COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : Prebushewski c. Dodge City Auto (1984) Ltd., [2005] 1 R.C.S. 649, 2005 CSC 28
Date : 20050519
Dossier : 30189
Entre :
Shawna Prebushewski
Appelante
c.
Dodge City Auto (1984) Ltd. et Chrysler Canada Ltd.
Intimées
Traduction française officielle
Coram : Major, Bastarache, LeBel, Deschamps, Fish, Abella et Charron
Motifs de jugement :
(par. 1 à 45)
La juge Abella (avec l’accord des juges Major, Bastarache, LeBel, Deschamps, Fish et Charron)
Appel entendu et jugement rendu : Le 9 mars 2005
Motifs déposés : Le 19 mai 2005
______________________________
Prebushewski c. Dodge City Auto (1984) Ltd., [2005] 1 R.C.S. 649, 2005 CSC 28
Shawna Prebushewski Appelante
c.
Dodge City Auto (1984) Ltd. et Chrysler Canada Ltd. Intimées
Répertorié : Prebushewski c. Dodge City Auto (1984) Ltd.
Référence neutre : 2005 CSC 28.
No du greffe : 30189.
2005 : 9 mars; 2005 : 19 mai.
Présents : Les juges Major, Bastarache, LeBel, Deschamps, Fish, Abella et Charron.
en appel de la cour d’appel de la saskatchewan
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Saskatchewan (les juges Tallis, Sherstobitoff et Lane), [2004] 4 W.W.R. 42, 241 Sask. R. 22, 313 W.A.C. 22, 40 B.L.R. (3d) 90, [2003] S.J. No. 856 (QL), 2003 SKCA 133, qui a confirmé en partie une décision de la juge Rothery, [2002] 4 W.W.R. 321, 214 Sask. R. 135, 19 B.L.R. (3d) 304, [2001] S.J. No. 739 (QL), 2001 SKQB 537. Pourvoi accueilli.
Ronald J. Balacko et Darren Grindle, pour l’appelante.
Kenneth A. Ready, c.r., et Tamara R. Prince, pour les intimées.
Version française du jugement de la Cour rendu par
1 La juge Abella — Shawna Prebushewski a acheté chez Dodge City Auto (1984) Ltd. (« Dodge City ») un camion fabriqué par Chrysler Canada Ltée (« Chrysler »). En raison d’un défaut de fabrication, le camion a été détruit par un incendie soudain. La juge de première instance a conclu à la responsabilité de Chrysler et de Dodge City pour violation des garanties instituées par la Consumer Protection Act, S.S. 1996, ch. C‑30.1 (la « Loi »), et elle a accordé à Mme Prebushewski des dommages‑intérêts généraux et des dommages‑intérêts exemplaires ou punitifs. La Cour d’appel de la Saskatchewan a annulé l’octroi des dommages‑intérêts exemplaires et a condamné Mme Prebushewski aux dépens. Le pourvoi de Mme Prebushewski devant notre Cour porte principalement sur l’interprétation des dommages‑intérêts exemplaires prévus par la Loi.
I. Le contexte
2 Le 17 décembre 1996, Mme Prebushewski et son mari ont acheté chez Dodge City un camion neuf haut de gamme, soit un Dodge Ram 4x4 d’une demi‑tonne. Il s’agissait d’un camion fabriqué par Chrysler; Dodge City était un des concessionnaires de Chrysler en Saskatchewan. Les Prebushewski ont versé 1 145 $ de plus pour obtenir une garantie prolongée de Chrysler. La totalité du montant de l’achat, taxes et garantie prolongée comprises, a fait l’objet d’un contrat de crédit en vertu duquel les acheteurs ont emprunté la somme de 43 198,80 $, remboursable à raison de paiements mensuels de 721,23 $ commençant au mois de janvier 1997. Pendant plus d’un an, les Prebushewski ont parcouru environ 31 000 kilomètres sans incident avec le camion.
3 À la fin d’avril 1998, M. Prebushewski s’est rendu au travail avec son camion, qu’il a garé dans la rue près de son lieu de travail. Vers 21 h, il a remarqué que les phares d’un véhicule stationné dans la rue étaient allumés. Peu après, son employeur a aperçu des flammes. Lorsque M. Prebushewski et son employeur sont sortis pour voir d’où elles provenaient, ils ont constaté que l’avant du camion du premier était en feu. Le véhicule a subi des dommages irréparables malgré l’intervention rapide des pompiers.
