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03/02/2025 | FRANCE | N°500547

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, formation collégiale, 03 février 2025, 500547


Vu la procédure suivante :

Mme F... A... D... et Mme E... A... ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Caen, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, de suspendre l'exécution de la décision du 26 décembre 2024 du service de réanimation chirurgicale du centre hospitalier universitaire (CHU) de Caen d'arrêter les thérapeutiques prodiguées à leur sœur, Mme C... A..., et d'assortir cet arrêt d'une sédation profonde et continue, d'autre part, d'ordonner la communication du dossier médica

l de leur sœur et, enfin, d'ordonner une mesure d'expertise aux fins d...

Vu la procédure suivante :

Mme F... A... D... et Mme E... A... ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Caen, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, de suspendre l'exécution de la décision du 26 décembre 2024 du service de réanimation chirurgicale du centre hospitalier universitaire (CHU) de Caen d'arrêter les thérapeutiques prodiguées à leur sœur, Mme C... A..., et d'assortir cet arrêt d'une sédation profonde et continue, d'autre part, d'ordonner la communication du dossier médical de leur sœur et, enfin, d'ordonner une mesure d'expertise aux fins de déterminer la compatibilité de l'état de santé de celle-ci avec un transfert en établissement spécialisé.

Par une ordonnance n° 2403491 du 30 décembre 2024, le juge des référés du tribunal administratif de Caen a rejeté leur demande.

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 13 et 27 janvier 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... D... et Mme A... demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'admettre Mme A... D... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;

2°) d'annuler cette ordonnance ;

3°) de faire droit à leurs demandes de première instance ;

4°) de mettre à la charge du CHU de Caen la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- la condition d'urgence est satisfaite eu égard à la gravité et l'irréversibilité de l'exécution de la décision d'arrêt des thérapeutiques ;

- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie privée et familiale de leur sœur, dès lors que la décision d'arrêt des soins a été notifiée malgré l'absence de leur mère qui réside à Mayotte et alors qu'elles justifient de démarches continues en vue de la faire venir en dépit des difficultés rencontrées depuis le passage du cyclone Chido ;

- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la vie de leur sœur en ce que, en premier lieu, le CHU leur a refusé la communication de son dossier médical, en deuxième lieu, le refus d'ordonner une expertise médicale ne permet pas de dissiper le doute subsistant quant à son état de santé et la possibilité de son rétablissement, en troisième lieu, la décision d'arrêt des soins a été prise en méconnaissance de sa volonté et, en dernier lieu, la décision de recours à une sédation profonde et continue méconnaît les dispositions du code de la santé publique pour défaut de motivation et absence de recherche du consentement.

Par un mémoire en intervention, enregistré le 15 janvier 2025, Mme B... A... demande au juge des référés du Conseil d'Etat de faire droit aux conclusions de la requête. Elle soutient que son intervention est recevable et s'associe aux moyens exposés dans la requête de Mme F... A... D... et Mme E... A....

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 janvier 2025, le CHU de Caen conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de Mme F... A... D... et de Mme E... A... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, Mme F... A... D..., Mme E... A... et Mme B... A... et, d'autre part, le centre hospitalier universitaire de Caen ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 28 janvier 2025, à 10 heures 30 :

- Me Stoclet, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de Mme F... A... D..., de Mme E... A... et de Mme B... A... ;

- la représentante de Mme F... A... D..., de Mme E... A... et de Mme B... A... ;

- Me Gougeon, avocate au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocate du centre hospitalier universitaire de Caen ;

- les représentants du centre hospitalier universitaire de Caen ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a reporté la clôture de l'instruction au 29 janvier à 16 heures ;

Un nouveau mémoire, enregistré le 28 janvier 2025, a été présenté par le centre hospitalier universitaire de Caen.

Un nouveau mémoire, enregistré le 29 janvier 2025, a été présenté par Mme F... A... D..., Mme E... A... et Mme B... A....

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Mme F... A... D... et Mme E... A... relèvent appel de l'ordonnance du 30 décembre 2024 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Caen, statuant dans les conditions prévues au troisième alinéa de l'article L. 511-2 du code de justice administrative, a rejeté leur demande de suspension de l'exécution de la décision du 26 décembre 2024 par laquelle le service de réanimation chirurgicale du centre hospitalier universitaire (CHU) de Caen s'est prononcé pour un arrêt des thérapeutiques prodiguées à leur sœur, Mme C... A..., à compter du 30 décembre 2024.

