LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
FB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 14 juin 2023
Rejet
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 422 F-B
Pourvoi n° B 21-24.143
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 14 JUIN 2023
1°/ M. [Z] [V],
2°/ Mme [D] [K], épouse [V],
domiciliés tous deux [Adresse 2],
3°/ M. [Z] [Y] [V], domicilié [Adresse 5] (Maroc),
ont formé le pourvoi n° B 21-24.143 contre l'arrêt rendu le 14 septembre 2021 par la cour d'appel de Besançon (1re chambre civile et commerciale), dans le litige les opposant :
1°/ à la société Caisse de crédit mutuel [Localité 4], association coopérative inscrite, dont le siège est [Adresse 1],
2°/ à Mme [W] [M], domiciliée [Adresse 3], prise en qualité de liquidateur judiciaire de M. [Z] [V],
3°/ à la société Jenner et associés mandataires judiciaires, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3], en la personne de Mme [W] [M], prise en qualité de liquidateur judiciaire de M. [Z] [V],
défenderesses à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bélaval, conseiller, les observations de la SCP Krivine et Viaud, avocat de M. [Z] [V], de Mme [K], épouse [V] et de M. [Z] [Y] [V], de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de la société Caisse de crédit mutuel [Localité 4], et l'avis de Mme Guinamant, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 18 avril 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Bélaval, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Besançon, 14 septembre 2021), rendu après cassation (Com.,1er juillet 2020, pourvoi n° 19-10.641), et les productions, au cours de l'année 2002, M. [Z] [V] et Mme [K], épouse [V] (M. et Mme [V]), mariés sous le régime de la communauté de biens réduite aux acquêts, ont acheté des biens immobiliers pour y exploiter des chambres d'hôtes puis un hôtel. L'acquisition, la transformation et l'extension des locaux ont été financées par des emprunts bancaires, puis par la cession de l'immeuble initial et de la première extension à une société de crédit-bail à laquelle ils ont alors loué les locaux, enfin par de nouveaux emprunts bancaires, dont un prêt de trésorerie de 200 000 euros contracté le 10 septembre 2013 auprès de la société Caisse de crédit mutuel [Localité 4] (la banque), partiellement garanti par le cautionnement de M. [Z] [Y] [V].
2. Le 13 février 2015, à la suite d'incidents de paiement et du prononcé de la déchéance du terme, la banque a assigné en paiement M. et Mme [V] et la caution.
3. M. [Z] [V] ayant été mis en redressement judiciaire, le 9 mars 2015, Mme [M], en sa qualité de mandataire judiciaire, et la société [L] et [X], en sa qualité d'administrateur, ont été appelées à l'instance. Elles n'ont pas comparu. Le 9 mars 2016, M. [Z] [V] a été mis en liquidation judiciaire, Mme [M] étant désignée liquidateur.
4. Par un jugement du 14 décembre 2016, le tribunal a fixé la créance de la banque au passif de la procédure collective de M. [Z] [V] à la somme de 208 159,04 euros, avec intérêts, et condamné solidairement Mme [V] et M. [Z] [Y] [V] à payer à la banque la même somme. M. et Mme [V] et M. [Z] [Y] [V] ont fait appel de cette décision et ont reproché à la banque d'avoir manqué à son obligation de mise en garde, la caution invoquant en outre la disproportion de son engagement. Par un arrêt du 31 octobre 2018, la cour d'appel de Colmar a confirmé en toutes ses dispositions le jugement déféré, sauf sur la condamnation aux dépens, qu'elle a réformée, et rejeté la demande d'annulation de son engagement de caution formée par M. [Z] [Y] [V]. Par l'arrêt du 1er juillet 2020, la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation a cassé l'arrêt de la cour d'appel de Colmar, mais seulement en ce qu'il dit que la banque n'était pas tenue d'un devoir de mise en garde envers M. et Mme [V], les parties étant renvoyées devant la cour d'appel de Besançon.