4 Madame Prebushewski et son mari ont signalé la perte à leur assureur, la Saskatchewan Government Insurance (« SGI »), qui a conclu après une enquête qu’une défectuosité dans le module de feux de jour avait causé un court‑circuit.
5 La demande d’indemnité a été réglée le 11 août 1998. La SGI a déterminé que, au moment de la perte, le camion valait 27 340 $. Comme il y avait une franchise de 700 $, elle a versé la somme de 26 640 $ à Mme Prebushewski, qui l’a remise intégralement à la banque conformément à une convention de garantie. Malgré ce paiement, Mme Prebushewski devait toujours 11 383,65 $ à la banque, qui a fait passer de 8 % à 11 % le taux d’intérêt annuel applicable au solde du prêt, en raison de la destruction de la sûreté. Au moment du procès, Mme Prebushewski n’avait pas encore fini de rembourser la banque.
6 En plus de déclarer la perte à leur assureur, les Prebushewski ont pendant plusieurs mois tenté à maintes reprises, principalement par téléphone, d’obtenir l’assistance de Chrysler et Dodge City. Leurs démarches ont été infructueuses. Dodge City les renvoyait à Chrysler, qui elle leur disait de s’adresser à leur assureur.
7 En mai ou juin 1998, ils ont également écrit une lettre adressée à Chrysler et à Dodge City. Ils y expliquaient que l’enquêteur de l’assureur avait conclu à un incendie d’origine électrique mais qu’il n’était pas encore en mesure d’en déterminer la cause exacte. Ils ajoutaient qu’à la suite de conversations avec des membres de leur famille, des collègues de travail et des fonctionnaires de Transports Canada, ils croyaient que l’incendie avait été causé par une défectuosité du module de feux de jour. Ils signalaient aussi dans leur lettre que, lors d’une conversation téléphonique avec un représentant du service à la clientèle de Chrysler, M. Prebushewski s’était fait répondre [traduction] « c’est la vie ».
8 Chrysler a répondu à la lettre des Prebushewski le 13 juin 1998, se disant désolée tout en indiquant qu’elle [traduction] « devait les renvoyer à leur assureur pour révision de leur dossier ». Il n’était pas question du module de feux de jour dans la lettre de Chrysler.
9 Dodge City n’a pas répondu à la lettre des Prebushewski.
10 Le 31 mars 1999, Mme Prebushewski a intenté une action contre Chrysler et contre Dodge City, plaidant notamment la violation des garanties instituées dans la Loi. Outre des dommages‑intérêts généraux, Mme Prebushewski réclamait des dommages‑intérêts exemplaires en vertu de l’art. 65 de la Loi.
11 Chrysler et Dodge City ont nié toute responsabilité.
12 Au procès, Mme Prebushewski a présenté des témoins experts pour établir que l’incendie avait été causé par un défaut de fabrication du module de feux de jour. Leur témoignage n’a pas été contredit.
13 Chrysler et Dodge City n’ont pas présenté de preuve au procès. Toutefois, un ingénieur électricien travaillant pour Chrysler, Eric Durance, avait été interrogé au préalable. Il était le [traduction] « représentant compétent » — ou représentant autorisé — de Chrysler, et il était entendu que ses réponses lieraient la société. Il est ressorti de son témoignage que Chrysler savait depuis plusieurs années que le module de feux de jour posait des problèmes :
[traduction]
Q : C’est donc cela qu’on appelle le module de feux de jour?
R : Le module est le dispositif qui remplit cette fonction.
Q : Des courts‑circuits s’y produisent?
R : Eh bien, nous avons eu divers problèmes avec ces modules.
. . .
Q : M. Durance, pour que ce soit bien clair, Chrysler savait que le module de feux de jour posait des problèmes avant l’incendie du camion des Prebushewski le 29 avril 1998?
R : Oui.
Q : A‑t‑elle pris des mesures pour informer Shawna Prebushewski ou son mari de l’existence d’un problème lié au module de feux de jour?
