R. c. Brown, [2002] 2 R.C.S. 185, 2002 CSC 32
David Benson Appelant
c.
Jason D. Brown et Sa Majesté la Reine Intimés
et
La Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada,
Todd Ducharme, Peter Copeland et
Criminal Lawyers’ Association (Ontario) Intervenants
Répertorié : R. c. Brown
Référence neutre : 2002 CSC 32.
No du greffe : 28635.
2002 : 23 janvier; 2002 : 28 mars.
Présents : Le juge en chef McLachlin et les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier, Iacobucci, Major, Bastarache, Binnie, Arbour et LeBel.
en appel de la cour supérieure de justice de l’ontario
POURVOI contre des décisions de la Cour supérieure de justice de l’Ontario, [2001] O.J. No. 3408 (QL), [2001] O.J. No. 3409 (QL). Pourvoi accueilli.
Richard G. Litkowski, pour l’appelant.
John M. Rosen, pour l’intimé Jason D. Brown.
Christine Bartlett‑Hughes, pour l’intimée Sa Majesté la Reine.
Clayton C. Ruby, pour l’intervenante la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada.
Anil K. Kapoor, pour les intervenants Todd Ducharme et Peter Copeland.
Leslie Pringle, pour l’intervenante Criminal Lawyers’ Association (Ontario).
Version française du jugement du juge en chef McLachlin et des juges Gonthier, Iacobucci, Major, Bastarache, Binnie et LeBel rendu par
LE JUGE MAJOR --
I. Introduction
1 Le présent pourvoi porte sur l’application du test énoncé dans R. c. McClure, [2001] 1 R.C.S. 445, 2001 CSC 14. Il soulève de nouveau la question du conflit entre le privilège du secret professionnel de l’avocat et le droit à une défense pleine et entière que l’art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés garantit à l’accusé. Tous deux constituent des principes fondamentaux de notre système de justice. Dans McClure, la Cour reconnaît que le privilège du secret professionnel de l’avocat n’est pas absolu et que, dans de rares circonstances, il peut devoir céder le pas pour permettre à un accusé de présenter une défense pleine et entière contre une accusation criminelle.
2 Bien qu’il soit impossible d’accorder à l’un ou l’autre de ces principes un rang hiérarchique supérieur, comme j’espère l’expliquer dans les présents motifs, l’aversion des Canadiens pour les condamnations injustifiées fait légèrement pencher la balance en faveur de la démonstration de l’innocence de l’accusé, par rapport au privilège du secret professionnel. Une décision semblable visant à protéger l’identité des indicateurs a été prise pour des raisons d’intérêt public.
3 Cependant, McClure souligne également, au par. 5, que « les cas où le secret professionnel de l’avocat cède le pas sont rares et que le critère qui doit être respecté est rigoureux ». Bien que cela aille de soi, la Cour a réaffirmé que la moindre érosion du caractère absolu du privilège du secret professionnel de l’avocat ferait inévitablement du tort à la relation avocat-client. Il faut considérer McClure comme établissant que le critère à appliquer est celui de la démonstration de l’innocence de l’accusé, de telle sorte que le secret professionnel de l’avocat « devrait être levé seulement si des questions fondamentales touchant la culpabilité ou l’innocence de l’accusé sont en cause ou s’il y a un risque véritable qu’une déclaration de culpabilité injustifiée soit prononcée » (par. 47). La levée de ce privilège est censée constituer une rare exception et n’être utilisée qu’en dernier recours.
4 Le test établi dans McClure comporte un critère préliminaire et un critère en deux étapes concernant la démonstration de l’innocence de l’accusé :
- Pour satisfaire au critère préliminaire, l’accusé doit établir :
- que les renseignements qu’il recherche dans la communication avocat-client ne peuvent pas être obtenus ailleurs;
- qu’il est incapable de susciter de quelque autre façon un doute raisonnable.
- Si l’accusé a satisfait au critère préliminaire, le juge doit passer au critère de la démonstration de l’innocence de l’accusé, qui comporte deux étapes :
- Première étape : L’accusé qui sollicite la production d’une communication avocat-client doit présenter des éléments de preuve permettant de conclure à l’existence d’une communication qui pourrait susciter un doute raisonnable quant à sa culpabilité.
- Seconde étape : Si de tels éléments de preuve existent, le juge du procès doit examiner la communication afin de déterminer si elle suscitera probablement un doute raisonnable quant à la culpabilité de l’accusé.
- Il importe de souligner que le fardeau de la preuve est plus lourd à la seconde étape du critère de la démonstration de l’innocence de l’accusé (suscitera probablement un doute raisonnable) qu’à la première étape (pourrait susciter un doute raisonnable).
- S’il est satisfait au critère de la démonstration de l’innocence de l’accusé, le juge doit ordonner la divulgation des communications qui susciteront probablement un doute raisonnable, conformément aux principes directeurs que nous verrons plus loin.
5 Dans le présent pourvoi, je conclus, en toute déférence, que la décision du juge des requêtes de donner à l’accusé accès à des documents protégés par le secret professionnel de l’avocat d’un tiers était prématurée. Il n’était pas clair à l’époque que les renseignements protégés ne pouvaient pas être obtenus ailleurs. Il n’était pas clair non plus que l’accusé était incapable de susciter un doute raisonnable sans ces renseignements. De plus, comme il était permis de penser que l’intéressé a peut-être renoncé à son privilège en révélant volontairement les communications, cette question aurait dû être tranchée avant qu’on décide s’il y a eu violation d’un privilège valide. Bref, l’innocence de l’accusé n’était pas en jeu, et on n’aurait pas dû faire droit à la demande de type McClure. Le pourvoi est accueilli.
II. Les faits
6 Le 21 juillet 1998, vers 4 h, Shaun Baksh est découvert gisant du côté est de l’avenue Barrington, à Toronto. Il a été poignardé à la poitrine et décède peu de temps après à l’hôpital St. Michael. L’autopsie confirme qu’il a reçu un seul coup de couteau au cœur.
7 Le 12 août 1998, Donna Robertson déclare à deux enquêteurs de l’escouade des homicides que l’appelant, David Benson, son petit ami de l’époque, lui a dit que c’était lui qui avait tué Baksh. Selon le récit de Robertson, Benson est sorti dans l’escalier de secours un soir qu’il était incapable de dormir. Un homme qui parlait avec un accent s’est approché de lui et a offert de lui vendre de la drogue. Benson a refusé, mais l’homme a insisté et l’a pris à bras‑le‑corps. Benson a demandé à l’homme de le lâcher et lorsque celui-ci a refusé, il a brandi un couteau et l’a poignardé. L’homme s’est ensuite éloigné en titubant par le parc adjacent, puis s’est dirigé vers l’ouest, vers l’avenue Barrington. Benson s’est débarrassé de ses vêtements, mais a gardé ses souliers.
8 Robertson informe également la police que Benson lui a dit qu’il avait avoué son crime à ses avocats, Edward Greenspan, puis Todd Ducharme et Peter Copeland. Elle déclare qu’elle et Benson sont allés rencontrer Me Copeland, qui leur a remis des cartes de visite sur lesquelles il a écrit des instructions recommandant d’invoquer le droit de garder le silence face à l’interrogatoire de la police. Robertson remet sa carte à la police.
9 La police enquête sur Benson pendant plusieurs mois relativement à cet homicide. L’enquête comprend notamment une mise sur écoute consensuelle du téléphone résidentiel de Robertson et l’interception de ses communications avec Benson au moyen d’un micro-émetteur de poche. Munie d’un mandat de perquisition, la police saisit des vêtements, des couteaux et des chaussures à la résidence de Benson. Les analyses effectuées sur ces objets ne révèlent aucune trace du sang de la victime. Depuis, Benson nie avoir tué Baksh. Il n’a jamais été accusé de ce meurtre et l’enquête le concernant est abandonnée.
10 L’intimé Jason Brown est vu en train de chercher Baksh le jour du meurtre. Il est aussi à la recherche d’un vélo de montagne qu’il lui aurait donné dans le cadre d’une transaction en matière de drogue. Selon des témoins, Brown a une serviette de table dans les mains, sur laquelle le numéro de téléavertisseur de Baksh est écrit à l’encre rouge. Une bande‑vidéo montre Brown entrant dans son immeuble d’habitation, situé à un pâté de maisons du lieu du crime, à 4 h 47 le 21 juillet 1998, soit moins d’une heure après la découverte du corps poignardé de Baksh.
