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09/06/2010 | FRANCE | N°09-11163

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 09 juin 2010, 09-11163


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique du pourvoi principal, pris en ses trois branches et sur le moyen unique du pourvoi provoqué, pris en ses quatre branches, ci-après annexés :

Attendu que Georges X... est décédé en 1998 laissant pour héritiers ses trois fils mineurs, Charles, Louis et Philippe, soumis à l'administration légale sous contrôle judiciaire de leur mère, Mme de Y..., qui sur autorisation du juge des tutelles a procédé en 1999 au placement de fonds leur revenant par l'intermédiaire de M. Z...,

agent général de la société d'assurance AGF, sur un compte d'assurance-vie ...

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique du pourvoi principal, pris en ses trois branches et sur le moyen unique du pourvoi provoqué, pris en ses quatre branches, ci-après annexés :

Attendu que Georges X... est décédé en 1998 laissant pour héritiers ses trois fils mineurs, Charles, Louis et Philippe, soumis à l'administration légale sous contrôle judiciaire de leur mère, Mme de Y..., qui sur autorisation du juge des tutelles a procédé en 1999 au placement de fonds leur revenant par l'intermédiaire de M. Z..., agent général de la société d'assurance AGF, sur un compte d'assurance-vie d'une durée de huit ans dénommé "Modul Epargne" à un taux minimal garanti ; qu'elle a également été autorisée, selon ordonnance du 1er août 2000, a vendre les actions que possédait le défunt dans la société Sopa, à charge pour elle de déposer aussitôt le produit des fonds encaissés sur un compte productif d'intérêts ouvert au nom de chacun des mineurs et de présenter au juge des tutelles dans le délai d'un mois suivant ce versement une requête pour l'emploi de ces fonds ; qu'ayant reçu le 29 août 2000, au nom de ses trois enfants, par deux chèques, la somme de 6 700 000 francs, Mme de Y... a encaissé ces fonds sur un compte personnel, puis, le 31 août 2000, a reversé ladite somme entre les mains de M. Z..., en un chèque à l'ordre de AGF ; que cette somme, transmise à la société AGF par M. Z..., a été investie sur un compte de capitalisation dénommé "Tellus" ouvert au nom de Mme de Y... le 19 juillet 2000 ; que sur assignation de Mme de Y..., agissant tant en son nom personnel qu'au nom de ses trois fils, estimant que M. Z..., agent de la société AGF, et ladite compagnie avaient commis une faute de gestion de la somme de 6 700 000 francs, le tribunal de grande instance d'Alençon, par jugement du 26 juin 2006, a décidé que M. Z..., agent général de la société AGF, avait manqué à son devoir de conseil envers Mme de Y..., ès qualités, et déclaré dans le principe la société AGF civilement responsable envers Mme de Y..., ès qualités, des fautes commises par M. Z... dans l'exercice de son mandat et sursis à statuer jusqu'en juin 2007 dans l'attente du terme du contrat Modul Epargne ;

Attendu que M. Z... et la société AGF vie devenue la société Allianz vie font grief à l'arrêt attaqué (Caen, 18 novembre 2008), d'avoir confirmé ce jugement ;

Attendu que le devoir de conseil de l'assureur impose à celui-ci d'informer son client sur les risques des contrats souscrits ; qu'ayant relevé, par motifs propres et adoptés, que M. Z... connaissait parfaitement la situation en raison d'une part, de ses liens avec M. X... et Mme Y..., d'autre part, du placement auquel il avait procédé antérieurement et enfin des messages adressés à sa compagnie d'assurance, et qu'il avait néanmoins mis en oeuvre un placement au nom d'une personne dont il savait qu'elle n'avait pas le pouvoir d'y consentir, la cour d'appel a considéré à bon droit, sans avoir à procéder à un partage de responsabilité qui ne lui était pas demandé, que les fautes de M. Z... avaient participé à la souscription du contrat et en conséquence, à la production du dommage ;

D'où il suit, que le moyen, nouveau et mélangé de fait, est irrecevable en sa première branche et ne peut être accueilli en ses autres branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois ;

