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26/03/2004 | CANADA | N°2004_CSC_21

Canada | Pinet c. St. Thomas Psychiatric Hospital, 2004 CSC 21 (26 mars 2004)


Pinet c. St. Thomas Psychiatric Hospital, [2004] 1 R.C.S. 528, 2004 CSC 21

Michael Roger Pinet Appelant

c.

Procureur général de l’Ontario et Directeur général du

St. Thomas Psychiatric Hospital Intimés

et

Procureur général du Canada, Commission ontarienne d’examen

et Commission d’examen du Nunavut, Mental Health Legal Committee

et Mental Health Legal Advocacy Coalition Intervenants

Répertorié : Pinet c. St. Thomas Psychiatric Hospital

Référence neutre : 2004 CSC 21.

No du greffe : 29254.

2003 :

5 novembre; 2003 : 7 novembre.

Motifs déposés : 26 mars 2004.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Iacobucci, Major, Bas...

Pinet c. St. Thomas Psychiatric Hospital, [2004] 1 R.C.S. 528, 2004 CSC 21

Michael Roger Pinet Appelant

c.

Procureur général de l’Ontario et Directeur général du

St. Thomas Psychiatric Hospital Intimés

et

Procureur général du Canada, Commission ontarienne d’examen

et Commission d’examen du Nunavut, Mental Health Legal Committee

et Mental Health Legal Advocacy Coalition Intervenants

Répertorié : Pinet c. St. Thomas Psychiatric Hospital

Référence neutre : 2004 CSC 21.

No du greffe : 29254.

2003 : 5 novembre; 2003 : 7 novembre.

Motifs déposés : 26 mars 2004.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Iacobucci, Major, Bastarache, Binnie, Arbour, LeBel, Deschamps et Fish.

en appel de la cour d’appel de l’ontario

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario, [2002] O.J. No. 958 (QL), qui a confirmé une décision de la Commission ontarienne d’examen. Pourvoi accueilli.

Suzan E. Fraser et Richard Macklin, pour l’appelant.

Riun Shandler, Christine Bartlett-Hughes et Melissa Ragsdale, pour l’intimé le procureur général de l’Ontario.

Janice E. Blackburn, pour l’intimé le Directeur général du St. Thomas Psychiatric Hospital.

James W. Leising et Michael H. Morris, pour l’intervenant le procureur général du Canada.

Maureen D. Forestell et Sharan K. Basran, pour les intervenantes la Commission ontarienne d’examen et la Commission d’examen du Nunavut.

Daniel J. Brodsky, Anita Szigeti et Michael Davies, pour les intervenants Mental Health Legal Committee et Mental Health Legal Advocacy Coalition.

Version française du jugement de la Cour rendu par

1 Le juge Binnie — Dans le présent pourvoi, ainsi que dans l’affaire connexe Centre de santé mentale de Penetanguishene c. Ontario (Procureur général), [2004] 1 R.C.S. 498, 2004 CSC 20 (« Tulikorpi »), notre Cour est appelée à décider si la Commission ontarienne d’examen a établi un juste équilibre entre le double objectif consistant à protéger la sécurité du public, d’une part, et à répondre aux besoins des accusés déclarés non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux, d’autre part.

2 À l’audition du pourvoi, l’argumentation a porté principalement sur la question de savoir si l’obligation faite au tribunal et aux commissions d’examen par l’art. 672.54 du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, à savoir rendre la décision « la moins sévère et la moins privative de liberté » pour l’accusé jugé non responsable criminellement, compte tenu des facteurs énumérés à l’art. 672.54, s’applique non seulement au dispositif général de l’instance (libération inconditionnelle, libération assortie de conditions ou détention sous réserve de certaines modalités), mais aussi aux modalités fixées dans la décision. La Commission d’examen n’a pas clairement abordé cette question d’interprétation législative dans ses motifs, mais paraît plutôt avoir considéré qu’il suffisait simplement d’établir que les modalités sont « indiquées ». En adoptant ce point de vue, la Commission d’examen a suivi la jurisprudence de la Cour d’appel de l’Ontario.

3 Pour les motifs exposés dans l’arrêt Tulikorpi, rendu simultanément, nous estimons que l’obligation de rendre la décision « la moins sévère et la moins privative de liberté » s’applique effectivement à l’ensemble de la décision, y compris les modalités dont elle est assortie. Il n’est pas nécessaire de reprendre cette analyse en l’espèce.

4 La Commission d’examen n’a donc pas appliqué le bon critère juridique pour décider du sort de l’appelant. Toutefois, l’art. 672.78 du Code criminel dispose que sa décision peut néanmoins être maintenue s’il est établi qu’aucun « tort important » n’a été causé. En l’espèce, cependant, il nous est impossible d’affirmer que le résultat aurait nécessairement été le même si la Commission d’examen avait appliqué le bon critère et agi raisonnablement.

5 En conséquence, dans une ordonnance datée du 7 novembre 2003, nous avons ordonné la tenue d’une nouvelle audience. Voici les motifs justifiant cette ordonnance.

I. Les faits

6 L’appelant a été jugé à Yellowknife, dans les Territoires du Nord‑Ouest, pour le meurtre de quatre membres de la famille de son épouse. Le 9 décembre 1976, il a été déclaré non responsable criminellement pour cause de troubles mentaux et placé en détention en vertu d’un mandat du Commissaire des Territoires du Nord‑Ouest. Il a ensuite été transféré au Centre de santé mentale de Penetanguishene en Ontario, à la division à sécurité maximum de Oak Ridge. Au cours des 27 dernières années, il a été détenu dans différents hôpitaux psychiatriques.

