COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : Burke c. Cie de la Baie d'Hudson, 2010 CSC 34, [2010] 2 R.C.S. 273
Date : 20101007
Dossier : 32789
Entre :
Peter Christopher Burke, Richard Fallis et A. Douglas Ross
agissant en leur qualité personnelle et en leur qualité de représentants
Appelants
et
Gouverneur et Compagnie des aventuriers d'Angleterre faisant le commerce dans la Baie d'Hudson et la Compagnie de Fiducie du Groupe Investors Ltée
Intimés
Traduction française officielle
Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron, Rothstein et Cromwell
Motifs de jugement :
(par. 1 à 97)
Le juge Rothstein (avec l'accord de la juge en chef McLachlin et des juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron, et Cromwell)
______________________________
Burke c. Cie de la Baie d'Hudson, 2010 CSC 34, [2010] 2 R.C.S. 273
Peter Christopher Burke, Richard Fallis et
A. Douglas Ross, agissant en leur qualité personnelle
et en leur qualité de représentants Appelants
c.
Gouverneur et Compagnie des aventuriers d'Angleterre faisant
le commerce dans la Baie d'Hudson et la Compagnie de Fiducie
du Groupe Investors Ltée Intimés
Répertorié : Burke c. Cie de la Baie d'Hudson
No du greffe : 32789.
2010 : 18 mai; 2010 : 7 octobre.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron, Rothstein et Cromwell.
en appel de la cour d'appel de l'ontario
POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario (les juges Doherty, Weiler et Gillese), 2008 ONCA 394, 236 O.A.C. 140, 67 C.C.P.B. 1, 40 E.T.R. (3d) 157, [2008] O.J. No. 1945 (QL), 2008 CarswellOnt 2801, qui a infirmé en partie une décision du juge Campbell (2005), 51 C.C.P.B. 66, 25 E.T.R. (3d) 161, 2005 CanLII 47086, [2005] O.J. No. 5434 (QL), 2005 CarswellOnt 7334. Pourvoi rejeté.
David C. Moore et Kenneth G. G. Jones, pour les appelants.
J. Brett Ledger, Christopher P. Naudie et Craig T. Lockwood, pour les intimés.
Version française du jugement de la Cour rendu par
Le juge Rothstein —
I. Introduction
[1] Le pourvoi découle de la vente d'une division de la Compagnie de la Baie d'Hudson (« HBC ») à la Compagnie du Nord‑Ouest (« CNO »). Au moment de la vente, les employés de la division n'ont pas été mis à pied; ils ont été mutés à CNO, et leur régime de retraite a été garanti. Les employés mutés ont été dissociés du régime de retraite de HBC et ont intégré un régime subséquent, créé à ce moment. Lors du transfert, le régime de HBC affichait un excédent projeté. HBC a transféré suffisamment d'éléments d'actif de la caisse de retraite pour financer les prestations déterminées des employés mutés, mais a conservé l'excédent.
[2] Les employés mutés soutiennent que l'employeur a manqué à son devoir fiducial d'accorder un traitement égalitaire à tous les participants au régime de retraite. Selon eux, HBC était tenue au transfert d'une portion de l'excédent projeté au régime subséquent et son défaut d'y procéder a donné lieu à un traitement inégal : les employés demeurés en poste chez HBC ont bénéficié d'un régime excédentaire, contrairement aux employés mutés. Subsidiairement, les employés mutés font valoir que HBC a imputé à tort les frais d'administration du régime à la caisse de retraite pendant une période d'environ six ans précédant le transfert.
[3] Dans les motifs qui suivent, je rejette les deux moyens d'appel soulevés par les employés mutés. Je conclus que les documents relatifs au régime de retraite autorisaient HBC à prélever les frais d'administration du régime sur la caisse de retraite. Je conclus également que HBC n'était pas tenue de transférer une portion de l'excédent, déterminée au prorata, lors de la vente. Elle a honoré ses obligations envers les employés mutés en garantissant leur régime à prestations déterminées.
[4] Pour commencer, il serait utile d'exposer la terminologie pertinente des régimes de retraite eu égard aux faits de l'espèce. HBC offrait à ses employés un régime de retraite à prestations déterminées. Ainsi, elle garantissait aux participants une prestation fixe à la retraite. Cette formule se distingue du régime à cotisations déterminées, où les prestations de retraite sont fonction des cotisations, établies par le régime, et des revenus générés par celles‑ci. Dans l'un et l'autre cas, les cotisations peuvent être versées par l'employeur et l'employé, ou par l'employeur seul. En l'espèce, à la fois HBC et les employés cotisaient au régime. La participation au régime de retraite était une condition impérative d'emploi à HBC après une période d'emploi de cinq ans. Les employés étaient tenus d'y cotiser. La cotisation de base d'un employé correspondait à 5 p. 100 de son revenu annuel. HBC versait le reste de la somme requise pour financer les prestations déterminées des employés. Le montant des cotisations de HBC était fixé par un actuaire dont les calculs s'appuyaient sur certaines hypothèses — taux d'inflation, rendement du capital investi, employés à venir, etc. Un tel exercice d'estimation se traduit fréquemment par des écarts entre l'évaluation de l'actuaire et l'état réel de la caisse de retraite.
[5] On peut dire d'une caisse de retraite qu'elle enregistre un excédent actuariel lorsque l'actuaire conclut que l'actif du régime est supérieur à son passif (c.‑à‑d. les prestations déterminées). Par contre, s'il conclut que le passif est supérieur à l'actif, la caisse est tenue pour déficitaire. À cause de la nature des avis actuariels, on dit parfois que l'excédent ou le déficit actuariel n'existe qu'en théorie. S'il est mis fin au régime de retraite, ou si le régime est liquidé, on peut comptabiliser l'actif et le passif et déterminer si la caisse est réellement déficitaire ou excédentaire. C'est pourquoi on dit parfois que l'excédent réel d'un régime ne se cristallise qu'à la date à laquelle on met fin au régime.
[6] Les droits et les obligations respectifs de l'employeur et des employés au regard des prestations déterminées, des cotisations et de l'excédent sont définis dans les documents relatifs au régime de retraite. En l'espèce, le régime est constitué par deux types de documents : le texte du régime et la convention de gestion de la caisse (aussi appelée la convention de fiducie). Dans ses motifs, la juge Gillese a décrit brièvement le rôle de chaque document (2008 ONCA 394, 236 O.A.C. 140, par. 35‑36). Pour paraphraser ses propos, le texte du régime est un contrat entre l'employeur et l'employé. Il explique le fonctionnement du régime et traite de questions telles que l'obligation de cotiser de l'employeur et des employés, les prestations déterminées et le mode d'administration du régime. Or, il n'est pas un document autonome puisqu'il ne prévoit pas l'accumulation des fonds, d'où la nécessité d'un deuxième document qui, en l'espèce, consiste en une convention de fiducie entre HBC et les fiduciaires de la caisse de retraite. Ce document a constitué en fiducie la caisse de retraite de HBC et en prévoit la continuation. J'examinerai en détail certaines dispositions du texte du régime et de la convention de fiducie dans l'analyse qui suit.
II. Les faits
[7] HBC offrait à ses employés un régime de retraite contributif à prestations déterminées (« le régime »).
[8] Le régime a été constitué en 1961. Au cours de ses vingt premières années d'existence, il accusait un déficit — l'actif de la caisse ne suffisait pas à couvrir les prestations déterminées des employés. Afin d'assurer la solvabilité du régime, HBC a versé des cotisations supplémentaires. En 1982, le régime a affiché son premier excédent actuariel, ce qui a incité HBC à s'accorder des périodes d'exonération de cotisations, son apport n'étant plus nécessaire pour couvrir le montant des prestations déterminées. L'excédent actuariel lui permettait également de payer les frais d'administration du régime à même la caisse sans entamer les fonds réservés aux prestations déterminées. En 1986, HBC a voulu retirer 35 millions de dollars de l'excédent de la caisse estimé à 76 millions de dollars. Elle a abandonné l'idée, entre autres, en raison de la réaction négative des employés.
[9] Même si les documents initiaux relatifs au régime, qui datent de 1961, précisaient à propos des cotisations de HBC qu'elles seraient [traduction] « tout à fait volontaires » et que le versement des prestations déterminées par le régime n'était pas assuré, ils prévoyaient également que HBC entendait cotiser les fonds jugés nécessaires, suivant des calculs actuariels, au versement des prestations de retraite prévues au régime (art. 4 et 11.01). Comme il est indiqué précédemment, HBC a cotisé des sommes suffisantes pour financer le régime de prestations déterminées quand ce dernier était déficitaire.