Condamne M. Z... et la société AGF vie devenue la société Allianz vie aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne M. Z... à payer à Mme de Y..., prise tant en son nom personnel qu'en qualité d'administratrice légale de son fils mineur Louis X... et à MM. Philippe et Charles X... la somme totale de 2 500 euros ; rejette les autres demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf juin deux mille dix.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin, avocat aux Conseils, pour M. Z..., demandeur au pourvoi principal

Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement entrepris en ce qu'il a constaté l'existence de fautes commises par un agent général (Monsieur Z...) à l'encontre d'enfants alors mineurs (Louis, Philippe et Charles X...), représentés par leur mère (Madame de Y...) et d'avoir sursis à statuer sur le surplus des demandes, dans l'attente de la justification par les victimes de leurs éventuels préjudices ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE Madame de Y... contestait avoir signé le bordereau de placement ; mais que les premiers juges avaient justement apprécié son attitude ultérieure confirmant sa volonté de procéder à ce placement, notamment la réception de l'avenant portant sur le dépôt de 6.700.000 F, réception qui n'était pas contestée, et la demande de changement de bénéficiaire, Mme de Y... en cas de vie, suivant courrier de la compagnie du 17 octobre 2000 ; que les explications de Madame de Y... sur une difficulté relationnelle avec sa fille n'affectaient pas cette réalité ; qu'en outre, la production de l'original n'avait pas été demandée, et que la photocopie versée au dossier ne permettait pas d'analyser la contestation de signature ; qu'aucune annulation conventionnelle ne pouvait être retenue ; que les conclusions prises par Madame de Y... exprimaient que Monsieur Z... connaissait parfaitement la situation et qu'il savait donc que les destinataires des fonds étaient les enfants de M X... et de Mme de Y... ; que le tribunal avait fondé sa décision sur cette connaissance ; qu'à aucun moment de ses conclusions, M Z... ne formulait de démenti ; que la connaissance de la situation par Monsieur Z... était confirmée par les démarches qu'il avait effectuées auprès du juge des tutelles pour un placement antérieur conforme à la décision du juge ; que d'ailleurs, dans les courriers qu'il échangeait avec l'inspecteur et la compagnie, il ne prétendait jamais avoir ignoré les destinataires des fonds, faisant seulement état d'une erreur qu'il ne décrivait pas ; que la cour retenait donc cette connaissance ; que l'argumentation principale de Monsieur Z... était formulée à l'encontre de Mme de Y... ; mais que cela n'affectait pas le préjudice éventuellement subi par les trois enfants de Monsieur X... ; qu'en connaissant la situation, Monsieur Z... avait commis la faute de mettre en oeuvre un placement au nom d'une personne dont il savait qu'elle ne pouvait y consentir comme elle l'a fait ; que Monsieur Z... ne prétendait pas que Mme de Y... eût sollicité la nullité du contrat et n'expliquait pas comment le tribunal eût pu la prononcer sans qu'elle fût demandée ; que Messieurs X... ne la sollicitaient pas devant la cour ; que d'ailleurs si un préjudice était constitué, il faudrait le réparer avec ou sans nullité du contrat ; que cela n'affectait donc pas la caractérisation des fautes à ce moment de la procédure ; que par ailleurs, outre sa connaissance des décisions du juge des tutelles, M Z... avait commis la faute de procéder à un placement dépourvu de garantie alors que ce placement était destiné à des mineurs ayant reçu les fonds de leur père défunt, ce qui commandait une prudence particulière qu'il ne prétendait pas avoir mise en oeuvre ; qu'il ne prétendait à aucune mise en garde particulière sur ce placement et son absence de garantie ; que ces fautes avaient participé à la souscription de ce contrat et donc à la production du dommage si l'évolution du placement révélait un tel dommage ; que les fautes reprochées à Madame de Y... ne faisaient pas obstacle à l'éventuelle responsabilité de M Z... à l'égard de Messieurs X... (arrêt pages 7, 8 et 9) ;