7 On a diagnostiqué chez l’appelant, qui est aujourd’hui âgé de 50 ans, un trouble mixte de la personnalité comportant des traits antisociaux, limites (« borderline ») et narcissiques, ainsi qu’une possible paraphilie sadique. L’appelant possède également des antécédents de consommation abusive de drogues et d’alcool.

8 Le 30 janvier 1984, il a été transféré à un établissement à sécurité moyenne situé à St. Thomas en Ontario, le St. Thomas Psychiatric Hospital. Pendant son séjour à cet endroit, il a eu une liaison amoureuse avec un membre du personnel. Lorsque cette liaison a pris fin, son état mental s’est détérioré. Il était déprimé et suicidaire. Selon certains éléments de preuve, il a envisagé de prendre des personnes en otages. Le 2 octobre 1985, l’appelant a été renvoyé à l’établissement à sécurité maximum de Oak Ridge.

9 En 1995, l’appelant a demandé son transfert à un établissement à sécurité moyenne. Malgré l’opposition de l’hôpital, l’appelant a réintégré le St. Thomas Psychiatric Hospital en vertu d’une ordonnance de la Commission d’examen datée du 23 juin 1995. Compte tenu du comportement subséquent de l’appelant, l’hôpital estime avoir été justifié de s’opposer au transfert de ce dernier en 1995. Le 30 juin 2000, sur la recommandation de l’hôpital, une formation différente de la Commission d’examen a ordonné le renvoi de l’appelant au Centre de santé mentale de Penetanguishene à la division à sécurité maximum de Oak Ridge. Le caractère indiqué de cette décision est en litige dans le présent pourvoi.

II. Les dispositions législatives applicables

10 Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46

672.54 [Décisions] Pour l’application du paragraphe 672.45(2) ou de l’article 672.47, le tribunal ou la commission d’examen rend la décision la moins sévère et la moins privative de liberté parmi celles qui suivent, compte tenu de la nécessité de protéger le public face aux personnes dangereuses, de l’état mental de l’accusé et de ses besoins, notamment de la nécessité de sa réinsertion sociale :

a) lorsqu’un verdict de non‑responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux a été rendu à l’égard de l’accusé, une décision portant libération inconditionnelle de celui‑ci si le tribunal ou la commission est d’avis qu’il ne représente pas un risque important pour la sécurité du public;

b) une décision portant libération de l’accusé sous réserve des modalités que le tribunal ou la commission juge indiquées;

c) une décision portant détention de l’accusé dans un hôpital sous réserve des modalités que le tribunal ou la commission juge indiquées.

672.78 (1) [Pouvoirs de la cour d’appel] La cour d’appel peut accueillir l’appel interjeté à l’égard d’une décision ou d’une ordonnance de placement et annuler toute ordonnance rendue par le tribunal ou la commission d’examen si elle est d’avis que, selon le cas :

a) la décision ou l’ordonnance est déraisonnable ou ne peut pas s’appuyer sur la preuve;

b) il s’agit d’une erreur de droit;

c) il y a eu erreur judiciaire.

(2) La cour d’appel peut rejeter l’appel, dans l’un ou l’autre des cas suivants :

a) les alinéas (1)a), b) et c) ne s’appliquent pas;

b) l’alinéa (1)b) peut s’appliquer, mais elle est d’avis qu’aucun tort important ou aucune erreur judiciaire ne s’est produit.

(3) La cour d’appel, si elle accueille l’appel, peut :

a) rendre la décision en vertu de l’article 672.54 ou l’ordonnance de placement que la commission d’examen aurait pu rendre;

b) renvoyer l’affaire au tribunal ou à la commission d’examen pour une nouvelle audition, complète ou partielle, en conformité avec les instructions qu’elle lui donne;

c) rendre toute autre ordonnance que la justice exige. [Je souligne.]

III. L’historique des procédures

A. Commission ontarienne d’examen

11 La Commission d’examen a ordonné le renvoi de l’appelant à la division à sécurité maximum de Oak Ridge sur la base de facteurs qui, selon elle, exigeaient que l’appelant reste dans un environnement plus structuré. La Commission a dit ceci :

[traduction] La Commission est d’avis qu’un milieu à sécurité moyenne n’est plus indiqué pour [l’appelant]. Les principales considérations sont le risque et la confiance. Sans être une considération dominante, l’existence de programmes est également une considération importante et, de par la nature même des établissements à sécurité maximum, [l’appelant] profitera d’un meilleur accès à des programmes à Oak Ridge. Au nom de son client, Mme Fraser a soutenu que les observations des autres parties équivalaient à considérer [l’appelant] « irrécupérable ». La Commission estime que ce n’est pas le cas et que, vu la capacité qu’a démontrée [l’appelant] par le passé à progresser sur les plans de l’éducation et du comportement et à participer convenablement à des programmes et à des activités, il pourrait à nouveau conclure une alliance thérapeutique plus positive avec les personnes appelées à prendre soin de lui. La Commission estime qu’un établissement à sécurité maximum où tout est très structuré et où on accorde une attention considérable aux difficultés que présente l’appelant est l’endroit permettant le mieux d’atteindre ce résultat.

12 La Commission a conclu que, bien que l’appelant puisse être pris en charge dans un environnement à sécurité moyenne, ce n’est pas l’endroit idéal pour lui étant donné qu’il profite d’un meilleur accès à des programmes à Oak Ridge et qu’il ne peut plus participer, à St. Thomas, à des activités à l’extérieur du service où il était gardé.

13 La Commission d’examen a également ordonné que St. Thomas autorise le transfert de l’appelant pour qu’il fasse l’objet d’une évaluation psycho‑sexuelle.

