N° P.08.1312.N
I.
R. C. B.,
prévenu,
demandeur,
Me Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation,
contre
1. ETAT BELGE (Finances),
2. E.-A. P.,
parties civiles,
défendeurs.
II.
C. J. M. G.,
prévenue,
demanderesse,
contre
ETAT BELGE (Finances),
partie civile,
défendeur.
III.
1. M. R.,
prévenu,
2. P. S. T.,
prévenu,
demandeur,
Me Caroline De Baets, avocat à la Cour de cassation,
contre
1. M. V. L.,
2. J. M. D.,
3. E. A. P.,
parties civiles,
défendeurs.
IV.
S. J. M.,
prévenu,
demandeur,
Me Raf Verstraeten, avocat au barreau de Bruxelles,
contre
ETAT BELGE (Finances),
partie civile,
défendeur.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Les pourvois sont dirigés contre l’arrêt rendu le 30 juin 2008 par la cour d'appel d'Anvers, chambre correctionnelle.
Le demandeur I présente deux moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
La demanderesse II ne présente pas de moyen.
Les demandeurs III présentent trois moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le demandeur IV présente un moyen dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Luc Huybrechts a fait rapport.
Le premier avocat général Marc De Swaef a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
Sur la recevabilité du pourvoi :
1. Dans la mesure où les pourvois des différents demandeurs sont dirigés contre leur acquittement prononcé du chef de certaines préventions, ils sont irrecevables à défaut d'intérêt.
Sur le premier moyen du demandeur I :
Quant à la première branche :
2. Le moyen, en cette branche, invoque la violation de l'article 505 du Code pénal, tel qu'il était applicable avant d'être modifié par la loi du 10 mai 2007 : dès lors qu'il ressort de l'arrêt attaqué que les juges d'appel ont condamné le demandeur en tant qu'auteur de l'infraction qualifiée sous la prévention L.I.c et d, ils ne pouvaient légalement le condamner en tant qu'auteur ou coauteur du chef de l'infraction de blanchiment sous la prévention H.I, qui concerne, à tout le moins partiellement, les mêmes sommes que celles qui font l'objet de l'infraction à la base de sa condamnation.
3. Les juges d'appel ont condamné le demandeur du chef des faits confondus sous les préventions A.I et A.II.a) 1, 2 et 3 et b), B.I. et B.II, C, D.I et D.II, E.I et E.II, F.I et F.II, G, H.I, J.I, J.II et J.III, J.IV, K.I, K.II et K.III, L.I et L.II par la voie d'une simple déclaration de culpabilité.
Nonobstant la déclaration de culpabilité du chef de l'infraction de blanchiment sous la prévention H.I, la condamnation du demandeur par la voie d'une simple déclaration de culpabilité est légalement justifiée dès lors que les autres préventions sont déclarées établies.
4. L'infraction de blanchiment prévue à l'article 505, alinéa 1er, 2°, du Code pénal, dans la version applicable en l'espèce, ne peut être commise par l'auteur, le coauteur ou le complice de l'infraction dont sont tirés les avantages patrimoniaux énoncés à l'article 42, 3°, du Code pénal. La confiscation spéciale visée à l'article 42, 3°, du Code pénal ne peut ainsi être prononcée à l'encontre de l'auteur, du coauteur ou du complice de cette infraction principale.
Dans la mesure où la prévention H.I implique les sommes produites par les faits de la prévention L.I.c et d, leur confiscation n'est pas légalement justifiée.
Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, est fondé.
5. Il appartient au juge de déterminer dans quelle mesure la prévention H.1 est plus large que les préventions L.I.c et d.
Quant à la seconde branche :
6. Le moyen, en cette branche, invoque la violation du devoir de motivation consacré par l'article 149 de la Constitution : les juges d'appel n'ont pas répondu à la défense du demandeur selon laquelle la confiscation des montants énoncés sous la prévention H.I ne pouvait nullement être prononcée dès lors qu'ils ne se trouvaient pas dans son patrimoine et ne s'y sont d'ailleurs jamais trouvés.
7. Les juges d'appel ont motivé la confiscation de ces montants prononcée à charge du demandeur par le motif qu'il a acquis ces biens ensemble et en concertation avec les demandeurs III. Ainsi, ils ont rejeté la défense du demandeur et y ont répondu.
Le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli.
