COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : R. c. Beaulieu, 2010 CSC 7, [2010] 1 R.C.S. 248
Date : 20100225
Dossier : 33181
Entre :
Sa Majesté la Reine
Appelante
et
Georges Beaulieu
Intimé
Traduction française officielle
Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Charron et Cromwell
Motifs de jugement :
(par. 1 à 9)
La juge Charron (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish et Cromwell)
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R. c. Beaulieu, 2010 CSC 7, [2010] 1 R.C.S. 248
Sa Majesté la Reine Appelante
c.
Georges Beaulieu Intimé
Répertorié : R. c. Beaulieu
No du greffe : 33181.
2010 : 12 janvier; 2010 : 25 février.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Charron et Cromwell.
en appel de la cour d’appel du québec
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec (les juges Gendreau, Dalphond et Côté), 2009 QCCA 797, [2009] J.Q. no 3803 (QL), 2009 CarswellQue 3887, qui a annulé la déclaration de culpabilité de l’accusé. Pourvoi accueilli.
Magalie Cimon et Henri‑Pierre La Brie, pour l’appelante.
Michel Dussault, Christian Raymond et Alexandre Boucher, pour l’intimé.
Version française du jugement de la Cour rendu par
[1] La juge Charron — Il s’agit d’un pourvoi formé de plein droit par le ministère public à l’égard de la question de savoir si la juge du procès a commis une erreur en refusant d’écarter un élément de preuve en application du par. 24(2) de la Charte canadienne des droits et libertés. À notre avis, les juges majoritaires de la Cour d’appel du Québec ont fait erreur en infirmant sa décision d’admettre la preuve. Nous sommes d’avis d’accueillir le pourvoi du ministère public et de rétablir la déclaration de culpabilité.
[2] Les faits pertinents sont exposés en détail dans les décisions des instances inférieures; il suffit maintenant de les examiner brièvement. L’intimé, Georges Beaulieu, a été reconnu coupable d’avoir eu, en contravention de l’art. 95 du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, en sa possession une arme à feu prohibée chargée. Celle‑ci a été découverte dans un compartiment secret de sa voiture lors d’une enquête approfondie sur le trafic de drogue. Dans le cadre de l’opération, des agents de la GRC de Montréal ont obtenu une autorisation leur permettant d’intercepter les conversations privées de M. Beaulieu. Au cours de l’installation du dispositif d’écoute dans sa voiture, deux policiers ont découvert des interrupteurs électriques cachés sous le tableau de bord. Ils ont suivi les fils électriques et se sont aperçus qu’ils menaient au centre de la console. Ils ont démantelé la console et ont découvert un compartiment secret contenant un étui en cuir. Ils ont alors arrêté l’installation et ont avisé leur supérieur, qui a ouvert l’étui pour y trouver une arme à feu chargée. Pour ne pas compromettre l’enquête en cours, les policiers ont rendu l’arme inutilisable et l’ont remise à sa place dans la voiture. Un an plus tard, M. Beaulieu a été accusé de cette infraction.
[3] L’arme à feu n’a jamais été retrouvée et n’a donc pas été présentée en preuve au procès à la Cour du Québec, mais M. Beaulieu a contesté l’admissibilité du témoignage sur la découverte de l’arme. La juge du procès estimait que la fouille n’avait pas été effectuée « dans le but d’installer l’appareil, de s’assurer de leur sécurité ou encore d’assurer la protection de leur méthode d’enquête » (dossier de l’appelante, vol. IV, p. 85). Au contraire, lors de la fouille, pris par surprise par la découverte des fils électriques et du compartiment secret, les policiers avaient renoncé au plan d’installer un dispositif d’écoute. Par conséquent, la fouille dépassait le cadre de l’autorisation judiciaire et contrevenait à l’art. 8 de la Charte. Cette conclusion n’a pas été portée en appel. Il n’est pas contesté que l’autorisation judiciaire ne donnait pas carte blanche aux policiers pour qu’ils fouillent le véhicule d’une manière ou dans un but qui excédaient les pouvoirs conférés par l’ordonnance judiciaire.
