ARRET RENDU PAR LA COUR D'APPEL DE BORDEAUX
PREMIERE CHAMBRE SECTION B
No de rôle : 03/ 00015
LA S. A. GRANDS VINS DE GIRONDE (S. A. G. V. G.), prise en la personne de son représentant légal c/ Monsieur Alain X...
Nature de la décision : AU FOND
Par Monsieur Alain PREVOST, Conseiller,
en présence de Madame Armelle FRITZ, Greffier,
La COUR d'APPEL de BORDEAUX, PREMIERE CHAMBRE SECTION B, a, dans l'affaire opposant :
LA S. A. GRANDS VINS DE GIRONDE (S. A. G. V. G.) prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social, sis Domaine de Ribet, Boîte Postale numéro 59, 33450 SAINT LOUBES,
Représentée par la S. C. P. Michel PUYBARAUD, Avoué à la Cour, et assistée de Maître Frédéric BIAIS, Avocat au barreau de BORDEAUX,
Appelante d'un jugement rendu le 26 novembre 2002 par le Tribunal de Grande Instance de BORDEAUX suivant déclaration d'appel en date du 30 Décembre 2002,
à :
Monsieur Alain X..., demeurant ... 33760 TARGON,
Représenté par la S. C. P. Corine ARSENE-HENRY et Pierre LANCON, Avoués Associés à la Cour, et assisté de Maître Joùlle AUBERGER, Avocat au barreau de BORDEAUX,
Intimé,
Rendu l'arrêt contradictoire suivant après que la cause a été débattue, en audience publique le 29 Mars 2005 devant :
Monsieur Louis MONTAMAT, Président,
Monsieur Pierre-Louis CRABOL, Conseiller,
Monsieur Alain PREVOST, Conseiller,
Madame Armelle FRITZ, Greffier,
Et qu'il en a été délibéré par les Magistrats du Siège ayant assisté aux débats :
Le 25 février 1998, la société anonyme Grands Vins de Gironde (SA GVG) a commandé à monsieur Alain X..., par l'intermédiaire du bureau de courtage RIPERT, 36. 000 bouteilles de vin " Château Castagnet " 1997 au prix de 12F la bouteille. Elle a pris livraison de sa commande le 6 mai 1998 et a réalisé le 15 mai 1998 une analyse de contrôle d'agréage qui révéla un taux de SO2 libre de 15 mg/ litre. Aucune observation n'a été formulée à ce stade.
Constatant ultérieurement la présence d'un dépôt important dans les bouteilles, elle faisait réaliser le 15 septembre 1999 des analyses du vin par le laboratoire d'oenologie de l'université Bordeaux II. Une analyse était parallèlement effectuée par monsieur A... à l'initiative de monsieur Alain X... Il ressortait de ces deux analyses que le vin contenait des bactéries lactiques dont le développement résultait d'une insuffisance du taux d'anhydride sulfureux.
L'expertise ordonnée par le juge des référés a confirmé la présence de bactéries lactiques s'étant développées en raison d'une insuffisance du taux d'anhydride sulfureux.
Forte de ces résultats techniques, la SA GVG a engagé une action visant la résolution de la vente sur le fondement de l'article 1641 et suivants du code civil.
Par jugement contradictoire du 26 novembre 2002, le tribunal de grande instance de Bordeaux ainsi saisi, a déclaré cette action irrecevable au visa des dispositions de l'article 1648 du code civil et condamné la SA GVG à payer à monsieur Alain X... une indemnité de 1. 000ç sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, comme à supporter les dépens.
La SA GVG en a interjeté appel par déclaration déposée au greffe de la cour le 30 décembre 2002. Elle a sollicité l'inscription de l'affaire au rôle et conclu.
Monsieur Alain X... a constitué avoué et conclu.
Suivant ses conclusions signifiées et déposées le 29 avril 2003, l'appelante souligne que le bref délai de l'article 1648 du code civil aurait dû être apprécié en considération notamment du règlement amiable envisagé, que le vice affectant le vin n'était pas apparent au moment de la vente, que les conditions de stockage du vin n'ont pu influer sur la qualité de ce vin et qu'enfin le millésime 1997 était susceptible d'être commercialisé jusqu'en 2001, bien qu'il doive être bu jeune, car apprécié jeune.
