La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

10/02/2022 | CANADA | N°2022CSC3

Canada | Canada, Cour suprême, 10 février 2022, R. c. Ste-Marie, 2022 CSC 3


COUR SUPRÊME DU CANADA


 
Référence : R. c. Ste-Marie, 2022 CSC 3

 

 
Appel entendu : 10 février 2022
Jugement rendu : 10 février 2022
Dossier : 39381


 
Entre :
 
Sa Majesté la Reine
Appelante
 
et
 
Mélanie Ste-Marie, Michel Ste-Marie, Dax Ste-Marie et Richard Felx
Intimés
 
- et -
 
Procureur général de l’Ontario, Criminal Lawyers’ Association (Ontario) et Association québécoise des avocats et avocates de la défense
Intervenants
 
 
Coram : Le juge en chef Wagne

r et les juges Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin, Kasirer et Jamal
 


Jugement unanime lu par :
(par. 1 à 14)
 

Le juge Kasirer


 







Note : Ce documen...

COUR SUPRÊME DU CANADA

 
Référence : R. c. Ste-Marie, 2022 CSC 3

 

 
Appel entendu : 10 février 2022
Jugement rendu : 10 février 2022
Dossier : 39381

 
Entre :
 
Sa Majesté la Reine
Appelante
 
et
 
Mélanie Ste-Marie, Michel Ste-Marie, Dax Ste-Marie et Richard Felx
Intimés
 
- et -
 
Procureur général de l’Ontario, Criminal Lawyers’ Association (Ontario) et Association québécoise des avocats et avocates de la défense
Intervenants
 
 
Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin, Kasirer et Jamal
 

Jugement unanime lu par :
(par. 1 à 14)
 

Le juge Kasirer

 

Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.
 

 

 

 
 
