Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué (Paris, 21 octobre 1998), statuant en référé, qu'aux termes d'un contrat conclu en 1988 avec la société de droit égyptien Nassr des engrais et des industries chimiques (société Semadco), la société française Technip s'est notamment engagée à superviser la construction et le montage d'une unité de fabrication d'ammoniaque réalisée à Suez et à effectuer les essais préalables à la réception des travaux ; que, sur ordre de la société Technip, le maître d'ouvrage égyptien a obtenu, pour la bonne fin et l'exécution conforme du chantier, cinq garanties à première demande, dont deux relatives à la durée de vie des catalyseurs, de la société égyptienne Mibank Misr International Bank (la société Mibank) qui bénéficiait elle-même de la contre-garantie à première demande de la Compagnie financière du commerce et de l'industrie et de l'Union européenne (la CICUE) ; qu'à la suite de difficultés survenues entre les cocontractants en fin de contrat, la société Semadco a procédé à l'appel des garanties de la société Mibank ; que, se fondant sur les dispositions d'un protocole d'accord franco-égyptien prévoyant le paiement direct du bénéficiaire par le contre-garant, auquel se référait la convention des parties, la société Mibank a appelé, à son tour, la contre-garantie de la CICUE ; que, sur demande de la société Technip, le juge des référés a interdit à cet établissement d'exécuter les garanties, par ordonnance du 9 août 1996 ; que la société Mibank a formé tierce opposition contre cette décision ;
Sur le premier moyen, pris en ses deux branches :
Attendu que la société Technip fait grief à l'arrêt d'avoir admis la recevabilité de la tierce opposition formée par la société Mibank, alors, selon le moyen :
1° que la garantie à première demande ne peut être invoquée par son bénéficiaire que selon les termes mêmes dans lesquels elle a été donnée ; qu'il résulte des constatations mêmes de l'arrêt que la convention des parties, qui se référait au protocole franco-égyptien, prévoyait un paiement direct du bénéficiaire par le contre-garant, ce qui impliquait que la société Semadco ne pouvait recevoir de fonds que de la banque contre-garante, et que par conséquent, la société Mibank ne devait ni recevoir paiement de la banque contre-garante, ni payer le bénéficiaire ; qu'il en résultait qu'en l'absence de tout défaut de la banque contre-garante, à laquelle l'ordonnance du 9 août 1996 avait fait interdiction de payer, la société Mibank, sur laquelle ne pesait, dans les termes de la garantie, aucune obligation à payer le bénéficiaire, n'avait en l'état aucun intérêt à agir en tierce opposition faute de préjudice, si bien que la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard de l'article 583 du nouveau Code de procédure civile, ensemble l'article 1134 du Code civil ;
2° qu'effectivement la société Mibank n'avait jamais allégué avoir payé la garantie à la société Semadco, ce qui impliquait bien que la tierce opposition ne procédait que d'une collusion frauduleuse en procédure entre le bénéficiaire et la banque garante, et ce qui privait la société Mibank de tout intérêt légitime à agir ; qu'ainsi la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 583 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu, en premier lieu, que la cour d'appel retient qu'aucune disposition du protocole franco-égyptien applicable à la convention des parties, ne libère la société Mibank de son engagement à l'égard de la société Semadco et ne prive cette dernière de sa faculté de mettre en oeuvre la garantie de premier rang ; qu'ayant ainsi, par une décision motivée, souverainement apprécié que la société Mibank justifiait bien d'un intérêt à agir en tierce opposition contre une décision, qui interdisant au contre-garant de payer le bénéficiaire, lui faisait courir le risque de devoir elle-même s'exécuter, la cour d'appel a justifié sa décision au regard du grief de la première branche ;
Attendu, en second lieu, que l'arrêt énonce exactement, que le moyen tiré d'un abus manifeste ou d'une fraude dans l'appel des garanties, ne concerne que le fond du droit du bénéficiaire ou du premier garant et non la recevabilité de l'action ;
Que le moyen n'est donc fondé en aucune de ses deux branches ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu que la société Technip fait encore le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen, que l'effet dévolutif de la tierce opposition est limité à la remise en question, relativement à son auteur, des points jugés qu'elle critique et n'autorise pas les parties à former des demandes nouvelles si bien qu'en jugeant, alors que la décision entreprise n'avait statué que sur une demande visant l'interdiction faite à la banque contre-garante de payer les contre-garanties, que la saisine du juge, sur la tierce opposition, avait pu être étendue à la condamnation de la contre-garante à payer les contre-garanties, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision au regard de l'article 582, alinéa 2, du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que l'action de la société Mibank ayant pour objet de dégager celle-ci de toute menace, en ce qui concerne la mise en oeuvre de sa propre garantie de premier rang, le juge du fond n'est pas sorti des limites du litige qu'il avait à juger, en déclarant la société tiers opposante Mibank recevable à obtenir, non seulement la levée de l'interdiction de paiement faite à la CICUE, mais aussi la condamnation de celle-ci à exécuter effectivement les contre-garanties auxquelles la société Semadco pouvait prétendre ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le troisième moyen, pris en ses deux branches :