ET AUX MOTIFS REPUTES ADOPTES QUE l'agent général devait assumer les conséquences de sa responsabilité personnelle, l'assureur étant assimilé à une caution légale ; que l'action des consorts de Y... pouvait donc être exercée simultanément contre M Z... et AGF ; qu'il convenait d'abord de rappeler que Mme de Y... avait commis une faute flagrante en encaissant sur un compte personnel puis en investissant sous son nom les capitaux provenant de la cession des actions SOPA qui appartenaient à ses enfants mineurs ; qu'elle l'avait fait en violation de la décision du juge des tutelles du 1er août 2000 qui lui ordonnait clairement de déposer le prix de vente des actions SOPA sur un compte faisant mention de la minorité de ses enfants et de proposer dans le délai d'un mois un placement de ces fonds, évidemment sur un compte au nom des mineurs ; que Mme de Y... ne pouvait soutenir qu'elle n'aurait jamais consenti à ce que les fonds importants remis par elle fin août à M. Z... fussent investis sur son compte d'assurance-vie TELLUS qui comprenait une part de risque ; qu'en effet, à supposer même qu'elle n'eût jamais signé le bon de souscription qui était produit, il n'en demeurait pas moins qu'elle n'avait jamais protesté lorsqu'au cours des mois suivant ce placement, il lui avait rendu compte de l'évolution de son compte sur lequel apparaissait l'investissement de la somme significative de 6.700.000 F qui ne pouvait passer inaperçue ; que, notamment, Mme de Y... ne contestait pas avoir reçu le 25 septembre 2000 un «avenant de versement libre» qui confirmait le placement de 6.700.000 F qu'elle venait d'effectuer sur son compte TELLUS ouvert en juillet précédent, ce courrier rappelant d'ailleurs comment était composé son compte ; qu'il était encore précisé dans ce courrier que ce choix de gestion n'était pas définitif et qu'elle pouvait à tout moment modifier la répartition du capital en fonction de ses choix personnels et de la conjoncture économique, ce qui n'avait entraîné chez elle aucune réaction ; que, par la suite, jusqu'à décembre 2002, Mme de Y... n'avait pas protesté au sujet de l'affectation de la somme de 6.700.000 F sur son compte TELLUS alors qu'elle recevait des courriers qui auraient dû l'alerter ; qu'il suffisait par exemple de se reporter à la lettre du 8 février 2002 dans laquelle M Z... lui rendait compte de la gestion de ses placements, en lui conseillant de ne pas pratiquer d'arbitrage sur les valeurs à risques qui étaient à son nom pour éviter de décapitaliser en accusant une perte, alors que ce courrier indiquait par ailleurs que les placements des enfants (sur MODUL EPARGNE) avaient connu une performance de 11,2 % ; que la volonté de Mme de Y... d'ignorer ses obligations légales vis-à-vis de ses enfants était d'autant plus caractérisée que, dès le 17 septembre 2000, aussitôt après qu'elle eût investi sur son compte TELLUS la somme de 6.700.000 F, mme de Y... avait fait modifier le nom des bénéficiaires du contrat à son échéance en 2008, en se faisant porter comme seule bénéficiaire en cas de survie, ses enfants n'étant bénéficiaires que dans l'hypothèse, peu probable vu son âge, où elle décéderait avant le terme du contrat (cf lettre du 17 octobre 2000) ; que, de ce fait, Mme de Y... serait vraisemblablement attributaire en 2008, à titre personnel, du montant des capitaux en dépôt sur le compte TELLUS, alors même qu'à cette époque elle n'aurait plus la jouissance légale sur les biens de ceux de ses enfants qui seraient alors âgés de plus de 16 ans ; que de son côté, Monsieur Z... avait conscience de cette situation ; que d'abord, il ne contestait pas qu'il connaissait de longue date M X... et sa compagne et détenait des informations sur leur situation de fortune ; que cela se trouvait confirmé par le ton des lettres qu'il adressait à sa cliente qu'il appelait «Lisette» ; qu'ensuite, en 1998 et 1999, il convenait de rappeler qu'il avait déjà pris une part active pour justifier auprès du juge des tutelles le placement des fonds provenant de la succession X... sur trois comptes «Modul Epargne», placements à rendement minimal garanti qui, eux, étaient au nom des mineurs ; qu'enfin et surtout, M X... affirmait lui-même dans deux messages adressés à sa compagnie que la somme de 6.700.000 F investie en août 2000 appartenait aux enfants X... ; que, s'il y avait doute dans son esprit, M Z... aurait dû interroger