B. Cour d’appel, [2002] O.J. No. 958 (QL)

14 Les juges de la Cour d’appel de l’Ontario ont, dans une décision rendue séance tenante, unanimement rejeté le pourvoi de l’appelant. La Cour a dit ceci, au par. 7 :

[traduction] Dans Penetanguishene Mental Health Centre c. Ontario (Attorney General) (2001), 158 C.C.C. (3d) 325, aux p. 333 à 337, notre cour a conclu que l’arrêt Winko c. Colombie‑Britannique (Forensic Psychiatric Institute) [[1999] 2 R.C.S. 625] de la Cour suprême du Canada ne changeait rien à sa conclusion, dans Pinet c. Ontario (1995), 100 C.C.C. (3d) 343, selon laquelle le critère de la décision « la moins sévère et la moins privative de liberté » ne s’applique pas aux modalités imposées en vertu des alinéas b) et c) de l’art. 672.54. [Je souligne.]

15 La Cour d’appel a jugé que la décision de la Commission était raisonnablement étayée par la preuve et que la Commission avait tenu compte des facteurs pertinents en rendant sa décision.

16 La Cour d’appel a refusé d’entendre la preuve nouvelle que proposait de présenter l’appelant au sujet de la modification de son état. Selon elle, cette preuve ne satisfaisait pas aux conditions de recevabilité applicables et devait plutôt être présentée à la Commission, à l’occasion du prochain examen par celle-ci du dossier de l’appelant. Ce dernier ne se pourvoit pas contre cet aspect de la décision de la Cour d’appel.

IV. Les questions constitutionnelles

17 Dans une ordonnance datée du 18 mars 2003, la Juge en chef a énoncé les questions constitutionnelles suivantes :

1. L’alinéa 672.54c) du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, porte‑t‑il atteinte aux droits garantis par l’art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés?

2. Dans l’affirmative, s’agit‑il d’une atteinte constituant une limite raisonnable, établie par une règle de droit et justifiée dans le cadre d’une société libre et démocratique au sens de l’article premier de la Charte canadienne des droits et libertés?

18 Les parties ont par la suite obtenu l’autorisation de déposer, relativement aux questions constitutionnelles, des éléments de preuve additionnels sur des faits législatifs. Ces éléments ont été produits.

V. L’analyse

19 Suivant les principes de justice fondamentale, les commissions d’examen doivent, à chacune des étapes de leur examen, tenir compte du droit à la liberté des personnes qui, comme l’appelant, ont été reconnues non responsables criminellement d’une infraction criminelle pour cause de troubles mentaux. Cette démarche vise à concilier les deux objectifs que sont la sécurité du public et le traitement de l’intéressé. Dans ce processus de conciliation, la sécurité du public est l’objectif dominant. Toutefois, aux confins de cette considération, le droit à la liberté d’une personne jugée non responsable criminellement doit constituer une préoccupation fondamentale de la commission d’examen lorsqu’elle prend sa décision au regard de la sécurité du public, de l’état mental de l’individu en cause et de ses besoins, notamment sa réinsertion sociale éventuelle.

20 Dans l’arrêt Winko c. Colombie-Britannique (Forensic Psychiatric Institute), [1999] 2 R.C.S. 625, notre Cour a considéré que l’art. 672.54 du Code criminel requérait que les personnes jugées non responsables criminellement se voient accorder une libération inconditionnelle, à moins que le tribunal ou la commission d’examen ne soit en mesure de conclure que l’intéressé représente un risque important pour la sécurité du public. Après avoir déterminé que telle était l’intention du législateur, la Cour a rejeté l’argument d’inconstitutionnalité de la partie XX.1 du Code criminel présenté sur le fondement de l’art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. En l’espèce, c’est l’argument de l’appelant voulant que la Commission d’examen n’ait tenu aucun compte de son droit à la liberté en arrêtant les modalités de sa détention qui relance le débat concernant la constitutionnalité du régime au regard de l’art. 7 de la Charte.

21 Tout comme elle l’affirme dans l’arrêt Tulikorpi, précité, rendu simultanément, notre Cour estime que, même lorsque l’existence d’un risque pour la sécurité du public a été établi, les modalités de l’ordonnance doivent être « l[es] moins sévère[s] et l[es] moins privative[s] de liberté » pour l’accusé eu égard à l’importance de ce risque, compte tenu de l’état mental de l’accusé non responsable criminellement et de ses besoins, notamment son éventuelle réinsertion sociale.

22 Dans R. c. Owen, [2003] 1 R.C.S. 779, 2003 CSC 33, la Cour a reconnu l’expertise des membres des commissions d’examen et a jugé qu’il n’y avait pas lieu de modifier leurs conclusions sur le choix des mesures les plus appropriées de gestion du risque que constitue un accusé non responsable criminellement, à condition que les modalités de la détention puissent être tenues pour raisonnables.

23 Dans le présent pourvoi, notre Cour est appelée à appliquer les principes généraux énoncés dans ces affaires, mais à la lumière d’une nouvelle variante. À la différence de l’affaire Owen, la décision rendue par la Commission d’examen en l’espèce est entachée d’une erreur de droit. Et, contrairement à l’affaire Tulikorpi, la Commission d’examen n’a pas reconnu que les modalités du maintien en détention de l’appelant devaient, conformément à l’art. 672.54 du Code criminel, être « l[es] moins sévère[s] et l[es] moins privative[s] de liberté », une fois pris en compte les autres facteurs énumérés dans cet article. La Commission d’examen a en conséquence fait appel à son expertise et conçu une ordonnance reposant sur des assises juridiques défectueuses.

