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21/10/2013 | FRANCE | N°358873

France | France, Conseil d'État, 8ème et 3ème sous-sections réunies, 21 octobre 2013, 358873


Vu le pourvoi, enregistré le 26 avril 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat, porte-parole du Gouvernement ; le ministre demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le jugement n° 1002169 du 21 février 2012 par lequel le tribunal administratif de Marseille, faisant droit à la demande de la société SEMIDEP, a déchargé cette société de la cotisation de taxe foncière sur les propriétés bâties à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2009 et, à titre subsidiair

e, d'annuler ce jugement en tant que le tribunal administratif de Marseille a...

Vu le pourvoi, enregistré le 26 avril 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat, porte-parole du Gouvernement ; le ministre demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le jugement n° 1002169 du 21 février 2012 par lequel le tribunal administratif de Marseille, faisant droit à la demande de la société SEMIDEP, a déchargé cette société de la cotisation de taxe foncière sur les propriétés bâties à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2009 et, à titre subsidiaire, d'annuler ce jugement en tant que le tribunal administratif de Marseille a omis de désigner le redevable légal de cette cotisation ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter la demande de la société SEMIDEP et, à titre subsidiaire, de mettre à la charge du département des Bouches-du-Rhône la cotisation de taxe foncière sur les propriétés bâties de l'année 2009 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code du domaine de l'Etat ;

Vu le code général de la propriété des personnes publiques ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Maryline Saleix, Maître des Requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Benoît Bohnert, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société SEMIDEP ;

1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le département des Bouches-du-Rhône a, par une convention du 23 décembre 1996, concédé à la société d'économie mixte SEMIDEP la gestion du port maritime de commerce et de pêche de La Ciotat ; qu'à l'issue de la vérification de comptabilité dont cette société a fait l'objet en 2008, l'administration fiscale l'a assujettie à la taxe foncière sur les propriétés bâties à raison d'aménagements qu'elle avait réalisés en sa qualité de concessionnaire sur les installations et constructions du domaine public portuaire de cette commune ; que la société a demandé la décharge des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2009 au motif qu'elle n'en était pas le redevable légal ; que le ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat, porte-parole du Gouvernement, se pourvoit en cassation contre le jugement du 21 février 2012 par lequel le tribunal administratif de Marseille a fait droit à la demande de la société ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article 1400 du code général des impôts : " I. Sous réserve des dispositions des articles 1403 et 1404, toute propriété, bâtie ou non bâtie, doit être imposée au nom du propriétaire actuel. / II. Lorsqu'un immeuble est grevé d'usufruit ou loué soit par bail emphytéotique, soit par bail à construction, soit par bail à réhabilitation ou fait l'objet d'une autorisation d'occupation temporaire du domaine public constitutive d'un droit réel, la taxe foncière est établie au nom de l'usufruitier, de l'emphytéote, du preneur à bail à construction ou à réhabilitation ou du titulaire de l'autorisation. /... " ;

3. Considérant que, dans le cadre d'une délégation de service public ou d'une concession de travaux mettant à la charge du cocontractant les investissements correspondant à la création ou à l'acquisition des biens nécessaires au fonctionnement du service public, l'ensemble de ces biens, meubles ou immeubles, appartient, dans le silence de la convention, dès leur réalisation ou leur acquisition, à la personne publique ;

4. Considérant que, lorsque des ouvrages nécessaires au fonctionnement du service public, et ainsi constitutifs d'aménagements indispensables à l'exécution des missions de ce service, sont établis sur la propriété d'une personne publique, ils relèvent, de ce fait, du régime de la domanialité publique ; que la faculté offerte aux parties au contrat d'en disposer autrement ne peut s'exercer, en ce qui concerne les droits réels dont peut bénéficier le cocontractant sur le domaine public de l'Etat et de ses établissements publics, que selon les modalités et dans les limites définies aux articles L. 34-1 à L. 34-8 du code du domaine de l'Etat, issus de la loi du 25 juillet 1994 relative à la constitution de droits réels sur le domaine public, puis aux articles L. 2122-6 à L. 2122-14 du code général de la propriété des personnes publiques, à compter de l'entrée en vigueur le 1er juillet 2006 de ce code, et à condition que la nature et l'usage des droits consentis ne soient pas susceptibles d'affecter la continuité du service public ;