Sur le second moyen du demandeur I :
Quant à la première branche :
8. Le moyen, en cette branche, invoque la violation des articles 1382, 1383 du Code civil, 3, 4 de la loi du 17 avril 1878 contentant le Titre préliminaire du Code de procédure pénale, 354 et 358 du Code des Impôts sur les revenus (1992) et la méconnaissance du principe général de droit relatif au lien de causalité : en décidant que l'action de l'Etat belge, défendeur, est recevable et fondée à concurrence d'un euro à titre provisionnel après avoir constaté néanmoins que cette demande correspond à l'impôt dû et éludé et en accueillant cette demande par la seule constatation que, sur la base de la législation fiscale, le défendeur ne peut réclamer à nul autre que le contribuable d'impôts sur les sociétés sans autre titre, les juges d'appel n'ont pas justifié légalement leur décision.
9. La recevabilité de la constitution de partie civile d'une personne lésée requiert l'existence d'un lien de causalité entre la faute née de l'infraction et le dommage. En principe, ce lien de causalité relève de l'appréciation souveraine du juge, mais la Cour contrôle si, de ses constatations, le juge a pu déduire légalement sa décision.
Le dommage né du fait que, sur la base de la législation fiscale, l'Etat belge ne peut réclamer l'impôt dû et éludé à des personnes autres que les contribuables d'impôts sur les sociétés ou à des personnes tenues solidairement en tant qu'auteurs ou complices d'une infraction fiscale au paiement de l'impôt éludé, ne constitue pas la conséquence d'une infraction de droit commun, mais d'une cause étrangère, à savoir la législation en matière fiscale.
Le moyen, en cette branche, est fondé.
Quant aux deuxième et troisième branches :
11. Il n'y a pas lieu de répondre au moyen, en ces branches, qui ne saurait entraîner une cassation sans renvoi.
Sur le premier moyen des demandeurs III :
12. Le moyen invoque la violation des articles 42, 1°, 505, alinéa 1er, 2°, 505, alinéa 2, 505, alinéa 7, du Code pénal (ledit article 505 tel qu'il était en vigueur avant et après sa modification par la loi du 10 mai 2007 ; l'alinéa 7 actuel était libellé à l'alinéa 3 avant la modification de la loi).
13. Ayant la même portée que le premier moyen du demandeur I, le moyen est également fondé, par les motifs énoncés précédemment.
Sur le deuxième moyen des demandeurs III :
Quant à la première branche :
14. Le moyen, en cette branche, invoque la violation de l'article 149 de la Constitution, 42, 3°, 43bis, alinéa 1er, 196, 197, 489ter du Code pénal (489 tel qu'il était en vigueur avant sa modification par la loi du 8 août 1977 sur les faillites), 577, 1° et 2°, et 578 du Code de commerce (tel qu'il était en vigueur avant sa modification par la loi du 8 août 1977 sur les faillites) : les juges d'appel ne pouvaient légalement prononcer à l'encontre du demandeur III.1 la confiscation des sommes en dépôt sous son nom sur les comptes ouverts auprès de la Banque Indosuez Luxembourg (actuellement Crédit Agricole Indosuez) au Grand-Duché du Luxembourg, en tant qu'avantages patrimoniaux résultant, selon le dispositif de l'arrêt, des faits sous la prévention G et, selon les motifs de l'arrêt, des faits sous la prévention F.I.
15. La prévention F.I concerne la banqueroute frauduleuse initiale, avant sa requalification en faux en écritures et usage de faux, « par la tenue frauduleuse d'une comptabilité erronée et non fiable qui jamais ne reproduisait la réelle situation de l’actif et du passif, ce qui ressort notamment de la reprise dans la comptabilité d'avoirs et d'actifs fictifs (…) dans l'intention frauduleuse de commettre et/ou dissimuler les faits des préventions G, K.I et II, et L.I » (p. 29 de l'arrêt attaqué).
La prévention G concerne la banqueroute frauduleuse initiale, avant sa requalification en infraction de faillite par le détournement ou la dissimulation d'actifs, « à savoir des éléments de l'actif ne pouvant être précisés à défaut d'une comptabilité complète, conforme et fiable, à tout le moins notamment les sommes mentionnées ci-après, qui ont été transférées vers leurs comptes ouverts auprès de la Banque Générale du Luxembourg, vers un compte au nom de la Umeda Foundation Inc. (ouvert auprès de la Mitsubischi Bank, Tokyo) et/ou vers un compte au nom de Catas-Umeda (ouvert auprès de la National Westminster Bank à Douglas), sans aucune autre justification quant à l'utilisation de ces sommes) » (p. 30 de l'arrêt attaqué).