11 Le 29 juillet 1998, en vertu d’un mandat, la police saisit, entre autres, à l’appartement de Brown une serviette de table sur laquelle est inscrit le numéro de téléavertisseur de la victime. Brown arrive chez lui pendant la saisie et fait à la police une déclaration dans laquelle il affirme ne pas connaître la victime, ne rien savoir à propos d’un vélo de montagne et ne pas avoir quitté la maison le soir de l’homicide.
12 Le 31 juillet 1998, en présence de son avocat, Brown fait une seconde déclaration à la police, dans laquelle il affirme avoir acheté de la cocaïne à la victime à trois reprises le soir et tôt le matin de l’homicide. Il déclare que, comme il n’avait pas d’argent la troisième fois, il avait troqué un vélo de montagne contre une quantité additionnelle de cocaïne. Il voulait récupérer le vélo et dit qu’il apporterait de l’argent plus tard pour payer la cocaïne. Il nie avoir tué Baksh.
13 Brown est accusé du meurtre de Baksh le 1er novembre 1999. Avant cette date, la police affirme ne pas disposer de motifs raisonnables et probables suffisants pour porter une accusation d’homicide contre Benson ou contre Brown. Brown est mis en accusation peu de temps après qu’un indicateur incarcéré, qui avait partagé la cellule de Brown à la prison de Toronto en novembre 1998, a signalé qu’il avait surpris une conversation entre Brown et un troisième détenu, McDoom. Selon cet indicateur, Brown a dit à McDoom qu’il avait acheté de la drogue à Baksh, qu’il l’avait poignardé et qu’il avait pris un sac de crack.
14 Bien que l’indicateur ait été assigné comme témoin à l’enquête préliminaire, le substitut du procureur général n’a pas encore obtenu l’autorisation du comité des dénonciateurs sous garde, au bureau du procureur général, de le faire comparaître au procès. Le comité attend la décision définitive de la Cour au sujet de la demande de type McClure présentée par Brown, de même qu’une autre décision sur la question de savoir si le ministère public peut examiner les documents dont la communication à Brown a été ordonnée pour l’évaluation de la fiabilité de l’indicateur.
III. Disposition législative pertinente
15 Charte canadienne des droits et libertés
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.
IV. L’historique des procédures judiciaires
A. Cour supérieure de justice de l’Ontario : décision du juge des requêtes à la première étape du test de l’arrêt McClure, [2001] O.J. No. 3408 (QL)
16 L’intimé présente une requête en production des dossiers, documents et notes, le cas échéant, relatifs aux communications entre David Benson et ses avocats concernant l’implication de Benson dans la mort de Shaun Baksh. Cette requête est du même type que celle présentée dans McClure, précité.
17 Le juge Dambrot rend deux décisions. La première se rapporte au critère préliminaire et à la première étape du critère de la démonstration de l’innocence de l’accusé énoncés dans McClure. Le critère préliminaire y est ainsi formulé au par. 48 :
Avant même que le critère soit examiné, l’accusé doit établir que les renseignements qu’il recherche dans le dossier protégé par le secret professionnel de l’avocat ne peuvent pas être obtenus ailleurs et qu’il est, du reste, incapable de susciter de quelque autre façon un doute raisonnable quant à sa culpabilité.
18 Après avoir examiné la preuve, le juge Dambrot s’informe pour savoir si les renseignements recherchés peuvent être obtenus ailleurs et il souligne qu’il trouve le critère difficile à appliquer. Plus particulièrement, il examine deux interprétations possibles du critère préliminaire : [traduction] « soit l’accusé doit démontrer qu’il ne peut pas trouver la preuve d’un fait ailleurs que dans le dossier, soit il doit établir que les renseignements qu’il recherche dans le dossier ne peuvent pas être obtenus ailleurs » (par. 9 (en italique dans l’original)). Il opte pour la première interprétation (au par. 9) :
[traduction] Après tout, bien que les circonstances dans lesquelles le privilège doit céder le pas soient limitées, la raison d’être de la levée du privilège est claire : le privilège cède le pas dans les cas où il empêche une personne innocente d’établir son innocence. Dans cette optique, il devient évident que, lorsque l’accusé détient un renseignement sur un fait, mais que la preuve de ce fait se trouve dans le dossier de l’avocat, et que la preuve ne peut pas être obtenue ailleurs, la condition préalable est alors respectée. [Je souligne.]
19 Il examine ensuite les faits pertinents et conclut que les renseignements protégés recherchés par l’accusé, [traduction] « considérés comme des éléments de preuve pouvant s’avérer substantiellement utilisables et fiables » (par. 10), ne peuvent pas être obtenus ailleurs. Premièrement, Benson lui-même ne témoignerait pas qu’il a tué Baksh. Deuxièmement, même si les communications privées interceptées entre Benson et Robertson révèlent une reconnaissance du fait que Benson a fait un aveu à Robertson, elles contiennent également une dénégation de cet aveu. Finalement, tant les communications interceptées que l’aveu que Benson a fait à Robertson comportent des [traduction] « difficultés de preuve » (par. 10) qui feraient obstacle à leur admissibilité au procès. Benson et Robertson ont beaucoup bu au moment de l’aveu, et leur relation, orageuse, tirait apparemment à sa fin. On aurait donc des doutes sur la fiabilité du témoignage de Robertson concernant l’aveu de Benson.
20 Par contre, l’aveu que Benson aurait fait à ses conseillers juridiques serait probablement considéré comme plus fiable. Il est peu probable que l’on mette en doute la fiabilité des notes des avocats ou que l’on prétende que l’aveu a été fait sous l’influence de l’alcool. De plus, même s’il est vrai que les clients mentent parfois à leurs conseillers juridiques, il serait inusité qu’un client fasse un faux aveu de meurtre. Par conséquent, même si l’aveu que Benson aurait fait à ses avocats constitue du ouï‑dire tout autant que celui qu’il a fait à Robertson, il a de meilleures chances d’être admis en preuve en raison de sa fiabilité supérieure. Le juge Dambrot conclut donc que Brown a satisfait au premier élément du critère préliminaire.
21 Le juge des requêtes analyse ensuite le second élément du critère préliminaire, soit déterminer si l’accusé a établi qu’il était incapable de susciter de quelque autre façon un doute raisonnable quant à sa culpabilité. Le juge Dambrot fait remarquer qu’il est difficile de répondre à cette question avant le procès, alors qu’il n’est guère possible d’évaluer le péril auquel est exposé l’accusé. Il souligne, toutefois, que le fait de reporter la détermination de cette question à une date postérieure à la présentation de la preuve du ministère public aurait des répercussions sur la [traduction] « conduite ordonnée du procès » (par. 12). En fin de compte, il conclut que le second élément du critère préliminaire exige simplement que le juge du procès [traduction] « détermin[e] s’il existe, dans les circonstances particulières de l’affaire, un risque véritable qu’une déclaration de culpabilité injustifiée soit prononcée » (par. 13). Il conclut qu’un tel risque existe en l’espèce.
22 Le juge Dambrot passe ensuite à la première étape du critère de la démonstration de l’innocence de l’accusé, comme l’expose la Cour dans McClure, précité, par. 50 :
À la première étape, l’accusé qui sollicite la production d’une communication avocat‑client doit présenter des éléments de preuve qui permettent de conclure à l’existence d’une communication qui pourrait susciter un doute raisonnable quant à sa culpabilité.
Le juge Dambrot conclut que Brown a présenté suffisamment d’éléments de preuve pour permettre de conclure à l’existence de la communication protégée. La déclaration de Robertson à la police donne à penser que Benson a fait un aveu à Me Greenspan et que ce dernier, pour sa part, lui a recommandé Mes Copeland et Ducharme. En outre, Robertson a produit la carte de visite sur laquelle sont écrites des instructions recommandant d’invoquer le droit de garder le silence face à l’interrogatoire de la police. Le juge Dambrot conclut aussi que l’aveu de Benson, s’il existe, peut susciter un doute raisonnable quant à la culpabilité de Brown. Brown a donc franchi la première étape du critère de la démonstration de l’innocence de l’accusé. Le juge Dambrot ordonne dès lors que les dossiers pertinents soient remis à la cour pour examen.