A. La norme de contrôle

24 Le législateur a expressément énoncé, à l’art. 672.78 du Code criminel, la norme de contrôle applicable en appel, précisant que la cour ne peut annuler une ordonnance de la commission d’examen que si elle est d’avis que, selon le cas :

a) la décision est déraisonnable ou ne peut pas s’appuyer sur la preuve;

b) il s’agit d’une erreur de droit (sauf si aucun tort important ou aucune erreur judiciaire ne s’est produit);

c) il y a eu erreur judiciaire.

25 L’arrêt Owen, précité, a été décidé sur le fondement du premier volet de ce pouvoir de révision. Dans la présente affaire, c’est le deuxième volet qui est en jeu. Compte tenu de la conclusion tirée dans l’arrêt Tulikorpi, comme la décision de la Commission d’examen découlait d’une erreur de celle-ci sur une question de droit, est‑il possible d’affirmer qu’aucun tort important ou aucune erreur judiciaire ne s’est produit? Une erreur judiciaire constitue évidemment en soi un « tort important », mais la réciproque n’est pas toujours vraie. Par conséquent, comme l’appelant a effectivement établi l’existence d’une erreur de droit, il appartient alors au ministère public intimé de tenter de sauvegarder la validité de l’ordonnance de la Commission d’examen en prouvant qu’aucun « tort important » n’a été causé.

26 Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que le ministère public ne s’est pas acquitté de cette charge. De fait, les motifs exposés par la Commission d’examen en l’espèce constituent un bon exemple des difficultés qui surgissent si le « caractère indiqué » de son ordonnance n’est pas solidement ancré dans le droit à la liberté de l’accusé non responsable criminellement lorsque le décideur applique les quatre facteurs précisés à l’art. 672.54, soit la sécurité du public, l’état mental de l’accusé et ses « besoins », notamment la nécessité de sa réinsertion sociale.

27 La cour d’appel n’a pas pour tâche de réévaluer la preuve ni de substituer son opinion à celle de la Commission d’examen. Nous faisons nôtres les conclusions de la Commission concernant l’appelant et certains autres faits pertinents, lorsque ces conclusions sont étayées par la preuve. Le problème en l’espèce est que le résultat a été faussé par l’erreur de droit de la Commission d’examen.

28 À mon sens, la condition requérant qu’aucun « tort important » ne se soit produit — condition prévue à l’art. 672.78 — oblige la partie sollicitant la confirmation de l’ordonnance (en l’occurrence le ministère public) à convaincre la cour d’appel que, n’eût été l’erreur de droit, une commission d’examen bien au fait du droit applicable et agissant raisonnablement serait nécessairement arrivée à la même conclusion.

29 Ni le ministère public intimé ni le directeur général du St. Thomas Psychiatric Hospital intimé n’ont satisfait à cette exigence. Il nous est donc impossible d’affirmer qu’aucun tort important ne s’est produit. L’appelant a en conséquence droit à une nouvelle audience.

B. Risque important pour la sécurité du public

30 Une large part de la décision de la Commission d’examen ne suscite aucune controverse. Après analyse de la preuve, la Commission a rapidement conclu que l’appelant représentait un risque permanent et important pour la sécurité du public. Sa réinsertion sociale ne pouvait être envisagée à court terme. Il était donc exclu de le libérer inconditionnellement ou à certaines conditions. Son maintien en détention dans un hôpital étant par conséquent requis, la Commission d’examen n’avait plus qu’à arrêter les modalités « indiquées » à cet égard.

C. Conclusion de la Commission d’examen selon laquelle la sécurité du public n’exigeait pas la détention de l’appelant dans un hôpital à sécurité maximum

31 L’appelant est détenu dans des hôpitaux psychiatriques de l’Ontario depuis plus de 27 années. La Commission d’examen a dès le départ souligné que l’appelant ne s’est pas montré violent depuis 1987, qu’il n’y a pas de risque qu’il prenne le large et qu’il ne constitue un danger ni pour lui‑même ni pour autrui. Il n’est pas psychotique. En outre, la Commission a d’entrée de jeu reconnu que la sécurité maximum n’est pas [traduction] « le seul niveau de sécurité permettant de contenir » l’appelant. Néanmoins, elle a estimé que le recours à ce niveau de sécurité est dicté par [traduction] « d’autres facteurs » :

[traduction] Bien que [l’appelant] ne soit pas montré carrément violent, en agressant autrui, et n’ait pas donné lieu de craindre qu’il s’esquive, comportements qui auraient fait de la sécurité maximum le seul niveau de sécurité susceptible de le contenir, d’autres facteurs que la Commission juge tout aussi importants commandent son retour dans l’environnement structuré d’une unité à sécurité maximale. [Je souligne.]

32 Ces « autres facteurs » auraient dû être mis en balance avec le droit à la liberté de l’appelant pour décider si, prises globalement, les diverses modalités assortissant la détention pouvaient raisonnablement être considérées comme les modalités indiquées « l[es] moins sévère[s] et l[es] moins privative[s] de liberté » dans les circonstances.

33 La Commission d’examen a abordé la question sous un autre angle. Selon elle, la détention dans un établissement à sécurité moyenne ou minimum vise à favoriser la réinsertion sociale de l’accusé déclaré non responsable criminellement. La réinsertion sociale requiert l’existence d’un certain degré de confiance entre l’hôpital et le détenu. Dans le cas de l’appelant, cette confiance n’existait pas et il n’était donc pas un candidat à la réinsertion sociale. Par conséquent, il était « indiqué » d’accepter la recommandation du directeur général du St. Thomas Psychiatric Hospital, établissement à sécurité moyenne, de renvoyer l’appelant à l’établissement à sécurité maximum de Oak Ridge.