Attendu que la société Technip fait toujours le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen, qu'elle n'avait jamais soutenu avoir mandaté la CICUE pour effectuer le paiement de la garantie de premier rang, et qu'ainsi, la CICUE aurait implicitement représenté la société Mibank dans la procédure de première instance mais avait fait valoir que la société Mibank avait elle-même soutenu avoir mandaté la CICUE à cette fin, ce qui impliquait qu'elle avait été représentée dans la procédure de référé ; qu'il en résulte que la cour d'appel a : 1° dénaturé le contenu de ses conclusions, violant l'article 1134 du Code civil, 2° entaché sa décision d'un défaut de motifs, violant l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu, en premier lieu, que la société Technip, observant que la société Mibank avait elle-même admis avoir mandaté la CICUE pour effectuer le paiement de la garantie de premier rang, soutenait que, le mandataire conventionnel représentant son mandant dans l'instance, la société Mibank avait été partie à la procédure ayant abouti à l'ordonnance du 9 août 1996 et qu'elle était ainsi irrecevable à former tierce opposition ; qu'ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas méconnu l'objet du litige, n'encourt pas le grief articulé par la première branche du moyen ;
Et attendu, ensuite, que l'arrêt ayant fait ressortir que la CICUE et la société Mibank avaient des intérêts divergents en ce que le défaut d'exécution de la contre-garantie créait, pour la société Mibank, le risque de devoir elle-même exécuter la garantie de premier rang, il en résultait, que même si la première avait été mandatée par la seconde pour effectuer, en ses lieu et place, le paiement de la garantie de premier rang, elle n'avait pas pu, pour autant, la représenter dans la procédure ayant abouti à l'ordonnance du 9 août 1996 ; que le moyen d'irrecevabilité étant ainsi dépourvu d'influence sur la solution du litige, la cour d'appel n'était pas tenue d'y répondre ;
Que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le quatrième moyen, pris en ses quatre branches :
Attendu que la société Technip fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir ordonné à la CICUE de répondre à l'appel des garanties dans les termes prévus, alors, selon le moyen :
1° que dès lors que la contre-garantie avait été appelée sans paiement de la garantie, il suffisait au donneur d'ordre de prouver la fraude du bénéficiaire pour s'opposer au paiement de la contre-garantie, si bien que la collusion frauduleuse de la société Mibank n'avait pas à être établie ;
2° qu'en ne recherchant pas, en réfutation de ses conclusions, si l'échange de correspondance préalable à l'appel de la garantie, et notamment la télécopie du 16 juin 1996 portant accord de la société Semadco sur un programme de maintenance destiné à permettre l'achèvement des essais de réception provisoire, ne valait pas accord antérieur à l'appel des garanties, comme elle l'avait fait valoir, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de motifs, et violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
3° qu'en ne justifiant pas en quoi l'exigence de notification préalable prévue par l'article 5-4 du contrat aurait été " inapplicable en l'espèce ", la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1134 du Code civil ;
4° qu'en suspendant le respect du formalisme contractuel prévu par les parties comme condition de la garantie à première demande à la preuve d'un " grief ", alors que la garantie à première demande ne peut être invoquée que selon les termes mêmes dans lesquels elle a été donnée, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision au regard de l'article 1134 du Code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'en raison de l'autonomie de la garantie par rapport à la contre-garantie, la preuve du caractère abusif de l'appel de la contre-garantie supposait d'établir l'existence, au moment où il est intervenu, d'une collusion frauduleuse entre la société Semadco et la société Mibank ou d'une fraude propre à cette dernière ; qu'ayant relevé que la société Technip ne démontrait ni la fraude ou l'abus manifeste imputés à la société Semadco, qui s'était bornée à appeler les garanties lui bénéficiant, conformément aux stipulations contractuelles, pour se prémunir, dans l'attente de la décision du juge du fond, des conséquences d'une éventuelle inexécution de ses obligations par la société Technip, ni, a fortiori, la connaissance qu'aurait pu avoir la société Mibank d'une telle fraude ou d'un tel abus, et aucune fraude propre à la société Mibank n'ayant été alléguée, la cour d'appel a justifié légalement sa décision ;
Attendu, en deuxième lieu, qu'ayant, dans son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de preuve qui lui étaient soumis, estimé que la société Technip ne rapportait pas la preuve de l'accord allégué qui n'avait jamais été signé, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de s'expliquer sur la portée qu'elle accordait à chacune des pièces qu'elle décidait d'écarter, n'encourt pas le grief évoqué par la deuxième branche du moyen ;
Attendu, en troisième lieu, qu'ayant relevé que la société Technip n'établissait ni la fraude ou l'abus manifeste imputés à la société Semadco dans l'appel de la garantie, ni, par voie de conséquence, la collusion de la société Mibank, ce dont il résultait que le moyen tiré de l'absence de notification préalable dont elle entendait aussi tirer la preuve d'une collusion entre l'une et l'autre, devenait inopérant, la cour d'appel a, abstraction faite du motif, erroné mais surabondant évoqué par la quatrième branche du moyen, justifié légalement sa décision ;
Que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Et sur le cinquième moyen :
Attendu que la société Technip fait enfin le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen, qu'en ne justifiant pas, en réfutation des conclusions qu'elle avait soutenues, de l'inexécution des obligations contractuelles relatives à la durée de vie des catalyseurs, dont la réalité, sinon la responsabilité, constituait un préalable à la mise en oeuvre de la garantie à première demande, la cour d'appel a privé sa décision de tout fondement légal au regard de l'article 1134 du Code civil ;
Mais attendu qu'en raison de leur autonomie, les engagements de la société Mibank et de la CICUE devaient, sauf fraude ou abus manifeste dans les conditions de leur appel, non établis en l'espèce, être exécutés sans que les exceptions tirées du contrat de base, dont ils étaient indépendants, puissent être opposées au bénéficiaire et paralyser leur mise en oeuvre ; que la cour d'appel a, dès lors, exactement décidé que toutes les garanties, y compris celles relatives à la durée de vie des catalyseurs, avaient pu être appelées et devaient être exécutées ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.