COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : Renvoi relatif à la Loi sur la radiodiffusion,
Date : 20120209
Dossier : 33884
DANS L’AFFAIRE intéressant la Loi sur la radiodiffusion, L.C. 1991, ch. 11;
ET DANS L’AFFAIRE DE la Politique réglementaire de radiodiffusion
CRTC 2009‑329 du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications
canadiennes et l’ordonnance de radiodiffusion CRTC 2009‑452;
ET DANS L’AFFAIRE d’une demande introduite sous forme de renvoi à la
Cour d’appel fédérale en vertu des par. 18.3(1) et 28(2) de la
Loi sur les cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7.
Alliance of Canadian Cinema, Television and Radio Artists,
Association canadienne de production des médias,
Guilde canadienne des réalisateurs et Writers Guild of Canada
Appelantes
c.
Bell Aliant Communications régionales, société en commandite, Bell Canada,
Cogeco Câble Inc., MTS Allstream Inc., Rogers Communications Inc.,
Société TELUS Communications, Vidéotron Ltée et Shaw Communications Inc.
Intimées
- et -
Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes
Intervenant
Traduction française officielle
Coram : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Rothstein, Cromwell, Moldaver et Karakatsanis
Motifs de jugement :
(par. 1 à 11)
La Cour
Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.
renvoi relatif à la loi sur la radiodiffusion
DANS L’AFFAIRE intéressant la Loi sur la radiodiffusion, L.C. 1991, ch. 11;
ET DANS L’AFFAIRE DE la Politique réglementaire de radiodiffusion CRTC 2009‑329 du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes et l’ordonnance de radiodiffusion CRTC 2009‑452;
ET DANS L’AFFAIRE d’une demande introduite sous forme de renvoi à la Cour d’appel fédérale en vertu des par. 18.3(1) et 28(2) de la Loi sur les cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7.
Alliance of Canadian Cinema, Television and Radio Artists,
Association canadienne de production des médias,
Guilde canadienne des réalisateurs et Writers Guild of Canada Appelantes
c.
Bell Aliant Communications régionales, société en commandite,
Bell Canada, Cogeco Câble Inc., MTS Allstream Inc.,
Rogers Communications Inc., Société TELUS Communications,
Vidéotron Ltée et Shaw Communications Inc. Intimées
et
Conseil de la radiodiffusion et des
télécommunications canadiennes Intervenant
Répertorié : Renvoi relatif à la Loi sur la radiodiffusion
No du greffe : 33884.
2012 : 16 janvier; 2012 : 9 février
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Rothstein, Cromwell, Moldaver et Karakatsanis.
en appel de la cour d’appel fédérale
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel fédérale (les juges Noël, Nadon et Dawson), 2010 CAF 178, 322 D.L.R. (4th) 337,404 N.R. 305, [2010] A.C.F. no 849 (QL), 2010 CarswellNat 3295, dans l’affaire d’un renvoi par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes relativement à la Loi sur la radiodiffusion. Pourvoi rejeté.
Thomas G. Heintzman, c.r., et Bram Abramson, pour les appelantes.
John B. Laskin, Yousuf Aftab et Nicole Mantini, pour les intimées Bell Aliant Communications régionales et autres.
Nicholas McHaffie et Dean Shaikh, pour l'intimée Shaw Communications Inc.
