Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme E... D... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 25 mai 2022 par lequel le préfet de l'Isère lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination.
Par un jugement n° 2204600 du 11 août 2022, la magistrate désignée du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 10 septembre 2022 et le 21 décembre 2022, Mme D..., représentée par Me Combes, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 11 août 2022 de la magistrate désignée du tribunal administratif de Grenoble ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de l'Isère du 25 mai 2022 ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Isère de lui délivrer un titre de séjour dans un délai d'un mois à compter de la décision à intervenir et, dans cette attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour, dans un délai d'une semaine à compter de la décision à intervenir et sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) d'enjoindre au préfet de l'Isère de supprimer toute mention la concernant du fichier Schengen ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à son conseil au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Mme D... soutient que :
- l'arrêté litigieux est entaché d'un défaut d'examen de sa situation personnelle ;
- il méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
La requête a été communiquée au préfet de l'Isère, qui n'a pas présenté d'observations.
Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 23 novembre 2022.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
La présidente de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme Vinet, présidente-assesseure,
Considérant ce qui suit :
1. Mme E... D..., née le 5 novembre 1999 à Kinshasa (République démocratique du Congo), de nationalité congolaise, soutient être entrée sur le territoire français en décembre 2018. Sa demande d'asile du 16 octobre 2020 a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA), par une décision du 9 septembre 2021, confirmée par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) le 9 février 2022. Par un arrêté du 25 mai 2022, le préfet de l'Isère lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Mme D... relève appel du jugement par lequel la magistrate désignée du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
2. Aux termes du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. ". Il résulte de ces stipulations que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.
3. Mme D... soutient vivre avec M. C..., un compatriote en situation régulière ayant une carte de résident d'une durée de dix ans, avec lequel elle a eu une fille, B..., née le 28 septembre 2020 et reconnue par celui-ci à sa naissance. Elle produit pour la première fois en appel des photos le montrant avec sa fille, à différents âges depuis sa naissance, ainsi qu'une attestation de la sage-femme qui a accompagné Mme D... lors de sa première grossesse, selon laquelle M. C... a été présent tout au long du suivi de celle-ci, et le préfet, qui n'a produit aucune observation en appel, ne conteste pas que ce dernier contribue à l'éducation et à l'entretien de sa fille, ni l'existence d'une vie commune entre Mme D... et M. C..., étant relevé, alors même qu'il s'agit d'une circonstance postérieure à l'arrêté litigieux, qu'il ressort des documents produits par la requérante, que celle-ci est de nouveau enceinte et que son enfant a été reconnu de façon anticipée par M. C.... Si les intéressés sont de même nationalité, il ressort des pièces du dossier et n'est pas contesté que M. C..., qui réside depuis plus de vingt ans en France, contribue, notamment par le versement d'une pension alimentaire, à l'entretien de son autre enfant, A... C..., dont il justifie être le père, né en France en 2009 d'une précédente union avec une compatriote bénéficiant elle aussi d'une carte de résident d'une durée de dix ans. Il ne ressort pas des pièces du dossier et n'est pas soutenu par le préfet que l'ex-femme de M. C... et leur fils pourraient retourner vivre en République démocratique du Congo sans que cela porte atteinte à leur vie privée et familiale. Ainsi, la décision d'obligation de quitter le territoire français qui a été prise à l'encontre de Mme D... implique soit la séparation de l'enfant B... de l'un de ses parents, qui contribuent tous deux à son éducation et à son entretien, soit la séparation du jeune A... de son père, dont il n'est pas contesté qu'il contribue à son entretien et son éducation. Dans ces conditions, cette décision porte une atteinte excessive à l'intérêt supérieur de ces enfants, en méconnaissance du 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant. Elle doit, dès lors, être annulée, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, ainsi que, par voie de conséquence, la décision fixant le pays de destination.
4. Il résulte de ce qui précède que Mme D... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, qui doit être annulé, la magistrate désignée du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
5. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure. "
6. Aux termes de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Si la décision portant obligation de quitter le territoire français est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues aux articles L. 721-6, L. 721-7, L. 731-1, L. 731-3, L. 741-1 et L. 743-13, et l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas. ".
7. Eu égard à l'annulation par le présent arrêt de la décision d'obligation de quitter le territoire français, il y a lieu d'enjoindre au préfet de l'Isère, conformément aux dispositions précitées de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qu'il statue de nouveau sur la situation de Mme D..., dans un délai de deux mois à compter du présent arrêt, et, dans cette attente, qu'il lui délivre, dans un délai de quinze jours, une autorisation provisoire de séjour, sans qu'il y ait lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
8. La décision en litige ne contenant aucune information quant à une quelconque inscription au fichier du système d'information Schengen, les conclusions tendant à l'effacement d'une telle inscription doivent être rejetées.
Sur les frais liés à l'instance :
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à Me Combes, avocat de Mme D..., au titre des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve que Me Combes renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement de la magistrate désignée du tribunal administratif de Grenoble du 11 août 2022 est annulé, ensemble l'arrêté du préfet de l'Isère du 25 mai 2022 obligeant Mme D... à quitter le territoire français et fixant le pays de destination.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de l'Isère de réexaminer la situation de Mme D..., dans un délai de deux mois à compter du présent arrêt, et, dans cette attente, qu'il lui délivre une autorisation provisoire de séjour dans un délai de quinze jours.
Article 3 : L'Etat versera la somme de 1 000 euros à Me Combes au titre des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve que Me Combes renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
Article 4 : Le surplus des conclusions de Mme D... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet de l'Isère, à Me Combes et au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Grenoble en application de l'article R. 751-11 du code de justice administrative.
Délibéré après l'audience du 20 juin 2023, à laquelle siégeaient :
Mme Monique Mehl-Schouder, présidente,
Mme Camille Vinet, présidente-assesseure,
Mme Claire Burnichon, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 juillet 2023.
La rapporteure,
C. Vinet
La présidente,
M. F...La greffière,
F. Prouteau
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 22LY02749