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06/12/2017 | FRANCE | N°405839

France | France, Conseil d'État, 1ère - 6ème chambres réunies, 06 décembre 2017, 405839


Vu la procédure suivante :

Procédures contentieuses antérieures

M. C...B...a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 16 juin 2015 par lequel le maire de Bordeaux agissant au nom de l'Etat a délivré à la société Nacarat Saint-Jean le permis de construire un immeuble comprenant quatre-vingt-dix logements sur dix-neuf niveaux, sur un terrain situé rue de Saget, ainsi que la décision du 6 octobre 2015 par laquelle le maire a rejeté son recours gracieux tendant au retrait de cet arrêté. Par un jugement n° 1505602 du 1

er décembre 2016, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé l'arrêté du ...

Vu la procédure suivante :

Procédures contentieuses antérieures

M. C...B...a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 16 juin 2015 par lequel le maire de Bordeaux agissant au nom de l'Etat a délivré à la société Nacarat Saint-Jean le permis de construire un immeuble comprenant quatre-vingt-dix logements sur dix-neuf niveaux, sur un terrain situé rue de Saget, ainsi que la décision du 6 octobre 2015 par laquelle le maire a rejeté son recours gracieux tendant au retrait de cet arrêté. Par un jugement n° 1505602 du 1er décembre 2016, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé l'arrêté du 16 juin 2015 et la décision du 6 octobre 2015.

M. et Mme E...A...D...ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler le même arrêté du 16 juin 2015, ainsi que la décision du 6 octobre 2015 rejetant leur recours gracieux. Par un jugement n° 1505426 du 1er décembre 2016, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé ce même arrêté et cette décision.

Procédures devant le Conseil d'Etat

1° Sous le n° 405839, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 9 décembre 2016 et 12 janvier 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Nacarat Saint-Jean demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux n° 1505602 du 1er décembre 2016 ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter la demande de M.B... ;

3°) de mettre à la charge de M. B...la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 405840, par un pourvoi sommaire et deux mémoires complémentaires, enregistrés les 9 décembre 2016, 12 janvier 2017 et 28 mars 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Nacarat Saint-Jean demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux n° 1505426 du 1er décembre 2016 ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter la demande de M. et Mme A...D... ;

3°) de mettre à la charge de M. et Mme A...D...la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- le code de la construction et de l'habitation ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Frédéric Puigserver, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Célice, Soltner, Texidor, Perier, avocat de la société Nacarat Saint-Jean, et à la SCP Jean-Philippe Caston, avocat de M. et Mme A...D....

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces des dossiers soumis aux juges du fond que, par un arrêté du 16 juin 2015, le maire de Bordeaux, agissant au nom de l'Etat dans le cadre de l'opération d'intérêt national Euratlantique, a délivré à la société Nacarat Saint-Jean le permis de construire un immeuble de 19 étages à vocation de résidence étudiante, d'une hauteur totale de 61 mètres, dénommé la " Tour Saint-Jean ", comprenant 90 logements, dont deux appartements en duplex occupant les 18e et 19e étages. La société Nacarat-Saint-Jean se pourvoit en cassation contre les deux jugements du 1er décembre 2016 par lesquels le tribunal administratif de Bordeaux a, à la demande de M. B...et de M. et Mme A...D..., annulé l'arrêté du 16 juin 2015 et les décisions du 6 octobre 2015 rejetant leurs recours gracieux. Il y a lieu de joindre ces pourvois pour statuer par une même décision.

Sur le pourvoi n° 405840 :

En ce qui concerne la recevabilité de la demande de M. et Mme A...D... :

2. Aux termes de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme : " Une personne autre que l'Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n'est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager que si la construction, l'aménagement ou les travaux sont de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance du bien qu'elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d'une promesse de vente, de bail, ou d'un contrat préliminaire mentionné à l'article L. 261-15 du code de la construction et de l'habitation ".

3. Il résulte de ces dispositions qu'il appartient, en particulier, à tout requérant qui saisit le juge administratif d'un recours pour excès de pouvoir tendant à l'annulation d'un permis de construire, de démolir ou d'aménager, de préciser l'atteinte qu'il invoque pour justifier d'un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d'affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien. Il appartient au défendeur, s'il entend contester l'intérêt à agir du requérant, d'apporter tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité. Le juge de l'excès de pouvoir apprécie la recevabilité de la requête au vu des éléments ainsi versés au dossier par les parties, en écartant le cas échéant les allégations qu'il jugerait insuffisamment étayées mais sans pour autant exiger de l'auteur du recours qu'il apporte la preuve du caractère certain des atteintes qu'il invoque au soutien de la recevabilité de celui-ci. Eu égard à sa situation particulière, le voisin immédiat justifie, en principe, d'un intérêt à agir lorsqu'il fait état devant le juge, qui statue au vu de l'ensemble des pièces du dossier, d'éléments relatifs à la nature, à l'importance ou à la localisation du projet de construction.