R : Non.
Q : Combien y a‑t‑il de modules de feux de jour?
R : Il y en a un dans chaque véhicule depuis 1988.
Q : En gros?
R : Je dirais plus d’un million.
Q : Donc, ce serait très coûteux d’informer chaque propriétaire de véhicule équipé d’un module de feux de jour, de rappeler les véhicules pour inspection et, éventuellement, de remplacer la pièce?
R : Oui.
Q : Combien cela coûterait‑il pour rappeler un véhicule, l’inspecter et remplacer le module de feux de jour?
R : Je ne sais pas.
. . .
Q : Donnez‑nous une estimation approximative?
R : Probablement 200 $, 250 $.
Q : Donc, pour un million — un million de véhicules, cela coûterait 250 000 000 $; est‑ce exact?
R : Oui.
14 Le responsable compétent chez Dodge City, le contrôleur Jim Wilkins, a également fait l’objet d’un interrogatoire préalable. Il a admis que Dodge City n’avait pas enquêté sur l’incendie ni fait quoi que ce soit pour indemniser Mme Prebushewski.
15 En première instance, la juge Rothery a déclaré Chrysler et Dodge City conjointement responsables de violation des garanties instituées dans la Loi : (2001), 214 Sask. R. 135, 2001 SKQB 537. Le paragraphe 57(1) dispose que le consommateur a droit à des dommages‑intérêts de la part du fabricant ainsi que du [traduction] « détaillant » en cas de violation des garanties légales.
16 La juge en première instance a souligné que le par. 65(1) de la Loi permet l’octroi de dommages‑intérêts exemplaires lorsque les défendeurs ont commis une [traduction] « contravention délibérée » (wilful violation) à la Loi. S’appuyant sur le Black’s Law Dictionary (7e éd. 1999), p. 1593, elle a défini ainsi le terme « délibéré » : [traduction] « [v]olontaire et intentionnel, mais pas nécessairement avec malveillance. » Sur la base de cette interprétation, elle a conclu que, si Chrysler et Dodge City avaient contrevenu à la Loi d’une manière intentionnelle, des dommages‑intérêts exemplaires pourraient s’avérer indiqués.
17 La juge Rothery a ensuite tiré plusieurs conclusions de fait l’autorisant selon elle à octroyer des dommages‑intérêts exemplaires en vertu de son pouvoir discrétionnaire : Chrysler était au courant, avant l’incendie, des défectuosités des modules de feux de jour, mais n’en a pas informé Mme Prebushewski ni aucun autre consommateur; Chrysler a pris la décision d’affaires de ne pas informer ses clients du problème et de ne pas rappeler les véhicules; ni Chrysler ni Dodge City n’ont enquêté sur l’incendie ou fait quoi que ce soit pour indemniser Mme Prebushewski.
18 Elle a accordé à Mme Prebushewski des dommages‑intérêts de 25 000 $, en plus de dommages‑intérêts généraux de 41 969,83 $.
19 Dans un jugement unanime rédigé par le juge Tallis (auquel ont souscrit les juges Sherstobitoff et Lane), la Cour d’appel de la Saskatchewan a maintenu les dommages‑intérêts généraux, mais a annulé l’octroi de dommages‑intérêts exemplaires : (2003), 241 Sask. R. 22, 2003 SKCA 133. Le juge Tallis a estimé que la juge de première instance avait accordé trop d’importance au refus de Chrysler et de Dodge City d’indemniser Mme Prebushewski. Selon lui, ce refus ne suffisait pas à justifier l’octroi de dommages‑intérêts exemplaires, parce que les défenderesses n’avaient pas agi de mauvaise foi en faisant valoir que la perte consistait essentiellement en un sinistre indemnisable par l’assureur.
20 Le juge Tallis n’a pas souscrit non plus à la condamnation de la politique de Chrysler par la juge Rothery. Malgré la conclusion expresse à l’effet contraire de cette dernière, il s’est dit d’avis que, avant la destruction par les flammes du camion des Prebushewski, rien n’indiquait que la défectuosité du module de feux de jour provoquait des incendies. Voici en quels termes il s’est exprimé :
[traduction] La preuve n’a pas établi que Chrysler savait ou qu’elle aurait dû prévoir qu’un incendie pourrait occasionner une perte de cette ampleur avant qu’elle ne survienne. De plus, aucun élément de preuve n’indiquait que l’entreprise avait pour politique de faire passer les bénéfices avant les dangers potentiels pour la sécurité de ses clients. . .
