Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 2 novembre 2011 et 2 février 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. et Mme B...A..., demeurant... ; M. et Mme A... demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt n° 10BX02051 du 1er septembre 2011 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté leur requête tendant à l'annulation du jugement n° 0900369 du 10 juin 2010 du tribunal administratif de Poitiers rejetant leur demande tendant notamment à la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2003 ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 10 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code civil ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Maïlys Lange, Auditeur,
- les conclusions de Mme Claire Legras, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Delaporte, Briard, Trichet, avocat de M. et Mme A...;
1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction alors applicable : " Ne peuvent être opposés à l'administration des impôts les actes qui dissimulent la portée véritable d'un contrat ou d'une convention à l'aide de clauses : (...) / b. (...) qui déguisent soit une réalisation, soit un transfert de bénéfices ou de revenus (...) / L'administration est en droit de restituer son véritable caractère à l'opération litigieuse. En cas de désaccord sur les redressements notifiés sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité consultatif pour la répression des abus de droit. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité (...). / Si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé du redressement " ; qu'il résulte de ces dispositions que l'administration est fondée à écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable, dès lors que ces actes ont un caractère fictif, ou que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article 894 du code civil : " La donation entre vifs est un acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée, en faveur du donataire qui l'accepte. " ; que dès lors qu'un acte revêt le caractère d'une donation au sens de ces dispositions, l'administration ne peut le regarder comme n'ayant pu être inspiré par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que son auteur, s'il ne l'avait pas passé, aurait normalement supportées ; qu'elle n'est, par suite, pas fondée à l'écarter comme ne lui étant pas opposable sur le fondement de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales ; qu'en revanche, l'administration peut écarter sur ce fondement un acte qui, présenté comme une donation, ne se traduit pas par un dépouillement immédiat et irrévocable de son auteur ;
3. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. et Mme A...étaient propriétaires des actions de la SA Angoulême distribution (Angdis), qui exploitait un supermarché, et des titres de la SCI Madeleine, propriétaire des murs où l'activité était exercée ; qu'ils ont donné à chacun de leurs trois enfants, le 4 octobre 2003, la nue-propriété de 152 parts de la SCI Madeleine, puis, le 7 octobre 2003, la pleine-propriété de 3 130 actions et la nue-propriété de 12 031 actions de la SA Angdis ; que, les 23 et 24 octobre 2003, M. et Mme A... et leurs enfants ont apporté l'ensemble des titres à neuf sociétés civiles financières, cogérées par M. et MmeA..., ayant pour objet la gestion du patrimoine familial et constituées à cette fin le 4 octobre 2003 ; que les parts des sociétés civiles reçues en échange ont fait l'objet d'un démembrement de propriété par report du démembrement appliqué aux titres apportés ; que, le 31 octobre 2003, les parts de la SCI Madeleine ont été acquises par la SA Angdis, dont la totalité des actions a été cédée par les sociétés civiles financières, à cette même date, à la SA Boujusi ; qu'à la suite du contrôle dont les contribuables ont fait l'objet, du 23 juillet 2005 au 10 juillet 2006, au titre de l'impôt sur le revenu pour l'année 2003, l'administration a remis en cause la sincérité des actes de donation des 4 et 7 octobre 2003, et a mis en oeuvre la procédure de répression des abus de droit prévue par l'article L. 64 du livre des procédures fiscales ; qu'elle a, par la suite, renoncé aux rehaussements correspondant aux 9 390 titres de la SA Angdis dont les enfants de M. et Mme A...avaient effectivement acquis la pleine propriété, mais maintenu sa position pour les actes de donation en nue-propriété ; que, par l'arrêt attaqué, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté l'appel de M. et Mme A...contre le jugement du tribunal administratif de Poitiers rejetant leur demande de décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2003 ;