Elle demande au visa des articles 1641 et suivants du code civil de recevoir son appel et de prononcer la résolution de la vente intervenue le 25 février 1998, puis de condamner l'intimé à lui payer :
- la somme de 69. 872, 40ç au titre de la restitution du prix de vente,
- la somme de 19. 564, 27ç au titre des frais financiers,
ces sommes étant assorties des intérêts légaux depuis le 19 mai 2000.- la somme de 3. 048, 98ç sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile. Elle demande par ailleurs de condamner l'intimé à supporter les dépens de première instance et d'appel distraits au profit de la SCP Michel PUYBARAUD.
Selon ses conclusions signifiées et déposées le 24 novembre 2003, l'intimé observe que le vin a été stocké dans de mauvaises conditions et que, contrairement à ce qui était jusqu'alors pratiqué, l'appelante en a pris livraison tardivement, puis a reporté l'échéance de paiement. Il soutient que ce vin devait être consommé jeune, mais qu'en raison d'une conjoncture commerciale défavorable, il n'a pu être écoulé à la " foire aux vins " de septembre 1998, de sorte que l'opération qui subissait les conséquences de l'effondrement du marché, devenait sans intérêt économique. Il fait plus directement état de ce que la plainte est intervenue tardivement alors que le trouble dénoncé était immédiatement prévisible au regard des résultats du contrôle d'agréage qu'elle avait pratiqué. Il se prévaut en tout cas d'une aggravation du vice à la suite des mauvaises conditions de conservation imputables à la seule appelante. Il conclut dans ces conditions à la confirmation du jugement, au débouté de toutes les demandes, fins et conclusions de l'appelante et entend obtenir le paiement d'une indemnité de 3. 000ç sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ainsi que la mise des dépens à la charge de l'appelante.
L'ordonnance de clôture est du 15 mars 2005.
DISCUSSION :
L'appel a été régulièrement interjeté dans le délai prescrit. Il est recevable en la forme.
Sur l'expertise judiciaire :
Cette mesure d'instruction ordonnée par le juge des référés qui avait été saisi par acte du 15 juillet 2000, a été réalisée par monsieur C... dans des conditions qui n'appellent pas de critiques. Les conclusions auxquelles l'expert est parvenu ne sont pas remises en cause par les parties, ne sont pas en désaccord fondamental avec les avis techniques que ces parties avaient recueillis auprès du laboratoire d'oenologie de l'université de Bordeaux ou encore de monsieur A..., oenologue, et peuvent dés lors valablement fonder la décision de la cour.
Sur le vice affectant le vin :
L'expert judiciaire a notamment relevé que le vin présentait une turbidité très élevée et que le trouble d'origine micro biologique (développement de bactéries essentiellement) qui l'affectait était évolutif. Il a énoncé que ce vin était impropre à la vente en l'état, ajoutant que la dégradation de sa qualité était telle que même à envisager un nouveau conditionnement, après débouchage et filtration, il ne pouvait répondre à la définition commerciale initiale.
Il est dés lors constant que ce vin est affecté d'un défaut tel, qu'il est impropre à la vente.
L'expert relevait dans son commentaire des résultats d'analyse qu'il s'agissait d'un vin insuffisamment préparé et insuffisamment sulfité, présentant une protection insuffisante contre les micro organismes. Il notait à cet égard que la teneur en anhydride sulfureux était quasiment inexistante lors des opérations d'expertise, quand il faut une proportion d'au moins 15 à 20 mg/ litre d'anhydride sulfureux libre pour assurer une bonne conservation des vins en bouteille. Il ajoutait que des réactions chimiques et biologiques avaient conduit à
la disparition de l'anhydride sulfureux libre, laissant le vin sans protection, mais que ces réactions nécessitaient du temps avant que la dégradation ne commence, de sorte que le vin paraissait normal au début mais était en réalité en phase évolutive.
L'expert a par ailleurs énoncé que même à retenir une conservation des bouteilles avec les bouchons en haut pendant plusieurs mois, ce qui n'est d'ailleurs pas établi en l'état, ce mode de conservation aurait uniquement conduit à une oxydation du vin et non pas à son altération micro biologique.
L'expert a enfin indiqué, ce qui est d'ailleurs de bon sens, qu'un millésime faible produit des vins appréciables jeunes de 2 à 4 ans (les vins en cause étaient contenus dans cette fourchette), mais qu'en aucun cas un vin ne doit s'altérer biologiquement en bouteilles quelle que soit la qualité de son millésime.
Il suit de tout cela que les moyens développés par l'intimé pour imputer à l'appelante ou encore à la nature du vin et son millésime, l'altération constatée, ne sont pas fondés. Il doit être retenu des résultats de l'expertise que le vice était en germe lors de la vente.
