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29/06/2018 | FRANCE | N°409214

France | France, Conseil d'État, 6ème et 5ème chambres réunies, 29 juin 2018, 409214


Vu la procédure suivante :

M. B...A..., incarcéré au centre de détention de Bapaume, a adressé le 8 juin 2015 au directeur interrégional de l'administration pénitentiaire un recours gracieux tendant à l'indemnisation du préjudice résultant du mode de calcul erroné de sa rémunération pour ses activités professionnelles aux ateliers de cet établissement entre juin 2013 et décembre 2014.

Par une ordonnance n° 1505167 du 26 janvier 2016, le juge des référés du tribunal administratif de Lille a condamné l'Etat à verser à M.A..., à titre provisionnel, la somme

de 986 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 22 juin 2015.

Par u...

Vu la procédure suivante :

M. B...A..., incarcéré au centre de détention de Bapaume, a adressé le 8 juin 2015 au directeur interrégional de l'administration pénitentiaire un recours gracieux tendant à l'indemnisation du préjudice résultant du mode de calcul erroné de sa rémunération pour ses activités professionnelles aux ateliers de cet établissement entre juin 2013 et décembre 2014.

Par une ordonnance n° 1505167 du 26 janvier 2016, le juge des référés du tribunal administratif de Lille a condamné l'Etat à verser à M.A..., à titre provisionnel, la somme de 986 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 22 juin 2015.

Par un jugement n° 1505178 du 1er décembre 2016, le tribunal administratif de Lille a condamné l'Etat à verser à M. A...la somme de 470,50 euros, déduction faite de la provision de 986 euros au versement de laquelle l'Etat avait été condamné par l'ordonnance du juge des référés du 26 janvier 2016 et, sous réserve de l'exécution de cette ordonnance, a mis à la charge de M. A...le reversement à l'Etat de la somme de 515,55 euros en remboursement du trop-perçu résultant de la provision qui lui avait été accordée.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire enregistrés les 24 mars et 26 juin 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros, à verser à son avocat, Me Le Prado, au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de procédure pénale ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code civil ;

- l'ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Laure Durand-Viel, auditeur,

- les conclusions de Mme Julie Burguburu, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me Le Prado, avocat de M.A....

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M.A..., qui est incarcéré au centre de détention de Bapaume où il a exercé des activités de production de juin 2013 à décembre 2014, a présenté, le 8 juin 2015, une réclamation préalable auprès du directeur interrégional de l'administration pénitentiaire aux fins d'être indemnisé du préjudice résultant selon lui du mode de calcul erroné de sa rémunération pour ces activités professionnelles. Une décision tacite de rejet est née le 8 août 2015 du silence gardé par l'administration sur cette demande. M. A...a alors saisi le juge des référés du tribunal administratif de Lille d'une demande tendant au versement, à titre de provision, de la somme de 986 euros, assortie des intérêts de retard au taux légal, à compter de la date de leur exigibilité. Par une ordonnance du 26 janvier 2016, le juge des référés a condamné l'Etat à verser à M.A..., à titre provisionnel, la somme de 986 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 22 juin 2015. Par un jugement du 1er décembre 2016, le tribunal administratif de Lille, statuant sur le litige au principal, a condamné l'Etat à verser à M. A...la somme de 470,50 euros, déduction faite de la provision de 986 euros au versement de laquelle il a été condamné par ordonnance du juge des référés du 26 janvier 2016, et a enjoint à M.A..., sous réserve de l'exécution de cette ordonnance, de verser à l'Etat la somme de 515,55 euros en remboursement de la provision qui lui a été accordée.

Sur les conclusions à fin d'indemnisation :

2. D'une part, aux termes de l'article 717-3 du code de procédure pénale : " Les activités de travail et de formation professionnelle ou générale sont prises en compte pour l'appréciation des gages de réinsertion et de bonne conduite des condamnés. / Au sein des établissements pénitentiaires, toutes dispositions sont prises pour assurer une activité professionnelle, une formation professionnelle ou générale aux personnes incarcérées qui en font la demande. / Les relations de travail des personnes incarcérées ne font pas l'objet d'un contrat de travail. Il peut être dérogé à cette règle pour les activités exercées à l'extérieur des établissements pénitentiaires. / Les règles relatives à la répartition des produits du travail des détenus sont fixées par décret. Le produit du travail des détenus ne peut faire l'objet d'aucun prélèvement pour frais d'entretien en établissement pénitentiaire. / La rémunération du travail des personnes détenues ne peut être inférieure à un taux horaire fixé par décret et indexé sur le salaire minimum de croissance défini à l'article L. 3231-2 du code du travail. Ce taux peut varier en fonction du régime sous lequel les personnes détenues sont employées. ". En vertu de l'article D. 366 du même code : " Les détenus sont affiliés, dès leur incarcération, au régime général de la sécurité sociale. A ce titre, ils bénéficient, ainsi que leurs ayants droit, des prestations en nature de l'assurance maladie et maternité servies par le régime général dans les conditions fixées par les articles L. 381-30 à L. 381-30-6 du code de la sécurité sociale. ". L'article D. 433-4 du même code prévoit que : " Les rémunérations pour tout travail effectué par une personne détenue sont versées, sous réserve des dispositions de l'article D. 121, à l'administration qui opère le reversement des cotisations sociales aux organismes de recouvrement et procède ensuite à l'inscription et à la répartition de la rémunération nette sur le compte nominatif des personnes détenues, conformément aux dispositions de l'article D. 434. / Ces rémunérations sont soumises à cotisations patronales et ouvrières selon les modalités fixées, pour les assurances maladie, maternité et vieillesse, par les articles R. 381-97 à R. 381-109 du code de la sécurité sociale. ". L'article R. 381-99 du code de la sécurité sociale fixe le taux de la cotisation d'assurance maladie et maternité, qui est à la charge de l'employeur.