B. Cour supérieure de justice de l’Ontario : décision du juge des requêtes à la seconde étape du test de l’arrêt McClure, [2001] O.J. No. 3409 (QL)
23 Après avoir examiné les dossiers, le juge Dambrot rend une seconde décision qui se rapporte à la seconde étape du test de l’arrêt McClure, par. 57 :
. . . le juge du procès doit examiner le dossier en question pour déterminer s’il existe effectivement une communication qui suscitera probablement un doute raisonnable quant à la culpabilité de l’accusé. Le juge du procès doit se poser la question suivante : « Y a‑t‑il, dans la communication avocat‑client, quelque chose qui suscitera probablement un doute raisonnable quant à la culpabilité de l’accusé? » [Souligné dans l’original.]
Après une brève analyse de la question de savoir si cette étape du test exige qu’il entende le témoignage de l’avocat qui a inscrit les notes dans les dossiers, le juge Dambrot conclut qu’il peut faire la détermination sans qu’il soit nécessaire d’amplifier le dossier.
24 Le juge des requêtes estime que les éléments de preuve contenus dans les dossiers susciteront probablement un doute raisonnable quant à la culpabilité de Brown. En réponse à l’argument de l’avocat de Benson selon lequel ces éléments de preuve [traduction] « n’apporteraient rien de plus à l’accusé » que les renseignements dont il dispose déjà, le juge Dambrot souligne [traduction] « l’importance que revêt la source des renseignements, surtout lorsqu’ils proviennent des dossiers des avocats, comme en l’espèce, et [. . .] l’effet cumulatif possible des éléments de preuve provenant de sources multiples » (par. 8). En fin de compte, le juge Dambrot ordonne la production d’un document en entier et de parties d’autres documents.
V. Les questions en litige
25 1. L’arrêt McClure s’applique-t-il en l’espèce?
2. Le juge Dambrot a-t-il appliqué correctement le critère préliminaire et le critère de la démonstration de l’innocence de l’accusé en l’espèce?
3. Dans le cadre de l’audition d’une demande de type McClure, le juge du procès a-t-il le pouvoir discrétionnaire de permettre l’amplification du dossier?
4. Quelle portée convient-il de donner à une ordonnance de divulgation rendue dans le cadre d’une demande de type McClure?
5. En cas de divulgation des communications protégées, quel degré d’immunité convient-il d’accorder au détenteur du privilège?
VI. Analyse
A. L’arrêt McClure s’applique-t-il en l’espèce?
26 La question de la renonciation a été soulevée à l’audience. Plus particulièrement, il s’agit de savoir si Benson, en répétant à Robertson ce qui s’était dit entre lui et ses avocats, a renoncé au privilège du secret professionnel de l’avocat à l’égard de ces communications. L’avocat de Brown a indiqué qu’il entendait soulever cette question dans l’hypothèse où la demande de type McClure de son client serait rejetée. Cette question, comme beaucoup de questions se rapportant au critère préliminaire que nous verrons plus loin, renvoie à celle du moment de la demande.
27 Comme elle l’a exprimé dans McClure et réitéré dans le présent pourvoi, la Cour considère comme grave la levée du secret professionnel de l’avocat puisqu’elle risque de restreindre les communications avocat-client et d’ébranler ainsi la confiance du public dans la protection du client au sein du système judiciaire. L’ouverture d’une brèche dans le secret professionnel de l’avocat devrait être considérée comme une mesure extraordinaire, qui ne peut être ordonnée qu’en conformité avec le test de l’arrêt McClure, c.-à-d., en dernier recours, lorsque l’innocence de l’accusé est en jeu.
28 Les critères énoncés dans McClure ont trait à la levée du secret professionnel de l’avocat. Pour déterminer s’il convient de faire droit à une demande de type McClure, il est primordial de se demander si les renseignements recherchés sont effectivement protégés par le secret professionnel de l’avocat. Lorsqu’il est permis de penser que le client a peut-être renoncé à son privilège, la cour doit d’abord trancher cette question. Si aucun privilège ne fait obstacle à l’accès à l’information, il n’y a pas lieu de pousser plus loin l’analyse d’une demande de type McClure. Cette question reste à trancher en l’espèce.
B. Le test de l’arrêt McClure
29 Comme je l’ai indiqué, le test qui permet d’écarter le secret professionnel de l’avocat est rigoureux, et il n’y est satisfait que dans de rares circonstances. L’énoncé du test se trouve aux par. 47-51 de McClure :
Eu égard à la place centrale que le secret professionnel de l’avocat occupe dans l’administration de la justice, le critère de la démonstration de l’innocence de l’accusé doit être appliqué rigoureusement. Le privilège devrait être levé seulement si des questions fondamentales touchant la culpabilité ou l’innocence de l’accusé sont en cause ou s’il y a un risque véritable qu’une déclaration de culpabilité injustifiée soit prononcée.
Avant même que le critère soit examiné, l’accusé doit établir que les renseignements qu’il recherche dans le dossier protégé par le secret professionnel de l’avocat ne peuvent pas être obtenus ailleurs et qu’il est, du reste, incapable de susciter de quelque autre façon un doute raisonnable quant à sa culpabilité.
. . .
L’application du critère de la démonstration de l’innocence de l’accusé se fait en deux étapes afin de refléter la double nature de l’examen effectué par le juge. À la première étape, l’accusé qui sollicite la production d’une communication avocat‑client doit présenter des éléments de preuve qui permettent de conclure à l’existence d’une communication qui pourrait susciter un doute raisonnable quant à sa culpabilité. À cette étape, le juge doit décider s’il examinera ces éléments de preuve.
Si le juge du procès est convaincu que de tels éléments de preuve existent, il doit ensuite passer à la deuxième étape, qui consiste à examiner le dossier protégé par le secret professionnel de l’avocat afin de déterminer s’il existe effectivement une communication qui suscitera probablement un doute raisonnable quant à la culpabilité de l’accusé. Il est évident que le critère applicable à la première étape (pourrait susciter un doute raisonnable) est différent de celui qui s’applique à la deuxième étape (suscitera probablement un doute raisonnable). Si le critère applicable à la deuxième étape est respecté, le juge du procès ne doit alors ordonner que la production de la partie du dossier protégé par le secret professionnel de l’avocat qui est nécessaire pour soulever le moyen de défense allégué.
C. L’application du test à l’espèce
(1) Le critère préliminaire
a) Les renseignements peuvent-ils être obtenus ailleurs?
30 Afin d’appliquer correctement le critère préliminaire, il faut d’abord déterminer ce que signifie le terme « renseignements » dans ce contexte. Le juge Dambrot a conclu que les « renseignements » doivent avoir une certaine valeur probante pour être considérés comme « pouvant être obtenus » aux termes de cette partie du test. Par contre, l’appelant prétend que le terme « renseignements » devrait être interprété conformément à son sens ordinaire, c’est-à-dire comme étant la connaissance qu’on peut avoir d’un fait.
31 Pour avoir une certaine valeur logique et pratique, les « renseignements », dans le contexte d’une demande de type McClure, doivent être évalués en fonction d’autres renseignements pouvant ne pas être admis en preuve. Autrement, il serait presque impossible d’avoir gain de cause dans une telle demande. Pour qu’un accusé puisse prétendre qu’un document protégé par le secret professionnel de l’avocat contient des renseignements qui lui permettraient de démontrer son innocence, il doit nécessairement avoir des raisons de conclure à l’existence de ces renseignements protégés. Un accusé ne peut deviner comme par magie que des communications avocat-client qui sont entre les mains d’un tiers contiennent des renseignements démontrant son innocence. Dans presque tous les cas, la prétention de l’accusé repose sur certains autres faits qui ont été portés à sa connaissance. En outre, comme l’ont fait remarquer M. Proulx et D. Layton dans Ethics and Canadian Criminal Law (2001), un avocat ne peut divulguer des communications protégées à moins d’y être ordonné par un tribunal, même si [traduction] « bien souvent, l’avocat est le seul à connaître les renseignements disculpatoires, ce qui signifie qu’aucune autre partie intéressée n’a de raison ou de motif de se servir du processus judiciaire pour éteindre le privilège » (p. 183).