Version française du jugement rendu par
La Cour —
[1] Dans un rapport datant de 1999, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (le « CRTC ») concluait que le terme « radiodiffusion » employé au par. 2(1) de la Loi sur la radiodiffusion, L.C. 1991, ch. 11, englobait la transmission d’émissions à des utilisateurs finaux par Internet. Il jugeait inutile, à cette époque, de réglementer les entreprises de radiodiffusion qui fournissaient leurs services de radiodiffusion grâce à Internet. Il a donc soustrait ces « entreprises de radiodiffusion de nouveaux médias » à l’application des exigences de la Loi sur la radiodiffusion. En 2008, à l’issue d’audiences publiques, le CRTC s’est penché sur l’opportunité du maintien de cette exemption. L’une des questions examinées était celle de savoir si les fournisseurs de services Internet — les FSI — étaient assujettis à la Loi sur la radiodiffusion lorsqu’ils permettaient aux utilisateurs finaux d’avoir accès à la radiodiffusion au moyen d’Internet. Le CRTC a alors soumis la question à la Cour d’appel fédérale dans le cadre d’un renvoi (2010 CAF 178, 322 D.L.R. (4th) 339). La question précise à trancher était la suivante:
Les fournisseurs de services Internet (FSI) de détail exploitent‑ils, en tout ou en partie, des « entreprises de radiodiffusion » assujetties à la Loi sur la radiodiffusion, lorsque, conformément à leur rôle comme FSI, ils fournissent l’accès par Internet à la « radiodiffusion » demandée par les utilisateurs finaux?
[2] Les FSI mettent à la disposition de leurs abonnés routeurs et autres éléments d’infrastructure qui donnent accès au contenu et aux services offerts sur Internet, y compris de la programmation sonore et audiovisuelle provenant de fournisseurs de contenu, lesquels comptent sur les FSI pour la transmission de leur contenu par Internet aux utilisateurs finaux. Les FSI qui n’agissent qu’à ce titre ne sont pas à l’origine de la programmation ou des services y afférents, pas plus qu’ils ne les choisissent ou qu’ils ne les offrent sous forme de forfaits. Le juge Noël de la Cour d’appel fédérale statue que les FSI n’agissant qu’à ce titre n’exploitent pas d’« entreprises de radiodiffusion ».
[3] Pour les motifs qu’invoque le juge Noël, nous convenons avec lui, eu égard au contexte du libellé de la Loi sur la radiodiffusion et vu l’objet de celle‑ci, que les termes « radiodiffusion » et « entreprise de radiodiffusion » ne sont pas censés assujettir l’entité qui ne fournit que le moyen de transmission.
[4] Suivant l’article 2 de la Loi sur la radiodiffusion, « radiodiffusion » s’entend de la « [t]ransmission, à l’aide d’ondes radioélectriques ou de tout autre moyen de télécommunication, d’émissions [. . .] destinées à être reçues par le public ». Il appert clairement de Loi que les « entreprises de radiodiffusion » peuvent jusqu’à un certain point décider du contenu de leurs émissions. Le paragraphe 2(3) dispose que « l’interprétation et l’application de la [Loi] doivent se faire de manière compatible avec la liberté d’expression et l’indépendance, en matière de journalisme, de création et de programmation, dont jouissent les entreprises de radiodiffusion ». Aussi, les objectifs énoncés au par. 3(1) de la Loi s’attachent au contenu (enrichissement culturel du Canada, promotion du contenu canadien, offre d’une programmation originale de haute qualité, variété de la programmation, etc.).
[5] Le FSI qui se contente de fournir le moyen de transmission ne peut contribuer à la réalisation de ces objectifs. Il permet à l’utilisateur final d’avoir accès à Internet, et lorsqu’il fournit cet accès, ce qui constitue son seul rôle visé par la question soumise dans le renvoi, il ne participe aucunement à la sélection et à la création de contenu et à sa mise à disposition sous forme de forfaits. Le juge Noël affirme avec raison que le terme « entreprise de radiodiffusion » ne vise pas l’entité qui ne joue aucun rôle dans la réalisation des objectifs de la politique énoncée dans la Loi sur radiodiffusion.