34 La prémisse de cet argument est qu’un hôpital psychiatrique à sécurité moyenne joue un rôle particulier et se veut une sorte de grande maison de transition au sein de la « cascade » d’étapes allant de la détention d’un accusé déclaré non responsable criminellement dans un établissement à sécurité maximum jusqu’à sa réinsertion dans la société. Une telle approche ne tient pas compte du moindre droit à la liberté dont peut jouir l’accusé. Comme l’a dit le Dr John Bradford, directeur clinique du programme intégré de médecine légale des Services de santé Royal Ottawa, dans un témoignage faisant partie de la preuve additionnelle produite à l’égard de la question constitutionnelle, [traduction] « [m]ême lorsque l’amélioration d’un accusé déclaré non responsable criminellement paraît lente et requiert une longue période de détention dans un établissement à sécurité moyenne, ce fait ne justifie pas à lui seul le transfert du patient dans un établissement à sécurité maximum, où il est impossible d’accroître progressivement le degré de liberté accordé. »

D. Facteurs considérés par la Commission d’examen comme favorables au transfert de l’appelant dans un établissement à sécurité maximum

35 Suivant l’ordre de priorité établi par la Commission d’examen, voici les [traduction] « autres facteurs [. . .] tout aussi importants » invoqués pour justifier le renvoi de l’appelant dans un hôpital psychiatrique à sécurité maximum :

(i) Le problème de crédibilité de l’appelant

[traduction]

· « [Il] a été vu en train de manipuler le pantalon d’un autre patient et il se serait emparé de [20 $] appartenant à ce patient. Il a d’abord avoué avoir subtilisé cette somme, puis il a retiré cet aveu. »

« En avril 1998, [il] a rapporté dans le service où il était détenu un tournevis de l’atelier du centre de formation professionnelle. Lorsqu’il a exhibé l’outil, il a dit avoir oublié de s’en départir avant de revenir dans le service. »

« Un briquet appartenant à un membre du personnel a disparu après avoir été laissé dans le fumoir. [L’appelant] a prétendu l’avoir trouvé dans un distributeur de papier hygiénique. »

· Il a reconnu avoir [traduction] « inventé ou exagéré » certaines allégations concernant sa liaison amoureuse avec une de ses infirmières.

· L’appelant a acheté un ordinateur et, lorsqu’on lui a dit que celui‑ci devrait être inspecté, il s’est mis en colère et a exigé qu’on le retourne. Par la suite, il a affirmé qu’il l’avait retourné parce qu’il n’en était pas satisfait.

36 La Commission d’examen a fait observer que le tournevis et le briquet (de même qu’un petit couteau lancé par l’appelant sur le toit de l’hôpital et certains comprimés que l’appelant avait « trouvés » à d’autres occasions) étaient des objets [traduction] « susceptibles d’être dangereux ou de présenter un risque ». La Commission d’examen n’a pas expressément conclu que l’appelant avait menti au sujet de ces incidents (si ce n’est sur certains points que l’appelant a lui même admis et dont il est question plus loin) qui, le reconnaît la Commission, [traduction] « peuvent sembler insignifiants et mineurs » considérés isolément. C’est l’ensemble de ces incidents, considérés globalement, qui préoccupait la Commission.

37 La Commission d’examen a eu l’avantage d’entendre les témoins, y compris l’appelant, et nous acceptons sa conclusion que l’appelant n’est pas une personne digne de foi.

(ii) Les relations de l’appelant avec le personnel féminin

38 Au cours des 20 dernières années, l’appelant semble avoir entretenu avec certaines employées des relations amoureuses complexes (réelles ou imaginaires), dont la Commission a dressé la liste suivante :

[traduction]

· a reçu des visites et des lettres de l’employée du St. Thomas Psychiatric Hospital, de 1985 à 1989;

· s’est lié émotivement avec une animatrice en loisirs, [l’appelant] faisant état de fantaisies sexuelles et partageant des pensées sexuelles (1989);

· s’est « entiché sexuellement » d’une chef clinicienne, puis s’est fait une raison après que les limites de la relation eurent été clairement définies;

· a eu, en 1992 et 1993, une « liaison intense et clandestinement sexuelle avec une employée »;

· en 1992, a déclaré son amour à une infirmière chargée de s’occuper de lui, puis s’est lié d’amitié avec l’époux de cette dernière, qui « a continué de l’appuyer jusqu’à ce jour ».

39 Les parties reconnaissent que cette inconduite sexuelle, si elle a eu lieu, était consensuelle.

40 Le témoin principal du St. Thomas Psychiatric Hospital sur ces questions a été le Dr William Komer, qui a reconnu que si ces relations intimes avec des employées étaient avérées, ces relations seraient contraires aux obligations professionnelles des soignantes. Après tout, c’est l’appelant qui souffre de troubles mentaux.

(iii) Le comportement manipulateur de l’appelant à l’endroit de M. et Mme Blackwell

41 De 1992 à 1997, un membre de son personnel soignant de première ligne, une infirmière, puis l’époux de celle-ci se sont liés d’amitié avec l’appelant. L’infirmière a développé, à l’égard de l’appelant, ce que l’Ordre des infirmières et infirmiers appelle une [traduction] « relation de “maternage” » que l’hôpital a cherché à décourager. Selon l’hôpital, le caractère professionnel de la relation s’était estompé. Depuis peu à la retraite, le mari de l’infirmière s’est introduit dans la relation et a passé des centaines d’heures avec l’appelant, le visitant à l’occasion plusieurs fois par semaine et faisant des sorties avec lui, parfois en compagnie de son épouse. Au nombre de ces activités, mentionnons un voyage à Port Stanley, où l’appelant s’est baigné; un repas de steak dégusté dans un restaurant de St. Thomas; une excursion pour observer des animaux dans un sentier de randonnée pédestre; la visite d’un parc, où l’appelant a pêché; la visite d’un établissement vinicole; et une ballade en voiture pour voir de vieilles demeures.

