REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 1 - Chambre 10
ARRÊT DU 07 MARS 2024
(n° 132)
Numéro d'inscription au répertoire général
N° RG 23/12967 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CIBGW
Décision déférée à la cour
Jugement du 17 juillet 2023-Juge de l'exécution de PARIS-RG n° 23/80704
APPELANTE
S.A.S. [8]
[Adresse 4]
[Localité 5]
Représentée par Me Serge MONEY de la SELARL ORMILLIEN MONEY, avocat au barreau de PARIS, toque : E0188
INTIMÉE
S.N.C. [6]
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représentée par Me Anne FITOUSSI, avocat au barreau de PARIS, toque : E0958
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 805 et 905 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 09 février 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Madame Catherine Lefort, conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Bénédicte Pruvost, président
Madame Catherine Lefort, conseiller
Madame Valérie Distinguin, conseiller
GREFFIER lors des débats : Monsieur Grégoire Grospellier
ARRÊT
-contradictoire
-par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
-signé par Madame Bénédicte Pruvost, président et par Monsieur Grégoire Grospellier, greffier, présent lors de la mise à disposition.
PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par ordonnance du 2 février 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris a notamment :
-constaté que les conditions d'acquisition de la clause résolutoire sont réunies,
-condamné la SAS [8] à payer à la société [6] la somme provisionnelle de 172.584,22 euros au titre de la dette locative échue au 3 janvier 2023, 4ème trimestre 2022 inclus, dont devra être déduite la somme de 99.215,72 euros sous réserve du bon encaissement des deux chèques remis à l'audience par la défenderesse,
-autorisé la SAS [8] à se libérer de cette dette en 24 mensualités égales, en sus des loyers courants, le premier versement devant être effectué le 5ème jour du mois suivant la signification de la présente ordonnance et tout paiement imputé en priorité sur les loyers en cours, puis le 5 de chaque mois, sauf meilleur accord des parties,
-suspendu pendant cette période les effets de la clause résolutoire, qui sera réputée n'avoir jamais été acquise en cas de respect des modalités de paiement,
-dit qu'à défaut de paiement d'une seule mensualité (loyer ou arriéré) à son échéance et dans son intégralité, le solde restant dû deviendra immédiatement exigible et la clause résolutoire reprendra ses effets,
-constaté en ce cas la résiliation de plein droit du bail consenti à la SAS [8] portant sur les locaux situés [Adresse 4], [Adresse 1] et [Adresse 2] dans le 17ème arrondissement de [Localité 7],
-autorisé en ce cas l'expulsion de la SAS [8] et celle de tous occupants de son chef,
-condamné dans ce cas la SAS [8] à payer à la société [6] une indemnité d'occupation trimestrielle équivalente au montant non contestable du loyer et des charges, soit la somme de 27.939,75 euros, et ce à compter du non-respect des délais de paiement jusqu'à libération effective des lieux.
Le 14 avril 2023, un commandement de quitter les lieux a été délivré à la SAS [8].
Par assignation du 26 avril 2023, la SAS [8] a fait citer la société [6] devant le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Paris aux fins de contester le commandement de quitter les lieux.
Par jugement du 17 juillet 2023, le juge de l'exécution a :
rejeté la demande d'annulation du commandement de quitter les lieux du 14 avril 2023,
rejeté les demandes formulées au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
condamné la SAS [8] aux dépens.
Pour statuer ainsi, le juge de l'exécution a retenu que les deux chèques remis à l'audience du juge des référés étant sans provision, il appartenait à la société [8] de s'acquitter du montant de 172.584,22 euros en 24 mensualités de 7.191,01 euros, en sus du loyer courant ; que l'ordonnance de référé ayant été signifiée le 28 février 2023, le premier versement devait intervenir avant le 5 mars 2023 ; que le virement de 100.000 euros émis le 1er [3] mars 2023 n'avait été reçu par le bénéficiaire que le 6 mars suivant et celui de 10.000 euros émis le 4 mars 2023 avait également été reçu par son bénéficiaire le 6 mars ; qu'ainsi, le calendrier d'apurement de l'arriéré prévu par le juge des référés n'avait pas été tenu par la société [8].