32 En l’espèce, Brown a été informé de l’aveu allégué de Benson à la suite de la déclaration de Robertson à la police. Ainsi, à proprement parler, les « renseignements » recherchés par Brown peuvent être obtenus ailleurs, soit dans la déclaration de Robertson. Benson a soutenu que, la déclaration de Robertson étant connue de Brown, les renseignements peuvent être obtenus même s’ils ne sont pas admissibles au procès. Cet argument ne tient pas. Toute demande de type McClure est nécessairement fondée sur des « renseignements » indiquant qu’une communication avocat-client potentiellement disculpatoire existe entre les mains d’un tiers. Il ne serait pas logique de refuser à l’accusé l’accès à cette communication du simple fait qu’il a accès à des renseignements indiquant son existence. À ce stade, il s’agit de déterminer s’il existe d’autres renseignements se rapportant au contenu des communications.
33 D’ailleurs, si l’on saute au critère de la démonstration de l’innocence de l’accusé, il convient de noter qu’à la première étape, l’accusé doit présenter des éléments de preuve permettant de conclure à l’existence d’une communication protégée qui pourrait le disculper. Ces éléments de preuve consisteront invariablement en des renseignements concernant la communication alléguée qui ont été portés à la connaissance de l’accusé.
34 L’arrêt McClure admet la levée du secret professionnel de l’avocat lorsqu’elle est nécessaire pour permettre à l’accusé de susciter un doute raisonnable quant à sa culpabilité. Cette nécessité doit être considérée dans le contexte d’une instance judiciaire et peut être démontrée lorsque les renseignements recherchés dans la communication avocat-client ne peuvent être autrement admis en preuve au procès.
35 Il est clair que le terme « renseignements » utilisé dans le cadre du critère préliminaire applicable à une demande de type McClure signifie davantage que la simple connaissance d’un fait. Une demande de type McClure ne devrait franchir l’étape du critère préliminaire que si l’accusé n’a pas accès à d’autres renseignements qui seront admissibles au procès.
36 Pour revenir au présent pourvoi, la Cour doit déterminer si le renseignement recherché en l’espèce -- l’aveu allégué de Benson -- peut être obtenu ailleurs. Plus particulièrement, il s’agit de savoir si Brown avait accès autrement à une preuve admissible de l’aveu de Benson.
37 Il ressort du dossier que Brown disposait d’une autre source de renseignements concernant l’aveu de Benson : le témoignage de Donna Robertson. Cependant, le juge Dambrot a exprimé de sérieuses réserves quant à l’admissibilité en preuve de ce témoignage et quant à savoir s’il serait cru au procès, notamment parce que Benson et Robertson avaient tous les deux bu au moment de l’aveu allégué et que leur relation orageuse tirait apparemment à sa fin. De plus, Benson a par la suite nié avoir fait un aveu à Robertson. Ces facteurs ont amené le juge Dambrot à conclure que le témoignage de Robertson pourrait ne pas être admis en tant qu’exception à la règle de l’exclusion du ouï‑dire et que, même s’il était admis, sa crédibilité risquait d’être fortement contestée.
38 Par contre, le juge des requêtes a estimé que l’aveu allégué de Benson à ses avocats reposait sur de meilleures assises sur le plan de la preuve. Après avoir reconnu qu’il se trouvait [traduction] « juridiquement sur le même plan que l’aveu à Robertson » ([2001] O.J. No. 3408 (QL), par. 10) en ce sens qu’il constituait aussi du ouï‑dire, le juge Dambrot a estimé que cet aveu avait plus de chances d’être admis en preuve et d’être cru en raison de sa fiabilité supérieure. L’aveu de Benson à ses avocats n’était pas aussi contestable que son aveu à Robertson, et les avocats n’auraient aucun motif personnel de l’impliquer dans un meurtre. En outre, le juge Dambrot a raisonnablement cru qu’il serait surprenant qu’une personne mente à ses avocats en faisant un faux aveu de meurtre.
39 Finalement, après avoir interprété le terme « renseignements » comme désignant des [traduction] « éléments de preuve pouvant s’avérer substantiellement utilisables et fiables » (par. 10), le juge Dambrot a conclu que les renseignements protégés ne pouvaient pas être obtenus ailleurs.
40 En toute déférence, je suis cependant d’avis que le juge Dambrot a tiré cette conclusion prématurément. Bien qu’il ne fasse aucun doute que certains obstacles à l’admission du témoignage de Donna Robertson existent, il n’est pas certain qu’il ne sera pas admis en preuve. Premièrement, ce témoignage comporte un degré important de nécessité puisque, en cas d’échec de la demande de type McClure, il constituera la seule preuve pouvant disculper l’accusé. Deuxièmement, il pourrait être jugé suffisamment fiable pour être admis comme exception à la règle de l’exclusion du ouï‑dire.
41 Enfin, il est possible que l’aveu à Robertson soit admissible à titre de déclaration contre l’intérêt pénal. Même si, par le passé, cette exception à la règle de l’exclusion du ouï‑dire a été réservée aux cas où le déclarant ne peut pas témoigner parce qu’il est décédé ou pour une autre raison, la Cour d’appel de l’Ontario a indiqué, dans R. c. Williams (1985), 50 O.R. (2d) 321, que cette exigence pouvait être assouplie dans certaines circonstances. Dans cette affaire, le juge Martin a analysé la décision rendue par la Cour suprême des États-Unis dans Chambers c. Mississippi, 410 U.S. 284 (1973), où la cour a conclu que les aveux d’un tiers étaient admissibles, malgré le fait que le tiers déclarant pouvait témoigner et qu’il avait, effectivement, témoigné au procès de l’accusé. Le juge Powell a noté, aux p. 300-301, que les déclarations avaient été faites [traduction] « dans des circonstances fournissant une garantie considérable de leur fiabilité » et que, [traduction] « peu importe la raison d’être de l’exception relative aux déclarations contre l’intérêt pénal, chaque aveu en l’espèce était, d’une manière très concrète, incriminant et incontestablement contre intérêt ».
42 Bien que le juge Martin ait estimé que de telles circonstances n’existaient pas dans l’affaire Williams, il ne s’est pas opposé à l’idée que les règles de preuve puissent être assouplies dans certaines circonstances où cela est nécessaire pour assurer un procès équitable. Plus loin dans le jugement, en traitant d’une autre question, il a ajouté qu’[traduction] « un tribunal a le pouvoir discrétionnaire résiduel d’assouplir en faveur de l’accusé une règle de preuve stricte lorsque cela est nécessaire pour éviter une erreur judiciaire et lorsque le danger que la règle d’exclusion est destinée à prévenir n’existe pas » (p. 343 (je souligne)). Ce commentaire semble indiquer que, lorsqu’il existe une certaine garantie de fiabilité et que cela s’avère nécessaire pour éviter une déclaration de culpabilité injustifiée, certaines règles de preuve peuvent être appliquées de façon un peu moins rigoureuse que d’habitude.
43 Quoiqu’il en soit, ces observations n’ont pas pour but de commenter la validité des arguments susmentionnés concernant l’admissibilité du témoignage de Donna Robertson. Elles ne sont soulevées que pour montrer que l’inadmissibilité de son témoignage ne devrait pas être considérée comme un fait acquis.
44 D’ailleurs, le juge du procès qui accueille une demande de type McClure au motif que l’autre source des renseignements recherchés est potentiellement inadmissible au procès court le risque que sa décision soit ultérieurement attaquée si l’autre source est finalement jugée admissible. L’accusé aura alors eu accès à des renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat alors qu’ils pouvaient, en fait, être obtenus ailleurs et aura réussi à faire lever inutilement ce privilège. Un tel résultat entre directement en conflit avec le caractère rigoureux du critère de la démonstration de l’innocence de l’accusé, qui vise à protéger au maximum ce privilège.