Ainsi, le renvoi à la prévention G dans le dispositif de l'arrêt se révèle être une simple erreur matérielle résultant de la volonté de préciser la confiscation ; cependant, l'arrêt tend à prononcer la confiscation des sommes énoncées sur la base de la prévention F.I.
16. Ainsi qu'elle est précisée sous la prévention F.I. à la base de la confiscation prononcée, la comptabilité fausse ne semble pas être l'infraction dont ont pu être tirés les avantages patrimoniaux illégaux, mais semble uniquement constituer un moyen de dissimuler d'autres infractions dont il appert, par contre, qu'ont été tirés effectivement ces avantages patrimoniaux illégaux.
L'arrêt attaqué ne constate pas que les avantages patrimoniaux confisqués constituent directement le revenu de la comptabilité erronée et non fiable. Ainsi, la confiscation prononcée, sur la base des articles 42, 3°, et 43bis du Code pénal, des avantages patrimoniaux en raison de la prévention F.I, n'est pas légalement justifiée.
Le moyen, en cette branche, est fondé.
Quant à la seconde branche :
17. Il n'y a pas lieu de répondre au moyen, en cette branche, dès lors qu'il ne saurait donner lieu à une cassation plus étendue ou sans renvoi.
Sur le troisième moyen des demandeurs III :
18. Le moyen invoque la violation des articles 1017, alinéa 1er, 1018, alinéa 1er, 6°, 1022, alinéa 1er, du Code judiciaire et 162bis, alinéa 1er, du Code d'instruction criminelle : les juges d'appel n'ayant pas épuisé leur pouvoir de juridiction quant aux actions civiles des défendeurs III.1 et III.3, ils ne pouvaient condamner légalement les deux demandeurs à payer chacun une indemnité de procédure de 300 euros.
19. Le jugement qui accorde provisoirement des dommages et intérêts, sans rien réserver à une décision ultérieure, constitue un jugement définitif au sens de l'article 1017, alinéa 1er, du Code judiciaire, de sorte que le juge peut accorder une indemnité de procédure.
Le moyen, en cette branche, manque en droit.
Sur le moyen du demandeur IV :
20. Le moyen invoque la violation des articles 1382, 1383 du Code civil, 354, 358 du Code des Impôts sur les revenus (1992), 162bis, 211 du Code d'instruction criminelle et 1022 du Code judiciaire : l'arrêt attaqué a conclu, à tort, à la recevabilité de la constitution de partie civile du défendeur et ne pouvait, dès lors, lui accorder une indemnité de procédure.
21. Le moyen a la même portée que le second moyen du demandeur I.
Le moyen est fondé pour les motifs énoncés en réponse à ce moyen.
Sur l'examen d'office des décisions rendues sur le surplus de l'action publique :
22. Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Casse, sur les pourvois des demandeurs I et IV, l’arrêt attaqué en tant qu'il se prononce sur l'action civile dirigée contre eux par l'Etat belge ;
Casse, sur les pourvois des demandeurs I et III, l'arrêt attaqué en tant que, sur la base de leur condamnation par voie d'une simple déclaration de culpabilité du chef de l'infraction de blanchiment sous la prévention H.I, il prononce à l'encontre des demandeurs la confiscation des sommes tirées des faits de la prévention L.I.c et d, et les condamne aux frais et au paiement d'une indemnité ;
Casse, sur le pourvoi du demandeur III, l'arrêt attaqué en tant qu'il prononce la confiscation des avantages patrimoniaux du chef de la prévention F.I ;
Rejette les pourvois pour le surplus ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l’arrêt partiellement cassé ;
Condamne les demandeurs II aux frais de leur pourvoi ;
Condamne les demandeurs I, III et IV à la moitié des frais de leur pourvoi et laisse le surplus à charge de l'Etat ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, à la cour d’appel de Bruxelles.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Edward Forrier, les conseillers Etienne Goethals, Jean-Pierre Frère, Paul Maffei et Luc Van hoogenbemt, et prononcé en audience publique du dix février deux mille neuf par le président de section Edward Forrier, en présence du premier avocar général Marc De Swaef, avec l’assistance du greffier Frank Adriaensen.
Traduction établie sous le contrôle du conseiller Benoît Dejemeppe et transcrite avec l’assistance du greffier Fabienne Gobert.