4. Considérant que pour confirmer la qualification d'abus de droit donnée à la succession d'opérations de donation-partage avec réserve d'usufruit, d'apport en société et de cession en litige, la cour administrative d'appel a d'abord jugé qu'au regard du délai très bref qui s'est écoulé entre les différentes opérations et des restrictions apportées à l'exercice du droit de propriété des donataires, résultant notamment de l'interdiction d'aliéner ou de nantir les titres donnés pendant la vie des donateurs, sous peine de révocation de la donation, et de l'obligation d'apporter, à première demande, les parts et actions reçues à neuf sociétés civiles financières créées à cette seule fin et dont les statuts octroyaient aux donateurs cogérants des pouvoirs étendus de décision, notamment pour la distribution des bénéfices, l'administration établissait que l'intérêt d'une bonne gestion patrimoniale, invoqué par les requérants, n'avait pu motiver la donation litigieuse ; qu'elle a ensuite déduit de la circonstance que les requérants avaient bénéficié de virements de sept des neuf sociétés civiles financières au cours de l'année 2004 excédant de 505 848 euros le montant des revenus des placements effectués par ces sociétés que M. et Mme A...s'étaient réapproprié les droits sur les sociétés et ne s'en étaient pas réellement dessaisis ;
5. Considérant, toutefois, que la rapidité, relevée par la cour, de la revente à la SA Boujusi des titres détenus par les sociétés civiles financières auxquelles ils avaient été apportés par les donataires en exécution de l'acte de donation était sans incidence, par elle-même, sur la réalité de cette donation ; que la circonstance qu'un acte de disposition soit assorti d'une clause d'inaliénabilité durant la vie du donateur ne lui ôte pas son caractère de donation au sens des dispositions de l'article 894 du code civil ; que l'octroi aux donateurs usufruitiers de pouvoirs étendus de gestion et de décision au sein des sociétés civiles financières, dès lors qu'il n'altére pas l'obligation de restitution en fin d'usufruit en vertu de l'article 578 du code civil, n'est pas de nature, par lui-même, à remettre en cause le constat de leur dépouillement immédiat et irrévocable dès la signature des actes de donation ; qu'enfin, il ressortait des pièces du dossier soumis à la cour que si les donateurs avaient bénéficié d'excédents de distribution, ceux-ci résultaient de l'exécution d'un mandat de gestion confié à un organisme de placement et avaient été inscrits à titre d'avances au débit de comptes courants d'associés ouverts à leur nom dès la clôture de l'exercice 2004, puis remboursés par eux en 2006 ; que, eu égard à l'ensemble de ces éléments, en jugeant que les donations litigieuses ne s'étant pas traduites par un dépouillement immédiat et irrévocable des donateurs, l'administration établissait l'existence d'un abus de droit, la cour administrative d'appel de Bordeaux a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis ; que, par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, son arrêt doit être annulé ;
6. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;
7. Considérant qu'il résulte de l'instruction que ni la rapidité avec laquelle les différentes opérations litigieuses ont été effectuées, ni les restrictions apportées au droit de propriété des donataires nus-propriétaires par les actes de donation-partage, ni les pouvoirs de gestion et de décision conférés aux donateurs usufruitiers par les statuts des sociétés civiles financières, ni l'excédent de distribution des bénéfices constaté, dans les conditions rappelées au point 5 ci-dessus, au titre de l'année 2004 ne sont de nature à remettre en cause le constat d'un dépouillement immédiat et irrévocable de M. et Mme A...en faveur de leurs enfants ; que, dès lors, eu égard à ce qui a été dit au point 2 ;
8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. et Mme A...sont fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Poitiers a rejeté leur demande de décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales, ainsi que des pénalités correspondantes, auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2003 ;
9. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6000 euros à verser à M. et Mme A...pour l'ensemble de la procédure, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 1er septembre 2011 et le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 10 juin 2010 sont annulés.
Article 2 : M. et Mme A...sont déchargés des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales, ainsi que des pénalités correspondantes, auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2003.
Article 3 : L'Etat versera une somme de 6 000 euros à M. et Mme A...au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme B... A...et au ministre des finances et des comptes publics.