45 En l’espèce, le juge Dambrot aurait dû tenir un voir‑dire pour déterminer l’admissibilité du témoignage de ouï-dire de Donna Robertson avant de conclure que les renseignements demandés ne pouvaient pas être obtenus ailleurs. Si le témoignage est jugé admissible, la demande de type McClure devrait alors être rejetée à l’étape du critère préliminaire parce que les renseignements demandés peuvent être obtenus ailleurs et qu’ils sont admissibles en preuve. Comme nous le verrons plus loin, la qualité relative des renseignements détenus par l’avocat ne fait pas en sorte que ces renseignements sont « différents » de ceux qui peuvent être obtenus de Donna Robertson. Si le témoignage de Robertson est admissible, les communications avocat‑client ne fourniront aucun « renseignement » additionnel, peu importe que leur fiabilité soit supérieure. Par ailleurs, avant de statuer sur la demande de type McClure, le juge des requêtes aurait dû déterminer si Benson avait renoncé à son privilège en révélant ses communications avocat‑client à Robertson. Le juge Dambrot ne pouvait passer aux autres étapes du test de l’arrêt McClure qu’après avoir conclu qu’une telle renonciation n’existait pas et que le témoignage de Robertson était inadmissible en preuve.
b) L’accusé est-il capable de susciter de quelque autre façon un doute raisonnable quant à sa culpabilité?
46 Ce second élément du critère préliminaire soulève d’importantes questions de procédure, particulièrement en ce qui concerne le moment opportun d’une demande de type McClure. Ces questions ont visiblement troublé le juge des requêtes (aux par. 12‑13) :
[traduction] Il est naturellement indéniable que si l’accusé est capable de susciter un doute raisonnable sans avoir accès au dossier avocat-client, son innocence n’est alors pas en jeu, et l’accès à ce dossier n’est pas nécessaire. Mais comment le juge du procès peut-il déterminer si l’accusé est capable ou non de susciter un doute raisonnable dans l’esprit des jurés sans empiéter sur les fonctions du jury? La question devrait peut‑être rester en suspens jusqu’à ce que le ministère public ait présenté sa preuve, de sorte que le juge soit plus à même d’évaluer le péril auquel est exposé l’accusé. Mais il va sans dire que procéder ainsi aurait des répercussions sur la conduite ordonnée du procès et sur les efforts déployés pour éviter les retards déraisonnables et la perturbation des jurés. D’ailleurs, même après avoir entendu la preuve du ministère public, le juge n’est pas vraiment en mesure de prédire l’issue du procès.
J’arrive donc à la conclusion que le juge Major n’a imposé au juge du procès qu’une simple obligation de déterminer s’il existe, dans les circonstances particulières de l’affaire, un risque véritable qu’une déclaration de culpabilité injustifiée soit prononcée. Compte tenu des éléments de preuve qui m’ont été présentés, je ne peux que conclure à l’existence d’un tel risque en l’espèce.
47 Avec égards, j’estime que le juge Dambrot a tiré une conclusion erronée sur ce point. Le test de l’arrêt McClure avait pour but de passer au crible les demandes d’accès à des communications avocat-client et de n’accorder un tel accès que dans les cas où l’accusé a établi qu’il ne dispose d’aucun autre moyen de défense et que les communications demandées auraient une incidence positive sur la solidité de la preuve de la défense. Comme il a été reconnu dans McClure, le secret professionnel de l’avocat est un principe fondamental du système de justice canadien qui ne cède le pas que dans de rares circonstances.
48 Dans tout procès fondé uniquement sur une preuve circonstancielle, il existe un [traduction] « risque véritable qu’une déclaration de culpabilité injustifiée soit prononcée ». Selon l’interprétation du juge Dambrot, le fait que la preuve du ministère public se fonde sur des éléments de preuve circonstancielle permettrait donc à l’accusé d’écarter le secret professionnel de l’avocat existant en faveur d’un tiers. Manifestement, cette interprétation va à l’encontre de la nature même du critère préliminaire. Selon ce critère, le privilège ne devrait être levé que si l’accusé est incapable de susciter un doute raisonnable de quelque autre façon. Or, dans les affaires où la preuve du ministère public repose entièrement sur des éléments de preuve circonstancielle, l’accusé a plus de chances de réussir à susciter un doute raisonnable, et le risque d’être déclaré coupable est généralement moins élevé que dans les affaires où une preuve directe lie l’accusé au crime. Il ne serait pas logique d’affaiblir le critère préliminaire dans les affaires où le risque d’être déclaré coupable est moindre.
49 En toute déférence, j’estime que le juge Dambrot a commis une erreur en appliquant le critère préliminaire aux faits de l’espèce. Bien qu’il soit encore trop tôt pour trancher la question, je souligne qu’il se pourrait que Brown réussisse à susciter un doute raisonnable quant à sa culpabilité par d’autres moyens. Comme nous l’avons vu, sans le témoignage de l’indicateur incarcéré, la preuve présentée contre lui est uniquement circonstancielle. Les éléments de preuve qui donnent à penser que Brown pourrait avoir tué Baksh sont les suivants : a) sa propre déclaration qu’il avait acheté de la drogue à Baksh à trois reprises ce soir-là et qu’il voulait lui réclamer un vélo de montagne; b) les déclarations de témoins selon lesquelles Brown avait une serviette de table, sur laquelle était écrit le numéro de téléavertisseur de Baksh; c) la serviette de table elle-même; et d) une bande-vidéo montrant Brown entrant dans son immeuble d’habitation peu de temps après le meurtre. Personne n’a vu Brown tuer ou même menacer Baksh, et aucune trace du sang de Baksh n’a été trouvée sur Brown ni sur les objets lui appartenant. C’est seulement conjecture que de présumer que le ministère public réussirait, sur la foi de ces seuls éléments de preuve, à établir sa preuve contre Brown hors de tout doute raisonnable.
50 Le seul autre élément de preuve pouvant compromettre Brown réside dans la déclaration de l’indicateur incarcéré qui prétend avoir entendu Brown confesser son crime à un autre détenu. Le comité des dénonciateurs sous garde, du bureau du procureur général, n’a pas encore rendu sa décision sur la question de savoir si l’indicateur sera appelé à témoigner. Le comité attend une décision sur la demande de type McClure avant de se prononcer définitivement sur le témoignage de l’indicateur. Il s’agit là d’une erreur. Le ministère public devrait se prononcer rapidement sur cette question et ne devrait pas attendre qu’une décision soit rendue à propos de la demande de type McClure. Le témoignage de l’indicateur a une incidence sur la solidité de la preuve du ministère public, et le juge du procès en a besoin pour déterminer si l’accusé est capable de susciter un doute raisonnable. Il se pourrait que le témoignage de l’indicateur renforce suffisamment la preuve du ministère public pour donner lieu à une déclaration de culpabilité de la part d’un jury. Cela dit, je n’ai pas besoin de signaler les écueils d’une preuve fondée sur le témoignage d’un indicateur incarcéré qui prétend avoir entendu un aveu de meurtre. Voir R. c. Brooks, [2000] 1 R.C.S. 237, 2000 CSC 11. Un jury pourrait bien conclure qu’un tel témoignage est douteux. Quoi qu’il en soit, puisqu’il n’a pas encore été décidé si l’indicateur sera appelé à témoigner, il serait prématuré de conclure que Brown sera incapable de susciter un doute raisonnable sans que soit levé le secret professionnel de l’avocat de Benson.
51 La décision prématurée du juge des requêtes met en lumière les questions qui peuvent être soulevées relativement au moment d’une demande de type McClure. Bien que le juge du procès ait, dans chaque affaire, le pouvoir discrétionnaire de décider à quel moment il entendra la demande de type McClure, il peut se révéler utile d’élaborer quelques directives sur cette question afin d’éviter les demandes ou les ordonnances prématurées.
(2) Le moment de la demande de type McClure
52 En temps normal, il serait préférable de reporter l’audition de la demande de type McClure à la fin de la présentation de la preuve du ministère public. Le juge du procès sera alors mieux placé pour évaluer la solidité de la preuve du ministère public et pour déterminer si l’innocence de l’accusé est effectivement en jeu. Si le ministère public n’a pas réussi à établir sa preuve hors de tout doute raisonnable, il n’y a alors plus lieu de faire droit à la demande de type McClure et de lever le secret professionnel de l’avocat d’un tiers. On évite ainsi d’écarter le privilège inutilement.