Étant donné la preuve, nous sommes d’avis que l’octroi de dommages‑intérêts exemplaires en l’espèce n’est pas rationnellement justifié . . . [par. 50‑51]
21 La Cour d’appel n’a pas explicitement examiné la question de savoir quel était le critère applicable, en vertu de la Loi, pour l’octroi de dommages‑intérêts exemplaires, mais elle semble avoir implicitement accepté l’argument de Chrysler et de Dodge City selon lequel c’est le critère de la common law qui s’appliquait.
22 En plus d’annuler l’octroi de dommages‑intérêts exemplaires, la Cour d’appel a accordé leurs dépens en appel à Chrysler et à Dodge City. Madame Prebushewski a interjeté appel de ces deux conclusions.
II. Analyse
A. Les dommages‑intérêts exemplaires
23 La principale question en litige dans le présent pourvoi est de savoir si la contravention à la Loi en l’espèce pouvait donner lieu à l’octroi de dommages‑intérêts exemplaires en vertu de l’art. 65 de cette loi. Pour la trancher, il faut déterminer si cette disposition établit un critère distinct pour l’octroi de dommages‑intérêts exemplaires, ou si l’on doit n’y voir qu’une simple codification du critère prévu par la common law. L’article 65 figure dans la partie III de la Loi, qui porte sur les garanties relatives aux produits de consommation :
[traduction]
65(1) Outre les autres recours prévus par la présente partie ou reconnus en droit dans la province, le consommateur ou la personne visée au paragraphe 41(1) ou à l’article 64 peut recouvrer des dommages‑intérêts exemplaires d’un fabricant, d’un détaillant ou d’un garant qui a commis une contravention délibérée à la présente partie.
(2) Lorsque des dommages‑intérêts exemplaires sont réclamés dans une action, la preuve de l’existence d’un comportement similaire dans des opérations entre le fabricant, le détaillant ou le garant et d’autres consommateurs est recevable pour démontrer que la contravention était délibérée ou pour établir à quel degré elle l’était.
24 En common law, des dommages‑intérêts exemplaires ou punitifs ne sont octroyés que dans des cas exceptionnels, afin de punir, de dissuader ou de dénoncer une conduite « malveillante, opprimante et abusive » qui « choque le sens de la dignité de la cour ». Le critère limite de tels dommages‑intérêts aux seules « conduites répréhensibles représentant un écart marqué par rapport aux normes ordinaires en matière de comportement acceptable » : Performance Industries Ltd. c. Sylvan Lake Golf & Tennis Club Ltd., [2002] 1 R.C.S. 678, 2002 CSC 19, par. 79; Whiten c. Pilot Insurance Co., [2002] 1 R.C.S. 595, 2002 CSC 18, par. 36; Hill c. Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130, par. 199; et Norberg c. Wynrib, [1992] 2 R.C.S. 226, p. 267.
25 À mon avis, le par. 65(1) établit un critère différent en matière de dommages‑intérêts exemplaires. Le texte de ce paragraphe est clair et non ambigu : le juge qui conclut à l’existence d’une contravention délibérée a le pouvoir discrétionnaire d’accorder des dommages‑intérêts exemplaires. Si le législateur avait voulu que le critère plus exigeant de la common law s’applique, il aurait facilement pu employer des mots associés à la notion classique de dommages‑intérêts exemplaires, par exemple « malveillant » ou « opprimant ». En énonçant plutôt qu’une contravention « délibérée » à la Loi suffit pour que le juge puisse exercer son pouvoir discrétionnaire, le législateur a exprimé l’intention d’imposer des conditions moins exigeantes et de faciliter l’accès aux dommages‑intérêts exemplaires.
26 La conclusion selon laquelle le législateur entendait écarter le droit existant, notamment le critère prévu par la common law, est renforcée par l’énoncé liminaire du par. 65(1), reproduit ci-après :
[traduction] Outre les autres recours prévus par la présente partie ou reconnus en droit dans la province, le consommateur [. . .] peut recouvrer des dommages‑intérêts exemplaires . . .