[10] En 1965, la Pension Benefits Act, 1965, S.O. 1965, ch. 96, a exigé des employeurs la capitalisation anticipée de leurs régimes de retraite à prestations déterminées afin d'en assurer le degré de solvabilité prescrit (A. N. Kaplan, Pension Law (2006), p. 43). Le paragraphe 56(1) de la Pension Benefits Act, 1987, S.O. 1987, ch. 35 (« PBA de 1987 »), en vigueur à l'époque visée par le litige, dispose :
[traduction] Un régime de retraite n'est pas admissible à l'enregistrement s'il ne prévoit pas de financement suffisant pour assurer les prestations de retraite, les prestations accessoires et les autres prestations aux termes du régime de retraite, conformément à la présente loi et aux règlements.
[11] Dans le texte du régime modifié en date du 1er janvier 1985, l'art. 4.04 prévoyait l'obligation pour HBC de cotiser des fonds suffisants pour financer les prestations déterminées prévues au régime. Suit un extrait de l'art. 4.04 :
[traduction] Au moins une fois l'an, la société cotise au régime la somme nécessaire, selon l'actuaire, pour verser aux participants les prestations de retraite accumulées pendant l'année en cours et pour amortir tout déficit actuariel ou perte actuarielle conformément aux prescriptions de la loi, compte tenu des facteurs pertinents, notamment l'actif du fonds en fiducie, ses revenus et les cotisations que sont tenus de verser les participants au cours de l'année.
[12] Ainsi, en dépit du caractère apparemment volontaire de ses cotisations à l'époque de la constitution du régime, en 1961, HBC a versé tous les fonds nécessaires pour financer le régime de prestations déterminées. Du reste, à l'art. 4.04, HBC s'était engagée expressément à financer les prestations déterminées prévues au régime, et elle y était tenue.
[13] En 1987, HBC a vendu sa division des Magasins du Nord à CNO, qui a convenu de garder à son service les employés des Magasins du Nord. Environ 1 200 employés de HBC ont donc été mutés à CNO. Dans le cadre de la vente, HBC et CNO ont conclu une entente visant à protéger le régime de retraite des employés mutés. Cette entente prévoyait la constitution, par CNO, d'un nouveau régime de retraite qui offrirait aux employés mutés des prestations [traduction] « au moins égales à celles prévues par [le régime HBC] ». HBC a consenti à transférer des éléments d'actif suffisants pour assurer les prestations déterminées des employés mutés, soit environ 12,6 millions de dollars, selon le rapport de l'actuaire.
[14] Au moment du transfert, le régime de HBC affichait un excédent actuariel important estimé à quelque 94 millions de dollars. HBC et CNO ont discuté de la possibilité de transférer une partie de cet excédent, mais HBC a laissé entendre qu'une telle transaction ferait augmenter le prix d'achat et la question n'a plus été débattue.
[15] CNO a contesté la somme transférée, faisant valoir qu'elle ne suffirait pas au versement des prestations de retraite anticipée. L'affaire a été soumise au surintendant de la Commission des régimes de retraite de l'Ontario, qui a donné raison à CNO. Cependant, à son avis, il n'avait pas compétence pour ordonner le transfert de fonds supplémentaires pour combler la différence. CNO s'est alors adressée au tribunal afin que soient déterminés les droits que lui conférait l'entente. Le juge Gotlib de la Cour de justice de l'Ontario a souscrit à la thèse de CNO et a ordonné le transfert d'une somme additionnelle de 1,27 million de dollars qui servirait au versement des prestations de retraite anticipée (North West Co. c. Hudson's Bay Co., [1991] O.J. No. 2449 (QL)).
[16] La question du transfert de l'excédent actuariel a été soumise au surintendant, qui s'est dit incompétent pour trancher les questions relatives au droit à l'excédent.
III. Décisions des juridictions inférieures
A. Cour supérieure de justice de l'Ontario (2005), 51 C.C.P.B. 66
[17] Peter Burke, Richard Fallis et A. Douglas Ross font partie des employés des Magasins du Nord qui ont été mutés à CNO. Ils ont été désignés à titre de représentants de l'ensemble des bénéficiaires du régime de retraite mutés à CNO. En leur qualité personnelle et en leur qualité de représentants, ils ont prétendu avoir droit à une partie de l'excédent actuariel qu'affichait le régime de HBC au moment du transfert. Ils ont également demandé le remboursement des frais d'administration du régime prélevés sur la caisse par HBC, de même que des fonds provenant de l'excédent actuariel dont cette dernière s'était servie pour s'accorder des périodes d'exonération de cotisations.
[18] Le juge Campbell de la Cour supérieure de justice de l'Ontario a instruit les demandes présentées par les employés mutés. Il a conclu que l'excédent du régime était assujetti aux principes de la fiducie et que les employés mutés, en tant que bénéficiaires de la fiducie, avaient un intérêt en equity dans l'excédent actuariel. Le juge Campbell a estimé que les employés demeurés en poste chez HBC auraient la chance de bénéficier d'une caisse mieux garnie, parce que HBC avait conservé la totalité de l'excédent actuariel, tandis que les employés mutés se voyaient privés de ces fonds qui auraient mieux garanti leurs prestations et qui étaient susceptibles de les bonifier. Le juge du procès a conclu que le traitement différent accordé aux bénéficiaires contrevenait à une fiducie régie par l'equity et que, pour y remédier, une partie de l'excédent actuariel devait être transférée. Les détails de cette mesure de réparation seraient déterminés une fois que les parties auraient présenté leurs observations à cet égard.
[19] Le juge Campbell a donné gain de cause à HBC sur la question des frais d'administration et, se fondant sur les principes du droit des contrats, a conclu que HBC pouvait imputer les frais d'administration du régime à la caisse de retraite. Le juge Campbell a également conclu que HBC était autorisée à s'exonérer du versement des cotisations. Il n'a pas été interjeté appel de sa conclusion sur cette dernière question.
B. Cour d'appel de l'Ontario, 2008 ONCA 394, 236 O.A.C. 140
[20] HBC s'est pourvue devant la Cour d'appel sur la question de l'excédent, et les employés mutés ont formé un appel incident sur la question des frais d'administration. Dans une décision unanime, la juge Gillese a accueilli l'appel et a rejeté l'appel incident.
[21] Au sujet de l'excédent, la juge Gillese a conclu qu'elle ne pouvait trancher cette question qu'après avoir déterminé si les employés mutés avaient un droit quelconque à l'excédent actuariel au moment du transfert. Dans la négative, HBC ne pouvait avoir eu l'obligation d'en transférer une portion. Le droit à l'excédent est une affaire d'interprétation. Après avoir analysé le libellé des documents relatifs au régime, la juge Gillese était d'avis qu'ils ne contenaient aucune des formules reconnues par les tribunaux comme conférant un droit à l'excédent aux employés. Se fondant sur plusieurs dispositions du texte du régime, la juge Gillese a conclu que les employés n'avaient droit qu'aux prestations déterminées que leur accordait le régime.
[22] La juge Gillese a souscrit à la conclusion du juge du procès qu'un principe fondamental du droit des fiducies exige que les bénéficiaires soient traités de manière impartiale et égalitaire. Toutefois, a‑t‑elle fait remarquer, ce principe est assujetti à la convention de fiducie. Selon elle, les documents relatifs au régime supplantent le devoir de traitement égalitaire relativement à l'excédent actuariel. Comme les employés n'avaient droit qu'aux prestations déterminées au moment du transfert, le devoir de traitement égalitaire se limitait à la protection de ces prestations. À son avis, l'important pouvoir discrétionnaire conféré à l'employeur quant à l'utilisation de l'excédent actuariel étayait sa conclusion.
[23] Se fondant sur le libellé des documents relatifs au régime, la juge Gillese a conclu que HBC pouvait imputer les frais d'administration du régime à la caisse. L'absence d'une disposition sur le paiement des frais n'impose pas à l'employeur l'obligation positive de les acquitter. Le texte du régime ne prévoyait rien à l'égard des frais d'administration du régime; en conséquence, HBC n'était pas tenue de les payer de sa poche. Des modifications subséquentes aux documents ont clarifié la question, en permettant expressément le paiement des frais d'administration à même la caisse de retraite.