Sur l'intervention volontaire :

2. Mme B... A..., sœur de Mme C... A..., justifie suffisamment de son intérêt à intervenir au soutien de la demande de Mmes A... D... et A.... Il y a donc lieu d'admettre son intervention.

Sur l'office du juge des référés :

3. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ". Ces dispositions législatives confèrent au juge des référés, qui statue, en vertu de l'article L. 511-1 du code de justice administrative, par des mesures qui présentent un caractère provisoire le pouvoir de prendre, dans les délais les plus brefs et au regard de critères d'évidence, les mesures de sauvegarde nécessaires à la protection des libertés fondamentales.

4. Toutefois, il appartient au juge des référés d'exercer ses pouvoirs de manière particulière lorsqu'il est saisi, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une décision, prise par un médecin, dans le cadre défini par le code de la santé publique, et conduisant à arrêter ou à ne pas mettre en œuvre, au titre du refus de l'obstination déraisonnable, un traitement qui apparaît inutile ou disproportionné ou sans autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, dans la mesure où l'exécution de cette décision porterait de manière irréversible une atteinte à la vie. Il doit alors prendre les mesures de sauvegarde nécessaires pour faire obstacle à son exécution lorsque cette décision pourrait ne pas relever des hypothèses prévues par la loi, en procédant à la conciliation des libertés fondamentales en cause, qui sont le droit au respect de la vie et le droit du patient de consentir à un traitement médical et de ne pas subir un traitement qui serait le résultat d'une obstination déraisonnable.

Sur le cadre juridique du litige :

5. Aux termes de l'article L. 1110-1 du code la santé publique : " Le droit fondamental à la protection de la santé doit être mis en œuvre par tous moyens disponibles au bénéfice de toute personne. (...) ". L'article L. 1110-2 de ce code dispose que : " La personne malade a droit au respect de sa dignité ".

6. Aux termes de l'article L. 1110-5 du même code : " Toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l'urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir, sur l'ensemble du territoire, les traitements et les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l'efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire et le meilleur apaisement possible de la souffrance au regard des connaissances médicales avérées. Les actes de prévention, d'investigation ou de traitements et de soins ne doivent pas, en l'état des connaissances médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté (...) ". Aux termes de l'article L. 1110-5-1 du même code : " Les actes mentionnés à l'article L. 1110-5 ne doivent pas être mis en œuvre ou poursuivis lorsqu'ils résultent d'une obstination déraisonnable. Lorsqu'ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou lorsqu'ils n'ont d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris, conformément à la volonté du patient et, si ce dernier est hors d'état d'exprimer sa volonté, à l'issue d'une procédure collégiale définie par voie réglementaire (...) ". Aux termes de l'article L. 1111-4 du même code : " (...) Lorsque la personne est hors d'état d'exprimer sa volonté, la limitation ou l'arrêt de traitement susceptible d'entraîner son décès ne peut être réalisé sans avoir respecté la procédure collégiale mentionnée à l'article L. 1110-5-1 et les directives anticipées ou, à défaut, sans que la personne de confiance prévue à l'article L. 1111-6 ou, à défaut la famille ou les proches, aient été consultés. La décision motivée de limitation ou d'arrêt de traitement est inscrite dans le dossier médical (...) ".

7. Par ailleurs, l'article L. 1111-11 de ce code dispose que : " Toute personne majeure peut rédiger des directives anticipées pour le cas où elle serait un jour hors d'état d'exprimer sa volonté. Ces directives anticipées expriment la volonté de la personne relative à sa fin de vie en ce qui concerne les conditions de la poursuite, de la limitation, de l'arrêt ou du refus de traitement ou d'acte médicaux. / À tout moment et par tout moyen, elles sont révisables et révocables. Elles peuvent être rédigées conformément à un modèle dont le contenu est fixé par décret en Conseil d'Etat pris après avis de la Haute Autorité de santé. Ce modèle prévoit la situation de la personne selon qu'elle se sait ou non atteinte d'une affection grave au moment où elle les rédige. / Les directives anticipées s'imposent au médecin pour toute décision d'investigation, d'intervention ou de traitement, sauf en cas d'urgence vitale pendant le temps nécessaire à une évaluation complète de la situation et lorsque les directives anticipées apparaissent manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale. / La décision de refus d'application des directives anticipées, jugées par le médecin manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale du patient, est prise à l'issue d'une procédure collégiale définie par voie réglementaire et est inscrite au dossier médical. Elle est portée à la connaissance de la personne de confiance désignée par le patient ou, à défaut, de la famille ou des proches. (...) ".