53 Cette décision est plus facile à prendre en l’absence d’un jury. Cependant, le juge siégeant avec jury n’a pas à s’inquiéter, comme l’a fait le juge Dambrot, que sa détermination de la question de savoir si l’accusé est capable de susciter un doute raisonnable empiète sur les fonctions du jury. La décision du juge, à ce stade, nécessite une évaluation, et non une détermination, de la preuve.
54 Si le juge du procès est d’avis que le ministère public a présenté une preuve solide, mais que la défense pourrait réussir à susciter un doute raisonnable en présentant sa preuve, il peut encore décider de refuser la demande de type McClure ou d’en reporter l’audition. Cependant, rien n’empêche la défense de présenter une nouvelle demande de type McClure au moment de présenter sa preuve si elle croit être incapable de susciter un doute raisonnable autrement. Après avoir entendu une plus grande partie de la preuve, le juge du procès sera plus en mesure d’évaluer si l’innocence de l’accusé est en jeu. De toute manière, la demande de type McClure peut être présentée plus d’une fois. Bien que les avocats de la défense ne doivent pas abuser du processus, ils peuvent présenter des demandes de type McClure à différents moments du procès s’ils estiment que l’innocence de l’accusé est en jeu. J’insiste sur le fait que le juge du procès ne devrait faire droit à une demande de type McClure que s’il est d’avis que l’accusé sera incapable de susciter un doute raisonnable sans la preuve protégée par le privilège. S’il existe, réellement ou probablement, une preuve qui puisse permettre à un jury raisonnable, ayant reçu de bonnes directives, de prononcer l’acquittement, la demande de type McClure doit être rejetée ou son audition doit être reportée.
55 Dans certains cas, les craintes du juge Dambrot concernant la « conduite ordonnée » des affaires, les « retards déraisonnables » et la « perturbation » des jurés peuvent donc être justifiées. Cette façon de procéder est néanmoins nécessaire si l’on veut passer au crible les demandes de levée du secret professionnel de l’avocat et s’assurer qu’elles ne sont accueillies que lorsque cela est absolument nécessaire pour au moins susciter un doute raisonnable quant à la culpabilité de l’accusé. Le test de l’arrêt McClure n’a pas pour but d’assurer la conduite ordonnée ou efficace d’un procès, mais plutôt d’établir un équilibre approprié entre les principes fondamentaux que sont le secret professionnel de l’avocat et le droit à une défense pleine et entière. Ces principes revêtent une telle importance dans notre système judiciaire que l’efficacité du procès doit nécessairement être sacrifiée de temps à autre.
56 Finalement, en raison du caractère rigoureux du test et parce que l’accusé doit établir chaque élément selon la prépondérance de la preuve, il sera difficile et sans doute rare d’avoir gain de cause dans les demandes de type McClure. Il pourra arriver, dans certains cas, que la demande de type McClure d’un accusé soit rejetée et que celui-ci soit ultimement déclaré coupable du crime. Plus tard, lorsque l’affaire est sortie du système, c.-à-d. lorsque les voies d’appel sont épuisées, il se peut que l’accusé découvre le contenu de la communication avocat-client du tiers et se rende compte qu’elle aurait pu lui permettre de susciter un doute raisonnable. Cela nourrit la crainte que le rejet d’une demande de type McClure puisse précéder une déclaration de culpabilité injustifiée.
57 De telles déclarations de culpabilité injustifiées doivent être considérées dans le cadre de la procédure traditionnelle de l’appel à la prérogative royale, codifiée dans l’art. 690 du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46. Elles ne justifient pas un assouplissement du test de l’arrêt McClure. Le test a été conçu pour établir un juste équilibre entre le secret professionnel de l’avocat et le droit à une défense pleine et entière. La levée de ce privilège devrait être rare, et le fardeau de la preuve incombe à l’accusé. Il peut arriver, à l’occasion, que la procédure se solde par une décision qui, lorsque l’on prend connaissance de tous les faits, paraît avoir désavantagé l’accusé. Il appartient néanmoins à l’accusé de convaincre le tribunal que les communications avocat-client doivent être divulguées, et ce fardeau ne peut être allégé simplement sur la foi d’une sagesse en rétrospective.
(3) Le critère de la démonstration de l’innocence de l’accusé
a) Première étape : Y a‑t‑il des éléments de preuve permettant de croire qu’il existe une communication avocat‑client qui pourrait susciter un doute raisonnable quant à la culpabilité de l’accusé?
58 Cette étape du critère de la démonstration de l’innocence de l’accusé impose à celui-ci de fournir des éléments de preuve l’ayant amené à croire qu’il existe une communication avocat‑client qui pourrait susciter un doute raisonnable quant à sa culpabilité. En l’espèce, le juge Dambrot a conclu à l’existence de tels éléments de preuve. Même s’il a conclu que le témoignage de Donna Robertson pouvait ne pas être admissible comme preuve de la véracité de l’aveu de Benson, le juge Dambrot a estimé qu’il s’agissait d’un témoignage fiable en ce sens qu’il indiquait que Benson lui avait réellement fait les déclarations. De plus, Robertson a fourni à la police la carte de visite sur laquelle les avocats de Benson avaient écrit leurs instructions recommandant d’invoquer le droit de garder le silence. Je partage donc l’avis du juge Dambrot qu’il y avait des éléments de preuve suffisants pour conclure à l’existence de communications avocat‑client.
59 Par ailleurs, je souscris à la conclusion du juge Dambrot selon laquelle les communications avocat‑client peuvent, si elles existent, susciter un doute raisonnable quant à la culpabilité de Brown. L’aveu d’un tiers, s’il est suffisamment crédible, peut susciter un doute raisonnable. Par conséquent, même si le juge Dambrot a accueilli la demande de type McClure prématurément et qu’il n’aurait pas dû franchir l’étape du critère préliminaire, je crois qu’il a correctement appliqué la première étape du critère de la démonstration de l’innocence de l’accusé.
b) Le juge peut‑il imposer l’amplification du dossier entre les première et seconde étapes du critère de la démonstration de l’innocence de l’accusé?
60 Ayant ordonné la production des communications pour qu’il les examine, le juge Dambrot a fait savoir ([2001] O.J. No. 3409 (QL), par. 2) qu’il ne pourrait se prononcer sur la seconde étape de la demande de type McClure sans avoir entendu les avocats [traduction] « qui ont inscrit les notes dans les dossiers, qui peuvent, au besoin, donner une interprétation ou des précisions concernant les communications dans leurs dossiers ». Même s’il a finalement conclu qu’une telle amplification du dossier ne serait pas nécessaire en l’espèce, le juge Dambrot a fait sur la question des commentaires généraux qu’il faut éclaircir au bénéfice des affaires à venir.
61 Le juge Dambrot a examiné la nécessité d’amplifier le dossier en tenant compte de la portée et de l’objet sous‑jacents des demandes de type McClure (aux par. 4‑5) :
[traduction] Le but fondamental de faire amplifier le dossier par les témoins à la seconde étape d’une demande de type McClure serait d’apporter d’autres précisions concernant la communication qu’on a jugée, à la première étape, plus susceptible de soulever un doute raisonnable quant à la culpabilité de l’accusé que celles figurant au dossier. La possibilité d’assigner des témoins à cette fin dépend de la portée de la procédure élaborée dans McClure. S’agit‑il d’une procédure générale pour déterminer si le secret professionnel de l’avocat devrait céder le pas à la défense pleine et entière, ou s’agit‑il d’une procédure spécialement conçue pour les cas où l’on cherche à obtenir des renseignements contenus dans un dossier protégé par le secret professionnel d’un avocat, et limitée à ces cas? Dans la mesure où l’arrêt McClure traite de la nature du secret professionnel de l’avocat et des circonstances dans lesquelles le secret professionnel doit céder le pas à la défense pleine et entière, son application est manifestement générale. Mais dans la mesure où il crée une procédure à deux étapes -- critère intermédiaire et critère final --, je conclus que la procédure concerne exclusivement les demandes de communication du dossier de l’avocat. Dans la mesure où il est permis d’assigner des témoins à la seconde étape, on ne peut exiger d’eux qu’ils divulguent les détails de communications protégées qui ne figurent pas dans le dossier. Rien ne justifie que le tribunal ordonne en faveur de l’accusé la production d’un témoignage portant sur une communication protégée et obtenu d’un témoin contraint de déposer lors d’une audience à huis clos dans le cadre d’une demande de type McClure. Rien ne justifie donc que le tribunal procède à une enquête pour le compte de l’accusé et qu’il contraigne les témoins à de telles dépositions.
