REJET et CASSATION PARTIELLE sur les pourvois formés par :
- X... Jean, Y... Daniel, prévenus, Z... Manuel, A... Yvonne, épouse Z..., Z... Chantal, B... Eugénie, veuve A..., Z... Domingos, parties civiles,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Toulouse, 3e chambre, du 16 février 1995, qui, pour homicide involontaire, a condamné le premier à 3 mois d'emprisonnement assortis du sursis simple et à une amende de 10 000 francs, le second, à 1 mois d'emprisonnement assorti du même sursis et à une amende de 5 000 francs, et s'est déclaré incompétent pour connaître des demandes des parties civiles.
LA COUR,
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
I. Sur les pourvois formés par Jean X... et Daniel Y... :
Sur le moyen unique de cassation proposé pour Jean X... et pris de la violation des articles 319 du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré coupable d'homicide involontaire Jean X..., président du syndicat intercommunal de gestion et d'aménagement de Superbagnères ;
" aux motifs qu'aux termes de l'arrêté en date du 21 octobre 1988 du maire de Castillon de Larbout, applicable à la piste de Rioumaynade, dans les passages particulièrement dangereux, la sécurité des skieurs devait être assurée par la pose de filets et autres moyens de protection. Les skieurs ne devaient être autorisés à emprunter le parcours d'une piste de ski que si celle-ci avait été déclarée " ouverte " par le service de sécurité des pistes après reconnaissance. Enfin, chacun en ce qui les concerne, le directeur de la station et le directeur du service des pistes étaient chargés de l'exécution de l'arrêté ; que c'est le comité syndical qui, au terme de sa délibération du 30 octobre 1992, avait décidé le principe de l'ouverture de la station, sous certaines conditions. Aucune date précise n'avait toutefois été arrêtée, ce qui était d'ailleurs impossible alors. Il apparaît dès lors que la décision d'ouverture à la date du 12 décembre 1992 a été prise par Jean X..., en sa qualité de président du comité syndical administrant le SIGS, chargé statutairement de l'exécution des décisions du comité. C'est d'ailleurs en sa qualité de président du comité syndical que Patrice C..., comme les années précédentes, lui a téléphoné avant d'ouvrir la station, afin d'obtenir non son " aval ", mais en réalité son autorisation, alors que Patrice C... n'avait pas le pouvoir de décider lui-même de la date d'ouverture de la station. Dans le cadre de l'exécution de la décision prise par le comité syndical et conformément à celle-ci, il appartenait à son président de s'assurer que toutes les conditions étaient remplies, notamment au regard des respects des règles de sécurité, permettant l'ouverture de la station. Ce n'était pas le cas puisqu'aucune piste, et en particulier celle de Rioumaynade, n'était balisée. Jean X... ne peut valablement soutenir qu'il n'avait pas été mis au courant de cette absence de balisage, alors que c'est à lui qu'il appartenait de s'en assurer, au moins en questionnant Patrice C... à ce sujet. En omettant de le faire, Jean X... a commis une négligence qui a concouru au décès de Gérard Z... et a aussi commis le délit qui lui est reproché. C'est à Patrice C..., en sa qualité de directeur de la station, qu'incombait la mise en place du balisage des pistes et du signalement des endroits dangereux ;
" alors qu'en l'état de tels motifs, desquels il ressort que l'ouverture de la station et l'ouverture des pistes de celle-ci étaient soumises à des conditions distinctes appréciées par des autorités différentes, les juges, en ne recherchant pas si Jean X... n'avait pu légalement décider l'ouverture de la station, eu égard aux conditions, essentiellement relatives à l'enseignement, applicables à une telle décision, quand bien même certaines des pistes n'auraient pas été en état d'être ouvertes aux skieurs, compte tenu en particulier de l'état de leur balisage, n'ont pas donné de base légale à leur décision ;
" et alors qu'en énonçant, pour caractériser l'imprudence commise par Jean X... en décidant l'ouverture de la station, qu'aucune piste n'était balisée, tout en constatant que les secteurs de Techous-Lys et Sarnailles l'étaient, la cour d'appel a statué par des motifs contradictoires " ;
Sur le moyen unique de cassation proposé pour Daniel Y... et pris de la violation des articles 319 ancien du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré coupable d'homicide involontaire Daniel Y..., président de la commission intercommunale de sécurité ;