5. Considérant qu'à l'expiration de la convention, les biens qui sont entrés, en application des principes énoncés ci-dessus, dans la propriété de la personne publique et ont été amortis au cours de l'exécution du contrat font nécessairement retour à celle-ci gratuitement, sous réserve des clauses contractuelles permettant à la personne publique, dans les conditions qu'elles déterminent, de faire reprendre par son cocontractant les biens qui ne seraient plus nécessaires au fonctionnement du service public ;

6. Considérant que la circonstance que le contrat de concession prévoie le versement au concessionnaire, à l'expiration de la concession, d'une indemnité destinée à compenser la valeur non amortie des biens nécessaires au fonctionnement du service public ne fait nullement obstacle, contrairement à ce que soutient le ministre, à ce que ces biens appartiennent, dès leur réalisation ou leur acquisition, à la personne publique ;

7. Considérant que le tribunal administratif a relevé, par des motifs qui ne sont pas contestés, qu'il n'était pas établi que la société SEMIDEP serait titulaire de droits réels sur le domaine public en vertu du contrat de concession, ni que les ouvrages qu'elle avait réalisés auraient été affectés, en tout ou en partie, à ses seuls besoins, ni qu'ils n'auraient pas été réalisés en vue de répondre aux besoins du service public et ne constitueraient pas un accessoire indispensable du domaine public portuaire ; qu'en jugeant, en conséquence, par un jugement suffisamment motivé, que ces ouvrages appartenaient dès leur réalisation à l'autorité concédante, sans qu'y fasse obstacle la clause contractuelle prévoyant le versement à la société SEMIDEP d'une indemnité égale à la valeur nette comptable des biens faisant retour au département des Bouches-du-Rhône à l'expiration de la concession, le tribunal n'a pas commis d'erreur de droit ;

8. Considérant, par suite, que le ministre n'est pas fondé à demander l'annulation du jugement qu'il attaque en tant qu'il a fait droit aux conclusions de la société SEMIDEP ;

9. Considérant, toutefois, qu'aux termes du I de l'article 1404 du code général des impôts : " Lorsque au titre d'une année une cotisation de taxe foncière a été établie au nom d'une personne autre que le redevable légal, le dégrèvement de cette cotisation est prononcé à condition que les obligations prévues à l'article 1402 aient été respectées. L'imposition du redevable légal au titre de la même année est établie au profit de l'Etat dans la limite de ce dégrèvement " ; qu'il résulte de ces dispositions que le juge de l'impôt est tenu, même en l'absence de toute demande des parties, de désigner le redevable légal de l'imposition au vu des éléments portés à sa connaissance et après avoir mis en cause ce redevable ;

10. Considérant qu'alors qu'il a déchargé la société SEMIDEP de la cotisation de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2009, le tribunal administratif a méconnu cette obligation en s'abstenant de désigner le redevable légal de ces impositions ; que, par suite, le ministre est fondé à demander, dans cette seule mesure, l'annulation du jugement qu'il attaque ;

11. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler, dans cette même mesure, l'affaire au fond, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

12. Considérant qu'il résulte de ce qui vient d'être dit que le département des Bouches-du-Rhône, pris en sa qualité d'autorité concédante, était propriétaire, au 1er janvier de l'année d'imposition en litige, des ouvrages réalisés par la société SEMIDEP sur les installations du domaine public portuaire et lui faisant retour à l'expiration du contrat de concession, dans les conditions prévues par l'article 40 de ce contrat ; que l'autorité concédante a été mise en cause mais n'a pas produit d'observations ; que, par suite, il y a lieu de désigner le département des Bouches-du-Rhône comme redevable légal de l'imposition en litige et de mettre à sa charge la cotisation de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles la société SEMIDEP a été assujettie au titre de l'année 2009 dans les rôles de la commune de La Ciotat ;

13. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement à la société SEMIDEP d'une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le jugement du 21 février 2012 du tribunal administratif de Marseille est annulé en tant que, après avoir déchargé la société SEMIDEP des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2009 dans les rôles de la commune de La Ciotat à raison d'ouvrages qu'elle a réalisés en sa qualité de concessionnaire sur les installations du domaine public portuaire de cette commune, il a omis de désigner le redevable légal de ces impositions.