Par déclaration du 19 juillet 2023, la société [8] a formé appel de ce jugement.
La société [8] a été expulsée le 6 septembre 2023.
Par arrêt du 7 novembre 2023, la cour d'appel de Paris a confirmé l'ordonnance de référé du 2 février 2023.
Par dernières conclusions du 24 janvier 2024, la SAS [8] demande à la cour de :
infirmer le jugement du 4 janvier 2023 en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau,
juger que les virements effectués les 3 et 4 mars 2023 et inscrits sur le compte de la société [6] le 6 mars ont été faits dans les délais requis par l'ordonnance de référé,
En conséquence,
annuler purement et simplement le commandement de quitter les lieux du 14 avril 2023 et par voie de conséquence, le procès-verbal d'expulsion du 6 septembre 2023,
ordonner sa réintégration dans les lieux,
condamner la société [6] au paiement de la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de la présente instance, dont distraction au profit de Me Money.
L'appelante soutient que c'est à la date du virement que le paiement est présumé avoir été reçu par le banquier du créancier et entraîne un effet libératoire à l'égard du payeur, de sorte qu'en l'espèce, les virements réalisés les 3 et 4 mars 2023 sont présumés avoir été reçus par le banquier de la société [6] dès ces dates, étant ajouté que le 5 mars était un dimanche ; que le fait que celle-ci n'en a eu la propriété que le premier jour ouvrable suivant, c'est-à-dire le 6 mars 2023, ne peut lui être opposé ; qu'en outre, il s'agissait nécessairement d'une avance sur les loyers à venir ; que selon son arrêt de principe du 3 février 2009, cité par le juge de l'exécution, la Cour de cassation considère qu'un paiement a un effet libératoire à l'égard du débiteur à partir du moment où le banquier du créancier et non le créancier lui-même détient les fonds, peu important la date à laquelle celui-ci inscrit ces fonds sur le compte du bénéficiaire ; qu'ainsi entre le 3 mars et le 14 avril 2023, elle a versé la somme de 129.524,34 euros au titre de l'arriéré et du loyer du premier trimestre 2023 payable à terme échu (fin mars 2023) ; que la société [6] ne pouvait considérer qu'au 14 avril 2023, date du commandement de quitter les lieux, les échéances des 5 mars et 5 avril n'étaient pas payées, alors qu'elle a au contraire parfaitement respecté ses obligations.
Elle ajoute que l'exécution de la décision du juge de l'exécution lui a fait perdre un investissement de plus de 1.300.000 euros, alors qu'une procédure est en cours devant le juge des loyers commerciaux sur le refus de renouvellement du bail et le versement d'une indemnité d'éviction ; et que la société [6], qui n'a cessé de faire preuve de mauvaise foi, a ainsi saisi une opportunité inespérée de l'évincer des locaux sans indemnité et en dépit de la saisine du premier président, laissant sa dirigeante anéantie financièrement.
Par dernières conclusions du 24 janvier 2024, la société [6] demande à la cour de :
constater que les paiements effectués par la société [8] ne sont pas conformes à l'échéancier et aux conditions fixées par l'ordonnance de référé du 2 février 2023,
En conséquence,
constater la déchéance du terme,
juger que le commandement de quitter les lieux du 14 avril 2023 est parfaitement valable et justifié,
confirmer le jugement du juge de l'exécution en ce qu'il a rejeté la demande d'annulation du commandement de quitter les lieux,
débouter la SAS [8] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
condamner la SAS [8] au paiement de la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de Me Fitoussi.