4. En jugeant que M. et Mme A...D..., qui avaient justifié être voisins immédiats de la construction projetée par la production de l'acte de propriété du logement qu'ils occupent et qui s'étaient prévalus d'une obstruction, par la construction future, de la vue depuis ce logement, avaient un intérêt à agir contre le permis de construire attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux n'a pas commis d'erreur de droit et n'a pas inexactement qualifié les faits de l'espèce.

En ce qui concerne la légalité du permis de construire attaqué :

5. D'une part, les dispositions destinées à assurer la sécurité des personnes contre les risques d'incendie et de panique dans les immeubles de grande hauteur sont fixées par les articles R. 122-1 à R. 122-29 du code de la construction et de l'habitation et par l'arrêté du 30 décembre 2011 pris en application de l'article R. 122-4. Aux termes de l'article R. 122-2 de ce code : " Constitue un immeuble de grande hauteur, pour l'application du présent chapitre, tout corps de bâtiment dont le plancher bas du dernier niveau est situé, par rapport au niveau du sol le plus haut utilisable pour les engins des services publics de secours et de lutte contre l'incendie : / - à plus de 50 mètres pour les immeubles à usage d'habitation (...) ". Aux termes de l'article R. 431-29 du code de l'urbanisme : " Lorsque les travaux projetés portent sur un immeuble de grande hauteur, la demande est accompagnée du récépissé du dépôt en préfecture du dossier prévu par l'article R. 122-11-3 du code de la construction et de l'habitation ".

6. D'autre part, en application de l'article R. 111-13 du code de la construction et de l'habitation, l'arrêté du 31 janvier 1986 relatif à la protection contre l'incendie des bâtiments d'habitation fixe les règles de droit commun de protection de ces bâtiments contre l'incendie. Aux termes de l'article 1er de cet arrêté, dans sa rédaction alors applicable : " Les dispositions du présent arrêté s'appliquent : / - aux bâtiments d'habitation (...) dont le plancher bas du logement le plus haut est situé au plus à 50 mètres au-dessus du sol utilement accessible aux engins des services de secours et de lutte contre l'incendie (...). / Les règles particulières concernant les immeubles d'habitation dont le plancher bas du logement le plus haut est situé à plus de 50 mètres au-dessus du sol font l'objet des articles R. 122-1 à R. 122-55 du code de la construction et de l'habitation et de l'arrêté portant règlement de sécurité pour la construction des immeubles de grande hauteur et leur protection contre les risques d'incendie et de panique ". Aux termes de son article 3 : " Les bâtiments d'habitation sont classés comme suit du point de vue de la sécurité-incendie : (...) 4° Quatrième famille : / Habitations dont le plancher bas du logement le plus haut est situé à plus de vingt-huit mètres et à cinquante mètres au plus au-dessus du niveau du sol utilement accessible aux engins des services publics de secours et de lutte contre l'incendie. (...) ". Enfin, aux termes d'une modification résultant de l'arrêté du 19 juin 2015, postérieure à la délivrance du permis de construire litigieux, ce même article 3 a été précisé ainsi : " 5° Duplex et triplex. / Pour le classement des bâtiments, seul le niveau bas des duplex ou des triplex des logements situés à l'étage le plus élevé est pris en compte si ces logements disposent d'une pièce principale et d'une porte palière en partie basse et que les planchers des différents niveaux constituant ces logements répondent aux caractéristiques de l'article 6. / Les quadruplex et plus ne sont pas admis dans les bâtiments d'habitation collectifs ".

7. Il résulte des dispositions de l'article R. 122-2 du code de la construction et de l'habitation que la hauteur d'un immeuble se mesure, pour l'application de la réglementation relative aux immeubles de grande hauteur, entre le niveau du sol le plus haut utilisable pour les engins des services publics de secours et de lutte contre l'incendie et le plancher bas du dernier niveau, qui désigne le plancher qui sépare celui-ci du niveau immédiatement inférieur. Ces dispositions doivent être comprises comme visant le dernier niveau de l'immeuble quand bien même celui-ci correspond à la partie supérieure d'un duplex ou d'un triplex, sans qu'y fasse obstacle le parti que les auteurs de l'arrêté du 31 janvier 1986 précité ont cru pouvoir retenir en se référant, à son article 1er, au " plancher bas du logement le plus haut ", et en précisant, au 5° de son article 3, le régime des duplex et triplex, au demeurant par des dispositions postérieures au permis de construire en litige.

8. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les deux derniers étages de la construction autorisée par le permis de construire litigieux sont occupés par des appartements en duplex, dont le " plancher bas " du niveau le plus élevé, constituant le 19e étage de l'immeuble, se situe à plus de cinquante mètres au-dessus du niveau du sol le plus haut utilisable pour les engins des services publics de secours et de lutte contre l'incendie. Ainsi, en jugeant que cette construction constituait un immeuble de grande hauteur au sens de l'article R. 122-2 du code de la construction et de l'habitation et que, par suite, tant les dispositions des articles R. 122-1 et suivants de ce code que l'article R. 431-29 du code de l'urbanisme lui étaient applicables, le tribunal administratif de Bordeaux n'a pas commis d'erreur de droit, ni dénaturé les pièces du dossier.