42 Le couple, qui a envisagé la possibilité d’adopter l’appelant, avait de son propre chef mis de côté environ 7 000 $ pour les études de celui-ci. En fin de compte, la relation s’est détériorée en partie parce que les Blackwell estimaient que l’appelant [traduction] « ne faisait plus de progrès, [comme en témoignaient les faits suivants :] il avait démissionné du comité des patients, recommencé à fumer, eu une liaison avec une autre patiente et [. . .] il ne respectait pas sa part du marché ».

43 Dans une lettre adressée ultérieurement aux Blackwell, l’appelant a prétendu que Mme Blackwell et lui avaient eu une relation sexuelle inappropriée qu’il menaçait de révéler à l’Ordre des infirmières et infirmiers (ou à un journaliste), à moins que le couple ne lui verse les 7 000 $. Il a subséquemment reconnu que certaines de ces allégations étaient soit exagérées, soit le fruit de son imagination. Les Blackwell ont vu dans le comportement de l’appelant une tentative d’extorsion qu’ils ont signalée à la direction de l’hôpital. La Commission d’examen a refusé de se prononcer sur la question de savoir s’il y avait eu ou non relation sexuelle, mais elle a dit que [traduction] « [d’]une manière ou d’une autre, [l’appelant] a tenté de se servir d’une relation avec autrui comme moyen peu subtil d’obtenir ce qu’il veut, en ajoutant des faussetés quand cela sert ses besoins. »

44 Pour la Commission d’examen, ce pénible épisode était un exemple des problèmes de confiance et de fiabilité faisant qu’il y avait peu de chances que l’appelant puisse réintégrer la société dans un avenir prévisible.

(iv) Inaptitude de l’appelant à se rendre dans la collectivité

45 La Commission d’examen a conclu que [traduction] « [l]es patients résidant dans un établissement à sécurité moyenne qui bénéficient, sans surveillance directe, de privilèges de déplacement dans l’hôpital et sur ses terrains, ainsi que de privilèges d’accès à la collectivité, doivent d’abord montrer qu’on peut leur faire confiance avant de pouvoir jouir de ces privilèges. En ce qui concerne [l’appelant], pour des raisons bien documentées et parfaitement étayées par la preuve entendue, il n’a pas su se montrer à la hauteur de la confiance qu’on lui a accordée pendant un certain temps dans l’établissement. »

46 En toute déférence, j’estime que la prétention selon laquelle les accusés déclarés non responsables criminellement qui sont jugés inaptes à se rendre dans la collectivité doivent, pour ce seul motif, être détenus suivant des modalités propres au niveau de sécurité maximum, et ce même s’ils ne représentent pas un risque pour la sécurité du public, est clairement incompatible avec l’obligation prévue à l’art. 672.54, qui requiert que la décision soit « la moins sévère et la moins privative de liberté ».

(v) L’absence de programmes

47 La Commission d’examen a conclu que, bien que les [traduction] « points litigieux » fussent la question du risque et celle de la confiance, un autre aspect — secondaire « mais lui aussi important » — était la disponibilité de programmes, programmes dont l’appelant ne bénéficiait plus du fait de la révocation de ses privilèges de déplacement en dehors du service où il était détenu.

E. Facteurs négligés par la Commission d’examen dans sa décision renvoyant l’appelant dans un établissement à sécurité maximum

48 En toute déférence, j’estime que l’erreur de droit qu’a commise la Commission l’a amenée à négliger au moins trois facteurs importants.

(i) Le renvoi dans un établissement à sécurité maximum était‑il, dans le cas de l’appelant, la décision « la moins sévère et la moins privative de liberté »?

49 Alors que dans le témoignage du Dr Komer on retrouve certaines mentions des modalités [traduction] « les moins sévères, les moins privatives de liberté », les motifs de la Commission d’examen ne renferment aucune mention de ce critère en ce qui a trait aux modalités de la décision qu’elle a rendue, ni aucune indication de la prise en compte du droit à la liberté de l’appelant. La Commission d’examen semble avoir conclu que ces considérations n’influaient pas sur le « caractère indiqué » des modalités qu’elle fixait, s’appuyant sans doute à cet égard sur la jurisprudence de la Cour d’appel de l’Ontario, qui est analysée dans l’arrêt Tulikorpi, précité. Toutefois, en agissant ainsi elle a commis une erreur de droit.

(ii) La révocation des privilèges de déplacement de l’appelant hors du service où il était détenu était le résultat, et non la cause, de la recommandation de l’hôpital

50 Comme il a été mentionné précédemment, l’opinion de la Commission d’examen selon laquelle l’appelant serait mieux à Oak Ridge étant donné qu’il n’avait plus accès, à St. Thomas, aux programmes offerts à l’extérieur de cet établissement a joué un rôle important dans la décision rendue par celle-ci. En confirmant la décision de la Commission d’examen, la Cour d’appel de l’Ontario a elle aussi insisté sur ce facteur.