précisément sa cliente pour lui faire confirmer expressément que les fonds ne provenaient pas de la succession X..., alors que le contraire était probable, vu le montant de la somme ; qu'il se devait en tous cas de rappeler à Mme de Y... ses obligations légales et ne pas se prêter à une opération ayant pour conséquence, sinon pour but, de spolier les mineurs X... ; qu'il était constant que, par courrier du 31 août 2000, M Z... écrivait à son correspondant habituel à AGF : «je te pris de bien vouloir trouver sous ce pli le placement TELLUS à affecter en tant que reversement à l'adhésion dont je te joints une copie» ; qu'en vain, M Z... tentait de se disculper et de faire porter à la Compagnie AGF la responsabilité de la mauvaise imputation des fonds sur le compte TELLUS, composé pour partie de valeurs à risque ; que le tribunal relevait d'abord qu'en demandant un placement sur le compte TELLUS, M. Z... savait très bien qu'il s'agissait du compte personnel de Mme de Y... et non des comptes MODUL EPARGNE des enfants ; qu'au cours des mois qui ont suivi, M Z... n'avait pas clairement contesté ces placements, ses discussions avec sa compagnie étant centrés sur son taux de commissionnement personnelle qui était sa seule préoccupation ; qu'à cet égard, on observait que dans ses courriers échangés avec Mme de Y..., notamment celui du 8 février 2002, M Z... ne parlait pas à sa cliente de l'erreur d'imputation de la somme de 6.700.000 F sur le compte TELLUS ; qu'en toute hypothèse, même s'il y avait eu erreur initiale, celle-ci était bien la conséquence de la faute commise par M Z... dans sa lettre du 31 août 2000 qui demandait un placement sur le compte TELLUS, qui ne pouvait qu'être celui de Mme de Y... ; qu'il s'ensuit que M Z... avait manqué à son devoir de conseil vis-à-vis de Mme de Y... en laissant celle-ci placer pour une durée de huit années des capitaux importants appartenant à des mineurs, d'une part, sur un compte personnel de sa cliente et, d'autre part, sur un compte présentant une part de risque, sans y être autorisé par le juge des tutelles, alors que la succession avait besoin de certaines liquidités pour payer les frais de succession ; que si elle avait été utilement mise en garde, Mme de Y... aurait d'abord soumis son projet d'investissement au juge des tutelles qui aurait probablement autorisé un placement des capitaux disponibles sur les comptes d'épargne à rendement garantis déjà ouverts depuis 1999 au nom des enfants X... ; qu'en toute hypothèse, M Z... aurait dû refuser d'investir ces capitaux importants sur le compte TELLUS qui présentait quelques risques, ce qui s'est confirmé en 2001 lorsque la bourse a baissé ; que par conséquent, il n'était pas illogique d'évaluer le préjudice financier par la différence de résultats entre les comptes MODUL EPARGNE et le COMPTE TELLUS ; que toutefois, il fallait prendre en considération le fait que le compte MODUL EPARGNE, dont l'ouverture avait été autorisée par le juge des tutelles, était un contrat d'une durée de 8 ans et ne prendrait fin qu'en 2007 ; qu'il était donc faux d'affirmer qu'un tel placement aurait été disponible à tous moments ; qu'en effet, il aurait fallu pour obtenir le rendement optimum attendre l'échéance du contrat pour pouvoir retirer les fonds ; que les demandeurs ne pouvaient donc agir comme si les fonds avaient été placés sur un compte totalement disponible, sans frais ; que par ailleurs, le contrat TELLUS avait lui aussi été souscrit sur une durée de 8 ans et viendrait à terme en 2008, de sorte que ce n'était qu'à l'échéance contractuelle que l'on connaîtrait sa performance ; que si, dans un premier temps, le contrat TELLUS avait chuté en raison de la baisse de la bourse, il apparaissait qu'en ce moment, il se redressait et rien ne permettait d'exclure qu'au final, la compte TELLUS n'obtiendrait pas un rendement supérieur au compte MODUL EPARGNE ; que si l'on se plaçait en juin 2007, terme du contrat MODUL EPARGNE, il faudrait prendre en considération l'incidence fiscale d'un retrait anticipé au cours de la septième année du contrat ; que dans ces conditions, le préjudice ne pouvait être liquidé aujourd'hui tant que le contrat MODUL EPARGNE n'était pas arrivé à son terme ; qu'il était donc nécessaire de surseoir à statuer jusqu'au jour où le préjudice serait vérifiable dans son principe même, et chiffrable s'il existait (jugement pages 6 à 9) ;