8. Enfin, selon l'article R. 4127-37-1 du code de la santé publique : " I. - Lorsque le patient est hors d'état d'exprimer sa volonté, le médecin en charge du patient est tenu de respecter la volonté exprimée par celui-ci dans des directives anticipées, excepté dans les cas prévus aux II et III du présent article. / II.- En cas d'urgence vitale, l'application des directives anticipées ne s'impose pas pendant le temps nécessaire à l'évaluation complète de la situation médicale. / III.- Si le médecin en charge du patient juge les directives anticipées manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale, le refus de les appliquer ne peut être décidé qu'à l'issue de la procédure collégiale prévue à l'article L. 1111-11. Pour ce faire, le médecin recueille l'avis des membres présents de l'équipe de soins, si elle existe, et celui d'au moins un médecin, appelé en qualité de consultant, avec lequel il n'existe aucun lien de nature hiérarchique. Il peut recueillir auprès de la personne de confiance ou, à défaut, de la famille ou de l'un des proches le témoignage de la volonté exprimée par le patient. / IV. - En cas de refus d'application des directives anticipées, la décision est motivée. Les témoignages et avis recueillis ainsi que les motifs de la décision sont inscrits dans le dossier du patient. / La personne de confiance, ou, à défaut, la famille ou l'un des proches du patient est informé de la décision de refus d'application des directives anticipées ". Et aux termes de l'article R. 4127-37-2 du même code : " I. - La décision de limitation ou d'arrêt de traitement respecte la volonté du patient antérieurement exprimée dans des directives anticipées. Lorsque le patient est hors d'état d'exprimer sa volonté, la décision de limiter ou d'arrêter les traitements dispensés, au titre du refus d'une obstination déraisonnable, ne peut être prise qu'à l'issue de la procédure collégiale prévue à l'article L. 1110-5-1 et dans le respect des directives anticipées et, en leur absence, après qu'a été recueilli auprès de la personne de confiance ou, à défaut, auprès de la famille ou de l'un des proches le témoignage de la volonté exprimée par le patient. / II. - Le médecin en charge du patient peut engager la procédure collégiale de sa propre initiative. (...) / La personne de confiance ou, à défaut, la famille ou l'un des proches est informé, dès qu'elle a été prise, de la décision de mettre en œuvre la procédure collégiale. / III. - La décision de limitation ou d'arrêt de traitement est prise par le médecin en charge du patient à l'issue de la procédure collégiale. Cette procédure collégiale prend la forme d'une concertation avec les membres présents de l'équipe de soins, si elle existe, et de l'avis motivé d'au moins un médecin, appelé en qualité de consultant. Il ne doit exister aucun lien de nature hiérarchique entre le médecin en charge du patient et le consultant. L'avis motivé d'un deuxième consultant est recueilli par ces médecins si l'un d'eux l'estime utile. (...) / IV. - La décision de limitation ou d'arrêt de traitement est motivée. La personne de confiance, ou, à défaut, la famille, ou l'un des proches du patient est informé de la nature et des motifs de la décision de limitation ou d'arrêt de traitement. La volonté de limitation ou d'arrêt de traitement exprimée dans les directives anticipées ou, à défaut, le témoignage de la personne de confiance, ou de la famille ou de l'un des proches de la volonté exprimée par le patient, les avis recueillis et les motifs de la décision sont inscrits dans le dossier du patient ". Enfin, aux termes de l'article R. 4127-37-3 de ce code : " I. - A la demande du patient, dans les situations prévues aux 1° et 2° de l'article L. 1110-5-2, il est recouru à une sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu'au décès, associée à une analgésie et à l'arrêt de l'ensemble des traitements de maintien en vie, à l'issue d'une procédure collégiale, telle que définie au III de l'article R. 4127-37-2, dont l'objet est de vérifier que les conditions prévues par la loi sont remplies. / Le recours, à la demande du patient, à une sédation profonde et continue telle que définie au premier alinéa, ou son refus, est motivé. Les motifs du recours ou non à cette sédation sont inscrits dans le dossier du patient, qui en est informé. / II. - Lorsque le patient est hors d'état d'exprimer sa volonté et qu'un arrêt de traitement de maintien en vie a été décidé au titre du refus de l'obstination déraisonnable, en application des articles L. 1110-5-1, L. 1110-5-2 et L. 1111-4 et dans les conditions prévues à l'article R. 4127-37-2, le médecin en charge du patient, même si la souffrance de celui-ci ne peut pas être évaluée du fait de son état cérébral, met en œuvre une sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu'au décès, associée à une analgésie, excepté si le patient s'y était opposé dans ses directives anticipées. / Le recours à une sédation profonde et continue, ainsi définie, doit, en l'absence de volonté contraire exprimée par le patient dans ses directives anticipées, être décidé dans le cadre de la procédure collégiale prévue à l'article R. 4127-37-2. / En l'absence de directives anticipées, le médecin en charge du patient recueille auprès de la personne de confiance ou, à défaut, auprès de la famille ou de l'un des proches, le témoignage de la volonté exprimée par le patient. / Le recours à une sédation profonde et continue est motivé. La volonté du patient exprimée dans les directives anticipées ou, en l'absence de celles-ci, le témoignage de la personne de confiance, ou, à défaut, de la famille ou de l'un des proches de la volonté exprimée par le patient, les avis recueillis et les motifs de la décision sont inscrits dans le dossier du patient. / La personne de confiance, ou, à défaut, la famille, ou l'un des proches du patient est informé des motifs du recours à la sédation profonde et continue ".

9. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions, ainsi que de l'interprétation que le Conseil constitutionnel en a donnée dans sa décision n° 2017-632 QPC du 2 juin 2017, qu'il appartient au médecin en charge d'un patient, lorsque celui-ci est hors d'état d'exprimer sa volonté, d'arrêter ou de ne pas mettre en œuvre, au titre du refus de l'obstination déraisonnable, les traitements qui apparaissent inutiles, disproportionnés ou sans autre effet que le seul maintien artificiel de la vie. En pareille hypothèse, le médecin ne peut prendre une telle décision qu'à l'issue d'une procédure collégiale, destinée à l'éclairer sur le respect des conditions légales et médicales d'un arrêt du traitement.

10. Pour l'application de ces dispositions, la ventilation mécanique ainsi que l'alimentation et l'hydratation artificielles sont au nombre des traitements susceptibles d'être arrêtés lorsque leur poursuite traduirait une obstination déraisonnable. Cependant, la seule circonstance qu'une personne soit dans un état irréversible d'inconscience ou, à plus forte raison, de perte d'autonomie la rendant tributaire d'un tel mode de suppléance des fonctions vitales ne saurait caractériser, par elle-même, une situation dans laquelle la poursuite de ce traitement apparaîtrait injustifiée au nom du refus de l'obstination déraisonnable.

11. Pour apprécier si les conditions d'un arrêt des traitements de suppléance des fonctions vitales sont réunies s'agissant d'un patient victime de lésions cérébrales graves, quelle qu'en soit l'origine, qui se trouve dans un état végétatif ou dans un état de conscience minimale le mettant hors d'état d'exprimer sa volonté et dont le maintien en vie dépend de ce mode d'alimentation et d'hydratation, le médecin en charge doit se fonder sur un ensemble d'éléments, médicaux et non médicaux, dont le poids respectif ne peut être prédéterminé et dépend des circonstances particulières à chaque patient, le conduisant à appréhender chaque situation dans sa singularité. Les éléments médicaux doivent couvrir une période suffisamment longue, être analysés collégialement et porter notamment sur l'état actuel du patient, sur l'évolution de son état depuis la survenance de l'accident ou de la maladie, sur sa souffrance et sur le pronostic clinique.