27 De même, l’intention du législateur de voir cette disposition être interprétée comme ouvrant un recours différent de celui de la common law peut aussi être trouvée au par. 40(1) qui, tout comme l’art. 65, figure dans la partie III de la Loi :
[traduction]
40(1) Les droits et recours prévus par la présente partie s’ajoutent à ceux reconnus en droit dans la province à moins qu’ils ne soient expressément ou implicitement contraires à la présente partie.
28 Ce paragraphe, qui indique explicitement que les dispositions de la Loi l’emportent sur les règles de droit existantes, serait sans effet si l’on interprétait le par. 65(1) selon les principes de la common law plutôt que d’y voir une indication de l’intention de remplacer ceux‑ci en établissant un régime distinct visant à accroître la protection des consommateurs.
29 Chacune de ces deux dispositions indique le caractère particulier des règles établies par la Loi en matière de dommages‑intérêts exemplaires ou punitifs; prises ensemble, elles l’expriment d’une manière éclatante.
30 À l’appui de la conclusion selon laquelle le par. 65(1) s’écarte du critère de la common law en matière de dommages‑intérêts exemplaires, on peut aussi invoquer les termes dans lesquels il est fait mention de ces dommages‑intérêts à l’art. 16, qui se trouve dans la partie II de la Loi. La partie II porte sur les pratiques commerciales déloyales. L’alinéa 16(1)b) précise que, lorsque le tribunal conclut qu’un fournisseur s’est livré à une pratique déloyale, il peut
[traduction] accorder au consommateur des dommages‑intérêts correspondant à la perte subie par suite de la pratique déloyale, y compris des dommages‑intérêts punitifs ou exemplaires;
31 Puisque la mention de dommages‑intérêts [traduction] « punitifs ou exemplaires », dans cette disposition, n’est assortie d’aucun autre énoncé limitatif, on peut conclure qu’elle renvoie à un critère différent de celui qui est formulé au par. 65(1). Il faut présumer que l’emploi d’une formulation différente aux art. 16 et 65 est significatif.
32 La conclusion que le critère établi au par. 65(1) à l’égard des dommages‑intérêts exemplaires remplace les principes de la common law ressort aussi d’une analyse du contexte historique et des origines de la législation de la Saskatchewan en matière de protection du consommateur.
33 La partie III de la Loi, dans laquelle se trouve l’art. 65, a été édictée initialement en 1977 en tant que loi intitulée The Consumer Products Warranties Act, 1977, S.S. 1976‑77, ch. 15. Ce texte s’inscrivait dans le mouvement observé alors en Amérique du Nord, où des lois étaient édictées en vue de corriger le déséquilibre entre les pouvoirs de négociation respectifs des consommateurs et des fabricants et vendeurs de produits. Afin d’informer les consommateurs et de les protéger contre les produits dangereux et les pratiques frauduleuses ou trompeuses, des mesures législatives ont été adoptées pour corriger la situation vulnérable dans laquelle des principes de common law comme la règle caveat emptor (que l’acheteur prenne garde) plaçaient le consommateur.
34 Au Canada, le gouvernement fédéral a édicté la Loi sur le ministère de la Consommation et des Corporations, S.C. 1967-68, ch. 16, qui confiait au nouveau ministère la tâche de coordonner l’application de diverses lois fédérales visant à protéger les consommateurs. Au nombre des lois fédérales importantes en cette matière figurent également la Loi des aliments et drogues, S.C. 1952-53, ch. 38, la Loi sur les produits dangereux, S.C. 1968-69, ch. 42, la Loi sur la sécurité des véhicules automobiles, S.C. 1969-70, ch. 30, la Loi sur l’étiquetage des textiles, S.C. 1969-70, ch. 34, les dispositions relatives aux billets de consommation de la Loi sur les lettres de change, S.R.C. 1952, ch. 15, partie V (ajoutée par S.C. 1969-70, ch. 48, art. 2), la Loi sur les poids et mesures, S.C. 1970‑71‑72, ch. 36, et la Loi sur l’emballage et l’étiquetage des produits de consommation, S.C. 1970‑71‑72, ch. 41.