1°) ALORS QUE l'obligation de conseil ne s'applique pas aux faits qui sont de la connaissance de tous ; qu'en décidant que Monsieur Z... avait manqué à son devoir de conseil en laissant Madame de Y... procéder à un placement comportant une part de risque sur son compte personnel de fonds appartenant aux mineurs, quand il ressortait de ses propres constatations que Madame de Y... avait agi sciemment, en ayant conscience qu'elle plaçait les fonds sur un compte lui appartenant et dont le rendement n'était pas garanti, au mépris de la décision du juge des tutelles, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article 1147 du Code civil ;

2°) ALORS QUE la faute commise par le représentant légal de l'incapable mineur, ayant concouru, à l'occasion de la conclusion d'un contrat, au dommage subi par le mineur incapable, lui est opposable, dans ses rapports avec le cocontractant fautif, en tant que faute de la victime venant diminuer son droit à réparation ; qu'en décidant que les fautes commises par Madame de Y..., dont elle constatait l'existence, ne faisaient pas obstacle à l'éventuelle responsabilité de Monsieur Z... à l'égard des trois enfants X..., l'arrêt a violé les articles 389-3 et 1147 du code civil ;

3°) ALORS QUE le cocontractant qui manque à son devoir de conseil n'est responsable que des conséquences dommageables en découlant ; qu'en décidant qu'il appartiendrait à Monsieur Z... de réparer l'éventuel préjudice subi par les mineurs, consistant en la différence de résultats entre les comptes MODUL EPARGNE et le compte TELLUS, sans rechercher quelle avait été l'incidence, sur ce même préjudice, des manquements commis par Madame de Y..., dont l'arrêt constatait qu'elle avait sciemment placé les fonds appartenant à ses enfants sur un compte en son nom comportant une part de risque, en violation des instructions claires du juge des tutelles, et ce en vertu d'une volonté caractérisée d'ignorer ses obligations légales vis-à-vis de ses enfants, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil ;

Moyen produit par la SCP Baraduc et Duhamel, avocat aux Conseils, pour la société Allianz vie, demanderesse au pourvoi provoqué