3. D'autre part, en vertu de l'article L. 136-1 du code de la sécurité sociale, il est institué une contribution sociale sur les revenus d'activité et sur les revenus de remplacement, dite contribution sociale généralisée, à laquelle sont notamment assujettis : " 1° Les personnes physiques qui sont à la fois considérées comme domiciliées en France pour l'établissement de l'impôt sur le revenu et à la charge, à quelque titre que ce soit, d'un régime obligatoire français d'assurance maladie ; / (...) ". Le I de l'article L. 136-2 du même code dispose que : " La contribution est assise sur le montant brut des traitements, indemnités, émoluments, salaires (...). / Pour l'application du présent article, les traitements, salaires et toutes sommes versées en contrepartie ou à l'occasion du travail sont évalués selon les règles fixées à l'article L. 242-1. (...) ". L'article L. 242-1 du même code prévoit que, pour le calcul des cotisations de sécurité sociale dues pour les périodes au titre desquelles les revenus d'activité sont attribués, " sont considérées comme rémunérations toutes les sommes versées aux travailleurs en contrepartie ou à l'occasion du travail, notamment les salaires ou gains, les indemnités de congés payés, le montant des retenues pour cotisations ouvrières, les indemnités, primes, gratifications et tous autres avantages en argent, les avantages en nature, ainsi que les sommes perçues directement ou par l'entremise d'un tiers à titre de pourboire. ". Enfin, le I de l'article 14 de l'ordonnance du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette sociale institue " une contribution sur les revenus d'activité et de remplacement mentionnés aux articles L. 136-2 à L. 136-4 du code de la sécurité sociale ", dite contribution au remboursement de la dette sociale, et prévoit que : " Cette contribution est assise sur les revenus visés et dans les conditions prévues aux articles L. 136-2 à L. 136-4 et au III de l'article L. 136 8 du code de la sécurité sociale. ".

4. En premier lieu, il résulte des dispositions citées aux points précédents que les personnes détenues sont au nombre de celles qui sont assujetties à la contribution sociale généralisée et que la rémunération qu'elles perçoivent en contrepartie du travail qu'elles effectuent dans les conditions prévues à l'article 717-3 du code de procédure pénale entre dans l'assiette de la contribution sociale généralisée ainsi que dans celle de la contribution pour le remboursement de la dette sociale. Par suite, c'est sans erreur de droit que le tribunal administratif de Lille a jugé que ces contributions devaient être déduites, dans les conditions du droit commun, de la rémunération brute que M. A...aurait dû percevoir pour ses activités de production au centre de détention de Bapaume.

5. En deuxième lieu, le garde des sceaux, ministre de la justice a produit devant le tribunal administratif de Lille un tableau de décompte des sommes dues au requérant assorti de justifications sur lesquelles le requérant n'a pas formulé d'observations. Par suite, le tribunal a pu, sans dénaturer les écritures du requérant, juger que les modalités du calcul auquel le ministre avait procédé n'étaient pas contestées et il a suffisamment motivé son jugement en se référant, pour reprendre à son compte le montant proposé par le ministre, aux modalités de calcul exposées dans ses écritures.

6. En troisième lieu, le moyen tiré de ce que les modalités de calcul dont se prévalait l'administration n'auraient pas été portées à la connaissance du requérant de manière suffisante pour lui être opposables n'a pas été soulevé devant le tribunal administratif de Lille. Par suite, les moyens tirés de ce que le jugement attaqué serait insuffisamment motivé pour n'avoir pas répondu à un tel moyen et entaché d'erreur de droit pour n'avoir pas recherché si ce moyen était fondé ne peuvent qu'être écartés.

7. Il résulte de ce qui précède que M. A...n'est pas fondé à demander l'annulation du jugement qu'il attaque en tant qu'il statue sur ses conclusions à fin d'indemnisation.