[24] M. Burke et les autres appelants (« le groupe de M. Burke ») ont interjeté appel du jugement rendu sur les deux questions.
IV. Questions en litige
[25] J'analyserai les questions dans l'ordre inverse de celui adopté par la Cour d'appel. Premièrement, HBC a‑t‑elle agi à bon droit en payant les frais d'administration du régime à même la caisse de retraite? Deuxièmement, HBC était‑elle tenue de transférer une portion de l'excédent actuariel dans le cadre de la vente des Magasins du Nord?
V. Analyse
[26] Les deux questions dont notre Cour est saisie en l'espèce portent sur les obligations de HBC à l'égard de l'excédent accumulé par le régime de retraite. L'excédent d'une caisse de retraite soulève des questions litigieuses sur lesquelles notre Cour a déjà été appelée à se pencher : Schmidt c. Air Products Canada Ltd., [1994] 2 R.C.S. 611; Monsanto Canada Inc. c. Ontario (Surintendant des services financiers), 2004 CSC 54, [2004] 3 R.C.S. 152; Nolan c. Kerry (Canada) Inc., 2009 CSC 39, [2009] 2 R.C.S. 678. Dans toutes ces affaires, le droit à l'excédent a été déterminé en fonction du libellé des documents pertinents, des principes du droit des contrats et du droit des fiducies et des textes législatifs applicables.
A. Frais d'administration du régime
[27] En 1982, année où le régime a affiché son premier excédent actuariel, HBC a commencé à payer à même la caisse les frais d'administration du régime. Le groupe de M. Burke prétend que HBC a irrégulièrement imputé ces frais à la caisse et qu'elle aurait dû les acquitter elle‑même. Il sollicite le remboursement des fonds ayant servi au paiement de ces frais, de 1982 jusqu'à sa mutation à CNO, en 1987.
[28] Notre Cour a récemment traité de la question des frais d'administration d'un régime dans l'arrêt Kerry. Certes, nos motifs ont été publiés après l'arrêt de la Cour d'appel en l'espèce, mais j'estime que la juge Gillese a correctement tranché la question. Je traiterai brièvement des raisons pour lesquelles, selon les principes établis dans Kerry, HBC a agi à bon droit en payant ces frais à même la caisse, mais je rappelle que la Cour d'appel analyse correctement cette question plus en détail dans sa décision.
[29] Dans l'arrêt Kerry, la Cour a statué qu'en l'absence d'une source de nature législative ou jurisprudentielle qui obligerait l'employeur à acquitter les frais d'un régime de retraite, une telle obligation devrait découler du texte et du contexte des documents relatifs au régime (par. 40). Aucune loi n'imposait à HBC l'obligation de payer ces frais. Par conséquent, le groupe de M. Burke soutient que cette obligation découle des documents relatifs au régime et de la jurisprudence. Cet argument a été rejeté par la Cour d'appel et je suis d'avis de faire de même pour les motifs qui suivent.
[30] Le groupe de M. Burke prétend que l'art. 21 de la convention de fiducie originale, qui date de 1961, impose à l'employeur l'obligation de payer les frais d'administration du régime. L'article est ainsi rédigé :
[traduction]
21. RÉMUNÉRATION DU FIDUCIAIRE
Le fiduciaire aura droit à la rémunération dont il aura convenu par écrit avec la société. Cette rémunération, ainsi que tous les autres débours et frais engagés dans le cadre de la gestion de la caisse, seront acquittés par la société.
Le groupe de M. Burke, insistant sur la dernière phrase de la disposition, fait valoir que la proposition [traduction] « tous les autres débours et frais engagés dans le cadre de la gestion de la caisse » est ambigüe et qu'elle pourrait viser non seulement les dépenses du fiduciaire, mais également les autres frais d'administration du régime.
[31] Invoquant le caractère général du libellé, le groupe de M. Burke prétend que l'ambiguïté devrait être résolue à la lumière des affirmations qui figurent dans les brochures distribuées par HBC à ses employés pour leur expliquer leur régime de retraite. Les brochures de 1961, 1975 et 1980 affirment que la totalité des frais relatifs à l'administration du régime seront assumés ou payés par la société. Partant, le groupe de M. Burke soutient que, compte tenu de l'art. 21 et des brochures, interprétés ensemble, HBC a agi irrégulièrement en prélevant sur la caisse les frais d'administration du régime.
[32] Je ne puis retenir cet argument. À mon avis, l'art. 21 n'est ni général ni ambigu. L'article 21 traite des dépenses engagées par le fiduciaire « dans le cadre de la gestion de la caisse » et non des frais d'administration du régime. Le texte du régime, qui porte sur l'administration de ce dernier, est muet sur la question des frais d'administration. La Cour est arrivée à la même conclusion dans l'arrêt Kerry, où elle a jugé qu'une disposition semblable imposait à l'employeur l'obligation de ne payer que les dépenses du fiduciaire, et non les frais d'administration du régime. Selon moi, l'art. 21 n'est pas ambigu, comme le prétend le groupe de M. Burke. Cette disposition décrit clairement l'obligation de HBC à l'égard des dépenses engagées par le fiduciaire, et rien d'autre.
[33] En 1971, HBC a conclu une nouvelle convention de fiducie, laquelle autorisait expressément HBC à imputer à la caisse les frais d'administration du régime. En 1984, HBC a conclu une autre convention de fiducie, qui comportait elle aussi une disposition expresse à cet effet. Puisque les nouvelles conventions de fiducie n'ont fait que confirmer expressément ce que prévoyait implicitement la convention originale et n'ont pas créé de nouvelles obligations ni de nouveaux droits à l'égard des frais d'administration du régime, il n'y a pas lieu de se pencher sur leur validité.
[34] Quel est donc l'effet des brochures sur le régime de retraite de HBC qui affirmaient que cette dernière supporterait la totalité des frais relatifs à l'administration du régime? Vu ma conclusion que l'art. 21 n'est pas ambigu, il n'est pas nécessaire de recourir aux brochures comme outil d'interprétation. Le groupe de M. Burke n'a pas prétendu devant la Cour que l'affirmation figurant dans les brochures était une promesse exécutoire et qu'elle emportait la préclusion.
[35] Je suis d'avis de rejeter ce moyen d'appel.
B. Transfert de l'excédent
[36] La principale question en litige dans le présent pourvoi est de savoir si HBC était tenue de transférer une portion de l'excédent actuariel lorsqu'elle a vendu ses Magasins du Nord à CNO en 1987. Il s'agit d'une question nouvelle intéressant le droit applicable aux régimes de retraite. Sa nouveauté tient au fait que le régime de retraite a continué d'exister après la vente; il n'y a pas été mis fin et il n'a pas été liquidé.
[37] Le groupe de M. Burke soutient que le transfert, survenu dans le contexte du prolongement du régime, était assujetti aux principes applicables à l'administration du régime. Il affirme avoir un droit en equity dans l'actif total de la caisse et pouvoir, en conséquence, intenter une action contre HBC pour violation de son devoir fiducial et exiger la bonne administration de la caisse. Selon lui, HBC était tenue, en sa qualité de fiduciale, d'accorder un traitement égalitaire aux bénéficiaires de la caisse et elle aurait manqué à ce devoir fiducial par son défaut de transférer une portion de l'excédent au profit des employés mutés.
[38] Je trancherai d'abord la question de savoir si HBC est une fiduciale dans le contexte qui nous occupe. J'examinerai ensuite le rôle de la PBA de 1987 dans le transfert des éléments d'actifs à CNO. J'analyserai par la suite la prétention du groupe de M. Burke selon laquelle il aurait un droit en equity dans l'actif total de la caisse. Enfin, je traiterai de l'argument relatif au traitement égalitaire et j'aborderai les obligations de HBC à l'égard de la bonne administration de la caisse de retraite.
(1) HBC agissant à titre fiducial
[39] Dans l'arrêt Hodgkinson c. Simms, [1994] 3 R.C.S. 377, à la p. 408, le juge La Forest fait siennes les caractéristiques qui aident le tribunal à reconnaître une relation fiduciale énoncées par la juge Wilson dans Frame c. Smith, [1987] 2 R.C.S. 99, à la p. 136 :
(1) [U]n certain pouvoir discrétionnaire peut être exercé, (2) ce pouvoir discrétionnaire peut être exercé unilatéralement de manière à avoir un effet sur les intérêts juridiques ou pratiques du bénéficiaire, et (3) une vulnérabilité particulière à l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire.