" aux motifs que c'est en sa qualité de président de la commission intercommunale de sécurité et dans le but de s'assurer, sur la proposition d'ouverture de la station dès le lendemain faite par Patrice C..., que toutes les conditions étaient requises pour permettre cette ouverture, que Daniel Y... a participé à la visite du domaine skiable, puis a assuré à l'issue de cette visite que toutes ces conditions étaient réunies, alors qu'en réalité, à l'exception des secteurs Techous-Lys et Sarnailles, aucune piste n'était balisée et aucun endroit dangereux n'était signalé, ce dont il n'a pu manquer de s'apercevoir au cours de sa visite, même si, comme il l'a déclaré, il était surtout préoccupé par l'enneigement et les risques d'avalanche et alors qu'il était matériellement impossible d'assurer la mise en place ne serait-ce que du balisage, pour le lendemain matin. Or, outre les avis qu'elle avait à donner, la commission avait aussi pour mission, aux termes mêmes de l'article 5 de l'arrêté préfectoral l'ayant instituée, de veiller à l'observation des textes règlementaires concernant la sécurité des pistes de ski de la station. Allant au-delà de la simple négligence consistant à omettre de signaler au président du comité syndical les manquements aux règles de sécurité qu'il avait constatés en sa qualité de président de la CIS, il a au contraire attesté le contraire, dans le cadre de la réunion d'une commission dite restreinte de sécurité. Il a ainsi commis une faute qui a concouru à l'ouverture de la station, nonobstant l'absence des dispositifs de balisage et de sécurité des pistes ;
" alors qu'en statuant ainsi par des motifs contradictoires qui ne permettent pas de déterminer si l'exercice fautif, par Y..., des fonctions consultatives attribuées à la commission intercommunale de sécurité qu'il présidait, concernait la décision d'ouverture de la station prise par le président du SIGAS en fonction notamment de l'enneigement de celle-ci, ou la décision d'ouverture des pistes qui appartenait réglementairement au directeur de la station et à celui des pistes en fonction notamment de l'état de leur équipement de sécurité, la cour d'appel n'a pas mis la Cour de Cassation en mesure d'exercer son contrôle, privant ainsi son arrêt de base légale " :
Les moyens étant réunis ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué, et celles du jugement qu'il confirme, mettent la Cour de Cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a exposé, sans insuffisance ni contradiction, les motifs dont elle a déduit, en l'état du lien de causalité certain, fût-il indirect, existant entre la faute de négligence ou d'imprudence des prévenus et le décès de la victime, que le délit d'homicide involontaire reproché à Jean X... et à Daniel Y... était caractérisé en tous ses éléments ;
D'où il suit que les moyens, qui reviennent à remettre en discussion l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause ainsi que de la valeur et de la portée des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne sauraient être accueillis ;
II. Sur le pourvoi formé par les parties civiles :
Sur le moyen unique de cassation pris de la violation des articles 1382 du Code civil, 2, 3, 591 et 593 du Code de procédure pénale, de la loi des 16 et 24 août 1790, défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que la cour d'appel de Toulouse s'est déclarée incompétente pour connaître de la demande de dommages-intérêts formée par les ayants droit de la victime d'un accident de ski ;
" aux motifs que aux termes de l'article L. 131-2 du Code des communes, la police municipale a pour objet, notamment, de prévenir par des précautions convenables les accidents ;
" la sécurité sur le domaine skiable fait partie des missions de police municipale confiées au maire de la commune dont les pouvoirs en cette matière sont insusceptibles de délégation. C'est d'ailleurs dans le cadre de l'exercice de cette mission de police municipale que les maires des trois communes ayant constitué le SIGAS ont mis les arrêtés municipaux susvisés applicables chacun sur le domaine skiable situé sur sa propre commune, sans autre condition que celle ci-dessus visée ;
