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12/03/2014 | FRANCE | N°359644

France | France, Conseil d'État, 8ème / 3ème ssr, 12 mars 2014, 359644


Vu 1°, sous le n° 359644, le pourvoi, enregistré le 23 mai 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le ministre délégué, chargé du budget ; le ministre demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n°11PA02939 du 27 mars 2012 par lequel la cour administrative d'appel de Paris, avant de statuer sur l'appel de M. A...C...tendant, d'une part, à l'annulation du jugement n° 0314551 du 4 janvier 2007 du tribunal administratif de Paris rejetant sa demande de condamnation de l'Etat à l'indemniser du préjudice subi par lui du fait des fautes commis

es par l'administration fiscale à l'encontre de la société de gestion ...

Vu 1°, sous le n° 359644, le pourvoi, enregistré le 23 mai 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le ministre délégué, chargé du budget ; le ministre demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n°11PA02939 du 27 mars 2012 par lequel la cour administrative d'appel de Paris, avant de statuer sur l'appel de M. A...C...tendant, d'une part, à l'annulation du jugement n° 0314551 du 4 janvier 2007 du tribunal administratif de Paris rejetant sa demande de condamnation de l'Etat à l'indemniser du préjudice subi par lui du fait des fautes commises par l'administration fiscale à l'encontre de la société de gestion Laborde, d'autre part, à la condamnation de l'Etat, a ordonné un supplément d'instruction aux fins de permettre aux parties de lui communiquer tous éléments permettant de déterminer le montant de ce préjudice ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de M. C...;

Vu 2°, sous le n° 361974, le pourvoi, enregistré le 17 août 2012, présenté par le ministre délégué, chargé du budget ; le ministre demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n°11PA02939 du 28 juin 2012 par lequel la cour administrative d'appel de Paris, après avoir annulé le jugement n° 0314551 du 4 janvier 2007 du tribunal administratif de Paris rejetant la demande de M. A...C...tendant à la condamnation de l'Etat à l'indemniser du préjudice subi par lui du fait des fautes commises par l'administration fiscale à l'encontre de la société de gestion Laborde, a condamné l'Etat à verser à M. C...la somme de 186 157 euros avec intérêts au taux légal et capitalisation des intérêts ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de M.C... ;

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Maxime Boutron, auditeur,

- les conclusions de M. Benoît Bohnert, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Odent, Poulet, avocat de M. A...C...;

1. Considérant qu'une faute commise par l'administration lors de l'exécution d'opérations se rattachant aux procédures d'établissement et de recouvrement de l'impôt est de nature à engager la responsabilité de l'Etat à l'égard du contribuable ou de toute autre personne si elle leur a directement causé un préjudice ; qu'un tel préjudice, qui ne saurait résulter du seul paiement de l'impôt, peut être constitué des conséquences matérielles des décisions prises par l'administration et, le cas échéant, des troubles dans ses conditions d'existence dont le contribuable justifie ; que le préjudice invoqué ne trouve pas sa cause directe et certaine dans la faute de l'administration si celle-ci établit soit qu'elle aurait pris la même décision d'imposition si elle avait respecté les formalités prescrites ou fait reposer son appréciation sur des éléments qu'elle avait omis de prendre en compte, soit qu'une autre base légale que celle initialement retenue justifie l'imposition ; qu'enfin, l'administration peut invoquer le fait du contribuable ou, s'il n'est pas le contribuable, du demandeur d'indemnité comme cause d'atténuation ou d'exonération de sa responsabilité ;

2. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite de deux vérifications de comptabilité de la société anonyme MM. C...etD..., dont M. A...C...était l'un des deux associés et le directeur général, et aux droits de laquelle est venue la société de gestion Laborde, portant respectivement sur les années 1987 à 1989, puis 1990 à 1992, l'administration a notamment remis en cause l'allègement d'impôt sur les sociétés dont cette société avait bénéficié au titre de l'article 44 quater du code général des impôts alors en vigueur, au motif que son activité n'était pas au nombre de celles ouvrant droit à cet allègement ; qu'elle a mis en recouvrement les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés résultant de ces contrôles ; qu'en particulier, elle a adressé à la société, le 22 janvier 1996, un commandement de payer les cotisations supplémentaires ainsi établies au titre de l'exercice clos en 1990 et procédé à la saisie conservatoire de ses comptes bancaires ; qu'en juin 1996, la société a été placée en liquidation judiciaire ; que les redressements litigieux ont tous été abandonnés en 2000 à la suite d'instances engagées par la société au motif que l'activité de la société entrait dans le champ d'application de l'article 44 quater susmentionné ; que M. A...C...a demandé à l'Etat la réparation du préjudice matériel et moral qu'il a subi du fait de la liquidation judiciaire de la société, qu'il impute aux procédures d'établissement et de recouvrement des impôts litigieux ; qu'après avoir confirmé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris en tant qu'il avait jugé que les services du recouvrement n'avaient pas commis de faute, le Conseil d'Etat statuant au contentieux, par une décision du 30 mai 2011, a censuré l'arrêt de cette cour en tant qu'il concernait la responsabilité des services d'établissement de l'impôt et renvoyé l'affaire, dans cette mesure, devant la cour administrative d'appel de Paris ; que celle-ci, par un premier arrêt avant-dire droit du 27 mars 2012, dont le ministre délégué, chargé du budget, demande l'annulation, a jugé que l'administration avait commis une faute à l'égard de la société de gestion Laborde ayant contribué à sa mise en liquidation judiciaire, refusé d'indemniser M. C...de la perte de la valeur des titres qu'il détenait dans cette société, et ordonné un supplément d'instruction aux fins de préciser le montant des autres chefs de préjudice subis par M.C... ; que, par un second arrêt, en date du 28 juin 2012, dont le ministre délégué, chargé du budget, et M.C..., par la voie du pourvoi incident, demandent l'annulation, elle a condamné l'Etat à verser à M. C...une somme de 186 157 euros en réparation du préjudice matériel et des troubles subis dans les conditions de son existence ; que les pourvois sont relatifs au même litige ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

Sur la responsabilité de l'administration fiscale quant à la mise en liquidation judiciaire de la société de gestion Laborde :

3. Considérant, en premier lieu, qu'après avoir estimé, par une appréciation souveraine des faits qui n'est pas entachée de dénaturation, que l'administration disposait au plus tard dès la fin de l'année 1994 de tous les éléments nécessaires pour porter une appréciation correcte sur la nature de l'activité de la société de gestion Laborde, la cour a pu en déduire, sans commettre d'erreur de droit, ni dénaturer les faits soumis à son examen, que l'administration avait commis une faute en poursuivant en 1996 le recouvrement des impositions mises à la charge de cette société au titre de l'exercice clos en 1990 et en n'en prononçant le dégrèvement qu'au cours de l'année 2000 durant l'instance contentieuse ; que la cour n'a ni dénaturé les faits soumis à son examen, ni entaché son arrêt d'une erreur de qualification juridique, en jugeant que la circonstance que la société avait tardé à saisir le juge de l'impôt de la contestation des cotisations litigieuses et à produire certaines pièces permettant de conforter la qualification de son activité, ne présentait pas le caractère d'une faute de nature à exonérer la responsabilité de l'administration ;

4. Considérant, en deuxième lieu, que si le Conseil d'Etat statuant au contentieux, par sa décision du 30 mars 2011, a jugé que les services de recouvrement de l'impôt n'avaient commis aucune faute, la cour, en statuant comme elle l'a fait, n'a pas reproché à l'administration une faute des services de recouvrement, mais une faute des services d'établissement de l'impôt, dont la conséquence légale a été la mise en recouvrement des impositions litigieuses et la saisie conservatoire des comptes bancaires de la société ; que la cour n'a, ainsi, nullement méconnu l'autorité de la chose jugée par le Conseil d'Etat dans sa décision précitée ;