Sur la fin de non recevoir opposée par l'intimé :
Le bref délai de l'article 1648, alinéa premier, ne court qu'à compter de la date à laquelle l'acquéreur a pu avoir une connaissance certaine du vice.
En l'espèce, l'appelante a pu connaître lors du contrôle d'agréage effectuée le 15 mai 1998 que le taux d'anhydride sulfureux libre était de 15 mg/ l. Monsieur A..., technicien consulté par l'intimé, énonce certes qu'il convenait d'avoir un taux de 22 à 25 mg/ l dans les semaines suivant la mise en bouteille pour assurer une conservation à moyen terme. Rien n'établit cependant la date exacte de mise en bouteilles du vin en cause et l'avis de ce technicien, aussi compétent soit-il, est affecté d'une faiblesse tenant à ce qu'il a été recueilli hors toute contradiction. Dans ces conditions, seul les énonciations de l'expertise judiciaire dont il a été précisé qu'elle était exempte de critiques, doivent être retenues par la cour. Il en résulte que le taux relevé lors du contrôle d'agréage correspondait au seuil minimum énoncé par l'expert judiciaire pour permettre une bonne conservation des vins en bouteilles. Ce taux n'était donc pas à lui seul significatif d'une altération prévisible des vins et rien ne vient établir qu'à cet époque existaient des signes apparents d'altération. Ainsi et contrairement à l'appréciation des premiers juges, la date susvisée du 15 mai 1998 ne constitue pas le point de départ du bref délai.
Il n'y avait pas de raisons objectives d'effectuer d'autres contrôles avant que l'appelante ne constate l'existence d'un trouble et dispose au travers de l'analyse qu'elle a fait effectuer par le laboratoire d'oenologie de l'université de Bordeaux, d'une information certaine sur l'altération du vin. C'est donc au mois de septembre 1999 que doit être fixé le point de départ du bref délai, lequel ne ressort certainement pas de l'alinéa deux de l'article 1648 du code civil.
Elle a engagé son action en référé sur le fondement des dispositions de l'article 145 du nouveau code de procédure civile le 15 juillet 2000 (date de l'assignation), de sorte qu'un délai de moins d'une année s'était écoulé depuis qu'elle avait une connaissance certaine du vice. Ce délai a été mis à profit par les parties pour échanger diverses correspondances et faire connaître leur position et les coordonnées des assureurs, le tout dans une perspective évidente de rapprochement.
Il doit être considéré qu'il a été satisfait dans ces conditions à l'exigence du bref délai et la fin de non recevoir opposée par
l'intimé ne peut être accueillie, contrairement à ce qu'ont cru devoir retenir les premiers juges.
Il suit de cela et de l'existence avérée d'un vice rédhibitoire, que l'action en résolution entreprise par l'appelante doit prospérer.
Sur les conséquences de la résolution de la vente :
L'intimé doit en conséquence de cette résolution, restituer le prix de vente comprenant en sus du prix du vin, les frais de courtage, de transport et de logistique, soit un total de 69. 872, 40ç. Cette somme portera intérêts au taux légal depuis la date du 19 mai 2000, date correspondant à la délivrance d'une sommation interpellative comprenant mise en demeure.
L'intimé ne connaissait pas le vice de son produit et ne saurait être tenu par conséquent au paiement de frais financiers, au demeurant non justifiés, en ce qu'ils n'entrent pas dans la catégorie des frais directement liés à la conclusion du contrat de vente.
De son côté, l'appelante devra tenir à disposition de l'intimé les bouteilles de vin objet de la vente.
Sur les autres demandes :
L'équité commande d'accorder à l'appelante une indemnité de 1. 000ç des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Toute autre demande sera rejetée et l'intimé condamné aux entiers dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
En la forme,
Déclare l'appel recevable,
Au fond,
Infirme en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de grande instance de Bordeaux prononcé le 26 novembre 2002,
Statuant à nouveau :
Ecarte la fin de non recevoir,
Prononce la résolution de la vente intervenue le 25 février 1998,
Condamne monsieur Alain X... à restituer à la SA Grands Vins de Gironde la somme de 69. 872, 40ç avec intérêts au taux légal depuis le 19 mai 2000 et à lui payer une indemnité de 1. 000ç sur le fondement de l'article sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Déboute les parties de toute autre demande,
Condamne monsieur Alain X... aux entiers dépens dont distraction pour ceux d'appel au profit de la S. C. P. Michel PUYBARAUD, conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Signé par Monsieur Louis MONTAMAT, Président, et par Madame Armelle FRITZ, Greffière.