Sur les intérêts :

8. Aux termes de l'article L. 1231-6 du code civil : " Les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d'une obligation de somme d'argent consistent dans l'intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure. / Ces dommages et intérêts sont dus sans que le créancier soit tenu de justifier d'aucune perte. (...) ". Les intérêts moratoires dus en application de ces dispositions, lorsqu'ils ont été demandés, et quelle que soit la date de cette demande, courent à compter du jour où la demande de paiement du principal est parvenue à l'administration ou, en l'absence d'une telle demande préalablement à la saisine du juge, à compter du jour de cette saisine. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le recours gracieux formé le 8 juin 2015 par M. A...auprès du directeur interrégional des services pénitentiaires de Lille tendant au versement de 986 euros à titre de rappels de salaires bruts doit être regardé comme une mise en demeure au sens des dispositions précitées de l'article L. 1231-6 du code civil. Dès lors, le tribunal administratif de Lille a commis une erreur de droit en jugeant que la demande d'intérêts présentée par M. A...ne pouvait être que rejetée. Par suite, le jugement attaqué doit être annulé en tant qu'il rejette la demande d'intérêts présentée par M. A....

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond dans cette mesure en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

10. Il résulte de l'instruction que la somme due au requérant par l'administration pénitentiaire au titre de rappels de salaires, après déduction des cotisations applicables, s'élève à 470,45 euros. Il résulte de ce qui a été dit au point 8 que cette somme doit être assortie des intérêts au taux légal à compter du 8 juin 2015. Par suite, il convient de mettre à la charge de l'Etat les intérêts au taux légal sur la somme de 470,45 euros à compter du 8 juin 2015 et jusqu'à la date d'exécution de l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Lille du 26 janvier 2016 ou, à défaut, du paiement de la somme due en application du jugement attaqué, déduction faite, le cas échéant, des intérêts qui auraient déjà été versés.

11. M. A...ayant obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle, Me Le Prado, son avocat, peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Le Prado renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à Me Le Prado.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Lille du 1er décembre 2016 est annulé en tant qu'il rejette la demande d'intérêts de M.A....

Article 2 : L'Etat versera à M. A...la somme correspondant aux intérêts au taux légal sur la somme de 470,45 euros à compter du 8 juin 2015 et jusqu'à la date d'exécution de l'ordonnance du juge des référés du 26 janvier 2016 ou, à défaut, de paiement de la somme due en application du jugement attaqué, déduction faite, le cas échéant, des intérêts qui auraient déjà été versés.

Article 3 : L'Etat versera à Me Le Prado, avocat de M.A..., une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Le Prado renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi de M. A...est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. B...A...et à la garde des sceaux, ministre de la justice.


Synthèse
Formation : 6ème et 5ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 409214
Date de la décision : 29/06/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

CONTRIBUTIONS ET TAXES - IMPÔTS SUR LES REVENUS ET BÉNÉFICES - ASSIETTE DE LA CSG ET DE LA CRDS - RÉMUNÉRATION DU TRAVAIL DES PERSONNES DÉTENUES - INCLUSION.

19-04 Il résulte des articles 717-3, D. 366, et D. 433-4 du code de procédure pénale (CPP), du I de l'article L. 136-2, des articles L. 136-1 et L. 242-1 du code de la sécurité sociale (CSS) et du I de l'article 14 de l'ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette sociale que les personnes détenues sont au nombre de celles qui sont assujetties à la contribution sociale généralisée (CSG) et que la rémunération qu'elles perçoivent en contrepartie du travail qu'elles effectuent dans les conditions prévues à l'article 717-3 du CPP entre dans l'assiette de la CSG ainsi que dans celle de la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS).

JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES ET JUDICIAIRES - EXÉCUTION DES JUGEMENTS - EXÉCUTION DES PEINES - SERVICE PUBLIC PÉNITENTIAIRE - RÉMUNÉRATION DU TRAVAIL DES PERSONNES DÉTENUES - ASSIETTE DE LA CSG ET DE LA CRDS - INCLUSION.

37-05-02-01 Il résulte des articles 717-3, D. 366, et D. 433-4 du code de procédure pénale (CPP), du I de l'article L. 136-2, des articles L. 136-1 et L. 242-1 du code de la sécurité sociale (CSS) et du I de l'article 14 de l'ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette sociale que les personnes détenues sont au nombre de celles qui sont assujetties à la contribution sociale généralisée (CSG) et que la rémunération qu'elles perçoivent en contrepartie du travail qu'elles effectuent dans les conditions prévues à l'article 717-3 du CPP entre dans l'assiette de la CSG ainsi que dans celle de la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS).


Publications
Proposition de citation : CE, 29 jui. 2018, n° 409214
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Laure Durand-Viel
Rapporteur public ?: Mme Julie Burguburu
Avocat(s) : LE PRADO

Origine de la décision
Date de l'import : 04/07/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:409214.20180629
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