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir retenu l'existence de fautes de monsieur Z..., agent d'assurances de la compagnie AGF, à l'encontre de messieurs Louis, Philippe et Charles X... et de leur mère madame de Y..., et d'avoir en conséquence retenu que la compagnie AGF était responsable des fautes de monsieur Z... ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE madame de Y... conteste avoir signé le bordereau de placement ; que son attitude ultérieure confirmait sa volonté de procéder à ce placement, notamment la réception de l'avenant portant sur le dépôt de 6.700.000 francs, réception qui n'est pas contestée, et la demande de changement de bénéficiaire, madame de Y... en cas de vie, suivant courrier de la compagnie du 17 octobre 2000 ; que les explications de madame de Y... sur une difficulté relationnelle avec sa fille n'affectent pas cette réalité ; qu'en outre, la production de l'original n'a pas été demandée, et la photocopie versée au dossier ne permet pas d'analyser la contestation de signature ; qu'aucune annulation conventionnelle ne peut être retenue ; que les conclusions prises par madame de Y... expriment que monsieur Z... connaissait parfaitement la situation et qu'il savait donc que les destinataires des fonds étaient les enfants de monsieur X... et de madame de Y... ; qu'à aucun moment de ses conclusions monsieur Z... ne formule de démenti ; que la connaissance de la situation par monsieur Z... est confirmée par les démarches qu'il avait effectuées auprès du juge des tutelles pour un placement antérieur conforme à la décision du juge ; que d'ailleurs, dans les courriers qu'il échange avec l'inspecteur et la compagnie, il ne prétend jamais avoir ignoré les destinataires des fonds, faisant seulement état d'une erreur qu'il ne décrit pas ; que l'argumentation principale de monsieur Z... est formulée à l'encontre de madame de Y..., mais cela n'affecte pas le préjudice éventuellement subi par les trois enfants de monsieur X... ; qu'en connaissant la situation, monsieur Z... a commis la faute de mettre en oeuvre un placement au nom d'une personne dont il savait qu'elle ne pouvait y consentir comme elle l'a fait ; que monsieur Z... ne prétend pas que madame de Y... ait sollicité la nullité du contrat ; que, si un préjudice est constitué, il faudra le réparer avec ou sans nullité du contrat ; que cela n'affecte donc pas la caractérisation des fautes à ce moment de la procédure ; que, outre sa connaissance des décisions du juge des tutelles, monsieur Z... a commis la faute de procéder à un placement dépourvu de garantie alors que ce placement était destiné à des mineurs ayant reçu les fonds de leur père défunt, ce qui commandait une prudence particulière qu'il ne prétend pas avoir mis en oeuvre ; qu'il ne prétend à aucune mise en garde particulière sur ce placement et son absence de garantie ; que ces fautes ont participé à la souscription de ce contrat et donc à la production du dommage si l'évolution du placement révèle un tel dommage ; que les fautes reprochées à madame de Y... ne font pas obstacle à l'éventuelle responsabilité de monsieur Z... à l'égard de messieurs X... ; qu'en revanche, ces fautes engagent, sous la même réserve, la responsabilité de la compagnie AGF envers messieurs X..., monsieur Z... ayant agi en qualité d'agent de cette compagnie, donc en tant que mandataire ;

ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE madame de Y... a commis une faute flagrante en encaissant sur un compte personnel puis en investissant sous son nom les capitaux provenant de la cession des actions SOPA qui appartenaient à ses enfants mineurs ; qu'elle l'a fait en violation de la décision du juge des tutelles du 1er août 2000 qui lui ordonnait clairement de déposer le prix de vente des actions SOPA sur un compte faisant mention de la minorité de ses enfants et de proposer dans le délai d'un mois un placement de ces fonds, évidemment sur un compte au nom des mineurs ; que madame de Y... ne peut soutenir qu'elle n'aurait jamais consenti à ce que les fonds importants remis par elle fin août à monsieur Z... soient investis sur son compte d'assurance-vie TELLUS qui comprenait une part de risque ; qu'en effet, à supposer même qu'elle n'ait pas signé le bon de souscription qui est produit, il n'en demeure pas moins qu'elle n'a jamais protesté lorsqu'au cours des mois suivants ce placement il lui a été rendu compte de l'évolution de son compte sur lequel apparaissait l'investissement de la somme significative de 6.700.000 francs qu'elle venait d'effectuer sur son compte TELLUS ouvert en juillet précédent, ce courrier rappelant d'ailleurs comment était composé son compte ; qu'il était encore précisé dans ce courrier que ce choix de gestion n'était pas définitif et qu'elle pouvait à tout moment modifier la répartition du capital en fonction de ses choix personnels et de la conjoncture économique, ce qui n'a entraîné chez elle aucune réaction ; que, par la suite, jusqu'à décembre 2002, madame de Y... n'a pas protesté au sujet de l'affectation de la somme de 6.700.000 francs sur son compte TELLUS alors qu'elle recevait des courriers qui auraient dû l'alerter ; qu'il suffit par exemple de se reporter à la lettre du 8 février 2002 dans laquelle monsieur Z... lui rendait compte de la gestion de ses placements, en lui conseillant de ne pas pratiquer d'arbitrage sur les valeurs à risques qui étaient à son non pour éviter de décapitaliser en accusant une perte, alors que ce courrier indiquait par ailleurs que les placements des enfants (sur MODUL EPARGNE) avaient connu une performance de 11,2 % ; que la volonté de madame Y... d'ignorer ses obligations légales vis-à-vis de ses enfants était d'autant plus caractérisée que, dès le 17 septembre 2000, aussitôt après qu'elle a investi sur son compte TELLUS la somme de 6.700.000 francs, madame de Y... a fait modifier le nom des bénéficiaires du contrat à son échéance en 2008, en se faisant porter comme seule bénéficiaire en cas de survie, ses enfants n'étant bénéficiaires que dans l'hypothèse, peu probable vu son âge, où elle décéderait avant le terme du contrat (cf. lettre du 17 octobre 2000) ; que, de ce fait, madame de Y... sera vraisemblablement attributaire en 2008, à titre personnel, du montant des capitaux en dépôt sur le compte TELLUS, alors même qu'à cette époque elle n'aura plus la jouissance légale sur les biens de ceux de ses enfants qui seront alors âgés de plus de 16 ans ; que, de son côté, monsieur Z... avait conscience de cette situation ; qu'il ne conteste pas qu'il connaissait de longue date monsieur X... et sa compagne et qu'il détenait des informations sur leur situation de fortune ; que cela se trouve confirmé par le ton des lettres qu'il adresse à sa cliente qu'il appelle «Lisette» ; qu'ensuite, en 1998 et 1999, il avait déjà pris une part active pour justifier auprès du juge des tutelles le placement de fonds provenant de la succession X... sur trois comptes « Modul Epargne », placements à rendement minimal garanti qui, eux, étaient au nom des mineurs ; qu'enfin et surtout, monsieur X... affirme lui-même dans deux messages adressés à sa compagnie que la somme de 6.700.000 francs investie en août 2000 appartenait aux enfants X... ; que, s'il y avait un doute dans son esprit, monsieur Z... aurait dû interroger précisément sa cliente pour lui faire confirmer expressément que les fonds ne provenaient pas de la succession X..., alors que le contraire était probable, vu le montant de la somme ; qu'il se devait en tout cas de rappeler à madame de Y... ses obligations légales et ne pas se prêter à une opération ayant pour conséquence, sinon pour but, de spolier les mineurs X... ; qu'il est constant que, par courrier du 31 août 2000, monsieur Z... écrivait à son correspondant habituel à AGF : «Je te prie de bien vouloir trouver sous ce pli le placement TELLUS à affecter en tant que reversement à l'adhésion dont je te joins une copie» ; qu'en vain monsieur Z... tente de se disculper et de faire porter à la compagnie AGF la responsabilité de la mauvaise imputation des fonds sur le compte TELLUS, composé pour partie de valeurs à risque ; mais que le tribunal relève d'abord qu'en demandant un placement sur le compte «TELLUS», monsieur Z... savait très bien qu'il s'agissait du compte personnel de madame de Y... et non des comptes MODUL EPARGNE des enfants ; qu'au cours des mois qui ont suivi, monsieur Z... n'a pas clairement contesté ces placements, ses discussions avec la compagnie étant centrées sur son taux de commissionnement personnel qui était sa seule préoccupation ; qu'à cet égard, on observe que, dans ses courriers échangés avec madame de Y..., notamment celui du 8 février 2002, monsieur Z... ne parle pas à sa cliente de l'erreur d'imputation de la somme de 6.700.000 francs sur le compte TELLUS ; qu'en toute hypothèse, même s'il y avait erreur initiale, celle-ci est bien la conséquence de la faute commise par monsieur Z... dans sa lettre du 31 août 2000 qui demande un placement sur le compte TELLUS, qui ne pouvait qu'être celui de madame de Y... ; qu'il s'ensuit que monsieur Z... a manqué à son devoir de conseil vis-à-vis de madame de Y... en laissant celle-ci placer pour une durée de huit années des capitaux importants appartenant à des mineurs, d'une part, sur un compte personnel de sa cliente, et, d'autre part, sur un compte présentant une part de risque, sans y être autorisée par le juge des tutelles, alors que la succession avait besoin de certaines liquidités pour payer les frais de succession ;