12. Une attention particulière doit être accordée à la volonté que le patient peut avoir exprimée, par des directives anticipées ou sous une autre forme. A défaut de directives anticipées, le médecin doit prendre sa décision après consultation de la personne de confiance désignée par le patient ou, à défaut, de sa famille et de ses proches ainsi que, le cas échéant, de son ou ses tuteurs.

Sur les circonstances du litige :

13. Il résulte de l'instruction que Mme C... A..., née le 24 juillet 1992, a été admise le 4 novembre 2024 au service des urgences du CHU de Caen. Elle présentait plusieurs fractures et un traumatisme crânien grave. Le développement d'une hypertension intracrânienne réfractaire aux traitements médicaux a rendu nécessaire son placement dans un coma artificiel profond et la réalisation d'une craniectomie décompressive. Son état a ensuite évolué de manière défavorable, sans retour à un état conscient. Une imagerie par résonance magnétique a été réalisée le 15 novembre 2024 et a révélé des lésions profondes au cerveau. Le 19 novembre 2024, la famille a été informée de l'organisation d'une réunion médico-éthique destinée à statuer sur l'arrêt des thérapeutiques. Le 22 novembre 2024, à la suite de cette réunion et après avoir sollicité l'avis d'un médecin extérieur au service, praticien hospitalier de réanimation cardio-thoracique au CHU de Caen, la famille a été informée de ce qu'il avait été décidé de l'arrêt des thérapeutiques actives. La famille ayant manifesté son opposition à cet arrêt, une médiation médicale a été réalisée le 27 novembre 2024. Des entretiens avec la famille ont été organisés en décembre 2024 et deux nouveaux avis extérieurs à l'équipe soignante ont été sollicités. Au regard de ces avis concordants et de la persistance de l'état d'éveil non répondant dans lequel se trouve Mme A..., le service de réanimation chirurgicale du CHU de Caen, estimant que la poursuite de thérapeutiques actives constituerait une obstination déraisonnable dans des traitements apparaissant inutiles, disproportionnées ou sans autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, a décidé, le 26 décembre 2024, de procéder à l'arrêt des soins à compter du 30 décembre suivant.

14. C'est dans ces circonstances et au regard de l'ensemble de l'instruction que, par une ordonnance du 30 décembre 2024, le juge des référés du tribunal administratif de Caen, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a rejeté la demande de Mmes A... D... et A... tendant à la suspension de l'exécution de la décision du 30 décembre 2024.

Sur la requête en référé :

15. En premier lieu, il n'est pas contesté que Mme A... n'avait pas rédigé de directives anticipées. Si les requérantes contestent la procédure suivie, il résulte de l'instruction que le témoignage de la volonté exprimée par la patiente a bien été recueilli auprès de la famille et que la décision d'arrêt des soins assortie d'une mise en œuvre d'une sédation profonde et continue, qui est motivée, n'a été prise qu'après la mise en œuvre de la procédure collégiale prévue à l'article R. 4127-37-2 du code de la santé publique cité au point 8.

16. En deuxième lieu, aux termes du deuxième alinéa du V de l'article L. 1110-4 du code de la santé publique : " En cas de diagnostic ou de pronostic grave, le secret médical ne s'oppose pas à ce que la famille, les proches de la personne malade ou la personne de confiance définie à l'article L. 1111-6 reçoivent les informations nécessaires destinées à leur permettre d'apporter un soutien direct à celle-ci, sauf opposition de sa part. Seul un médecin est habilité à délivrer, ou à faire délivrer sous sa responsabilité, ces informations (...) ". Il ne résulte en tout état de cause pas de l'instruction que les requérantes n'auraient pas eu accès aux informations relatives à l'état de santé de leur sœur leur permettant d'apporter, comme le prévoit le V de l'article L. 1110-4 du code de la santé publique, un soutien direct à celle-ci.