Le juge La Forest a précisé que « la méthode d'analyse du juge Wilson a été suivie en tant que "guide sommaire et existant" pour identifier de nouvelles catégories de rapports [fiduciaux] » (voir aussi D. W. M. Waters, M. R. Gillen et L. D. Smith, dir., Waters' Law of Trusts in Canada (3e éd. 2005), p. 42).
[40] Au paragraphe 55 de ses motifs, la juge Gillese a conclu que HBC, en sa qualité d'administratrice du régime, agissait à titre fiducial. L'article 11.01 de la reformulation du régime de retraite de 1985 désigne HBC à titre d'administratrice du régime et lui confère le pouvoir de régler [traduction] « définitivement toutes les questions relatives à l'administration, à l'interprétation, au fonctionnement général et à l'application du régime ». L'article 11.01 est ainsi libellé :
[traduction]
11.01 Administration par la société
Le régime est administré par la société, qui tranche toutes les questions relatives à la durée du service ininterrompu, à l'admissibilité, à la retraite anticipée ou différée, ainsi qu'aux taux et aux montants de revenu annuel et de revenu moyen pour l'application du régime et règle définitivement toutes les questions relatives à l'administration, à l'interprétation, au fonctionnement général et à l'application du régime, en conformité toutefois avec le texte du régime, avec la convention de fiducie et avec la Loi et la Loi de l'impôt sur le revenu (Canada). [Je souligne.]
[41] Sous réserve du texte du régime, de la convention de fiducie et des lois applicables, il ne fait aucun doute que HBC avait, à l'égard du régime de retraite, un vaste pouvoir discrétionnaire, qu'elle pouvait exercer unilatéralement de manière à avoir un effet sur les intérêts des employés, et que les employés étaient vulnérables à l'exercice de ce pouvoir. Par conséquent, je conviens avec la juge Gillese qu'en l'espèce, HBC, en qualité d'administratrice du régime, agissait à titre fiducial et qu'un lien fiducial unissait HBC, en tant qu'administratrice du régime, à ses employés, en tant que bénéficiaires du régime de retraite. Comme l'écrivait la juge Gillese au par. 55 : [traduction] « S'il avait existé une obligation juridique de transférer une portion de l'excédent lors de la vente, et s'il avait été déterminé que La Baie avait omis de faire en sorte que le transfert soit effectué, il aurait fallu dire, en conclusion, que La Baie avait manqué à ses obligations fiduciales envers les employés mutés. » Il s'agit de déterminer si une telle obligation lui incombait effectivement en droit.
(2) La Pension Benefits Act, 1987
[42] HBC prétend que l'art. 81 de la PBA de 1987 constitue un régime spécialisé, régissant le transfert de l'actif d'un régime de retraite et qu'il suffisait qu'elle s'y conforme, ce qu'elle a fait. À son avis, la présente situation est semblable à celle qui était examinée dans l'arrêt Buschau c. Rogers Communications Inc., 2006 CSC 28, [2006] 1 R.C.S. 973, où la Cour a statué que les dispositions législatives supplantent la règle de Saunders c. Vautier (1841), Cr. & Ph. 240, 41 E.R. 482 (Ch. D.), en matière de fiducie, selon laquelle les bénéficiaires peuvent mettre fin à une fiducie dans certaines circonstances.
[43] Le transfert à CNO de l'actif du régime de retraite était assujetti à la PBA de 1987 (décision du 30 avril 1990 du surintendant de la Commission des régimes de retraite de l'Ontario, no de dossier C‑8389). Je signale que cette loi a été modifiée depuis. La dernière modification a reçu la sanction royale en mai 2010. Je tiens également à signaler que la question du transfert de l'excédent dans le cadre du transfert d'éléments d'actif d'une caisse de retraite est traitée dans le par. 80(13), non encore promulgué, de la loi modifiée (L.R.O. 2010, ch. 9, art. 68). Suivant l'art. 81 de la PBA de 1987, qui protège les prestations déterminées accumulées ainsi que tous les autres avantages accordés aux employés par les régimes, le transfert de l'actif de la caisse en l'espèce est réputé prolonger le régime de HBC. Cet article est ainsi libellé :
[traduction]
81.—(1) Si un employeur qui cotise à un régime de retraite vend ou cède la totalité ou une partie de ses affaires ou de l'actif de ses affaires, ou l'aliène autrement, un participant au régime de retraite qui, à la suite de la vente, de la cession ou de l'aliénation, devient un employé de l'employeur subséquent et un participant au régime de retraite offert par l'employeur subséquent :
a) continue d'avoir droit aux prestations prévues aux termes du régime de retraite de l'employeur à l'égard de l'emploi en Ontario ou dans une province désignée jusqu'à la date de prise d'effet de la vente, de la cession ou de l'aliénation sans accumulation supplémentaire;
b) a droit au crédit dans le régime de retraite de l'employeur subséquent pour la période d'affiliation au régime de retraite de l'employeur, afin de déterminer l'admissibilité à l'affiliation au régime de retraite de l'employeur subséquent ou le droit aux prestations aux termes de ce régime;
c) a droit au crédit dans le régime de retraite de l'employeur pour la période d'emploi chez l'employeur subséquent afin de déterminer le droit aux prestations aux termes du régime de retraite de l'employeur.
(2) L'alinéa (1) a) ne s'applique pas si l'employeur subséquent assume la responsabilité des prestations de retraite accumulées dans le régime de retraite de l'employeur. Le régime de retraite de l'employeur subséquent est réputé être un prolongement du régime de l'employeur à l'égard des prestations ou de l'actif transférés.
(3) Si une opération décrite au paragraphe (1) a lieu, l'emploi de l'employé est réputé, pour l'application de la présente loi, ne pas avoir pris fin en raison de l'opération.
(4) Si l'opération décrite au paragraphe (1) a lieu et que l'employeur subséquent assume la responsabilité totale ou partielle des prestations de retraite prévues aux termes du régime de retraite de l'employeur, aucun transfert de l'actif n'est fait de la caisse de retraite de l'employeur à celle du régime de retraite offert par l'employeur subséquent sans le consentement préalable du surintendant ou à l'encontre des conditions prescrites.
(5) Le surintendant refuse de consentir à un transfert d'actif qui ne protège pas les prestations de retraite et les autres prestations des participants et des anciens participants au régime de retraite de l'employeur ou qui ne répond pas aux exigences et aux conditions requises qui sont prescrites.
[44] Je ne suis pas convaincu que l'art. 81 tranche la question, ni que la présente situation est analogue à celle en cause dans Buschau.
[45] La loi sur les régimes de retraite n'est pas un code exhaustif (Buschau, par. 35). Ainsi que l'a affirmé la Cour dans Monsanto (au sujet de la Loi sur les régimes de retraite, L.R.O. 1990, ch. P.8), la loi « vise à établir des normes minimales et une supervision réglementaire afin de protéger et de garantir les prestations et les droits des participants, des anciens participants et des autres personnes qui ont droit à des prestations en vertu des régimes de retraite complémentaires » (par. 38 (je souligne)). À mon avis, c'est exactement l'effet du par. 81(5) : il établit des normes minimales pour le transfert de l'actif d'un régime de retraite. Les documents constituant le régime et la fiducie peuvent imposer une norme supérieure.
[46] Ainsi, l'imposition par les documents constituant le régime et la fiducie d'une norme plus élevée que celle prévue à l'art. 81 ne serait pas contraire au régime législatif. À l'opposé, dans Buschau, l'application de la règle de Saunders en matière de fiducie aurait permis aux employés de se soustraire aux modalités prévues par la loi, ce qui allait à l'encontre de l'objectif du régime législatif (par. 28). De telles considérations ne sont pas présentes en l'espèce. Obliger l'employeur à transférer des fonds additionnels dans le cadre d'une vente ne menace pas les modalités prévues à l'art. 81 et ne nuirait pas à l'objectif de protéger les prestations de retraite des employés dans le contexte d'une vente. Par conséquent, je ne puis admettre la thèse de HBC selon laquelle le respect des dispositions de la PBA de 1987 suffit à réfuter l'argument du groupe de M. Burke.