35 Les provinces ont elles aussi commencé à adopter des lois visant à améliorer la protection et les recours des consommateurs, en vertu de leur compétence en matière de propriété et de droits civils. La Consumer Products Warranties Act, 1977, de la Saskatchewan, faisait partie de ces lois.
36 Lors du dépôt du projet de loi à l’assemblée législative de la Saskatchewan, le ministre de la Consommation de l’époque a fait état d’un rapport de la Commission de réforme du droit de l’Ontario, intitulé Report on Consumer Warranties and Guarantees in the Sale of Goods (1972), afin d’expliquer les raisons pour lesquelles les dispositions législatives similaires de la Saskatchewan en matière de garantie ne répondaient pas adéquatement aux besoins des consommateurs. Il a cité le passage suivant du rapport ontarien, figurant à la p. 23 :
[traduction] [La Loi sur la vente d’objets de l’Ontario] repose sur la prémisse illusoire selon laquelle les parties à la négociation sont de force égale et aussi bien informées l’une que l’autre [. . .] L’insistance avec laquelle la Loi affirme la symétrie de la relation entre le vendeur et l’acheteur est particulièrement préoccupante, car ce principe ne tient aucun compte de la position de force qu’occupent aujourd’hui les fabricants dans la structure commerciale. [. . .] [L]es règles régissant la vente relèvent du droit privé et elles n’offrent aucune voie de recours efficace aux consommateurs lésés. Cette dernière lacune est peut‑être la plus grave car il n’y a de droit, comme on l’a souvent fait remarquer, que s’il existe un moyen de le faire valoir. [Je souligne.]
37 À mon avis, l’effet conjugué du libellé, des origines et de l’objectif de la Loi conduisent inexorablement à la conclusion de la juge de première instance : le critère énoncé à l’art. 65 en matière de dommages‑intérêts exemplaires diffère des règles de la common law. Un acte [traduction] « délibéré » est volontaire ou intentionnel. Les mots auxquels renvoie la notion d’acte délibéré exprimée dans la Loi posent une condition moins exigeante que les mots qui limitent l’octroi de dommages‑intérêts exemplaires en common law, et ils répondent à l’intention du législateur, qui voulait accroître l’accessibilité du recours. Rien ne justifie d’incorporer le critère prévu par la common law dans une disposition qui a si clairement pour but de le remplacer.
38 Comme il a été mentionné plus tôt, la juge de première instance a tiré plusieurs constatations de fait qui l’ont amenée à conclure que la violation était délibérée et que l’octroi de dommages‑intérêts exemplaires était justifié. Elle s’est exprimée en ces termes :
[traduction] . . . les aveux d’Eric Durance au nom de Chrysler montrent clairement que non seulement Chrysler était au courant des problèmes liés aux modules de feux de jour, mais qu’elle n’en a pas informé la demanderesse. Elle a simplement décidé de ne pas donner suite à la demande d’indemnisation de cette dernière et lui a dit de s’adresser à son assureur. Chrysler [. . .] a pris la décision d’affaires de ne pas informer ses clients du problème et de ne pas rappeler les véhicules pour remplacer le module. [. . .] Chrysler n’était pas disposée à dépenser 250 millions de dollars, même si elle savait ce que la défectuosité du module était susceptible de provoquer.
Monsieur Durance reconnaît que l’incendie du camion de la demanderesse ne s’explique d’aucune autre façon. Rien n’indique que la demanderesse ait fait quoi que ce soit au camion qui aurait provoqué l’incendie. Jim Wilkins, le responsable compétent chez Dodge, admet que Dodge n’a rien fait afin de déterminer la cause de l’incendie du camion. Il reconnaît que Dodge n’a pas fait quoi que ce soit pour indemniser la demanderesse.