51 En réalité toutefois, comme l’a clairement souligné le Dr Komer dans son témoignage (et comme l’a aussi reconnu de manière incidente la Commission d’examen), les privilèges de déplacement de l’appelant hors du service où il était détenu ont été révoqués [traduction] « par suite de la recommandation de l’hôpital que [l’appelant] soit renvoyé dans un établissement à sécurité maximum ». Voici un extrait de son témoignage :

[traduction] À peu près au moment où nous avons décidé de l’envoyer à Penetang [division Oak Ridge], et même avant, puisque je ne peux me rappeler exactement quand nous avons tenu la conférence préalable à l’audience de la Commission, mais nous avions révoqué ses privilèges en nous disant que si nous envisageons la sécurité maximum, c’est que nous estimons que [l’appelant] ne fait pas de progrès, il nous faut envisager la sécurité maximum et le détenir dans un milieu à sécurité moyenne sans aucun privilège jusqu’à ce que la Commission puisse se réunir, et c’est pourquoi il n’a plus bénéficié de privilèges de déplacement hors du service où il était détenu.

52 En toute déférence, je suis d’avis que le directeur général de l’hôpital ne pouvait étayer sa décision d’imposer à l’appelant la sécurité maximum en réduisant la liberté de mouvement de celui-ci dans l’établissement à sécurité moyenne au point où même l’hôpital à sécurité maximum pourrait être considéré comme moins privatif de liberté que l’hôpital à sécurité moyenne.

(iii) Éléments de preuve indiquant que d’autres établissements à sécurité moyenne respectaient les critères énoncés par la Commission d’examen

53 L’appelant a manifesté le désir d’être transféré à l’hôpital de Brockville ou à celui de Whitby, deux établissements à sécurité moyenne, plutôt que d’être renvoyé à Oak Ridge.

54 Le Dr Komer a témoigné que le transfert à Oak Ridge aura vraisemblablement un effet négatif sur l’appelant.

55 Le Dr Komer a reconnu que l’établissement de Whitby offrait une gamme de programmes et de services plus étendue que celle que pouvait offrir St. Thomas à l’intérieur d’une unité à sécurité moyenne. La Commission d’examen a estimé que le lien de confiance entre l’appelant et la direction de St. Thomas s’était rompu. Mais dans sa recherche d’un environnement plus structuré, la Commission n’a pas traité, dans ses motifs, des autres établissements à sécurité moyenne que l’appelant lui avait demandé de prendre en considération.

F. Conclusion

56 J’accepte l’opinion de la Commission d’examen selon laquelle l’appelant n’est pas digne de foi et manipule les gens, qu’il a eu des comportements hostiles et inappropriés envers le personnel féminin, qu’il s’est conduit de manière odieuse à l’endroit des Blackwell, qui lui avaient offert leur amitié, qu’il n’est pas apte à se voir accorder accès à la collectivité et que certains des programmes offerts à Oak Ridge lui seraient profitables. Néanmoins, aucune de ces considérations n’a été mise en balance avec son droit à la liberté. À aucun moment la Commission d’examen ne s’est demandé (sans aucun doute parce qu’elle n’estimait pas y être tenue) si l’ensemble des modalités arrêtées, y compris le renvoi de l’appelant à Oak Ridge, constituait la décision « la moins sévère et la moins privative de liberté » qui soit indiquée dans les circonstances. Dans la mesure où la Commission d’examen a tenu compte de la révocation à St. Thomas des privilèges de déplacement de l’appelant à l’extérieur du service où il était détenu, le risque que ce dernier ait subi un tort important est plus grand, puisque l’hôpital a décidé de la révocation en tenant pour acquis que l’appelant serait renvoyé à Oak Ridge, alors que l’opportunité d’un tel renvoi était évidemment la question essentielle que devait trancher la Commission d’examen. Pour ces motifs, il est impossible d’affirmer que la Commission d’examen serait nécessairement arrivée à la même conclusion si elle avait été bien au fait du droit applicable et si elle avait agi raisonnablement. Par conséquent, on ne saurait dire que l’erreur de droit n’a entraîné « aucun tort important ». Le pourvoi est en conséquence accueilli par application de l’al. 672.78(1)b) du Code criminel.

VI. Dispositif

57 Le fait que l’appelant ait gain de cause quant au critère de décision « la moins sévère et la moins privative de liberté » bat en brèche son argument fondé sur la Charte, qui est rejeté pour les motifs exposés par notre Cour dans l’arrêt Winko, précité.

58 Quant au fond du pourvoi, comme nous l’avons mentionné au début des présents motifs, les parties ont été informées, dans une ordonnance datée du 7 novembre 2003, que le pourvoi était accueilli avec motifs à suivre. L’arrêt de la Cour d’appel a été annulé. Il a été ordonné à la Commission ontarienne d’examen de tenir, dans les plus brefs délais après le dépôt des motifs de notre Cour, une audience conformément à ces motifs. La prise d’effet de l’ordonnance annulant l’arrêt de la Cour d’appel a été suspendue jusqu’à ce que la Commission ait rendu sa décision au terme de l’audience susmentionnée. Les présents motifs ne modifient pas notre ordonnance.

59 Je répondrais aux questions constitutionnelles de la manière suivante.

1. L’alinéa 672.54c) du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, porte‑t‑il atteinte aux droits garantis par l’art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés?

Réponse : Non.

2. Dans l’affirmative, s’agit‑il d’une atteinte constituant une limite raisonnable, établie par une règle de droit et justifiée dans le cadre d’une société libre et démocratique au sens de l’article premier de la Charte canadienne des droits et libertés?

Réponse : Il n’est pas nécessaire de répondre à cette question.

Pourvoi accueilli.

Procureurs de l’appelant : Suzan E. Fraser; Falconer Charney Macklin, Toronto.

Procureur de l’intimé le procureur général de l’Ontario : Ministère du Procureur général de l’Ontario, Toronto.

