CASSATION PARTIELLE sur le pourvoi formé par :
- X... Eric, Y... Olivier, Z... Patrick, A... Christophe, B... Isabelle, épouse C..., D... Coralie, E... Véronique, F... Frédérique, G... Pascal, H... Serge, I... Laurent, X... Didier, J... Thierry, K... Alain, L... Christophe, M... Isabelle, parties civiles,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, 11e chambre, du 5 juillet 1996 qui, après avoir constaté le caractère définitif de la relaxe de T... du chef de violences volontaires sur personne dépositaire de l'autorité publique, commises par plusieurs personnes, a condamné :
1° Karim N..., pour rébellion en réunion et dégradation d'un objet d'utilité publique, et Philippe O..., pour rébellion en réunion et violences volontaires en réunion n'ayant pas entraîné d'incapacité totale de travail supérieure à 8 jours sur personne dépositaire de l'autorité publique, chacun à 18 mois d'emprisonnement avec sursis ;
2° Milan P..., pour rébellion en réunion, Vincent Q..., Jérémie Q..., Sofiane R... et Sami S..., pour violences volontaires en réunion sur dépositaires de l'autorité publique, ayant ou non entraîné une incapacité totale de travail supérieure à 8 jours, chacun à 12 mois d'emprisonnement avec sursis, et qui a prononcé sur les intérêts civils.
LA COUR,
Vu le mémoire produit ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que trois fonctionnaires de police ont été pris à partie sur la voie publique par un certain nombre de jeunes gens alors qu'ils venaient de contrôler le cyclomotoriste Milan P..., lequel, interpellé, s'est rebellé avec l'assistance de Karim N... qui a, en outre, endommagé volontairement leur véhicule de service ; qu'à la suite de l'arrestation du premier, un attroupement d'une quarantaine de personnes s'est formé devant le commissariat où il a été conduit ; que les gardiens de la paix chargés de protéger l'entrée de l'immeuble ont alors été violemment agressés ; que sept jeunes gens ont pu être interpellés, au nombre desquels Karim N... et Philippe O..., présentés comme les meneurs ;
Qu'ont été poursuivis Milan P..., pour rébellion en réunion, Karim N..., pour rébellion en réunion et dégradation d'objet d'utilité publique, Philippe O..., pour rébellion en réunion et violences volontaires n'ayant pas entraîné une incapacité totale de travail supérieure à 8 jours sur une personne dépositaire de l'autorité publique et contre Vincent et Jérémie Q..., Sofiane R..., Sami S... et T..., pour violences volontaires en réunion ayant ou non entraîné une incapacité totale de travail supérieure à 8 jours sur des personnes dépositaires de l'autorité publique, identifiées ou non ; que le tribunal correctionnel a relaxé T... des fins de la poursuite et pour partie seulement Sami S..., a condamné celui-ci et les autres prévenus déclarés coupables à diverses peines et, sur les constitutions de parties civiles des seize fonctionnaires de police blessés, les a condamnés solidairement à des réparations civiles envers chacun d'eux ;
Que, sur les appels des condamnés, du ministère public limités à ces derniers et des parties civiles, l'arrêt attaqué constate la relaxe définitive de T..., confirme sur les déclarations de culpabilité, réforme sur les peines et, infirmant sur les intérêts civils, limite les condamnations aux seuls prévenus " formellement identifiés comme ayant porté des coups à tel ou tel fonctionnaire ", excluant toute réparation au profit des parties civiles blessées par des auteurs non identifiés ;
En cet état :
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 2, 497-3°, 509, 515 et 593 du Code de procédure pénale :
" en ce que l'arrêt attaqué a débouté les parties civiles de leurs demandes en dommages et intérêts à l'encontre de T... ;
" aux motifs qu'en l'absence d'appel du ministère public contre T..., le jugement est définitif en ce qu'il a relaxé celui-ci des fins de la poursuite ;
" alors que si, statuant sur le seul appel de la partie civile d'un jugement de relaxe, la juridiction du second degré ne peut prononcer aucune peine contre le prévenu, elle doit rechercher si le fait qui lui est déféré constitue ou non une infraction pénale et statuer sur l'action civile ; qu'en l'espèce, les demandeurs soutenaient dans leurs conclusions qu'en participant à la rébellion du 10 octobre 1995, et en portant des coups aux policiers, T... avait bien commis une faute civile, qu'ainsi il devait être déclaré tenu solidairement au paiement de dommages et intérêts ; qu'en rejetant cette demande, après s'être bornée à énoncer qu'en l'absence d'appel du ministère public la décision de relaxe de T... revêtait un caractère définitif, la cour d'appel n'a pas recherché, ainsi que l'y invitaient pourtant les demandeurs, si les faits qui lui étaient soumis constituaient ou non une infraction pénale et n'a pas prononcé sur l'action civile dirigée contre T..., violant les textes susvisés " ;
Vu lesdits articles ;
Attendu que si les juges d'appel, saisis du seul appel de la partie civile d'un jugement de relaxe, ne peuvent prononcer une peine, la décision des premiers juges ayant acquis force de chose jugée au regard de l'action publique, ils n'en sont pas moins tenus d'apprécier et qualifier les faits en vue de condamner, s'il y a lieu, le prévenu à des dommages et intérêts ;
