux dépens.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Robert Boes, les conseillers Eric Dirix, Beatrijs Deconinck, Alain Smetryns et Koen Mestdagh, et prononcé en audience publique du sept juin deux mille dix par le président de section Robert Boes, en présence de l'avocat général Ria Mortier, avec l'assistance du greffier Philippe Van Geem.
Traduction établie sous le contrôle du conseiller Sylviane Velu et transcrite avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.
Le greffier, Le conseiller,