[47] Par conséquent, il est nécessaire d'analyser les principes de common law et d'equity régissant l'interprétation des documents relatifs au régime et à la fiducie.
(3) Principes de common law et d'equity
[48] Lorsqu'un régime de retraite est constitué en fiducie, les principes de la fiducie s'y appliquent. En l'absence d'une déclaration expresse ou implicite de fiducie, le régime de retraite est régi par les dispositions du régime (Schmidt, p. 639).
[49] Les parties reconnaissent que la caisse de retraite est détenue en fiducie et qu'elle doit être administrée conformément aux principes de la fiducie. Aux termes des documents relatifs au régime, la fiducie porte sur tous les éléments d'actif de la caisse (article premier, convention de fiducie de 1961).
[50] En l'espèce, la convention de fiducie incorpore par renvoi les dispositions du régime (art. 2, convention de fiducie de 1961). Ainsi, ces deux documents sont pertinents dans l'analyse des droits et obligations des employés et de l'employeur en vertu du régime.
a) Intérêt en equity
[51] Le groupe de M. Burke invoque un passage de l'arrêt Schmidt selon lequel les employés ont un droit en equity sur l'excédent avant la cessation du régime. Selon lui, [traduction] « il ne faut pas déduire de l'inexistence d'un intérêt précis en common law dans l'excédent [. . .] l'inexistence de tout droit et de toute obligation relativement à l'excédent pendant l'existence du régime » (m.a., par. 67 (soulignement omis)). Il prétend que son intérêt en equity dans l'actif total de la caisse l'habilite à intenter une action contre son employeur pour violation de son devoir fiducial de traitement égalitaire dans l'utilisation qu'il fait — ou ne fait pas — de l'excédent actuariel.
[52] Le groupe de M. Burke invoque l'extrait suivant tiré de l'arrêt Schmidt :
Pendant l'existence d'un régime sous forme de fiducie, le surplus est un surplus actuariel. Ni l'employeur ni les employés n'ont de droit précis sur cette somme puisqu'elle n'existe que théoriquement, même si les employés bénéficiaires ont, en equity, un droit sur tous les éléments d'actif de la caisse pendant qu'elle existe. À la cessation du régime, le surplus actuariel devient un surplus réel et est dévolu aux employés bénéficiaires. La distinction entre le surplus réel et le surplus actuariel signifie qu'il n'y a pas d'incompatibilité entre le droit de l'employeur à des périodes d'exonération de cotisations et le fait qu'il n'a pas le droit de récupérer le surplus accumulé à la cessation du régime. Le premier repose sur un surplus actuariel et le second, sur un surplus réel. [Je souligne; p. 654-655.]
[53] À mon avis, il faut commencer par définir ce qu'on entend par un « intérêt en equity », ou par le terme « droit en equity » employé dans l'arrêt Schmidt, pour ensuite déterminer comment s'applique ce concept dans le cadre du régime qui nous intéresse.
[54] Un intérêt en equity est généralement [traduction] « un véritable droit de propriété, tel l'intérêt détenu en vertu d'une fiducie » (J. McGhee, dir., Snell's Equity (31e éd. 2005), par. 2‑05). Le détenteur d'un intérêt en equity dans un bien en est le propriétaire en equity (S. J. Hepburn, Principles of Equity and Trusts (4e éd. 2009), p. 63). Suivant Snell's Equity, un intérêt en equity se distingue des simples droits en equity, des droits flottants en equity et des recours d'equity, même si le terme « equity », en anglais, sert souvent à désigner ces notions spécifiques individuellement ou collectivement (par. 2‑01).
[55] Dans ses motifs dans l'affaire Schmidt, le juge Cory ne mentionne qu'une seule fois le « droit en equity » des employés. La question qui se pose alors est de savoir ce qu'il entendait par là. On peut à bon droit, selon moi, faire les observations suivantes.
[56] Tout d'abord, dans le cadre d'un régime de retraite à prestations déterminées régi par les principes de la fiducie, les employés ont à l'évidence un intérêt en equity dans les prestations déterminées. Comme dans le cas d'une fiducie classique, le fiduciaire détient le titre en common law sur les prestations déterminées. Les fonds nécessaires au versement des prestations déterminées aux employés sont détenus en fiducie au profit de ces derniers. En leur qualité de bénéficiaires, les employés ont un intérêt en equity dans ces fonds.
[57] Ensuite, fait important, lorsque le juge Cory mentionne que les employés ont un droit, en equity, sur tous les éléments d'actif de la caisse, il part du postulat que les employés ont droit à l'excédent réel à la cessation du régime. C'est ce qui ressort clairement de la phrase qui suit celle où il parle du droit en equity des employés et que je répète :
Ni l'employeur ni les employés n'ont de droit précis sur cette somme puisqu'elle n'existe que théoriquement, même si les employés bénéficiaires ont, en equity, un droit sur tous les éléments d'actif de la caisse pendant qu'elle existe. À la cessation du régime, le surplus actuariel devient un surplus réel et est dévolu aux employés bénéficiaires. [Je souligne.]
Si les employés ont droit à l'excédent réel à la cessation du régime, ils ont un intérêt en equity dans cet excédent. Or, le total de cet excédent et de leurs prestations déterminées correspond à l'actif total de la caisse. Par conséquent, je partage l'avis du juge Cory selon lequel les employés qui ont droit à l'excédent réel à la fin du régime ont un intérêt en equity sur tous les éléments d'actif de la caisse.
[58] Le juge Cory n'a précisé ni la portée ni la teneur de ce droit en equity sur l'excédent d'un régime qui existe toujours. Or, une analogie avec un droit flottant en equity me semble possible. Un droit flottant en equity se rattache, par exemple, au reliquat d'une succession testamentaire. Le bénéficiaire du reliquat n'obtient pas immédiatement un intérêt en equity dans le reliquat de la succession, dont les éléments d'actif risquent d'être affectés en totalité au paiement des dettes. Même lorsque la succession est solvable, on ne peut déterminer les biens qui constitueront le reliquat qu'au terme de l'administration successorale. On dit donc du bénéficiaire du reliquat qu'il possède un [traduction] « "droit flottant en equity", qui se cristallisera ou non plus tard ». Un droit flottant en equity « protège les bénéficiaires, non pas en leur conférant un intérêt en equity, mais en assurant la bonne administration des éléments d'actif par les représentants successoraux » (Snell's Equity, par. 2‑06).
[59] Selon moi, le droit des employés à l'excédent à la cessation du régime s'apparente à celui du bénéficiaire du reliquat. L'excédent réel ne leur est dévolu qu'à la réalisation des trois conditions suivantes : il est mis fin au régime, un excédent réel subsiste après la liquidation du passif et les employés survivent à la fin de la fiducie.
[60] En l'espèce, les employés mutés possèdent‑ils un droit flottant en equity dans tous les éléments d'actif de la caisse de retraite de HBC pendant son existence? Je ne le crois pas. Comme je l'expliquerai, aux termes du texte du régime, leur intérêt se limite aux prestations déterminées, et ils n'ont pas droit à l'excédent lorsqu'il est mis fin au régime, comme c'était le cas dans l'affaire Schmidt.
b) Les droits et intérêts conférés aux employés par le régime
[61] Le texte initial du régime de retraite prévoit que les employés bénéficient uniquement des droits et intérêts qui leur sont accordés expressément par le régime.
[traduction]
11.03 Droits sur la caisse de retraite : [. . .] Les participants et personnes ayant droit à des prestations en vertu du régime n'ont aucun autre droit ni intérêt sur la caisse de retraite que ceux qui leur sont conférés expressément par le régime; . . .
. . .
14.01 . . . Le régime n'accorde aucun droit à quelque avantage ou prestation que ce soit, à moins que ses dispositions le prévoient expressément et que le fiduciaire dispose de fonds à cette fin.
[62] Un examen des documents initiaux et subséquents relatifs au régime de retraite indique que les prestations déterminées de retraite sont les seules prestations auxquelles les employés ont droit aux termes du régime.
[63] Selon les dispositions initiales du régime de retraite, les droits des employés dans le cas où il serait mis fin au régime se limitaient expressément à leurs prestations déterminées de retraite :
[traduction]
12.024 Répartition proportionnelle du solde de la caisse de retraite : Toute répartition au sein de chacun des groupes, dans l'ordre prévu, sera proportionnelle, mais non supérieure, à la valeur actuarielle de leurs prestations de retraite respectives et prestations de retraite accumulées à la date où il est mis fin au régime. [Je souligne.]