Elle approuve la décision du juge de l'exécution sur la validité du commandement de quitter les lieux, en ce que les virements ont été reçus le 6 mars au lieu du 5 mars 2023. Elle fait valoir qu'en application de l'article L.133-9 du code monétaire et financier, si l'ordre de paiement n'est pas reçu un jour ouvrable pour la banque du payeur, il est réputé avoir été reçu le jour ouvrable suivant ; qu'en l'espèce, les ordres de virement ont été passés les vendredi 3 mars et samedi 4 mars, de sorte qu'ils n'ont été traités que le lundi 6 mars, le vendredi après-midi et le samedi n'étant pas des jours ouvrables pour la plupart des banques ; que l'appelante ne démontre pas que la somme de 100.000 euros aurait été réceptionnée par le banquier du bénéficiaire à la date butoir du 5 mars ; que les mensualités d'arriérés de mars, avril, mai, juillet et août 2023 n'ont pas non plus été payées à bonne date ; que le loyer courant exigible le 31 mars 2023 n'a pas été intégralement payé ; que les dispositions de l'article 642 du code de procédure civile sur la prorogation des délais ne sont pas applicables puisqu'elles ne régissent que les délais de procédure, de sorte que la date du 5 de chaque mois fixée par l'ordonnance de référé est une date butoir ; que comme la société [8] l'a toujours affirmé, le virement de 100.000 euros était destiné à remplacer les deux chèques impayés ; que si la débitrice avait voulu, par ce virement, constituer une avance sur l'échéancier et le loyer courant, elle n'aurait pas réalisé tous les virements entre avril et septembre 2023 ; que compte tenu de ce virement, il restait dû la somme de 72.584,22 euros à régler en 24 mensualités de 3.024 euros, payable le 5 de chaque mois à compter du 5 mars 2023, outre le loyer courant et charges les 31 mars, 30 juin, 30 septembre et 31 décembre ; que les mensualités n'ayant pas été payées à bonne date, la clause résolutoire était automatiquement acquise de plein droit, étant précisé que même en retenant la date d'envoi des fonds, la 2ème mensualité due au 5 avril 2023 a été payée avec 14 jours de retard, le 19 avril 2023 ; que surabondamment, s'agissant du loyer courant de mars 2023, la société [8] a payé la somme totale de 23.475,66 euros (6.975,66 euros le 4 mars, 13.000 euros le 8 mars et 3.500 euros le 10 mars), alors qu'il était dû la somme de 30.436,43 euros HT CC et que l'ordonnance de référé a fixé le montant de l'indemnité d'occupation au montant du loyer charges comprises, soit 27.939,75 euros.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande d'annulation du commandement de quitter les lieux
Il résulte de l'article L.411-1 du code des procédures civiles d'exécution que l'expulsion ne peut être poursuivie qu'en vertu d'une décision de justice et après signification d'un commandement d'avoir à libérer les locaux.
Aux termes de l'article R.121-1 alinéa 2 du code des procédures civiles d'exécution, le juge de l'exécution ne peut ni modifier le dispositif de la décision de justice qui sert de fondement aux poursuites, ni en suspendre l'exécution.
Lorsqu'un paiement est effectué par virement, la date du paiement est celle à laquelle les fonds ont été inscrits au crédit du compte du banquier du créancier ou de son mandataire (Com, 3 février 2009, n°06-21.184). Or cette date coïncide avec celle à laquelle le compte du payeur a été débité.
En l'espèce, l'ordonnance de référé a été signifiée le 28 février 2023, de sorte que la première mensualité due au titre de l'arriéré devait être payée au plus tard le 5 mars 2023, étant précisé que c'est un dimanche. Il est constant que le loyer courant est payable trimestriellement à terme échu, soit le 31 mars 2023 s'agissant de la première échéance postérieure à l'ordonnance. Il existe un contentieux entre les parties sur le montant du loyer, mais l'ordonnance de référé a fixé le montant de l'indemnité d'occupation trimestrielle au montant non contestable du loyer et des charges, soit la somme de 27.939,75 euros (ne comprenant pas de TVA), de sorte que c'est ce montant qu'il convient de prendre en considération pour apprécier si le loyer courant a été payé.
Le juge des référés a condamné la société [8] au paiement de la somme de 172.584,22 euros au titre de la dette locative échue au 3 janvier 2023, 4ème trimestre 2022 inclus, dont devait être déduite la somme de 99.215,72 euros sous réserve du bon encaissement des deux chèques remis à l'audience (du 5 janvier 2023) par la débitrice. Il est constant que les deux chèques remis à l'encaissement en janvier 2023 sont revenus impayés pour défaut de provision.