[4] La juge du procès a toutefois refusé d’écarter l’élément de preuve en application du par. 24(2), essentiellement au motif que les policiers ne croyaient pas outrepasser les pouvoirs que leur accordait l’autorisation et qu’ils n’avaient pas fait preuve d’un mépris flagrant pour les droits garantis à M. Beaulieu par la Charte. Le juge Gendreau, au nom de la majorité de la Cour d’appel, a accueilli l’appel et annulé la déclaration de culpabilité : 2009 QCCA 797 (CanLII). La juge Côté, dissidente, aurait rejeté l’appel.
[5] La majorité de la Cour d’appel a commis une erreur en revoyant la façon dont la juge du procès a apprécié les facteurs pertinents pour l’analyse fondée sur le par. 24(2). Dans R. c. Grant, 2009 CSC 32, [2009] 2 R.C.S. 353, la Cour a réaffirmé qu’il convient de faire preuve d’une « retenue considérable » à l’égard de l’appréciation que fait le juge du procès, en application du par. 24(2), des éléments dont l’utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice, eu égard aux circonstances (par. 86). En l’espèce, la juge du procès a pris en compte les éléments qu’il fallait et n’a tiré aucune conclusion déraisonnable. Pour ce qui est de la conclusion de la juge du procès que la violation de la Charte se trouvait parmi les moins graves — aspect central pour l’analyse compte tenu des faits de l’espèce — la juge dissidente a correctement fait observer qu’« [e]n examinant la gravité de la violation, elle a pris en considération un ensemble de facteurs. Il ne s’agit pas d’une appréciation factuelle déraisonnable pas plus qu’une analyse révélant une erreur manifeste et dominante » (par. 53). Sa décision mérite qu’on fasse preuve de retenue à son égard.
[6] Ni la juge du procès ni la Cour d’appel ne disposaient de l’arrêt Grant de la Cour, qui a établi un nouvel examen en trois points pour déterminer si l’admission d’un élément de preuve est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice : (1) la gravité de la conduite attentatoire, (2) l’incidence de la violation sur les droits de l’accusé garantis par la Charte et (3) l’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond. L’application du raisonnement adopté dans Grant n’influe pas en l’espèce sur la décision fondée sur le par. 24(2).
[7] Premièrement, comme la Cour l’a fait observer dans Grant, les facteurs d’analyse n’ont pas changé : « Bien qu’elles ne recoupent pas exactement les catégories élaborées dans Collins, ces questions visent les facteurs pertinents pour trancher une demande fondée sur le par. 24(2), tels qu’ils ont été formulés dans Collins et dans la jurisprudence subséquente » (par. 71, citant R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265).
[8] Deuxièmement, il ressort clairement des motifs de la juge du procès que l’application des trois facteurs énoncés dans Grant aurait milité en faveur de l’admission de la preuve. Comme nous l’avons mentionné, les conclusions de la juge du procès au sujet de la gravité de la violation étaient primordiales en l’espèce, et elles conservent toute leur pertinence dans l’approche adoptée dans Grant. Pour ce qui est de l’incidence de la violation, la juge du procès a pris en considération le droit restreint de M. Beaulieu au respect de sa vie privée en ce qui concerne sa voiture, ainsi que la portée limitée et le caractère peu attentatoire de la fouille. Quant à l’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond, elle a conclu que la preuve était cruciale pour la thèse du ministère public. Il est également indéniable qu’un pistolet est un élément de preuve fiable.
[9] Le pourvoi est accueilli. La décision de la Cour d’appel est annulée et la déclaration de culpabilité est rétablie.
Pourvoi accueilli.
Procureur de l’appelante : Directeur des poursuites criminelles et pénales du Québec, Longueuil.
Procureurs de l’intimé : Dussault, Raymond, Poliquin, Sherbrooke.