Vu le pourvoi du ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat , enregistré le 16 mars 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat ; le ministre demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement n° 0804524, 0804525 du 8 janvier 2010 par lequel le tribunal administratif de Lille a accordé à la chambre de commerce et d'industrie de Béthune, d'une part, la réduction des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2006 et 2007 dans les rôles de la commune de Béthune et, d'autre part, la réduction des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties à laquelle elle a été assujettie au titre des années 2005, 2006 et 2007 dans les rôles de la commune de Beuvry ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter les demandes de la chambre de commerce et d'industrie de Béthune ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code du domaine de l'Etat ;
Vu le code général de la propriété des personnes publiques ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu la loi n° 94-631 du 25 juillet 1994 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Eliane Chemla, conseiller d'Etat,
- les observations de la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de la chambre de commerce et d'industrie de Béthune,
- les conclusions de Mme Nathalie Escaut, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de la chambre de commerce et d'industrie de Béthune ;
1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'Etat a concédé en 1972 à la chambre de commerce et d'industrie de Béthune, pour une durée de cinquante ans, la construction et l'exploitation du port fluvial de Béthune-Beuvry (Pas-de-Calais) ainsi que l'établissement et l'exploitation de son outillage public ; que la chambre de commerce a édifié à compter de l'année 1987, dans l'emprise du port, un ensemble immobilier comprenant notamment des entrepôts frigorifiques et des bureaux ; qu'ayant été assujettie, à raison de cet ensemble immobilier, à la taxe foncière sur les propriétés bâties au titre des années 2005, 2006 et 2007 dans les rôles de la commune de Beuvry et au titre des années 2006 et 2007 dans les rôles de la commune de Béthune, elle a contesté ces impositions au motif qu'elle n'en était pas le redevable légal ; que le ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat se pourvoit en cassation contre le jugement du 8 janvier 2010 par lequel le tribunal administratif de Lille a fait droit aux demandes de cet établissement public ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article 1400 du code général des impôts : " I. Sous réserve des dispositions des articles 1403 et 1404, toute propriété, bâtie ou non bâtie, doit être imposée au nom du propriétaire actuel. / II. Lorsqu'un immeuble est grevé d'usufruit ou loué soit par bail emphytéotique, soit par bail à construction, soit par bail à réhabilitation ou fait l'objet d'une autorisation d'occupation temporaire du domaine public constitutive d'un droit réel, la taxe foncière est établie au nom de l'usufruitier, de l'emphytéote, du preneur à bail à construction ou à réhabilitation ou du titulaire de l'autorisation. /... " ;
3. Considérant que, dans le cadre d'une délégation de service public ou d'une concession de travaux mettant à la charge du cocontractant les investissements correspondant à la création ou à l'acquisition des biens nécessaires au fonctionnement du service public, l'ensemble de ces biens, meubles ou immeubles, appartient, dans le silence de la convention, dès leur réalisation ou leur acquisition à la personne publique ;
4. Considérant que, lorsque des ouvrages nécessaires au fonctionnement du service public, et ainsi constitutifs d'aménagements indispensables à l'exécution des missions de ce service, sont établis sur la propriété d'une personne publique, ils relèvent de ce fait du régime de la domanialité publique ; que la faculté offerte aux parties au contrat d'en disposer autrement ne peut s'exercer, en ce qui concerne les droits réels dont peut bénéficier le cocontractant sur le domaine public de l'Etat et de ses établissements publics, que selon les modalités et dans les limites définies aux articles L. 34-1 à L. 34-8 du code du domaine de l'Etat, issus de la loi du 25 juillet 1994 relative à la constitution de droits réels sur le domaine public, puis aux articles L. 2122-6 à L. 2122-14 du code général de la propriété des personnes publiques, à compter de l'entrée en vigueur le 1er juillet 2006 de ce code, et à condition que la nature et l'usage des droits consentis ne soient pas susceptibles d'affecter la continuité du service public ;
5. Considérant qu'à l'expiration de la convention, les biens qui sont entrés, en application des principes énoncés ci-dessus, dans la propriété de la personne publique et ont été amortis au cours de l'exécution du contrat font nécessairement retour à celle-ci gratuitement, sous réserve des clauses contractuelles permettant à la personne publique, dans les conditions qu'elles déterminent, de faire reprendre par son cocontractant les biens qui ne seraient plus nécessaires au fonctionnement du service public ;