Attendu que, saisie des appels formés par les seules parties civiles du jugement ayant relaxé T... des fins de la poursuite exercée contre lui pour violences volontaires commises en réunion sur la personne de Thierry J..., dépositaire de l'autorité publique, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, la juridiction du second degré s'abstient de prononcer sur les actions civiles dirigées contre lui en se bornant à relever que le jugement de relaxe est devenu définitif en l'absence d'appel du ministère public ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, et alors qu'en cause d'appel les parties civiles avaient persisté dans leurs demandes de réparation dirigées contre T..., la cour d'appel a méconnu les textes et le principe ci-dessus rappelés ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Et sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 1382 du Code civil, 2, 497-3°, 515 et 593 du Code de procédure pénale :
" en ce que la cour d'appel n'a pas fait droit aux demandes d'indemnisation présentées par les gardiens de la paix Patrick Z..., Olivier Y..., Thierry J..., Serge H..., Laurent I..., Alain K..., Christophe L... et Isabelle M..., et, bien qu'accordant réparation aux agents Didier et Eric X..., Isabelle B..., épouse C..., Coralie D..., Christophe A..., Véronique E..., Frédérique F... et Pascal G..., a écarté la responsabilité solidaire de l'ensemble des prévenus ;
" aux motifs que la solidarité ne se présume pas ; que la charge des dommages et intérêts sera affectée à chacun des prévenus formellement identifié comme ayant porté des coups à tel ou tel fonctionnaire ; qu'il n'y a pas lieu d'ordonner le paiement de dommages et intérêts lorsque l'auteur des coups n'a pu être identifié, comme ce fut, par exemple, le cas pour Patrick Z..., Olivier Y... ou Thierry J... ;
" alors, d'une part, que, dans leurs conclusions, les gardiens de la paix Serge H..., Laurent I..., Alain K..., Christophe L... et Isabelle M... concluaient à la confirmation du jugement, en ce qu'il leur avait alloué à chacun des dommages et intérêts en réparation du préjudice qu'ils ont subi, à la suite des violences et voies de fait dont ils ont été victimes de la part des prévenus ; qu'ainsi, la cour d'appel, qui a omis de statuer sur ces cinq demandes d'indemnisation, a violé les textes susvisés ;
" alors, d'autre part, qu'à supposer même qu'elle ait statué sur ces demandes en les écartant au motif " qu'il n'y a pas lieu d'ordonner le paiement de dommages et intérêts lorsque l'auteur des coups n'a pu être identifié, comme ce fut, par exemple, le cas pour Patrick Z..., Olivier Y... ou Thierry J... ", la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de motifs en n'examinant pas expressément la situation des gardiens de la paix Serge H..., Laurent I..., Alain K..., Christophe L... et Isabelle M... ;
" alors, enfin, qu'en matière d'infractions commises en bande, la responsabilité solidaire de l'ensemble des participants doit être retenue ; qu'il en est ainsi également lorsque le dommage a été causé par un membre resté anonyme d'un groupe de personnes identifiées ; qu'en l'espèce, il ressortait tant des conclusions des parties civiles que des certificats médicaux que, lors des événements du 10 novembre 1995, l'ensemble des fonctionnaires de police ont subi des violences et voies de fait de la part des prévenus, les agents Olivier Y... et Patrick Z..., souffrant notamment de nombreuses lésions ; qu'en déboutant néanmoins les agents Olivier Y..., Patrick Z... et Thierry J... de leur demande en dommages et intérêts, aux seuls motifs que l'auteur des coups n'a pu être identifié, et en écartant le principe d'une réparation solidaire pour les agents Didier et Eric X..., Isabelle B..., épouse C..., Coralie D..., Christophe A..., Véronique E..., Frédérique F... et Pascal G..., bien que l'arrêt constate que les dommages étaient issus d'une scène unique de violence, commise en groupe, ce qui était de nature à engager la responsabilité solidaire de l'ensemble des prévenus, la cour d'appel a violé le principe susvisé " ;
Vu lesdits articles, ensemble les articles 203 et 480-1 du Code de procédure pénale ;
Attendu que la solidarité, édictée par l'article 480-1 du Code de procédure pénale entre les individus condamnés pour un même délit, s'applique également à ceux qui ont été déclarés coupables de différentes infractions rattachées entre elles par des liens d'indivisibilité ou de connexité ; qu'il en est ainsi en cas de violences commises en réunion sur plusieurs personnes, procédant d'une action concertée, déterminée par la même cause et tendant au même but ;
Attendu que, pour débouter de leurs demandes huit des seize fonctionnaires de police blessés, constitués parties civiles, et limiter la solidarité des prévenus déclarés coupables, en ce qui concerne les réparations civiles mises à leur charge, la juridiction du second degré énonce qu'il y a lieu " de personnaliser les condamnations ", que " la solidarité ne se présume pas, que la charge des dommages-intérêts sera affectée à chacun des prévenus formellement identifié comme ayant porté des coups à tel ou tel fonctionnaire " et " qu'il n'y a pas lieu d'ordonner le paiement des dommages-intérêts lorsque l'auteur des coups n'a pu être identifié " ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, après avoir constaté que l'ensemble des dommages corporels subis par les parties civiles ont été causés à la suite des faits de rébellion et de violences commis en réunion auxquels les prévenus déclarés coupables se sont livrés sur les policiers, après l'arrestation de l'un d'eux, la cour d'appel, qui a, cependant, caractérisé le lien de connexité existant entre les différentes actions coupables, a méconnu le sens et la portée des textes susvisés ;
D'où il suit que la cassation est également encourue de ce chef ;
Par ces motifs,
CASSE ET ANNULE mais seulement en ses dispositions civiles l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 5 juillet 1996, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Versailles.