. . . l’accusé n’a aucun droit, à l’ouverture du procès, à une communication préalable qui viserait la divulgation de communications protégées, pas plus qu’il n’a droit à l’interrogatoire préalable de tout autre témoin réticent ou peu coopératif. [Je souligne.]
62 Je conviens avec le juge Dambrot que les demandes de type McClure ne devraient pas être utilisées comme mécanisme de communication préalable permettant à la défense ou au juge du procès d’interroger l’avocat. Toutefois, je ne suis pas d’accord avec lui pour dire que la divulgation devrait être strictement limitée aux communications écrites contenues au dossier. L’arrêt McClure parle des communications entre un avocat et son client, et il n’y a aucune raison de faire une distinction entre les communications écrites et les communications orales. En fait, une telle distinction serait arbitraire en ce sens qu’elle restreindrait injustement la divulgation dans les cas où les avocats prennent des notes succinctes, font des commentaires sibyllins ou même écrivent de manière illisible. Elle peut également avoir la fâcheuse conséquence de dissuader les avocats de prendre des notes.
63 Restreindre la demande de type McClure aux écrits contenus dans le dossier irait à l’encontre de la raison d’être de cette demande. McClure vise à fournir un dernier recours aux personnes inculpées dont l’innocence est en jeu et qui, sans ce recours, risquent de se voir injustement déclarées coupables. La menace d’une déclaration de culpabilité injustifiée est considérée comme suffisante pour justifier la levée du secret professionnel dans les cas où il n’existe aucune autre possibilité de susciter un doute raisonnable. La raison d’être de la levée du privilège sur les écrits s’applique aussi bien aux communications orales. Un accusé ne devrait pas être exposé à la possibilité d’être injustement déclaré coupable simplement parce que les communications d’un tiers protégées par le secret professionnel de l’avocat n’ont pas été consignées par écrit.
64 Cela dit, je suis conscient du fait que l’obligation faite à l’avocat de témoigner au sujet des communications protégées risque de transformer la demande de type McClure en recherche à l’aveuglette s’apparentant à un interrogatoire préalable. Pour éviter ce problème, l’amplification du dossier devrait se faire au moyen d’un affidavit destiné au juge du procès. L’affidavit à cette étape servirait à aider le juge du procès et non à fournir à l’accusé des éléments de preuve supplémentaires ou plus probants.
65 Lorsqu’il ordonne à un avocat de communiquer les dossiers qui se rapportent à certaines communications avec ses clients, le juge peut également lui demander de fournir, pour son examen exclusif à cette étape, un affidavit indiquant que les renseignements contenus dans les dossiers représentent l’intégralité des communications en cause, ou comprenant tous les autres renseignements nécessaires pour compléter le dossier. Le juge sera alors mieux placé pour examiner les communications entre l’avocat et son client et pour déterminer si quelque partie de ces communications suscitera probablement un doute raisonnable quant à la culpabilité de l’accusé.
c) Seconde étape : Y a‑t‑il une communication au dossier qui suscitera probablement un doute raisonnable quant à la culpabilité de l’accusé?
66 Vu le caractère prématuré de la décision du juge Dambrot à l’égard de la demande de type McClure, il n’est pas nécessaire de décider s’il existe dans les dossiers des avocats une communication qui suscitera probablement un doute raisonnable quant à la culpabilité de Brown. Néanmoins, un commentaire général concernant la décision du juge Dambrot sur cette question peut permettre d’éviter qu’il y ait confusion dans l’avenir.
67 En ordonnant la divulgation d’éléments précis dans les dossiers des avocats, le juge Dambrot a fait observer qu’ils comprenaient [traduction] « des inscriptions brèves qui sont vides de sens en elles‑mêmes, mais qui sont très significatives lorsqu’on les examine dans le contexte des autres éléments de preuve présentés lors du voir‑dire » (par. 7). L’avocat de Benson avait soutenu que les éléments ne susciteraient probablement pas un doute raisonnable et qu’ils n’apportaient rien de plus à l’accusé que les renseignements dont il disposait déjà. Voici la réponse du juge Dambrot à cet argument (au par. 8) :
[traduction] Bien que cet argument ait assurément un certain poids, il ne tient pas compte de l’importance que revêt la source des renseignements, surtout lorsqu’ils proviennent des dossiers des avocats, comme en l’espèce, et de l’effet cumulatif possible des éléments de preuve provenant de sources multiples. Dans cette perspective, je considère que les renseignements sont loin d’être incidents.
68 À mon avis, cette interprétation de McClure est erronée. La levée du secret professionnel de l’avocat doit se limiter aux affaires dans lesquelles l’innocence de l’accusé est en jeu et dans lesquelles il n’existe aucun autre moyen de susciter un doute raisonnable. Elle ne vise pas, comme le juge Dambrot semble le dire, à renforcer la preuve que l’accusé a déjà produite, en l’imprégnant du plus grand degré de crédibilité que nous associons aux communications protégées. Il a commis une erreur en ordonnant la production des dossiers au motif que cela aurait un « effet cumulatif ».
69 L’effet cumulatif peut justifier l’autorisation de l’accès aux communications avocat‑client lorsque les autres éléments de preuve ne permettent pas, sans ces communications, de susciter un doute raisonnable. Autrement dit, l’effet cumulatif ne devrait être considéré que dans les cas où, vu leur contexte, les communications avocat‑client aident à comprendre les autres éléments de preuve et suscitent par le fait même un doute raisonnable. Un tribunal ne peut pas admettre les communications protégées pour insuffler de la crédibilité à d’autres éléments de preuve. Il ne peut le faire que pour donner un sens à des faits autrement stériles.
70 En outre, les commentaires du juge Dambrot vont à l’encontre des principes à la base du critère préliminaire énoncé dans McClure, à savoir que les renseignements que l’accusé cherche à obtenir « ne peuvent pas être obtenus ailleurs » (par. 48 (je souligne)). Cette exigence fait obstacle à toute ordonnance de production visant à accroître la capacité de l’accusé de présenter des éléments de preuve provenant de [traduction] « sources multiples ». De plus, le terme « ailleurs » renvoie simplement à une source de preuve admissible; il n’est pas tempéré par la fiabilité de la source ou la qualité de son témoignage.
71 La demande de type McClure ne peut être utilisée pour obtenir la levée du secret professionnel simplement parce que le dossier de l’avocat fournira des éléments de preuve probablement plus crédibles que ceux dont l’accusé dispose déjà. La qualité de la preuve n’est pas un facteur. Le dossier d’un avocat sera probablement toujours perçu comme une source de renseignements plus fiable et plus complète, en raison de la nature de la communication qu’il reçoit de son client. Toutefois, ce serait un affront injustifié au secret professionnel de l’avocat que de permettre que la franchise et l’ouverture auxquelles se prête la nature confidentielle des rapports entre l’avocat et son client servent d’assise à la levée du secret. L’essence même du privilège contribuerait à l’écarter.
72 Pour récapituler, il est possible d’ordonner la divulgation des communications selon la seconde étape du test de l’arrêt McClure uniquement lorsque le dossier de l’avocat est le seul moyen pour l’accusé de susciter un doute raisonnable quant à sa culpabilité. On ne peut l’ordonner pour renforcer ou corroborer la preuve dont dispose déjà l’accusé. De plus, le juge du procès doit être convaincu que la communication que l’on cherche à introduire n’est pas par ailleurs inadmissible, par exemple du fait qu’il s’agit davantage de l’expression d’une opinion que de l’énoncé d’un fait. D’autres exemples viennent à l’esprit, mais il faut laisser au juge du procès, dans l’affaire en cause, le soin d’en traiter.
d) Étendue de la divulgation
73 Une fois que le juge du procès a décidé d’accueillir une demande de type McClure et d’ordonner la divulgation de certaines communications protégées, il reste à déterminer l’étendue de la divulgation. Cette question n’a pas été examinée dans McClure puisque la demande de divulgation y a été rejetée. Toutefois, la question a longuement été débattue dans le présent pourvoi et quelques indications peuvent être utiles. En définitive, la méthode et l’étendue de la divulgation relèveront du pouvoir discrétionnaire du juge du procès.
