Vu l'ordonnance du 4 juin 2008, enregistrée le 11 juin 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, par laquelle le président du tribunal administratif de Paris a transmis au Conseil d'État, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête présentée à ce tribunal pour Mme A agissant en son nom et au nom de son fils mineur François-Xavier A ;
Vu la requête, enregistrée le 22 mai 2008 au tribunal administratif de Paris, présentée pour Mme Elisabeth A, demeurant ... et par laquelle l'intéressée, agissant en son nom et au nom de son fils mineur François-Xavier A demande :
1°) l'annulation de la décision implicite rejetant le recours gracieux dirigé contre la décision du 8 février 2008 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a estimé avoir exercé à son égard la protection statutaire prévue par l'article 11 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature ;
2°) que soit mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code pénal ;
Vu le code de procédure pénale ;
Vu l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 ;
Vu la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Bruno Chavanat, Maître des Requêtes,
- les conclusions de M. Cyril Roger-Lacan, rapporteur public ;
Considérant qu'à la suite de la publication dans l'hebdomadaire " Jeune Afrique ", daté du 29 avril au 5 mai 2007, de propos émanant du conseiller du Président de la République pour les questions africaines et concernant les circonstances du décès, en 1995, de M. Bernard A, magistrat, Mme Elisabeth A, son épouse, agissant en son nom et au nom de son fils mineur François-Xavier A, a mis en mouvement l'action publique contre l'auteur de ces propos du chef de pression sur la justice puis a sollicité du garde des sceaux, ministre de la justice, au titre de l'article 112 de la loi du 18 mars 2003, le bénéfice de la protection prévue à l'article 11 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 et la prise en charge des frais de procédure qu'elle était amenée à exposer ; que le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris ayant, le 19 juin 2007, publié un communiqué qui apporte un démenti aux propos en litige, le ministre de la justice a, par une dépêche du 8 février 2008, fait connaître à Mme A que l'institution judiciaire avait ainsi " satisfait à la protection statutaire due à la veuve de Bernard A et de ses enfants " ; que Mme A demande l'annulation de la décision implicite par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a rejeté le recours gracieux dirigé contre le refus opposé par la dépêche du 8 février 2008 à sa demande de prise en charge des frais inhérents à la défense de ses intérêts et de ceux de son fils ;
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête ;
Considérant qu'aux termes de l'article 11 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature : "Indépendamment des règles fixées par le code pénal et les lois spéciales, les magistrats sont protégés contre les menaces, attaques de quelque nature que ce soit, dont ils peuvent être l'objet dans l'exercice ou à l'occasion de leurs fonctions. L'Etat doit réparer le préjudice direct qui en résulte, dans tous les cas non prévus par la législation des pensions" ; qu'aux termes de l'article 112 de la loi du 18 mars 2003 : " Lorsque les conjoints, enfants et ascendants directs des magistrats de l'ordre judiciaire sont victimes de menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages du fait des fonctions de ces derniers, la protection prévue à l'article 11 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature leur est étendue. Elle peut également être accordée, à leur demande, aux conjoints, enfants et ascendants directs des magistrats de l'ordre judiciaire décédés dans l'exercice de leurs fonctions ou du fait de leurs fonctions, à raison des faits à l'origine du décès ou pour des faits commis postérieurement au décès mais du fait des fonctions qu'exerçait le magistrat décédé " ; que Mme A soutient que l'administration a méconnu ces dispositions en refusant de l'assister dans les procédures judiciaires qu'elle a entreprises en portant plainte et en se constituant partie civile à raison du préjudice causé par la publication des propos litigieux concernant les circonstances du décès de son mari ;
Considérant que les dispositions législatives précitées établissent à la charge de l'Etat une obligation de protection à laquelle il ne peut être dérogé, sous le contrôle du juge, que pour des motifs d'intérêt général ; que l'obligation ainsi imposée à l'Etat peut avoir pour objet, non seulement de faire cesser les attaques de toute nature, mais aussi d'assurer une réparation adéquate des torts subis, laquelle peut notamment consister en une assistance dans les poursuites judiciaires entreprises, le cas échéant, par les conjoints, enfants et ascendants directs des magistrats décédés dans l'exercice de leurs fonctions ou du fait de leurs fonctions, à raison des faits à l'origine du décès ou pour des faits commis postérieurement au décès mais du fait des fonctions qu'exerçait le magistrat décédé ; qu'il appartient dans chaque cas au ministre d'apprécier, sous le contrôle du juge et compte tenu de l'ensemble des circonstances de chaque espèce, les modalités appropriées à l'objectif défini ci-dessus ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier qu'à la date à laquelle les propos à l'origine du litige ont été publiés, une instruction était en cours aux fins de déterminer les causes du décès de M. Bernard A et d'identifier les auteurs d'un éventuel acte criminel ; que l'auteur des propos qui sont à l'origine de la demande de protection de Mme A a cependant déclaré : " je préjuge moi qu'il s'est suicidé " ; que de tels propos, dont il n'est pas exclu que, du fait des responsabilités exercées par l'intéressé, ils aient eu une influence sur les actions de coopération entre la France et la République de Djibouti nécessaires au bon déroulement de l'instruction judiciaire en cours à la suite des circonstances dans lesquelles M. A a trouvé la mort, sont au nombre de ceux qui entrent dans le champ de l'article 11 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 ; que si, faisant application de l'article 11 du code de procédure pénale, aux termes duquel : " afin d'éviter la propagation d'informations parcellaires ou inexactes ou pour mettre fin à un trouble à l'ordre public, le procureur de la République peut, d'office et à la demande de la juridiction d'instruction ou des parties, rendre publics des éléments objectifs tirés de la procédure ne comportant aucune appréciation sur le bien-fondé des charges retenues contre les personnes mises en cause ", le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris a publié un communiqué précisant que " si la thèse du suicide a pu un temps être privilégiée, les éléments recueillis notamment depuis 2002 militent en faveur d'un acte criminel ", cette publication ne saurait être regardée comme ayant suffi à assurer la protection exigée par l'article 11 précité de l'ordonnance du 22 décembre 1958, à laquelle Mme A avait droit à la suite de la publication des propos litigieux ; que Mme A est dès lors fondée à demander l'annulation de la décision attaquée par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a refusé de faire droit à la demande de protection statutaire prévue par l'article 11 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Mme A d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
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Article 1er : La décision du 8 février 2008 du garde des sceaux, ministre de la justice est annulée.
Article 2 : L'Etat versera à Mme A la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme Elisabeth A et à la ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.