Une somme de 100.000 euros a finalement été payée par virement, ce qui ramène la dette à un solde de 72.584,22 euros, de sorte que les délais de paiement accordés sur 24 mois impliquent des mensualités de remboursement d'environ 3.024,34 euros chacune. En effectuant deux virements de 3.025 euros en avril et en mai 2023, la société [8] a entériné ce calcul. Elle ne saurait aujourd'hui prétendre que ce paiement de la somme de 100.000 euros constituait une avance sur les loyers à venir. Ainsi, le juge de l'exécution ne pouvait retenir que la dette était d'un montant de 172.584,22 euros, remboursable en 24 mensualités de 7.191,01 euros, la société [8] n'ayant jamais payé de telles échéances. C'est donc à juste titre que la société [6] soutient que le virement de 100.000 euros avait vocation à régulariser les chèques impayés qui avaient été remis à l'audience du juge des référés. Il ne s'agit donc ni du paiement des loyers courants exigibles au 31 mars, 30 juin et 30 septembre 2023, ni du paiement des mensualités fixées au titre de l'arriéré exigibles à partir du 5 mars 2023.
Dans ces conditions, et contrairement à ce que soutiennent les parties, il importe peu de savoir si ce paiement a été effectué avant ou après le 5 mars 2023, étant précisé que l'ordonnance de référé n'a pas prévu de sanction pour le cas où les chèques remis à l'audience seraient impayés, cette circonstance n'ayant de conséquences que sur le montant de la dette à payer en 24 mois, les délais de paiement ayant été accordés en toute hypothèse. Au surplus, surabondamment, la société [8] justifie, par la production de son relevé de compte (pièce 20), que la somme de 100.000 euros a bien été débitée de son compte le vendredi 3 mars 2023, de sorte que c'est à cette date que le paiement été effectué, peu important que la société [6] n'ait reçu les fonds sur son compte que le lundi 6 mars.
S'agissant des autres paiements effectués par la société [8] en mars 2023, soit les sommes de 10.000 euros, 13.000 euros et 3.500 euros, reçues par la société [6] respectivement les 6, 9 et 13 mars 2023, rien ne permet d'affirmer qu'une de ces sommes, notamment celle de 10.000 euros, devrait être affectée au paiement de la mensualité de 3.024,34 euros due le 5 mars 2023, étant rappelé que le dispositif de l'ordonnance de référé prévoit que tout paiement est imputé en priorité sur les loyers en cours. C'est donc en vain que la société [8], qui justifie d'un ordre de virement du 4 mars 2023 pour un montant de 10.000 euros, soutient que le paiement de cette somme est intervenu le jour même de sorte qu'elle a respecté la date fixée par l'ordonnance de référé, alors d'une part, qu'au contraire il résulte de son relevé de compte qu'aucune somme de 10.000 euros n'a été débitée de son compte le 4 mars, d'autre part qu'elle a payé une somme totale de 26.500 euros entre le 6 et le 13 mars au lieu de 3.024,34 euros le 5 mars et 27.939,75 euros le 31 mars 2023. De même, en avril, elle n'a payé la somme de 3.025 euros que le 20 avril 2023, au lieu du 5 avril 2023, soit après la délivrance du commandement de quitter les lieux.
Dans ces conditions, la société [8] ne peut valablement soutenir qu'elle a strictement respecté l'échéancier fixé par le juge des référés. C'est donc à bon droit que la société [6] estime que la clause résolutoire était acquise et que le commandement de quitter les lieux a été valablement délivré.
Il convient donc de confirmer le jugement en toutes ses dispositions, et de rejeter, par voie de conséquence, la demande de réintégration dans les lieux formulée par la société [8].
Sur les demandes accessoires
L'issue du litige commande de condamner la société [8] aux dépens d'appel, dont distraction au profit de l'avocat de l'intimée, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, et de la débouter de sa demande fondée sur l'article 700 du même code.
L'équité ne justifie pas de faire application de l'article 700 au profit de la société [6], qui sera dès lors déboutée de sa demande.
PAR CES MOTIFS,
La Cour,
CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu le 17 juillet 2023 par le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Paris,
Y ajoutant,
DEBOUTE la SAS [8] de sa demande de réintégration dans les lieux,
DEBOUTE les parties de leurs demandes respectives fondées sur l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la SAS [8] aux dépens d'appel, dont distraction au profit de Me Anne Fitoussi, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Le greffier, Le président,