L’avocat des défenderesses fait valoir que l’affaire devait se régler devant les tribunaux parce que la demanderesse et les défenderesses différaient tout simplement d’avis sur la question de savoir si la demanderesse devait être indemnisée par les défenderesses. Si les défenderesses pensaient que la cause de l’incendie était contestable, cela aurait pu suffire à démontrer qu’elles n’avaient pas délibérément contrevenu à cette partie de la Loi. Or elles ne l’ont pas contestée. Elles étaient au fait de la défectuosité du module de feux de jour. Elles n’ont rien fait pour remplacer le camion incendié de la demanderesse. Elles ne lui ont rien offert pour l’indemniser de sa perte. La thèse de leur avocat selon laquelle la définition de la remise du prix d’achat est un point susceptible d’être débattu ne suffit pas pour neutraliser la violation par les défenderesses de cette partie de la Loi. J’estime que la violation commise par les défenderesses était délibérée. Je conclus par conséquent que l’octroi de dommages‑intérêts exemplaires est indiqué au vu des faits de l’affaire. [par. 42-44]
39 La preuve autorisait la juge de première instance à tirer de telles constatations de fait. Je ne vois aucune raison de modifier ces constatations ou la conclusion selon laquelle elles indiquent une contravention [traduction] « délibérée » à la Loi justifiant une condamnation à des dommages‑intérêts exemplaires. Comme le montant de ces dommages‑intérêts n’est pas contesté, je suis d’avis de rétablir l’octroi de dommages‑intérêts exemplaires de 25 000 $ ordonné par la juge de première instance.
B. Les dépens
40 La Cour d’appel a condamné Mme Prebushewski aux dépens. Selon cette dernière, la cour n’avait pas le pouvoir de le faire.
41 Suivant l’article 66 de la Loi, le consommateur qui poursuit un fabricant ou un détaillant pour violation de garantie ne peut être condamné aux dépens — et ce, qu’il ait gain de cause ou non — , à moins que son action ne soit frivole ou vexatoire :
[traduction]
66(1) Ne peuvent être condamnés aux dépens le consommateur, la personne visée au paragraphe 41(1) qui tient son droit de propriété ou son intérêt sur un produit de consommation d’un consommateur ou la personne visée à l’article 64, qui :
a) soit intente une action contre un fabricant, un détaillant ou un garant pour violation d’une garantie prévue à la présente partie;
. . .
(2) Le paragraphe (1) s’applique sans égard à l’issue de l’action, de la défense ou de la demande reconventionnelle, à moins que le tribunal n’estime qu’elle était frivole ou vexatoire.
42 S’appuyant sur l’al. 3c) de la Loi, où le mot [traduction] « tribunal » est défini comme étant la « Cour du Banc de la Reine », Chrysler et Dodge City soutiennent que la protection accordée par cette disposition s’applique seulement aux instances devant la Cour du Banc de la Reine. Je ne vois rien dans le libellé de l’art. 66 qui restreigne expressément ou implicitement l’application de cette disposition à la première étape du cheminement naturel d’une action judiciaire. Le paragraphe 66(1), qui énonce que le consommateur ne peut être condamné aux dépens, constitue incontestablement la disposition essentielle de l’article. Le terme [traduction] « tribunal » n’y figure pas. La présence de ce terme au par. 66(2), qui est une disposition de modulation, ne saurait recevoir d’interprétation dérogeant à l’objet clairement exprimé au par. 66(1).
43 L’article 66 vise à protéger les consommateurs qui intentent des poursuites légitimes contre la possibilité dissuasive d’une condamnation à des dépens élevés. L’intention du législateur est ici de favoriser de telles poursuites. Limiter à la première instance cette protection relative aux dépens aurait le résultat inverse, étant donné la possibilité que les défendeurs condamnés souhaitent interjeter appel, comme ils en ont le droit.
44 Comme le tribunal de première instance et la Cour d’appel ont jugé que Mme Prebushewski avait droit à des dommages‑intérêts correspondant au prix d’achat du camion, et que ni Chrysler ni Dodge City n’ont prétendu que l’action était frivole ou vexatoire, la condamnation de Mme Prebushewski aux dépens devant la Cour d’appel n’était pas fondée.
45 Je suis d’avis d’accueillir l’appel avec dépens dans toutes les cours, et de rétablir la décision de la juge de première instance.
Pourvoi accueilli avec dépens.
Procureurs de l’appelante : Rusnak Balacko Kachur Rusnak, Yorkton, Saskatchewan.
Procureurs des intimées : McDougall Gauley, Regina.