" la création d'un syndicat intercommunal, établissement public administratif ayant pour objet d'assurer, sur le territoire de chacune des communes et pour le compte de celles-ci, la gestion de la station, n'a pu avoir pour objet ni pour effet de décharger les communes de leur responsabilité résultant de l'exercice des missions de police municipale que seul chaque maire avait compétence pour mettre en oeuvre sur le territoire de sa commune ;
" aux termes des arrêtés municipaux susvisés, le directeur de la station était d'ailleurs chargé en ce qui le concerne de l'exécution de chaque arrêté ;
" dès lors, les fautes commises par chacun des prévenus, dans l'exercice de leurs fonctions, s'inscrivent dans le cadre de la mission de sécurité exercée pour le compte de chaque commune sur le domaine skiable, et n'en sont pas détachables ;
" c'est donc à juste titre que les premiers juges ont considéré que seule la juridiction administrative était compétente pour connaître des conséquences dommageables de l'accident ;
" alors que, dans les rapports entre l'établissement public et la clientèle privée, qui sont de purs rapports de droit privé, la compétence des tribunaux de l'ordre judiciaire est exclusive de celle des tribunaux administratifs ; que la Cour ne s'est pas expliquée sur le moyen péremptoire au regard de la question de compétence soulevée par les parties civiles et tiré de ce que les rapports entre le syndicat intercommunal de gestion et d'aménagement de Superbagnères et les usagers des pistes de ski étant des rapports de droit privé, les tribunaux judiciaires étaient compétents pour connaître des conséquences dommageables de l'infraction poursuivie, et a, ainsi, violé les textes visés au moyen " ;
Vu lesdits articles ;
Attendu que les juges doivent répondre aux chefs péremptoires des conclusions dont ils sont saisis ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que Gérard Z... a effectué une chute mortelle alors qu'il descendait à skis une piste relevant du domaine skiable exploité par le syndicat intercommunal de gestion et d'aménagement de Superbagnères (SIGAS) ; que Jean X..., président de ce syndicat, et Daniel Y..., président de la commission de sécurité des pistes de Superbagnères, poursuivis pour homicide par imprudence, ont été déclarés coupables de cette infraction ;
Attendu que, pour se déclarer incompétents pour connaître de l'action civile des ayants droit de la victime, les juges du second degré énoncent que " la sécurité sur le domaine skiable fait partie des missions de police municipale confiées au maire de la commune dont les pouvoirs en cette matière sont insusceptibles de délégation " ; que " la création d'un syndicat intercommunal, établissement public administratif, ayant pour objet d'assurer, sur le territoire de chacune des communes et pour le compte de celles-ci, la gestion de la station, n'a pu avoir pour objet ni pour effet de décharger les communes de leur responsabilité résultant des missions de police municipale que seul chaque maire a compétence pour mettre en oeuvre sur le territoire de sa commune " ; qu'ils en concluent que les fautes commises par chacun des prévenus, dans l'exercice de leurs fonctions respectives, " s'inscrivent dans le cadre de la mission de sécurité exercée pour le compte de chaque commune sur le domaine skiable et n'en sont pas détachables " ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions régulièrement déposées des parties civiles, qui faisaient valoir que le SIGAS de Superbagnères, qui assure la gestion et l'aménagement de cette station, utilisée par le public et par une clientèle privée, est un établissement public à caractère industriel et commercial et qu'ainsi, les rapports entre cet établissement et la clientèle qui la fréquente étant de pur droit privé, la compétence des tribunaux judiciaires pour connaître des conséquences dommageables de l'infraction poursuivie devait être retenue, la cour d'appel a méconnu le principe ci-dessus énoncé ;
Que, dès lors, la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs :
I. Sur les pourvois de Jean X... et de Daniel Y... :
REJETTE le pourvoi ;
II. Sur le pourvoi des consorts Z..., parties civiles :
CASSE ET ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Toulouse en date du 16 février 1995, mais seulement en ce qu'elle s'est déclarée incompétente pour connaître de l'action civile engagée par les consorts Z..., toutes autres dispositions dudit arrêt étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit jugé à nouveau conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée :
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Pau.