[64] À l'audition du pourvoi, l'avocat du groupe de M. Burke a fait valoir que l'art. 12.024 devait être interprété à la lumière des art. 12.022 et 12.023, qui traitent aussi de la cessation du régime. Selon l'avocat, l'application de ces dispositions exigeait que les employés aient à tout le moins un droit quelconque à l'excédent lorsqu'il serait mis fin au régime (transcription, p. 11‑19). On a fait valoir que la distribution aux employés prévue à l'art. 12 comportait deux étapes : premièrement, la distribution des cotisations majorées de l'intérêt crédité (selon l'art. 12.022); deuxièmement, la distribution des prestations déterminées de retraite (selon l'art. 12.023). On a aussi soutenu que la limite prévue à l'art. 12.024 ne s'appliquait qu'à la deuxième étape, ce qui signifie que [traduction] « ces deux distributions ne pourront se faire intégralement, sur le plan arithmétique, que s'il existe un excédent suffisant au moment où il est mis fin au régime » (transcription, p. 13).
[65] HBC a fait valoir que l'art. 12 s'appliquait à la cessation du régime de façon que les participants recouvrent leurs cotisations (majorées de l'intérêt crédité) et reçoivent ensuite le montant additionnel nécessaire pour toucher leurs prestations déterminées de retraite (transcription, p. 37). Ses avocats ont soutenu que la limite prévue à l'art. 12.024 visait la répartition effectuée à la cessation du régime et qu'elle s'appliquait donc à la fois à l'art. 12.022 et à l'art. 12.023. Cette interprétation de l'art. 12.024 limiterait expressément les droits des employés lors de la cessation du régime à leurs prestations déterminées (transcription, p. 37‑39).
[66] Voici les art. 12.022 et 12.023 du régime de retraite initial :
[traduction]
12.022 Répartition de la caisse de retraite : Le Comité de la caisse de retraite verse ensuite à tous les participants, participants retraités (y compris leurs corentiers et bénéficiaires, le cas échéant) et participants sortis (y compris leurs bénéficiaires, le cas échéant) une prestation mensuelle dont le montant équivaut, sur le plan actuariel, (ou, au lieu d'une telle prestation, si le Comité de la caisse de retraite en décide ainsi à l'endroit d'une partie ou de l'ensemble des participants, participants retraités et participants sortis, un paiement forfaitaire équivalent) au total de leurs cotisations majorées de l'intérêt crédité à la date où il est mis fin au régime, moins les prestations de retraite qui leur ont été versées ou les cotisations majorées de l'intérêt crédité qui leur ont été remboursées conformément au régime. Si la caisse de retraite est insuffisante pour ce faire, elle est répartie entre tous les participants, participants retraités ([y compris] leurs corentiers et bénéficiaires, le cas échéant) et participants sortis (y compris leurs bénéficiaires, le cas échéant) selon la proportion que représente le montant de leurs cotisations majorées de l'intérêt crédité à la date où il est mis fin au régime, moins les prestations de retraite qui leur ont été versées ou les cotisations majorées de l'intérêt crédité qui leur ont été remboursées conformément au régime, par rapport au total de ces montants à l'égard de tous les participants, participants retraités et participants sortis.
12.023 Attribution du solde de la caisse de retraite : S'il reste un solde dans la caisse de retraite, il est attribué comme suit :
Tout d'abord aux participants retraités et aux participants sortis qui sont arrivés à leur date normale de retraite et qui ont droit à des prestations de retraite selon l'article 6 du régime, dans tous les cas en fonction de leurs prestations de retraite respectives; ensuite, s'il reste toujours un solde, à tous les participants et aux participants sortis qui ont droit à des prestations de retraite selon l'article 6 du régime, mais qui ne sont pas encore arrivés à leur date normale de retraite, dans tous les cas en fonction de leurs prestations de retraite accumulées à la date où ils ont cessé de verser leurs cotisations.
[67] Je ne partage pas l'avis de l'avocat du groupe de M. Burke que l'art. 12 exige une distribution en deux étapes et s'applique de façon à conférer aux employés un droit sur une partie de l'excédent lorsqu'il est mis fin au régime.
[68] Lorsqu'on examine les art. 12.022, 12.023 et 12.024, on constate que les termes employés dans ceux‑ci n'indiquent aucunement qu'il existe deux distributions distinctes. L'article 12.022 parle de la répartition de la caisse de retraite entre trois groupes de participants : les participants, les participants retraités et les participants sortis. Selon l'art. 12.022, tous les participants reçoivent une somme correspondant aux cotisations majorées de l'intérêt crédité, moins les prestations de retraite déjà versées. L'article 12.023 commence par les mots suivants : [traduction] « [s]'il reste un solde dans la caisse de retraite ». Il traite donc de l'attribution des fonds qui restent après la répartition faite au départ conformément à l'art. 12.022. L'article 12.023 a pour effet de compléter les sommes réparties entre les trois groupes en application de l'art. 12.022 jusqu'à concurrence de leurs prestations déterminées. Il ne s'agit pas d'une distribution distincte. L'article 12.024 s'applique ensuite en combinaison avec les art. 12.022 et 12.023, et porte sur la répartition des fonds au sein des trois groupes de participants. L'article 12.024 limite expressément la répartition au sein des trois groupes aux prestations déterminées de retraite. Par conséquent, l'art. 12 ne prévoit qu'une seule distribution des fonds, expressément limitée aux prestations déterminées.
[69] En outre, les documents relatifs au régime de retraite (le texte du régime et la convention de fiducie) ne contiennent aucune des formules qui confèrent normalement aux employés un droit à l'excédent. Exception faite de la convention de fiducie de 1984, aucun des documents relatifs au régime de retraite ne contient de disposition relative au « bénéfice exclusif » ou à « l'interdiction d'utiliser à d'autres fins », comme celles qui, a‑t‑on conclu dans Schmidt (p. 659), conféraient à un employé un droit à l'excédent. (J'expliquerai ci‑dessous pourquoi l'insertion de ces formules dans la convention de fiducie de 1984 ne confère pas non plus aux employés un tel droit à l'excédent.) Au lieu de reprendre les formules employées dans l'affaire Schmidt, le texte du régime de retraite indique que la caisse de retraite devait servir exclusivement aux fins du régime et qu'aucune partie de la caisse ne pouvait être utilisée à d'autres fins que celles du régime (p. ex., l'art. 11.02 du texte du régime de retraite de 1961).
[70] À l'audience, l'avocat du groupe de M. Burke a fait valoir que le régime avait été créé exclusivement au bénéfice des employés, et que cette fin pouvait être inférée du préambule de la convention de fiducie (transcription, p. 8‑10). On soutient que, s'il est possible d'inférer cette fin, un employé avait droit à l'excédent, tout comme l'employé avait droit à l'excédent de l'un des régimes de retraite dans Schmidt.
[71] Le préambule disait notamment ce qui suit :
[traduction]
ATTENDU que la Société a constitué un régime de retraite (ci‑après appelé « le régime ») au bénéfice des employés travaillant pour son entreprise canadienne . . .
De toute évidence, le régime a été constitué au bénéfice des employés. Cependant, les termes employés ne disent rien des droits précis que le régime confère aux employés. Aucune inférence ne peut être tirée du texte du préambule quant à ces droits. Pour déterminer en quoi ils consistent, il faut tenir compte des termes performatifs du régime dans son ensemble.
[72] Je suis d'accord avec la juge Gillese (par. 44 de ses motifs) que, lues dans leur ensemble, les dispositions du régime indiquent qu'il a pour objet d'accorder aux employés leurs prestations déterminées de retraite. Dans Schmidt, outre le préambule, les termes performatifs des documents relatifs au régime de retraite, notamment l'affectation de la caisse de retraite au « bénéfice exclusif » des employés, « l'interdiction [de l']utiliser à d'autres fins » et d'autres dispositions réattribuant les cotisations de certains employés qui ont cessé de cotiser au régime, permettent de conclure que les employés avaient droit à l'excédent existant lorsqu'il a été mis fin au régime (voir Schmidt, p. 658‑659). Les termes performatifs du régime de HBC ont l'effet contraire.