Examen des moyens
Sur le second moyen
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Et sur le premier moyen
Enoncé du moyen
6. M. et Mme [V] et M. [Z] [Y] [V] font grief à l'arrêt de déclarer M. [Z] [V] irrecevable à demander réparation d'un préjudice né d'un défaut de mise en garde et de fixer la créance de la banque au passif de sa procédure collective à la somme de 208 159,04 euros, avec intérêts au taux de 6,5 % par an sur la somme de 194 650,49 euros à compter du 27 janvier 2015, et au taux légal pour le surplus à compter de cette même date, alors :
« 1°/ qu'en vertu de l'article L. 641-9 du code de commerce, lorsqu'une instance, tendant à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent pour une cause antérieure au jugement d'ouverture de sa liquidation judiciaire, est en cours à la date de ce jugement, le débiteur a, dans ce cas, le droit propre d'exercer les voies de recours prévues par la loi contre la décision statuant sur la demande de condamnation ; que dans ce cadre, il est recevable à opposer à la prétention de la banque prêteuse une demande reconventionnelle tendant à obtenir réparation de son préjudice causé par le manquement de l'établissement de crédit à son devoir de mise en garde et, le cas échéant, à demander compensation des créances respectives des parties ; qu'en énonçant que si un débiteur placé en liquidation judiciaire peut, par exception au principe de dessaisissement, continuer à défendre lui-même dans une procédure de recouvrement de créance introduite contre lui avant la liquidation, "n'est pas assimilable à une telle défense la prétention reconventionnelle à une créance indemnitaire, qui demeure une action patrimoniale relevant du dessaisissement, même dans la perspective d'une compensation entre les créances réciproques", pour en déduire que M. [Z] [V] ne pouvait exercer l'action indemnitaire pour manquement au devoir de mise en garde contre son prêteur, pour la première fois devant la cour d'appel de Colmar saisie le 18 janvier 2017, après avoir pourtant relevé qu'il avait été placé en liquidation judiciaire par un jugement du 9 mars 2016, la cour d'appel a violé l'article L. 641-9 du code de commerce, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014 ;
2°/ que lorsque le débiteur oppose à l'action en paiement de son créancier, la responsabilité de celui-ci en sa qualité de banquier, la cour d'appel doit y répondre quelle qu'en fût la qualification procédurale, puisque les demandes reconventionnelles et les moyens de défense sont formés de la même manière à l'encontre des parties à l'instance ; qu'en énonçant que si un débiteur placé en liquidation judiciaire peut, par exception au principe de dessaisissement, continuer à défendre lui-même dans une procédure de recouvrement de créance introduite contre lui avant la liquidation, "n'est pas assimilable à une telle défense la prétention reconventionnelle à une créance indemnitaire, qui demeure une action patrimoniale relevant du dessaisissement, même dans la perspective d'une compensation entre les créances réciproques", pour en déduire que M. [Z] [V] ne pouvait exercer l'action indemnitaire pour manquement au devoir de mise en garde contre son prêteur, pour la première fois devant la cour d'appel de Colmar saisie le 18 janvier 2017, après avoir pourtant relevé qu'il avait été placé en liquidation judiciaire par un jugement du 9 mars 2016, la cour d'appel a violé l'article L. 641-9 du code de commerce dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014, ensemble les articles 64, 68 et 71 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
7. Si le débiteur dessaisi de l'administration et de la disposition de ses biens par sa liquidation judiciaire, dont les droits et actions sur son patrimoine sont exercés par le liquidateur, conserve le droit propre de défendre aux instances relatives à la détermination de son passif et d'exercer un recours contre les décisions fixant, après reprise d'une instance en cours lors du jugement d'ouverture, une créance à son passif, en revanche aucun droit propre ne fait échec à son dessaisissement pour l'exercice des actions tendant au recouvrement de ses créances ou à la mise en cause de la responsabilité d'un cocontractant. Il en résulte que si le débiteur est recevable, dans l'exercice de son droit propre, à contester la créance, objet de l'instance en cours, il n'est en revanche pas recevable à former seul, contre le créancier, à l'occasion de cette instance, une demande reconventionnelle en paiement de dommages-intérêts et en compensation des créances réciproques, qui relève du monopole du liquidateur.
8. Ayant relevé que l'arrêt de la cour d'appel de Colmar du 31 octobre 2018 n'avait été cassé qu'en ce qu'il disait que la banque n'était pas tenue d'un devoir de mise en garde, ce dont il résulte que la fixation de la créance au passif de M. [Z] [V] opérée par cet arrêt était devenue irrévocable, l'arrêt retient à bon droit qu'il est indifférent qu'un débiteur en liquidation judiciaire puisse, par exception au principe du dessaisissement, continuer à défendre lui-même dans une procédure de recouvrement de créance introduite contre lui avant la liquidation judiciaire, dès lors que n'est pas assimilable à une telle défense la prétention reconventionnelle à une créance indemnitaire, qui demeure une action patrimoniale relevant du dessaisissement, même dans la perspective d'une compensation entre les créances réciproques, et en déduit exactement que M. [Z] [V] est dépourvu de qualité à exercer l'action indemnitaire.
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [Z] [V], Mme [K], épouse [V], et M. [Z] [Y] [V] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [Z] [V], Mme [K], épouse [V], et M. [Z] [Y] [V], rejette la demande de la société Caisse de crédit mutuel [Localité 4] dirigée contre M. [Z] [V] et condamne Mme [K], épouse [V], et M. [Z] [Y] [V] à payer à la société Caisse de crédit mutuel [Localité 4] la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze juin deux mille vingt-trois.