Donne acte à la société Aventis Cropscience France, venant aux droits de la société Agrévo Prodetech, anciennement dénommée Procida, de sa reprise d'instance ;
Statuant tant sur le pourvoi incident relevé par la société Phytéron International et M. X... commissaire à l'exécution du plan de cession de cette société que sur le pourvoi principal formé par les sociétés Hoechst Marion Roussel et Agrévo Prodetech ;
Attendu, selon l'arrêt infirmatif attaqué (Agen, 16 décembre 1998), que la société Roussel UCLAF, aux droits de laquelle se trouve la société Hoechst Marion Roussel (société Hoechst), est titulaire de la marque française " Décis ", déposée le 7 mai 1971, renouvelée en dernier lieu le 8 mars 1991 et enregistrée sous le n° 1 169 424, pour désigner les produits des classes 1 et 5, notamment " les produits chimiques destinés à l'industrie, l'agriculture, l'horticulture et la sylviculture-préparations pour détruire les mauvaises herbes et les animaux nuisibles " ; que la société Procida, devenue la société Agrévo Prodetech, aux droits de laquelle se trouve actuellement la société Aventis Cropscience France (société Agrévo), titulaire d'une licence exclusive de cette marque, assure la commercialisation en France des insecticides et bénéficie pour ce faire d'une homologation n° 77 00 204 délivrée par le ministère de l'agriculture ; que par ailleurs, la société Hoechst, titulaire de la marque Décis déposée au Brésil, a consenti à la société Quimio productos comercio e industria (société Quimio) une licence exclusive au Brésil de l'usage de cette marque ne comportant " aucune restriction quant à la fabrication, commercialisation et exportation des produits couverts par la marque accordée en licence " ; qu'après saisie-contrefaçon dans les locaux de la société CDP établissements Garros (société Garros) et de l'association syndicale Agro d'Oc, de produits de marque " Décis " en provenance du Brésil et de Turquie, dédouanés dans un Etat membre de la Communauté européenne, puis commercialisés en France par la société Phytéron International (société Phytéron), les sociétés Hoechst et Agrévo ont poursuivi judiciairement en contrefaçon ou imitation frauduleuse de marque, tromperie en matière d'étiquetage et concurrence déloyale, les sociétés Phytéron, Saga, Garros et l'association Agro d'Oc ;
Sur le moyen unique du pourvoi principal :
Attendu que la société Hoechst fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande en contrefaçon de marque, s'agissant des produits en provenance du Brésil, alors, selon le moyen :
1° que la renonciation à un droit ne se présume pas et ne peut résulter que d'actes manifestant sans équivoque la volonté de renoncer ; que pour décider que la société Roussel UCLAF avait renoncé à se prévaloir des principes d'indépendance et de territorialité des marques et à s'opposer à la commercialisation sur le territoire français du produit brésilien revêtu de la marque déposée au Brésil, la cour d'appel s'est fondée sur le fait que la société Roussel UCLAF avait concédé à la société Quimio produtos un droit d'usage de la marque déposée au Brésil sans aucune restriction quant à l'exportation des produits couverts par la marque concédée en licence ; qu'en statuant par de tels motifs impropres à caractériser une renonciation expresse et non équivoque aux droits de propriété industrielle que la société Roussel UCLAF tenait du dépôt de sa marque en France, la cour d'appel a méconnu les principes qui régissent la renonciation à un droit et violé l'article 1134 du Code civil ;
2° qu'en application des principes d'indépendance et de territorialité des marques qui doivent s'appliquer en l'absence de la reconnaissance d'un épuisement international du droit, constitue un acte de contrefaçon le fait d'importer en France, sans l'autorisation expresse du titulaire du droit sur la marque française, un produit reproduisant une marque brésilienne identique ; qu'en décidant que la société Roussel UCLAF avait implicitement renoncé à s'opposer à la commercialisation sur le territoire français du produit brésilien revêtu de la marque brésilienne sans constater une telle autorisation expresse, la cour d'appel, qui s'est fondée sur une simple " tolérance " émanant de la société Roussel UCLAF, a privé sa décision de toute base légale au regard des articles 422-2° de l'ancien Code pénal, 6. 3 et 9. 1 de la Convention d'Union de Paris ;
Mais attendu que la Cour de justice des Communautés européennes (20 novembre 2001, arrêt Davidoff et autres) a dit pour droit, " que l'article 7 § 1 de la 1re directive 89 / 104 / CEE du Conseil du 21 décembre 1988 ", rapprochant les législations des Etats membres sur les marques, telle que modifiée par l'accord sur l'Espace économique européen du 2 mai 1992, doit être interprété en ce sens que le consentement du titulaire d'une marque à une commercialisation dans l'Espace économique européen de produits revêtus de cette marque qui ont été antérieurement mis dans le commerce en dehors de l'Espace économique européen par ce titulaire ou avec son consentement peut être implicite, lorsqu'il résulte d'éléments et de circonstances antérieurs, concomitants ou postérieurs à la mise dans le commerce en dehors de l'Espace économique européen, qui, appréciés par le juge national, traduisent de façon certaine une renonciation du titulaire à son droit de s'opposer à une mise dans le commerce dans l'Espace économique européen " ;