 
Sa Majesté la Reine                                                                                       Appelante
c.
Mélanie Ste-Marie,
Michel Ste-Marie,
Dax Ste-Marie et
Richard Felx                                                                                                      Intimés
et
Procureur général de l’Ontario,
Criminal Lawyers’ Association (Ontario) et
Association québécoise des avocats et avocates de la défense               Intervenants
Répertorié : R. c. Ste-Marie
2022 CSC 3
No du greffe : 39381.
2022 : 10 février.
Présents : Le juge en chef Wagner et les juges Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin, Kasirer et Jamal.
en appel de la cour d’appel du québec
                    Droit constitutionnel — Charte des droits — Procès dans un délai raisonnable — Réexamen du caractère déraisonnable des délais en appel — Mesure transitoire exceptionnelle — Conclusion du juge de première instance portant que le droit des accusés d’être jugés dans un délai raisonnable a été violé, mais que l’arrêt des procédures n’est pas une réparation appropriée puisque le délai n’a pas porté préjudice aux accusés — Annulation par la Cour d’appel des déclarations de culpabilité et arrêt des procédures ordonné suite au refus de la Cour d’appel de revoir l’évaluation des délais faite par le juge de première instance — Arrêt des procédures annulé.
Jurisprudence
                    Arrêts mentionnés : R. c. Jordan, 2016 CSC 27, [2016] 1 R.C.S. 631; R. c. Rahey, 1987 CanLII 52 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 588; R. c. Morin, 1992 CanLII 89 (CSC), [1992] 1 R.C.S. 771; R. c. Bryant, 2021 QCCA 1807; R. c. Askov, 1990 CanLII 45 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 1199; R. c. Cody, 2017 CSC 31, [2017] 1 R.C.S. 659; R. c. Rice, 2018 QCCA 198, 44 C.R. (7th) 83.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 11b), 24(1).
Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46, art. 655.
                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec (les juges Levesque, Healy et Hamilton), 2020 QCCA 1118, 394 C.C.C. (3d) 18, [2020] AZ‑51705891, [2020] Q.J. No. 5730 (QL), 2020 CarswellQue 8864 (WL Can.), qui a annulé les déclarations de culpabilité prononcées contre les accusés et ordonné un arrêt des procédures. Pourvoi accueilli.
                    Magalie Cimon, Émilie Robert et Geneviève Gravel, pour l’appelante.
                    Marie‑Pier Boulet et Marie‑Ève Landry, pour les intimés Mélanie Ste‑Marie, Dax Ste‑Marie et Richard Felx.
                    Sherif Foda et Frank Addario, pour l’intimé Michel Ste‑Marie.
                    Michael Fawcett, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.
                    Erin Dann et Daniel Goldbloom, pour l’intervenante Criminal Lawyers’ Association (Ontario).
                    Louis Belleau et Antoine Grondin‑Couture, pour l’intervenante l’Association québécoise des avocats et avocates de la défense.
                    Le jugement de la Cour a été rendu oralement par
[1]               Le juge Kasirer — Le ministère public se pourvoit à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel du Québec qui casse quatre déclarations de culpabilité et ordonne, au profit des intimés, un arrêt des procédures en raison d’une violation de leur droit d’être jugés dans un délai raisonnable. L’appelant demande l’annulation de l’arrêt des procédures et le renvoi du dossier à la Cour d’appel afin que cette dernière tranche les neuf moyens d’appel qu’elle a choisi de ne pas aborder, jugeant qu’il serait inutile de le faire dans les circonstances.
[2]               Le 14 septembre 2009, les intimés ont été accusés de recyclage de produits de la criminalité, de complot et de gangstérisme. En 2014 et 2015, ils déposent des requêtes en arrêt des procédures en vertu de l’al. 11b) et du par. 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés. Le 17 septembre 2015 — avant que notre Cour ne rende l’arrêt R. c. Jordan, 2016 CSC 27, [2016] 1 R.C.S. 631 — la Cour du Québec rejette les requêtes, estimant que l’arrêt des procédures n’était pas une réparation appropriée. Ayant conclu à un délai de 77 mois entre les inculpations et la fin projetée du procès, le juge conclut à une violation de l’al. 11b) de la Charte. Toutefois, il refuse d’ordonner l’arrêt des procédures au motif que le délai n’a pas porté préjudice aux accusés. Sur ce point, le juge décide : « il y a autant de préjudices découlant de l’accusation, et non pas du délai déraisonnable » et conclut qu’il existe un intérêt social « certain et primordial » à voir les accusés subir leur procès (motifs de la Cour du Québec, d.a., vol. I, p. 60). Le jugement de culpabilité est rendu le 22 juin 2016.
[3]               De l’avis de la Cour d’appel, le juge n’avait d’autre choix que d’ordonner l’arrêt des procédures après avoir constaté une violation de l’al. 11b) (citant R. c. Rahey, 1987 CanLII 52 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 588). La Cour d’appel refuse de revoir les motifs du juge de première instance quant à la violation de l’al. 11b), estimant que le dossier d’appel n’était pas suffisamment complet pour lui permettre de déterminer si l’évaluation des délais par le juge était inadéquate ou erronée.
[4]               Devant notre Cour, le ministère public reconnaît que le juge de première instance a commis une erreur, mais est d’avis que cette erreur n’était pas déterminante quant au résultat. Il soutient que la Cour d’appel a erré en ordonnant l’arrêt des procédures en se fondant sur la conclusion erronée et prématurée du juge de première instance que l’al. 11b) avait été violé.
[5]               Avec égards, le juge de première instance a erré en évaluant le préjudice subi par les accusés au stade du remède, plutôt que d’en tenir compte pour déterminer si l’al. 11b) avait été violé, selon les critères applicables à l’époque énoncés dans R. c. Morin, 1992 CanLII 89 (CSC), [1992] 1 R.C.S. 771. Toutefois, malgré cette erreur, une analyse fonctionnelle de ses motifs démontre qu’il a tenu compte des facteurs pertinents et qu’il est parvenu à la bonne conclusion, soit le rejet des requêtes en arrêt des procédures. En effet, bien qu’il se soit trompé quant à l’étape de l’analyse où le préjudice devait être pris en compte, son refus d’ordonner l’arrêt des procédures permet néanmoins de conclure que l’al. 11b) n’a pas été violé selon les critères de l’arrêt Morin. La Cour d’appel a omis de faire ce constat (par. 17‑18).