[73] L'article 12.024 du régime initial limitait expressément les droits des employés lors de la cessation du régime à leurs prestations déterminées. En 1980, HBC a modifié les dispositions traitant de la cessation du régime en ajoutant l'art. 12.025, reformulé en 1985 à l'art. 14.05, pour traiter expressément de l'excédent et préciser que HBC y avait droit à la cessation du régime :
[traduction]
12.025 Remboursement de l'excédent à la société :
S'il reste un solde quelconque dans la caisse de retraite après la liquidation complète du passif du régime en conformité avec les dispositions du présent article 12, ce solde est versé à la société.
14.05 Excédent
S'il reste un excédent dans la caisse de retraite après la liquidation complète du passif conformément au régime, cet excédent est versé à la société ou est utilisé au gré de celle‑ci, sous réserve de la Loi ainsi que des règles et règlements du ministère du Revenu national et de leurs modifications.
[74] Quant à la convention de fiducie de 1984, je souscris à l'analyse de la juge Gillese (par. 49 à 53 de sa décision) selon laquelle l'insertion de dispositions relatives au « bénéfice exclusif » et à « l'interdiction d'utiliser à d'autres fins » dans cette convention de fiducie ne confère pas aux employés un droit sur l'excédent. Le groupe de M. Burke a fait valoir que l'al. 2d) et le sous‑al. 11(ii) de la convention de fiducie de 1984 confirment que les employés ont droit à l'excédent. Je suis d'accord sur les motifs pour lesquels la juge Gillese a rejeté cet argument. Il faut interpréter la convention de fiducie de 1984 conformément aux dispositions du régime de retraite en vigueur à cette époque, et notamment à l'art. 12.025. Si l'on donnait à l'al. 2d) et au sous‑al. 11(ii) l'interprétation proposée par le groupe de M. Burke, ces dispositions seraient incompatibles avec l'art. 12.025 du régime de retraite, qui prévoit expressément le versement de l'excédent à HBC à la cessation du régime.
[75] L'alinéa 2d) porte sur les dépenses engagées pour la vente et l'achat de placements, les taxes et les autres frais d'administration des fonds par le fiduciaire. Cet alinéa prévoit notamment ce qui suit :
[traduction] La présente autorise le fiduciaire à payer toutes les dépenses suivantes à même les fonds appropriés :
(i) les frais de courtage, les droits de mutation . . .
(ii) l'impôt foncier, l'impôt sur le revenu et les autres taxes . . .
(iii) les sommes à verser au titre de l'impôt sur le revenu . . .
(iv) les autres frais d'administration du fonds . . .
TOUJOURS À LA CONDITION qu'aucune partie des fonds ne peut être utilisée à d'autres fins que celles liées au bénéfice exclusif des participants aux régimes respectifs et de leurs bénéficiaires.
[76] C'est dans le contexte des dépenses autorisées qu'aucune partie des fonds ne peut être utilisée à d'autres fins que celles liées au bénéfice exclusif des participants. Compte tenu du contexte, les dispositions ci‑dessus ne confèrent manifestement pas un droit à l'excédent qui n'existait pas auparavant et dont le sort est fixé expressément à l'art. 12.025.
[77] L'alinéa 11(ii) prévoit notamment ce qui suit :
[traduction]
La Baie [. . .] peu[t] à son gré [. . .] remplacer ou modifier toute disposition de la présente convention et résilier la présente convention [. . .] pourvu que
. . .
(ii) ce remplacement, cette modification ou cette résiliation n'autorise, ne rende possible ni n'entraîne l'usage d'une quelconque partie du capital ou des revenus de la caisse à d'autres fins qu'au bénéfice exclusif des participants aux régimes . . .
[78] Le sous‑alinéa 11(ii) porte sur les modifications. Autrement dit, il faut interpréter l'expression « au bénéfice exclusif des participants » en tenant compte des avantages auxquels les employés avaient droit avant toute modification à la convention. Le droit dont ils bénéficiaient avant toute modification était le droit aux prestations déterminées. Sauf disposition contraire, aucune modification ne peut entraîner l'utilisation des fonds à une autre fin qu'aux fins des prestations déterminées. Cette disposition ne confère pas aux employés un droit supplémentaire qu'ils n'avaient pas auparavant.
[79] De plus, les documents relatifs au régime de retraite ont fait en sorte que le texte du régime l'emporte sur la convention de fiducie. Par exemple, l'art. 23 de la convention de fiducie de 1961 prévoyait que celle‑ci pouvait être modifiée, mais que [traduction] « cette modification ne peut autoriser ni rendre possible l'utilisation d'une partie de la caisse à d'autres fins que celles prévues au régime » et, selon l'art. 11.03 du régime de retraite de 1961, [traduction] « [l]es participants [. . .] n'ont aucun autre droit ni intérêt sur la caisse de retraite que ceux qui leur sont conférés expressément par le régime ». Il faut interpréter conjointement le texte du régime de retraite et la convention de fiducie. Ainsi, si l'al. 2d) et le sous‑al. 11(ii) de la convention de fiducie de 1984 recevaient l'interprétation proposée par le groupe de M. Burke, ils entreraient en conflit avec l'art. 12.025 du texte du régime. Toutefois, même si l'on statuait, contrairement à ce que je conclus, qu'il faut attribuer à l'al. 2d) et au sous‑al. 11(ii) une interprétation qui occasionne un tel conflit, celui‑ci serait résolu en faveur de l'art. 12.025, car le régime de retraite a préséance.
[80] Par conséquent, le libellé des documents relatifs au régime de retraite en l'espèce diffère de celui en cause dans l'affaire Schmidt. Les présents documents ne contiennent pas de disposition dont les termes conféreraient aux employés un droit sur l'excédent.
[81] Le groupe de M. Burke se fonde sur Schmidt pour soutenir que le droit de l'employé à l'excédent ne peut être restreint que si le libellé des documents l'indique « explicitement », ce qui, prétend‑il, n'est pas le cas ici. Comme l'a souligné HBC, il n'est pas impératif d'utiliser une formule précise pour l'indiquer « explicitement ». Le droit de HBC à l'excédent doit être clair. À mon avis, il l'est. Comme la juge Gillese l'a souligné au par. 8 de ses motifs, et comme le démontre l'analyse qui précède, les documents en l'espèce limitaient les droits des employés aux prestations déterminées que leur accordait le régime.
[82] Vu les dispositions des documents relatifs au régime de retraite, on ne saurait dire que les employés mutés avaient un intérêt en equity sur l'excédent à la cessation du régime.
c) Devoir fiducial de traitement égalitaire
[83] Aux dires du groupe de M. Burke, HBC s'était engagée à bonifier les prestations de retraite de temps à autre. Il prétend que l'intérêt dans l'excédent actuariel revendiqué par les employés mutés découle de la perte de cette possibilité d'amélioration de leur régime à prestations déterminées, amélioration dont les autres employés de HBC sont susceptibles de bénéficier. Par conséquent, HBC aurait manqué à son devoir fiducial de traitement égalitaire en agissant différemment à l'égard des deux groupes d'employés. Je ne suis pas de cet avis. Pour les motifs que j'ai déjà exposés, ni les employés mutés ni ceux qui sont demeurés en poste chez HBC ne possèdent d'intérêt en equity dans l'excédent. Le fait que l'employeur soit libre de décider d'augmenter ou non les prestations de retraite au moyen notamment d'une réaffectation de l'excédent ne change rien à la nature de l'intérêt que détiennent les employés dans la caisse de retraite ni n'a pour effet d'étendre les obligations fiduciales de l'employeur à ses actes gratuits. L'intérêt en equity des employés ne vise que leurs prestations déterminées.
[84] À l'audience, l'avocat du groupe de M. Burke a également fait valoir que le défaut de HBC de transférer une partie de l'excédent a privé les employés mutés de la protection contre les fluctuations de solvabilité de leur caisse dont les autres employés bénéficient toujours et constitue un autre manquement de la part de HBC à son devoir fiducial de traitement égalitaire (transcription, p. 23). Même si, dans la pratique, l'excédent actuariel peut servir à parer au risque d'insolvabilité, les employés n'ont pas le droit d'exiger qu'il soit utilisé pour leur assurer cette protection supplémentaire (Kerry, par. 113). Sans un tel droit, il n'existe pas d'obligation fiduciale de traitement égalitaire. Comme il s'agit d'un régime à prestations déterminées, HBC assumait le risque inhérent à l'obligation que l'actif soit suffisant pour couvrir le passif de la caisse, c'est‑à‑dire les prestations déterminées. Le devoir de l'employeur consiste à faire en sorte que les fonds soient en tout temps suffisants pour assurer le versement des prestations déterminées qu'il a promises. Au contraire d'un régime de retraite à cotisations déterminées, dans le cadre duquel les employés assument le risque de fluctuations dans les marchés financiers, en l'espèce, le risque d'un déficit actuariel pèse sur HBC, puisqu'elle est tenue, par les modalités de son régime de retraite, de verser des prestations déterminées à ses employés. Le droit des employés se rapporte à la capitalisation suffisante de leurs prestations déterminées et non d'un excédent actuariel.