En ce qui concerne l'application de l'article L. 600-5 ou de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme :

9. Aux termes de l'article L. 600-5 du code de l'urbanisme : " Le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu'un vice n'affectant qu'une partie du projet peut être régularisé par un permis modificatif, peut limiter à cette partie la portée de l'annulation qu'il prononce et, le cas échéant, fixer le délai dans lequel le titulaire du permis pourra en demander la régularisation ". Aux termes de l'article L. 600-5-1 du même code : " Le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu'un vice entraînant l'illégalité de cet acte est susceptible d'être régularisé par un permis modificatif peut, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour cette régularisation. Si un tel permis modificatif est notifié dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations ".

10. Il ressort des pièces du dossier qui lui était soumis que le tribunal administratif de Bordeaux n'a été saisi ni par le préfet de la Gironde ni par la société Nacarat Saint-Jean de conclusions tendant à ce qu'elle mette en oeuvre le pouvoir que lui confèrent ces dispositions. Si l'exercice de cette faculté par le juge n'est pas nécessairement subordonné à la présentation de conclusions en ce sens, le tribunal s'est livré, en s'abstenant d'en faire usage en l'espèce, à une appréciation qui échappe au contrôle du juge de cassation.

11. Il résulte de ce qui précède que le pourvoi de la société Nacarat Saint-Jean doit être rejeté.

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Nacarat Saint-Jean le versement à M. et Mme A...D...d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les dispositions de cet article font, en revanche, obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de la société Nacarat Saint-Jean présentées au même titre.

Sur le pourvoi n° 405839 :

13. Il résulte du rejet du pourvoi n° 405840 de la société Nacarat Saint-Jean dirigé contre le jugement n° 1505426 du 1er décembre 2016 par lequel tribunal administratif de Bordeaux a annulé le permis de construire du 16 juin 2015 que ce jugement est désormais irrévocable. Il suit de là qu'il n'y a pas lieu de statuer sur le pourvoi n° 405839 de cette société contre le jugement n° 1505602 rendu le même jour par le tribunal et prononçant l'annulation du même permis de construire.

14. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. B...la somme que demande la société Nacarat Saint-Jean au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le pourvoi de la société Nacarat Saint-Jean enregistré sous le n° 405840 est rejeté.

Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur le pourvoi de la société Nacarat Saint-Jean enregistré sous le n° 405839.

Article 3 : Les conclusions présentées par la société Nacarat Saint-Jean au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, dans l'affaire enregistrée sous le n° 405839, sont rejetées.

Article 4 : La société Nacarat Saint-Jean versera à M. et Mme A...D...une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société Nacarat Saint-Jean, à M. C...B..., à M. et Mme E...A...D....

Copie en sera adressée au ministre de la cohésion des territoires et à la commune de Bordeaux.


Synthèse
Formation : 1ère - 6ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 405839
Date de la décision : 06/12/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

38-01-03-01 LOGEMENT. RÈGLES DE CONSTRUCTION, DE SÉCURITÉ ET DE SALUBRITÉ DES IMMEUBLES. - RÈGLEMENTATION RELATIVE AUX IMMEUBLES DE GRANDE HAUTEUR - MESURE DE LA HAUTEUR DE L'IMMEUBLE - MODALITÉS.

38-01-03-01 Il résulte de l'article R. 122-2 du code de la construction et de l'habitation (CCH) que la hauteur d'un immeuble se mesure, pour l'application de la réglementation relative aux immeubles de grande hauteur, entre le niveau du sol le plus haut utilisable pour les engins des services publics de secours et de lutte contre l'incendie et le plancher bas du dernier niveau, qui désigne le plancher qui sépare celui-ci du niveau immédiatement inférieur. Cet article doit être compris comme visant le dernier niveau de l'immeuble quand bien même celui-ci correspond à la partie supérieure d'un duplex ou d'un triplex, sans qu'y fasse obstacle le parti que les auteurs de l'arrêté du 31 janvier 1986 relatif à la protection contre l'incendie des bâtiments d'habitation fixant les règles de droit commun de protection de ces bâtiments contre l'incendie ont cru pouvoir retenir en se référant, à son article 1er, au plancher bas du logement le plus haut, et en précisant, au 5° de son article 3, le régime des duplex et triplex.


Publications
Proposition de citation : CE, 06 déc. 2017, n° 405839
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Frédéric Puigserver
Rapporteur public ?: M. Rémi Decout-Paolini
Avocat(s) : SCP CELICE, SOLTNER, TEXIDOR, PERIER

Origine de la décision
Date de l'import : 12/10/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2017:405839.20171206
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