Article 2 : La cotisation de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles la société SEMIDEP a été assujettie au titre de l'année 2009 à raison des ouvrages mentionnés à l'article 1er est mise à la charge du département des Bouches-du-Rhône en sa qualité d'autorité concédante.

Article 3 : Le surplus des conclusions du pourvoi du ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, porte-parole du Gouvernement, est rejeté.

Article 4 : L'Etat versera à la société SEMIDEP une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie et des finances, à la société SEMIDEP et au département des Bouches-du-Rhône.


Synthèse
Formation : 8ème et 3ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 358873
Date de la décision : 21/10/2013
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

CONTRIBUTIONS ET TAXES - IMPOSITIONS LOCALES AINSI QUE TAXES ASSIMILÉES ET REDEVANCES - TAXES FONCIÈRES - TAXE FONCIÈRE SUR LES PROPRIÉTÉS BÂTIES - PROPRIÉTAIRE - CAS DES DÉLÉGATIONS DE SERVICE PUBLIC ET CONCESSIONS DE TRAVAUX - OUVRAGES NÉCESSAIRES AU FONCTIONNEMENT DU SERVICE PUBLIC - CIRCONSTANCE QUE LE CONTRAT PRÉVOIE LE VERSEMENT AU CONCESSIONNAIRE - À L'EXPIRATION DE LA CONCESSION - D'UNE INDEMNITÉ DESTINÉE À COMPENSER LA VALEUR NON AMORTIE DES BIENS - OBSTACLE À L'APPARTENANCE DE CES BIENS - DÈS LEUR RÉALISATION OU LEUR ACQUISITION - À LA PERSONNE PUBLIQUE - ABSENCE [RJ1].

19-03-03-01-02 La circonstance que le contrat de concession prévoie le versement au concessionnaire, à l'expiration de la concession, d'une indemnité destinée à compenser la valeur non amortie des biens nécessaires au fonctionnement du service public, ne fait pas obstacle à ce que ces biens appartiennent, dès leur réalisation ou leur acquisition, à la personne publique.

39 MARCHÉS ET CONTRATS ADMINISTRATIFS - DÉLÉGATIONS DE SERVICE PUBLIC ET CONCESSIONS DE TRAVAUX - BIENS DITS DE RETOUR - NOTION - CIRCONSTANCE QUE LE CONTRAT PRÉVOIE LE VERSEMENT AU CONCESSIONNAIRE - À L'EXPIRATION DE LA CONCESSION - D'UNE INDEMNITÉ DESTINÉE À COMPENSER LA VALEUR NON AMORTIE DES BIENS NÉCESSAIRES AU FONCTIONNEMENT DU SERVICE PUBLIC - OBSTACLE À L'APPARTENANCE DE CES BIENS - DÈS LEUR RÉALISATION OU LEUR ACQUISITION - À LA PERSONNE PUBLIQUE - ABSENCE [RJ1].

39 La circonstance que le contrat de concession prévoie le versement au concessionnaire, à l'expiration de la concession, d'une indemnité destinée à compenser la valeur non amortie des biens nécessaires au fonctionnement du service public, ne fait pas obstacle à ce que ces biens appartiennent, dès leur réalisation ou leur acquisition, à la personne publique.


Références :

[RJ1]

Cf. CE, Assemblée, 21 décembre 2012, Commune de Douai, n° 342788, à publier au Recueil ;

CE, 27 février 2013, Ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat c/ Chambre de commerce et d'industrie de Béthune, n° 337634, à mentionner aux Tables.


Publications
Proposition de citation : CE, 21 oct. 2013, n° 358873
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Maryline Saleix
Rapporteur public ?: M. Benoît Bohnert
Avocat(s) : SCP PIWNICA, MOLINIE

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2013:358873.20131021
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