[6] Cette interprétation du terme « entreprise de radiodiffusion » est compatible avec Electric Despatch Co. of Toronto c. Bell Telephone Co. of Canada (1891), 20 R.C.S. 83, une affaire dans laquelle la Cour était appelée à interpréter le verbe « transmettre » employé dans un contrat d’exclusivité en matière de services de messagerie. Comme les FSI dans la présente affaire, Bell Telephone ignorait la nature de la communication transmise grâce à ses fils et n’exerçait aucune influence sur elle. La Cour devait déterminer si l’action de « transmettre » pouvait être le fait d’une entité qui fournissait seulement le moyen de transmission. Elle a conclu que seul l’expéditeur véritable du message pouvait être considéré comme celui qui le [traduction] « transmet » (à la p. 91):
[traduction] Seule la personne qui dit le message, lequel est transmis par les fils, peut être considérée comme la personne qui « transmet » le message. On ne peut dire des propriétaires des fils électriques, qui ignorent tout de la nature du message devant être transmis, qu’ils transmettent . . . un message dont ils ignorent la teneur. [Nous soulignons.]
[7] Dans Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Assoc. canadienne des fournisseurs Internet, 2004 SCC 45, [2004] 2 R.C.S. 427, une affaire intéressant la Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. 1985, ch. C‑42, la Cour a invoqué l’arrêt Electric Despatch. Elle a estimé que dans la mesure où ils ne servaient que d’agents pour permettre la communication de données provenant de tiers, on ne pouvait conclure que les FSI communiquaient eux‑mêmes ces données.
[8] En l’espèce, les appelantes soutiennent que nous devons plutôt nous appuyer sur l’arrêt Capital Cities Communications Inc. c. Le Conseil de la Radio‑Télévision canadienne, [1978] 2 R.C.S. 141. Dans cette affaire où la Cour a statué en fonction de la version de la Loi sur la radiodiffusion en vigueur en 1968, le CRTC avait modifié la licence de Rogers Cable pour lui permettre de supprimer les annonces publicitaires dans les émissions de télévision américaines qu’elle recevait et de les remplacer par d’autres avant la diffusion aux abonnés. Les radiodiffuseurs américains prétendaient que la Loi sur la radiodiffusion outrepassait la compétence du Parlement en ce qu’elle visait à réglementer des systèmes entièrement situés à l’intérieur des limites d’une province. Ils tentaient notamment de dissocier la réception des signaux de télévision de leur transmission ou retransmission dans une province donnée. La Cour a statué qu’il s’agissait d’un « système unique » ressortissant à la compétence fédérale, et elle a rejeté leur thèse. Les appelantes font valoir devant notre Cour que, de la même façon, les FSI font partie d’un système unique de radiodiffusion soumis à la Loi sur la radiodiffusion.
[9] À l’instar du juge Noël, nous ne croyons pas que l’arrêt Capital Cities étaye la thèse des appelantes. Dans cette affaire, la question était celle de savoir si Rogers Cable pouvait supprimer les messages publicitaires de signaux de télévision américains et les remplacer par d’autres. Nul ne remettait en cause le fait que les câblodistributeurs décidaient du contenu. Or, les FSI n’ont pas cette faculté de décider du contenu de la programmation offerte sur Internet.
[10] Contrairement à ce que prétendent les appelantes, nous n’avons pas à décider si l’utilisation de « routeurs » par les FSI fait obstacle à leur assimilation à des entreprises de télécommunication au sens de la Loi sur les télécommunications, L.C. 1993, ch. 38. Le juge Noël n’était pas saisi de la question de savoir si les FSI constituent de telles entreprises au sens de cette loi. À la lumière du dossier, nous ne jugeons pas non plus opportun de le faire.
[11] Nous sommes donc d’accord avec la réponse du juge Noël à la question posée dans le renvoi, à savoir que les FSI n’exploitent pas d’« entreprises de radiodiffusion » assujetties à la Loi sur la radiodiffusion lorsque, conformément à leur rôle de FSI, ils fournissent l’accès par Internet à la « radiodiffusion » demandée par les utilisateurs finaux. Nous sommes par conséquent d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens.
Pourvoi rejeté.
Procureurs des appelantes : McCarthy Tétrault, Toronto.
Procureurs des intimées Bell Aliant Communications régionales et autres : Torys, Toronto.
Procureurs de l’intimée Shaw Communications Inc. : Stikeman Elliott, Ottawa.