17. En troisième lieu, il résulte de l'instruction qu'il s'est écoulé, entre l'admission de Mme A... au service de réanimation du centre hospitalier universitaire de Caen, le 4 novembre 2024, et la décision du 26 décembre 2024, un délai de presque deux mois, durant lequel n'a été constatée aucune amélioration de son état de santé. Pendant cette période, plusieurs examens ont été réalisés, notamment un IRM le 15 novembre 2024 ayant mis en évidence des lésions profondes bilatérales au cerveau. Des réunions pluridisciplinaires et collégiales se sont tenues en novembre 2024, lors desquelles des avis extérieurs ont été sollicités. Une partie des proches de l'intéressée s'opposant à l'arrêt des thérapeutiques actives, deux nouveaux avis extérieurs, d'un médecin neurologue et d'un professeur d'anesthésie-réanimation expert, ont été sollicités par le CHU, qui convergent pour conclure à un état végétatif et à un pronostic neurologique défavorable, ne justifiant pas une poursuite des traitements.

18. Si les requérantes font valoir que mi-janvier, elles ont pu constater des évolutions positives, notamment des clignements des yeux, il résulte des explications données à l'audience et des documents produits à la suite de celle-ci par le CHU de Caen, que Mme A... se trouve dans un état d'éveil non répondant qui, s'il permet des réflexes de clignement des yeux, tels ceux décrits, n'est pas un état de conscience. Les derniers examens, réalisés par l'équipe médicale les 25 et 28 janvier 2025, retiennent un score de 4 sur l'échelle de récupération du coma, indicatif d'un état végétatif, et montrent que l'état de Mme A... n'a connu aucune évolution depuis les avis concordants des experts formulés en décembre. Ainsi, alors que depuis l'admission début novembre de l'intéressée au sein du service de réanimation du CHU, aucun signe de conscience n'a pu être observé et que les pièces du dossier font apparaître l'absence de perspective raisonnable d'amélioration et le caractère irréversible des lésions cérébrales, la décision de l'équipe médicale d'arrêter les thérapeutiques actives, au motif que celles-ci relèveraient d'une obstination déraisonnable, ne peut être regardée comme portant une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la vie de Mme A....

19. Enfin, si les requérantes invoquent l'atteinte à la vie privée et familiale garantie par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales qui tiendrait à ce que leur mère, de nationalité comorienne et vivant actuellement à Mayotte, ne pourrait pas venir à Caen, faute de visa, pour être présente au moment du décès de sa fille, l'instruction, les échanges ayant eu lieu lors de l'audience publique et les éléments produits après l'audience n'ont, en tout état de cause, pas permis d'établir que l'intéressée aurait effectivement accompli, en temps utile, les démarches nécessaires pour rejoindre le territoire métropolitain.

20. Par suite, sans qu'il soit besoin d'ordonner l'expertise médicale sollicitée ni, compte tenu de ce qui a été dit au point 16, la communication du dossier médical de Mme A..., Mme F... A... D... et Mme E... A... ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Caen a rejeté leur demande tendant à la suspension de la décision du 26 décembre 2024 du service de réanimation du CHU de Caen d'arrêter les traitements prodigués à Mme A.... Leur requête d'appel doit donc être rejetée.

21. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'admettre Mme F... A... D... et Mme B... A... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font en revanche obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge du centre hospitalier universitaire de Caen qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par le CHU de Caen au titre de ce même article.

O R D O N N E :

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Article 1er : L'intervention de Mme B... A... est admise.

Article 2 : Mme F... A... D... et Mme B... A... sont admises au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire.

Article 3 : La requête de Mme F... A... D... et Mme E... A... est rejetée.

Article 4 : Les conclusions du centre hospitalier universitaire de Caen au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme F... A... D..., à Mme E... A..., au centre hospitalier universitaire de Caen et à Mme B... A....

Délibéré à l'issue de la séance du 28 janvier 2025 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Anne Courrèges et Mme Rozen Noguellou, conseillères d'Etat, juges des référés.

Fait à Paris, le 3 février 2025

Signé : Rémy Schwartz


Synthèse
Formation : Juge des référés, formation collégiale
Numéro d'arrêt : 500547
Date de la décision : 03/02/2025
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 03 fév. 2025, n° 500547
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme R Noguellou
Avocat(s) : SAS BOULLOCHE, COLIN, STOCLET ET ASSOCIÉS ; SCP GUÉRIN - GOUGEON

Origine de la décision
Date de l'import : 06/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:500547.20250203
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