6. Considérant, d'une part, que le ministre n'a pas contesté devant les juges du fond que l'ensemble immobilier, à raison duquel la chambre de commerce et d'industrie de Béthune a été assujettie à la taxe foncière sur les propriétés bâties, a été édifié sur le domaine public par cet établissement public en exécution de la convention signée en 1972 avec l'Etat pour la construction et l'exploitation du port fluvial de Béthune-Beuvry ainsi que l'établissement et l'exploitation de son outillage public ni qu'étant nécessaire au fonctionnement du service public portuaire, cet ensemble immobilier était constitutif d'aménagements indispensables à l'exécution des missions de ce service ; qu'il résulte de ce qui précède que le tribunal administratif n'a pas dénaturé l'article 43 du cahier des charges de ce contrat en jugeant qu'à l'expiration de la concession, l'Etat entrerait immédiatement en possession sans indemnité de toutes les constructions édifiées, qui lui appartenaient, dans le silence de la convention, dès leur réalisation, alors même que, comme le soutient le ministre, cet article ne précise pas que le retour de ces dépendances immobilières s'effectuera gratuitement au profit de l'autorité concédante ;
7. Considérant, d'autre part, que le tribunal a recherché si la chambre de commerce et d'industrie était titulaire d'une autorisation d'occupation temporaire du domaine public constitutive d'un droit réel et, par suite, redevable de la taxe foncière sur les propriétés bâties en vertu du II de l'article 1400 du code général des impôts ; qu'il a relevé que la convention d'occupation du domaine public dont cet établissement public était titulaire avait été établie antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 25 juillet 1994, dont les dispositions ne sont applicables pour les conventions en cours que dans les conditions prévues à son article 3 et que ces conditions n'étaient pas satisfaites ; qu'il a jugé que cette convention ne se traduisait pas par une autorisation d'occupation constitutive d'un droit réel ; qu'en en déduisant que, pour les années en litige, l'administration ne pouvait, sur le fondement du II de l'article 1400 du code général des impôts, assujettir la chambre de commerce et d'industrie à la taxe foncière sur les propriétés bâties au titre de cet ensemble immobilier, le tribunal n'a pas commis d'erreur de droit ;
8. Considérant, par suite, que le ministre n'est pas fondé à demander l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il fait droit aux conclusions de la chambre de commerce et d'industrie de Béthune ;
9. Considérant toutefois qu'aux termes du I de l'article 1404 du code général des impôts : " Lorsque au titre d'une année une cotisation de taxe foncière a été établie au nom d'une personne autre que le redevable légal, le dégrèvement de cette cotisation est prononcé à condition que les obligations prévues à l'article 1402 aient été respectées. L'imposition du redevable légal au titre de la même année est établie au profit de l'Etat dans la limite de ce dégrèvement " ; qu'il résulte de ces dispositions que le juge de l'impôt est tenu, même en l'absence de toute demande des parties, de désigner le redevable légal de l'imposition au vu des éléments portés à sa connaissance et après avoir mis en cause ce redevable ;
10. Considérant qu'alors qu'il a déchargé la chambre de commerce et d'industrie de Béthune des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2005 à 2007, le tribunal administratif a méconnu cette obligation en s'abstenant de désigner le redevable légal de ces impositions ; que, par suite, le ministre est fondé à demander, dans cette seule mesure, l'annulation du jugement attaqué ;
11. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de faire application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler l'affaire au fond dans cette même mesure ;
12. Considérant qu'il résulte de ce qui vient d'être dit que l'Etat, pris en sa qualité d'autorité concédante, était propriétaire, au 1er janvier de chacune des années en litige, de l'ensemble immobilier réalisé par la chambre de commerce et d'industrie de Béthune dans l'emprise du port fluvial de Béthune-Beuvry ; que l'autorité concédante a été mise en cause mais n'a pas produit d'observations ; que, par suite, il y a lieu de désigner l'Etat, pris en sa qualité d'autorité concédante, comme le redevable légal des impositions en litige et de mettre à sa charge les cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles la chambre de commerce et d'industrie de Béthune a été assujettie au titre des années 2005, 2006 et 2007 dans les rôles de la commune de Beuvry et au titre des années 2006 et 2007 dans les rôles de la commune de Béthune ;
13. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement à la chambre de commerce et d'industrie de Béthune d'une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du 8 janvier 2010 du tribunal administratif de Lille est annulé en tant que, après avoir déchargé la chambre de commerce et d'industrie de Béthune des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2005, 2006 et 2007 dans les rôles de la commune de Beuvry et au titre des années 2006 et 2007 dans les rôles de la commune de Béthune, à raison de l'ensemble immobilier qu'elle a construit en sa qualité de concessionnaire dans l'emprise du port fluvial de Béthune-Beuvry, il omet de désigner le redevable légal de ces impositions.
Article 2 : Les cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles la chambre de commerce et d'industrie de Béthune a été assujettie au titre des années 2005 à 2007 à raison des locaux mentionnés à l'article 1er sont mises à la charge de l'Etat pris en sa qualité d'autorité concédante.
Article 3 : Le surplus des conclusions du pourvoi du ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat est rejeté.
Article 4 : L'Etat versera à la chambre de commerce et d'industrie de Béthune une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie et des finances, au ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie et à la chambre de commerce et d'industrie de Béthune.