Procureurs de l’intimé le Directeur général du St. Thomas Psychiatric Hospital : Paterson, MacDougall, Toronto.

Procureur de l’intervenant le procureur général du Canada : Ministère de la Justice Canada, Toronto.

Procureurs des intervenantes la Commission ontarienne d’examen et la Commission d’examen du Nunavut : Cavalluzzo Hayes Shilton McIntyre & Cornish, Toronto.

Procureurs des intervenants Mental Health Legal Committee et Mental Health Legal Advocacy Coalition : Hiltz Szigeti, Toronto.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli

Analyses

Droit criminel - Troubles mentaux - Décisions des commissions d’examen - Modalités des décisions - Disposition du Code criminel précisant que la décision rendue par la commission doit être « la moins sévère et la moins privative de liberté » pour l’accusé - Ce critère s’applique-t-il aux modalités particulières faisant partie de la décision? - Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46, art. 672.54.

En 1976, l’appelant a été déclaré non responsable criminellement d’une accusation de meurtre pour cause de troubles mentaux et placé en détention en vertu d’un mandat du Commissaire des Territoires du Nord‑Ouest. Il a alors été transféré dans un hôpital à sécurité maximum. En 1995, l’appelant a, à sa demande, été transféré dans un établissement à sécurité moyenne en vertu d’une ordonnance de la Commission d’examen. En juin 2000, sur recommandation de l’établissement, une formation différente de la Commission d’examen a ordonné le renvoi de l’appelant à l’établissement à sécurité maximum. Aux termes de l’art. 672.54 du Code criminel, la décision rendue par la commission doit être « la moins sévère et la moins privative de liberté » pour l’accusé. La Cour d’appel a conclu que le critère de la décision « la moins sévère et la moins privative de liberté » ne s’appliquait pas aux modalités imposées en vertu des al. 672.54b) et c) et elle a rejeté l’appel.

Arrêt : Le pourvoi est accueilli.

Dans le présent pourvoi, ainsi que dans l’affaire connexe Centre de santé mentale de Penetanguishene c. Ontario (Procureur général), [2004] 1 R.C.S. 498, 2004 CSC 20, notre Cour est appelée à décider si la Commission ontarienne d’examen a établi un juste équilibre entre le double objectif consistant à protéger la sécurité du public, d’une part, et à répondre aux besoins des accusés déclarés non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux, d’autre part. Suivant les principes de justice fondamentale, les commissions d’examen doivent, à chacune des étapes de leur examen, tenir compte du droit à la liberté de ces personnes. Dans ce processus de conciliation des deux objectifs, la sécurité du public est l’objectif dominant. Toutefois, aux confins de cette considération, le droit à la liberté d’une personne jugée non responsable criminellement doit constituer une préoccupation fondamentale de la commission d’examen lorsqu’elle prend sa décision.

Même lorsque l’existence d’un risque pour la sécurité du public a été établie, les modalités de l’ordonnance doivent être « l[es] moins sévère[s] et l[es] moins privative[s] de liberté » pour l’accusé eu égard à l’importance de ce risque, compte tenu de l’état mental de l’accusé non responsable criminellement et de ses besoins, notamment son éventuelle réinsertion sociale. La prétention, qu’a acceptée la Commission d’examen, selon laquelle les accusés déclarés non responsables criminellement qui sont jugés inaptes à se rendre dans la collectivité peuvent, pour ce seul motif, être détenus suivant des modalités propres au niveau de sécurité maximum, et ce même s’ils ne représentent pas un risque pour la sécurité du public, est clairement incompatible avec l’obligation prévue à l’art. 672.54, qui requiert que la décision soit « la moins sévère et la moins privative de liberté ».

Du point de vue du contrôle judiciaire, la Commission d’examen a commis une erreur de droit en concluant que l’art. 672.54 n’exigeait pas que les modalités du maintien en détention de l’appelant soient « l[es] moins sévère[s] et l[es] moins privative[s] de liberté », une fois pris en compte les autres facteurs énumérés dans cet article. L’ordonnance de la Commission d’examen doit par conséquent être annulée, à moins que le ministère public ne soit en mesure de démontrer, comme il lui incombe de le faire, qu’aucun « tort important » n’a été causé (art. 672.78). Pour ce faire, il lui faut convaincre la cour d’appel que, n’eût été l’erreur de droit, une commission d’examen bien au fait du droit applicable et agissant raisonnablement serait nécessairement arrivée à la même conclusion. Comme le ministère public ne s’est pas acquitté de ce fardeau en l’espèce, l’appelant a droit à une nouvelle audience.


Parties
Demandeurs : Pinet
Défendeurs : St. Thomas Psychiatric Hospital

Références :

Jurisprudence
Arrêt appliqué : Centre de santé mentale de Penetanguishene c. Ontario (Procureur général), [2004] 1 R.C.S. 498, 2004 CSC 20, inf. (2001), 158 C.C.C. (3d) 325
arrêts mentionnés : Winko c. Colombie-Britannique (Forensic Psychiatric Institute), [1999] 2 R.C.S. 625
R. c. Owen, [2003] 1 R.C.S. 779, 2003 CSC 33.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 7.
Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46, art. 672.54 [aj. 1991, ch. 43, art. 4], 672.78 [idem], 672.78(3)a) [idem
mod. 1997, ch. 18, art. 89].

Proposition de citation de la décision: Pinet c. St. Thomas Psychiatric Hospital, 2004 CSC 21 (26 mars 2004)


Origine de la décision
Date de la décision : 26/03/2004
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : 2004 CSC 21 ?
Numéro d'affaire : 29254
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2004-03-26;2004.csc.21 ?
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