ALORS QUE, D'UNE PART, l'obligation d'information et de conseil ne s'applique pas aux faits qui sont de la connaissance de tous ; que l'agent général d'assurance n'est pas tenu d'une telle obligation à l'égard de son client s'agissant de faits dont la connaissance ne pouvait échapper à la sagacité d'un assuré normalement diligent ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté, par motifs adoptés, que madame de Y... a procédé au placement d'une somme d'argent appartenant à ses enfants mineurs sur un compte personnel, placement dont elle savait qu'il comportait une part de risque puisque son rendement n'était pas garanti ; qu'elle a également constaté que madame Y... n'a pas remis en cause son placement malgré les différents courriers d'information que monsieur Z... lui a adressés ; qu'en décidant néanmoins que l'agent d'assurances avait manqué à son obligation d'information et de conseil envers madame de Y... en la laissant procéder à ce placement, tandis que cette dernière était parfaitement avertie des risques inhérents, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé les articles 1135 et 1147 du Code civil ;

ALORS QUE, D'AUTRE PART, la faute commise par le représentant légal d'un mineur qui a concouru, à l'occasion de la conclusion d'un contrat d'assurance vie, au dommage subi par ce mineur, est opposable à ce dernier dans ses rapports avec l'assureur ; qu'en décidant que les fautes commises par madame de Y..., dont la cour d'appel a constaté l'existence, ne faisaient pas obstacle à la responsabilité de monsieur Z..., et partant de la compagnie AGF, à l'égard des trois enfants mineurs, la cour d'appel a violé les articles 389-3 et 1147 du Code civil ;

ALORS QUE, DE TROISIEME PART, la responsabilité de l'agent d'assurances ne peut être engagée, à raison de sa faute, qu'à la condition que cette faute ait causé le préjudice allégué ; que tel n'est pas le cas lors que ce préjudice résulte en réalité d'une faute de la victime, qui en est la cause exclusive ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté, par motifs adoptés, que madame de Y... avait commis une faute flagrante manifestant sa volonté d'ignorer ses obligations légales vis-à-vis de ses enfants mineurs ; qu'il résulte de ces constatations que la faute commise par madame de Y..., que rien n'aurait pu détourner de son objectif, pas même une éventuelle mise en garde de monsieur Z..., était la cause exclusive du préjudice subi par les enfants X... ; qu'en décidant néanmoins que la faute imputée à monsieur Z... avait participé à la souscription du contrat «Tellus», la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l'article 1147 du Code civil ;

ALORS QU'ENFIN, ET SUBSIDIAIREMENT, la faute de la victime, lorsqu'elle a contribué au dommage, réduit à proportion de sa gravité le droit à indemnisation ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu plusieurs fautes commises par madame de Y..., qui a placé des fonds appartenant à ses enfants sur son compte personnel, support d'un contrat d'assurance sans rendement garanti, sans autorisation du juge des tutelles ; qu'au regard de ces fautes, la cour d'appel était tenue de rechercher la part du dommage qui devait demeurer à la charge des consorts X..., les fautes de leur mère leur étant opposables ; qu'en ne procédant pas à cette recherche, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil.


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 09-11163
Date de la décision : 09/06/2010
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Civile

Références :

Cour d'appel de Caen, 18 novembre 2008, 08/02132

Décision attaquée : Cour d'appel de Caen, 18 novembre 2008


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 09 jui. 2010, pourvoi n°09-11163


Composition du Tribunal
Président : M. Pluyette (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Baraduc et Duhamel, SCP Delaporte, Briard et Trichet, SCP Nicolaý, de Lanouvelle et Hannotin

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2010:09.11163
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