[85] Le devoir de traitement égalitaire doit reposer sur le libellé des documents relatifs au régime de retraite; il n'existe pas dans l'absolu. Dans les situations mettant en cause au moins deux groupes de bénéficiaires, ce devoir exige que chaque groupe reçoive exactement les avantages conférés par les documents (Waters', p. 966). En tant qu'administratrice du régime, HBC agissait à titre fiducial, ce qui lui imposait des obligations fiduciales. Toutefois, ses obligations fiduciales ne la contraignaient pas, en raison d'un quelconque devoir de traitement égalitaire, à reconnaître à un groupe d'employés des avantages que le régime ne leur confère pas. HBC était tenue de donner effet aux documents relatifs au régime de retraite et de veiller, en administrant le régime, à ce qu'aucun avantage ne soit attribué ni fardeau imposé qui ne soit pas prévu dans ces documents (Waters', p. 966‑967). Ni les employés mutés ni les autres n'avaient d'intérêt en equity dans l'excédent. Partant, aucun devoir de traitement égalitaire ne s'applique à l'affectation de l'excédent.
d) Bonne administration de la caisse
[86] Le groupe de M. Burke prétend que son intérêt en equity dans l'actif total de la caisse de retraite l'habilite à en exiger la bonne administration, ce qui nécessite, selon lui, le transfert d'une portion de l'excédent actuariel. Certes, le groupe de M. Burke a le droit d'exiger la bonne administration de la caisse de retraite, mais ce droit ne tient pas au fait qu'il aurait un intérêt en equity dans l'excédent.
[87] Le bénéficiaire d'une fiducie est en droit d'en exiger la bonne administration, et ce, même s'il ne possède pas d'intérêt en equity dans tous les éléments d'actif de la fiducie. En l'espèce, comme le groupe de M. Burke possède un intérêt en equity dans les prestations déterminées, il a le droit d'exiger la bonne administration de la fiducie et de s'assurer que l'employeur, le fiduciaire et l'administrateur du plan s'acquittent des obligations juridiques prévues dans les documents relatifs au régime (voir Snell's Equity, par. 27‑24; Waters', p. 1203‑1204).
[88] C'est donc dire que l'employeur ne peut pas user de l'excédent actuariel à son gré. Ses obligations sont régies par les dispositions du régime de retraite. Par conséquent, il ne peut utiliser cet excédent que pour des fins compatibles avec celles prévues dans les documents relatifs au régime.
[89] Il incombe au fiduciaire de veiller à ce que les fonds détenus en fiducie soient distribués conformément aux conditions de la fiducie. En l'espèce, cette obligation du fiduciaire était prévue expressément en ces termes dans la convention de fiducie originale :
[traduction] Le Comité de retraite peut ordonner par écrit au fiduciaire de verser un montant déterminé, par prélèvement sur la caisse, à un assureur et aux personnes, bénéficiaires et représentants successoraux désignés, aux fins et de la manière précisées dans ses instructions, à la condition qu'aucun versement ne soit effectué sans que le Comité de retraite ait au préalable attesté par écrit au fiduciaire que ce versement est conforme aux dispositions du régime. [Je souligne.]
Le fiduciaire a pour rôle de veiller à ce que les fonds soient distribués conformément au régime et à ce que l'employeur n'utilise pas un excédent actuariel d'une façon ou à une fin irrégulière.
[90] Certes, le dossier qui a été présenté à la Cour était avare de détails sur les communications entre HBC et les fiduciaires de la caisse de retraite, mais je vois mal en quoi les circonstances pourraient laisser croire que HBC aurait utilisé les fonds à des fins inappropriées en l'espèce.
[91] HBC et CNO ont conclu une opération commerciale légitime. HBC et CNO ont négocié le prix d'achat des éléments d'actif, y compris le régime de retraite. HBC était disposée à transférer une portion de l'excédent si CNO acceptait de payer davantage pour acquérir un régime excédentaire, ce que cette dernière n'était pas disposée à faire. L'opération est en outre d'autant plus légitime que les deux sociétés se sont conformées aux prescriptions de la loi.
[92] Lorsqu'elle a conclu le transfert, HBC pouvait se fonder sur les dispositions du régime. Aux termes des documents relatifs à ce dernier, les droits et les intérêts des employés se limitaient à leurs prestations déterminées. Ces documents habilitaient HBC à s'accorder des périodes d'exonération de cotisations et à imputer les frais d'administration à la caisse. De plus, selon les dispositions du régime, l'employé qui quittait HBC, de son gré ou par suite d'un congédiement, n'avait droit à aucune portion de l'excédent actuariel.
[93] En l'espèce, HBC a honoré ses obligations juridiques envers ses employés, et notamment ses devoirs fiduciaux envers les employés mutés, en protégeant leurs prestations déterminées. Selon les documents relatifs au régime, HBC n'avait aucune obligation fiduciale de transférer quelque portion que ce soit de l'excédent actuariel.
VI. Conclusion
[94] Je suis d'avis de rejeter le pourvoi en ce qui concerne la question des frais d'administration du régime. Le régime de retraite de HBC n'obligeait pas cette dernière à en assumer les frais d'administration. HBC pouvait imputer les frais d'administration du régime à la caisse de retraite. La question de savoir si HBC pouvait s'accorder des périodes d'exonération de cotisations n'était pas portée en appel. Toutefois, aux termes des documents relatifs au régime, les cotisations de l'employeur étaient déterminées par un actuaire. Par conséquent, j'estime juste la conclusion du juge du procès que HBC était autorisée à s'accorder de telles périodes.
[95] Je suis également d'avis de rejeter le pourvoi en ce qui concerne la question du transfert de l'excédent. La juge Gillese a conclu, à bon droit, que les employés mutés ne possédaient aucun intérêt en equity dans l'excédent de la caisse de retraite. Ils avaient seulement un intérêt dans leurs prestations déterminées. Comme ces dernières ont été protégées dans le cadre du transfert, HBC n'a manqué à aucune obligation fiduciale lui incombant.
[96] Je tiens à souligner que la présente décision découle du libellé et du contexte des documents relatifs au régime de retraite soumis à la Cour. L'analyse de ces documents mène à la conclusion que les employés n'avaient droit à aucune part de l'excédent au moment de leur mutation à CNO. La présente décision ne prétend pas répondre à d'autres situations mettant en cause un excédent actuariel et le transfert d'un régime. Chaque situation appelle un examen au cas par cas. Tout particulièrement, il est préférable de laisser irrésolue la question du transfert de l'excédent d'un régime dont les documents accordent aux employés un droit à l'excédent à la cessation du régime pour la trancher lorsqu'elle sera éventuellement soulevée dans un autre pourvoi.
[97] Il n'était pas interjeté appel, devant la Cour, de la décision de la Cour d'appel quant aux dépens. La juge Gillese était d'avis qu'il convenait dans ce cas de prélever les dépens sur la caisse de retraite parce que le litige portait sur des questions intéressant la bonne administration de la caisse de retraite détenue en fiducie et que leur règlement allait profiter à tous les bénéficiaires (Burke c. Hudson's Bay Co., 2008 ONCA 690, 241 O.A.C. 245). Les parties font valoir qu'il conviendrait, en l'espèce, que la Cour accorde les dépens devant la Cour sur la base d'une indemnisation totale aux deux parties et ordonne qu'ils soient prélevés sur la caisse de retraite. Pour reprendre la formule usuelle, par conséquent, j'accorde les dépens devant la Cour aux deux parties sur la base procureur‑client, y compris les dépens relatifs à la demande d'autorisation d'appel, et ordonne qu'ils soient prélevés sur la caisse de retraite.
Pourvoi rejeté avec dépens.
Procureurs des appelants : Bellmore & Moore, Toronto.
Procureurs des intimés : Osler, Hoskin & Harcourt, Toronto.