Attendu que l'arrêt relève que la société Hoechst, titulaire de la marque Décis déposée au Brésil, a consenti à la société Quimio la licence exclusive de cette marque aux termes d'un contrat précisant qu'il ne comportait " aucune restriction quant à la fabrication, la commercialisation et l'exportation des produits couverts par la marque " ; qu'ayant déduit de ces constatations et appréciations que la société Hoechst avait renoncé à se prévaloir du principe de la territorialité des marques et à s'opposer à l'importation et à la commercialisation sur le territoire de la Communauté européenne des produits revêtus de la marque Décis déposée au Brésil, la cour d'appel, qui a légalement justifié sa décision, a pu statuer comme elle a fait ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le premier moyen du pourvoi incident, pris en ses deux branches :
Attendu que la société Phytéron et M. X..., ès qualités, font grief à l'arrêt d'avoir dit que la société Phytéron avait commis des actes de contrefaçon de la marque Décis, s'agissant des produits commercialisés en Turquie, alors, selon le moyen :
1° que la commercialisation licite d'un produit de marque dans un Etat membre de l'Union européenne interdit au titulaire de ladite marque de critiquer une importation et une commercialisation de ce produit dans un autre Etat membre sans son autorisation ; que le principe dit de l'épuisement intracommunautaire du droit de marque permet ainsi à un commerçant d'un pays membre d'importer librement, sans pour autant s'exposer à l'exercice de son droit par le titulaire de la marque, un produit marqué dès lors que celui-ci est entré licitement dans un pays de l'Union, et y a été écoulé ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui a affirmé que la licéité de l'écoulement préalable du produit marqué sur le marché d'un autre Etat membre ne suffisait pas à constituer l'épuisement intracommunautaire, a violé le principe de l'épuisement intra-communautaire du droit des marques, et partant le Traité de Rome en ses articles 30 et suivants ;
2° que la limitation, eu égard au droit des marques, de la libre importation des biens à l'intérieur de l'Union européenne constitue une exception au principe de la libre circulation des marchandises au sein de l'espace communautaire ; qu'il appartient en conséquence au titulaire d'une marque qui entend se prévaloir de cette exception pour critiquer une importation intracommunautaire d'établir que l'écoulement préalable du bien marqué dans un Etat membre a été réalisé en méconnaissance de l'objet spécifique de son droit de marque ; qu'en l'espèce, la société Roussel UCLAF reprochant à la société Phytéron International d'avoir importé d'Allemagne un bien portant la marque Décis, il lui incombait de démontrer que le produit Décis n'avait pas été écoulé en Allemagne avec son accord ou par une personne unie à elle par un lien de dépendance économique ou juridique ; que la cour d'appel, qui a reproché à la société exposante de ne pas rapporter la preuve du consentement de la société Roussel UCLAF pour que le produit soit commercialisé en Allemagne, a inversé la charge de la preuve, et violé l'article 1315 du Code civil ;
Mais attendu que l'arrêt relève que le produit litigieux a été mis dans le commerce en Turquie, puis importé en Allemagne par la société Chembico qui l'a revendu à la société Phytéron ; qu'il retient que la société Phytéron, demandeur à l'exception que constitue la théorie de l'épuisement du droit de marque ne démontre pas que le produit importé en France a été commercialisé sur le marché allemand par la société Hoechst ou avec son consentement ; qu'en déduisant de ces constatations et observations l'absence d'autorisation de la société Hoechst de commercialiser dans les Etats membres de la Communauté européenne, les produits litigieux, la cour d'appel, qui n'a pas inversé la charge de la preuve, a pu statuer comme elle a fait ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le second moyen du pourvoi incident :
Attendu que la société Phytéron et M. X..., ès qualités, reproche encore à l'arrêt de les avoir condamnés à payer certaines sommes aux sociétés Hoechst et Agrévo, alors, selon le moyen, que le principe de la réparation intégrale interdit au juge d'affirmer qu'il évalue forfaitairement un préjudice, c'est-à-dire sans lien véritable entre l'évaluation retenue et le dommage subi ; qu'en l'espèce, la cour d'appel qui a affirmé que le préjudice résultant de la contrefaçon devait être apprécié forfaitairement, a méconnu le principe de la réparation intégrale et violé l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu que sous couvert de griefs non fondés de violation de la loi, le pourvoi ne tend qu'à remettre en discussion devant la Cour de cassation l'appréciation souveraine des juges du fond sur l'existence et le montant du préjudice ; que le moyen n'est pas fondé ;
Par ces motifs :
REJETTE les pourvois tant principal qu'incident.