[6]               Dans les circonstances, nous sommes tous d’avis que la Cour d’appel avait tort d’ordonner l’arrêt des procédures que le juge a lui‑même refusé.
[7]               En tout respect, la Cour d’appel a erré en refusant de réexaminer le caractère déraisonnable des délais au motif que le dossier qui lui était présenté était incomplet. En appel, le ministère public a produit une liste d’admissions des parties, déposée par les parties en première instance en vertu de l’art. 655 du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46, qui contenait une chronologie détaillée des faits et dont la Cour d’appel n’a aucunement analysé le contenu. Nous sommes d’avis que la preuve au dossier permettait aux juges d’appel de faire cette analyse. Notons qu’aucune liste d’admissions des parties ne faisait partie des dossiers d’appel dans les affaires sur lesquelles la Cour d’appel s’est appuyée, au par. 14 de ses motifs, pour justifier son refus de réexaminer les délais en l’espèce. Bien qu’un tribunal ne soit pas lié par les admissions de droit, un exposé commun peut se révéler utile en appel et contribuer à réduire les délais qui sont à l’origine de l’atteinte alléguée par un accusé (voir, par ex., R. c. Bryant, 2021 QCCA 1807, par. 3).
[8]               La preuve au dossier permet de constater que les intimés ont causé directement la majeure partie des délais dont ils se plaignent et qu’ils se sont efforcés de faire dérailler le procès en présentant de multiples demandes, requêtes, et appels interlocutoires — infructueux pour la plupart. Ces délais sont largement mais pas exclusivement imputables à la défense et doivent être soustraits du délai total.
[9]               De plus, les intimés ont causé des délais supplémentaires en insistant pour qu’un certain procureur les représente malgré un conflit d’intérêts évident. En 2011, le juge d’enquête préliminaire a conclu que Mélanie et Dax Ste‑Marie ne pouvaient être représentés par le même avocat. Par conséquent, ils ont dû se représenter eux‑mêmes. Malgré le conflit d’intérêts, ils ont continué d’insister pour que le procureur de leur père, Michel Ste‑Marie, les représente tous les trois. Ils ont maintenu cette position pendant plus de deux ans. Cette ligne de conduite était manifestement intenable et elle a causé un retard supplémentaire.
[10]            Notre conclusion est la même en ce qui concerne Richard Felx. Bien que le conflit d’intérêts ne le concernât pas directement, il ne s’est jamais montré préoccupé par les délais causés par ses coaccusés. De plus, la poursuite lui a offert à plusieurs reprises de tenir sa propre enquête préliminaire, mais il a toujours refusé.
[11]            L’arrêt Jordan nous rappelle le principe, applicable en l’espèce, selon lequel la défense ne doit pas être autorisée à profiter de sa propre conduite à l’origine du délai ou de ses tactiques dilatoires (par. 60 et 63; voir Morin, p. 802; R. c. Askov, 1990 CanLII 45 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 1199, p. 1227‑1228).
[12]            L’appelant soutient qu’une fois les déductions faites, le délai net s’élève à tout au plus 35 mois (m.a., par. 41). Les intimés Mélanie Ste‑Marie, Dax Ste‑Marie et Richard Felx réfèrent à ce même calcul dans leur mémoire (m.i., par. 37).
[13]            Tenant pour acquis, aux fins de la discussion, que le délai résiduel dépasse le plafond fixé par l’arrêt Jordan, la présomption de caractère déraisonnable peut être renversée au moyen de la mesure transitoire exceptionnelle (Jordan, par. 96‑97). La mesure transitoire exceptionnelle peut s’appliquer dans les cas où il est démontré que « le temps qui s’est écoulé est justifié du fait que les parties se sont raisonnablement conformées au droit tel qu’il existait au préalable » (R. c. Cody, 2017 CSC 31, [2017] 1 R.C.S. 659, par. 68). Dans R. c. Rice, 2018 QCCA 198, 44 C.R. (7th) 83, par. 202, le juge Vauclair souligne que, à cette fin, le tribunal peut examiner le comportement des accusés : « [l]’absence d’empressement est un indice du peu de préoccupation de l’accusé à l’égard des délais et peut servir à évaluer le préjudice ». Cela rejoint la détermination factuelle du juge de première instance en l’espèce qui constate que le préjudice dont les intimés se plaignent ne découle pas du délai. Dans les circonstances, en application de la mesure transitoire exceptionnelle désignée dans Jordan, il y a lieu de conclure que l’al. 11b) de la Charte n’a pas été violé et le juge de première instance avait raison de rejeter les requêtes pour arrêt des procédures.
[14]            Pour ces motifs, nous sommes d’avis d’accueillir l’appel, d’annuler l’arrêt des procédures, et de renvoyer l’affaire devant une nouvelle formation de la Cour d’appel du Québec pour l’examen des autres moyens d’appel qui restent en suspens.
                    Jugement en conséquence.
                    Procureur de l’appelante : Directeur des poursuites criminelles et pénales, Montréal.
                    Procureurs des intimés Mélanie Ste‑Marie, Dax Ste‑Marie et Richard Felx : BMD Avocats inc., Laval.
                    Procureurs de l’intimé Michel Ste‑Marie : Sherif Foda, Toronto; Addario Law Group, Toronto.
                    Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario : Procureur général de l’Ontario, Toronto.
                    Procureurs de l’intervenante Criminal Lawyers’ Association (Ontario) : Embry Dann, Toronto; Goldbloom Law, Toronto.
                    Procureurs de l’intervenante l’Association québécoise des avocats et avocates de la défense : Louis Belleau Avocat, Montréal.


Synthèse
Référence neutre : 2022CSC3 ?
Date de la décision : 10/02/2022

Analyses

arrêt des procédures ; première instance ; mesure transitoire exceptionnelle ; admissions des parties ; preuve au dossier ; ministère public ; caractère déraisonnable ; enquête préliminaire ; porté préjudice ; accusation ; intimés ; refusé ; violation ; annulation ; violé ; procès


Parties
Demandeurs : R.
Défendeurs : Ste-Marie
Proposition de citation de la décision: Canada, Cour suprême, 10 février 2022, R. c. Ste-Marie, 2022 CSC 3


Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: CAIJ
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2022-02-10;2022csc3 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award