5. Considérant, en troisième lieu, qu'après avoir relevé que la saisie conservatoire de ses comptes bancaires avait privé la société de gestion Laborde de ses liquidités et l'avait mise dans l'impossibilité de faire face au paiement de certaines de ses dettes venant à échéance, la contraignant, du moins pour partie, à se déclarer en cessation de paiement, la cour a pu en déduire, sans commettre d'erreur de droit, ni d'erreur de qualification juridique, et sans dénaturer les faits soumis à son examen, qu'il existait un lien direct de causalité entre la faute de l'administration et la mise en liquidation judiciaire de la société ;

6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le ministre délégué, chargé du budget, n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt en date du 27 mars 2012, qui est suffisamment motivé, par lequel la cour administrative d'appel de Paris a jugé que l'administration avait commis une faute à l'égard de la société de gestion Laborde ayant contribué à sa mise en liquidation judiciaire ;

Sur l'indemnisation du préjudice subi par M. A...C... :

7. Considérant, en premier lieu et en tout état de cause, que la cour n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que M. C...ne pouvait être indemnisé de la perte de la valeur des titres qu'il détenait dans la société de gestion Laborde, laquelle relève de l'indemnisation de la société ;

8. Considérant, en deuxième lieu, que la liquidation judiciaire de la société de gestion Laborde a eu pour conséquence la fin des fonctions de directeur général que M. C...exerçait dans cette société ; qu'en estimant que le préjudice invoqué par M. C...tenant à la perte de ses revenus présentait un caractère certain, la cour n'a pas dénaturé les faits soumis à son examen ; que, contrairement à ce que soutient M.C..., la cour, pour estimer que la liquidation judiciaire de la société était due à hauteur du tiers au comportement de l'administration, ne s'est pas fondée sur la circonstance que le passif fiscal représentait un tiers du passif total de la société au moment de sa mise en liquidation judiciaire ; qu'en estimant que les difficultés économiques et financières que la société connaissait par ailleurs étaient responsables pour les deux tiers de sa mise en liquidation judiciaire, en limitant, en conséquence, à un tiers l'indemnisation du préjudice matériel subi par M. C...au titre de la perte de ses revenus et en calculant ce préjudice par référence aux salaires perçus par M. C...au cours de la dernière année entière d'activité de la société, qui reflétait de la manière la plus juste la situation économique réelle de la société au moment de sa liquidation, compte tenu des agissements de l'administration fiscale mais aussi des difficultés économiques et financières qu'elle traversait, la cour n'a pas commis d'erreur de droit et a porté sur les faits soumis à son examen une appréciation souveraine qui n'est pas entachée de dénaturation ; que le moyen soulevé par le ministre tiré du mode de calcul retenu par la cour pour calculer la perte de ses droits à la retraite subie par M. C...est nouveau en cassation et, par suite, inopérant ;

9. Considérant, en troisième lieu, que la circonstance que la cour a alloué la même indemnité à M. A...C...et à son père, M. B...C..., au titre des troubles subis dans les conditions de leur existence, n'est pas, par elle-même, de nature à démontrer qu'elle aurait procédé de manière arbitraire à l'évaluation du préjudice moral subi par M. A...C...; qu'en estimant que ce préjudice présentait un caractère certain et en évaluant ce dernier à 10 000 euros, alors que M. A...C..., compte tenu de son âge, n'était pas en fin de carrière et a pu retrouver rapidement une activité professionnelle, la cour n'a pas dénaturé les faits soumis à son examen ;

10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que ni le ministre délégué, chargé du budget, ni M. A...C...ne sont fondés à demander l'annulation de l'arrêt en date du 28 juin 2012 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a statué sur le montant du préjudice de M. A...C... ;

Sur les conclusions de M. A...C...présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à verser à M. A...C...au titre de ces dispositions ;

D E C I D E :

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Article 1er : Les pourvois du ministre délégué, chargé du budget, et le pourvoi incident de M. C... sont rejetés.

Article 2 : L'Etat versera à M. C...une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie et des finances et à M. A... C....


Synthèse
Formation : 8ème / 3ème ssr
Numéro d'arrêt : 359644
Date de la décision : 12/03/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 12 mar. 2014, n° 359644
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Maxime Boutron
Rapporteur public ?: M. Benoît Bohnert
Avocat(s) : SCP ODENT, POULET

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2014:359644.20140312
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