74 Il y a deux questions à étudier relativement à l’étendue de la divulgation. La première concerne les communications à divulguer. Comme nous l’avons vu précédemment dans le contexte de l’amplification du dossier, le juge du procès devrait établir une pondération en autorisant l’accès aux communications avocat‑client uniquement dans la mesure nécessaire pour permettre à l’accusé de susciter un doute raisonnable. Le processus devrait ressembler à celui que le juge L’Heureux‑Dubé a énoncé dans R. c. O’Connor, [1995] 4 R.C.S. 411, par. 163, à l’égard de la production des dossiers médicaux et des dossiers thérapeutiques en la possession de tiers, particulièrement dans les affaires d’agression sexuelle.
Dans cette veine, lorsqu’un tribunal conclut que la production est justifiée, il ne devrait l’autoriser que de la manière et dans la mesure nécessaires à la réalisation de cet objectif : Dagenais, précité. Le tribunal ne devrait pas communiquer des catégories de dossiers, mais il devrait plutôt examiner chaque dossier pour savoir s’il est substantiel. Les dossiers à produire devraient être édités dans le but de protéger la vie privée du témoin, tout en conservant suffisamment de détails pour que le contenu ait une signification pour le lecteur. Le juge peut, dans certains cas, vouloir entendre les parties sur la question de savoir si, pour l’édition des dossiers, il devrait se faire aider par le procureur de la plaignante, par celui du gardien des dossiers ou par le substitut du procureur général. En outre, il conviendra généralement d’examiner les dossiers à huis‑clos, de les garder sous scellés et de les confier à la garde du greffier. [. . .] Ces procédures font partie intégrante du processus visant à minimiser le plus possible l’atteinte au droit à la vie privée tout en garantissant à l’accusé une défense pleine et entière et un procès équitable.
75 On le voit, le juge L’Heureux‑Dubé a veillé à limiter la production aux seuls dossiers nécessaires pour assurer à l’accusé un procès équitable. Ses instructions ont été codifiées ultérieurement dans les art. 278.1 à 278.91 du Code criminel, édictés à la suite de l’arrêt O’Connor. Plus particulièrement, le par. 278.7(3) autorise le juge qui rend une ordonnance de communication d’un dossier à l’assortir des « conditions qu’il estime indiquées pour protéger l’intérêt de la justice et, dans la mesure du possible, les intérêts en matière de droit à la vie privée et d’égalité du plaignant ou du témoin », à réviser le dossier et à en supprimer certains renseignements personnels.
76 Des instructions similaires ont été fournies relativement à la divulgation des communications avocat‑client dans Smith c. Jones, [1999] 1 R.C.S. 455. Au paragraphe 86, le juge Cory a expliqué pourquoi la divulgation est strictement limitée dans les affaires mettant en cause l’exception au privilège du secret professionnel de l’avocat relative à la sécurité publique :
La divulgation des communications protégées par le privilège doit en général être aussi limitée que possible. Le juge qui écarte le secret professionnel de l’avocat doit s’efforcer de limiter strictement la divulgation aux aspects du rapport ou du document qui révèlent le danger imminent de blessures graves ou de mort auquel est exposé une personne ou un groupe identifiable. [. . .] Il convient d’insister sur la nécessité de limiter la divulgation. Par exemple, si le rapport fait référence à une conduite criminelle qui n’expose personne à un danger imminent de blessures graves mais révèle, disons, la commission d’une fraude, d’une contrefaçon ou la vente de biens volés, il serait nécessaire de supprimer ces passages.
77 Les mêmes principes directeurs doivent s’appliquer dans le cas des ordonnances de type McClure. Le juge devrait ordonner uniquement la production des communications nécessaires pour permettre à l’accusé, dont l’innocence est en jeu, de susciter un doute raisonnable quant à sa culpabilité. Un examen raisonné et attentif est nécessaire pour servir l’intérêt public, qui est d’éviter une déclaration de culpabilité injustifiée, tout en protégeant le secret professionnel de l’avocat dans toute la mesure possible. Par exemple, si les communications renvoient à d’autres crimes commis par le détenteur du secret professionnel, il y a lieu d’omettre ces mentions. En outre, il faudra veiller à protéger l’identité des tiers nommés dans les communications protégées. Bref, toute partie des communications qui n’est pas nécessaire pour susciter un doute raisonnable quant à la culpabilité de l’accusé ne devrait pas être divulguée dans le cadre d’une demande de type McClure.
78 La deuxième question à trancher relativement à l’étendue de la divulgation est de savoir qui devrait bénéficier de la divulgation des communications protégées. Le procureur général de l’Ontario a fait valoir que toute divulgation consentie à Brown devrait également être consentie au ministère public. Cet argument se fonde sur le principe de longue date selon lequel le ministère public n’a pas pour rôle d’obtenir à tout prix une déclaration de culpabilité, mais de rechercher la vérité et de présenter tous les éléments de preuve pertinents au juge des faits. Le procureur général de l’Ontario a cité Boucher c. The Queen, [1955] R.C.S. 16, p. 23-24 des motifs du juge Rand :
[traduction] On ne saurait trop répéter que les poursuites criminelles n’ont pas pour but d’obtenir une condamnation, mais de présenter au jury ce que la Couronne considère comme une preuve digne de foi relativement à ce qu’on allègue être un crime. Les avocats sont tenus de veiller à ce que tous les éléments de preuve légaux disponibles soient présentés : ils doivent le faire avec fermeté et en insistant sur la valeur légitime de cette preuve, mais ils doivent également le faire d’une façon juste. Le rôle du poursuivant exclut toute notion de gain ou de perte de cause; il s’acquitte d’un devoir public, et dans la vie civile, aucun autre rôle ne comporte une plus grande responsabilité personnelle. Le poursuivant doit s’acquitter de sa tâche d’une façon efficace, avec un sens profond de la dignité, de la gravité et de la justice des procédures judiciaires.
79 Le procureur général fait donc valoir que l’intérêt du ministère public dans la divulgation des documents est aussi important que celui de l’accusé. Le ministère public doit agir dans l’intérêt public lorsqu’il détermine s’il y a lieu d’instruire et s’il y a suffisamment de preuve pour obtenir une déclaration de culpabilité. Le ministère public a le devoir public d’empêcher que des accusés soient injustement condamnés. Le procureur général a donc plaidé que tout renseignement divulgué à un accusé dans le cadre d’une demande de type McClure devrait également être divulgué au ministère public.
80 Le ministère public a certes un devoir public important dans les affaires criminelles, particulièrement dans sa recherche de la vérité, mais je ne suis pas convaincu que ce devoir justifie la participation du ministère public ou la divulgation à celui-ci suivant une demande de type McClure. Le devoir du ministère public d’empêcher les déclarations de culpabilité injustifiées cède le pas au droit de parler librement à son avocat avec la certitude que ces communications sont confidentielles et protégées. De plus, on peut présumer que la personne accusée à tort fera des renseignements susceptibles de la disculper une utilisation au moins aussi judicieuse que le ministère public, dans l’espoir d’éviter une déclaration de culpabilité injustifiée.
81 Dans la pondération des principes fondamentaux que sont le secret professionnel de l’avocat et le droit à une défense pleine et entière, le secret professionnel devrait être levé dans la seule mesure nécessaire pour permettre à l’accusé de susciter un doute raisonnable. Il est important que le recours à la demande de type McClure vise uniquement à protéger un accusé dont l’innocence est en jeu et non à instaurer une nouvelle méthode de communication préalable pour le ministère public.
82 Cette étendue restreinte de la divulgation dans les demandes de type McClure est conforme aux principes généraux de divulgation de notre système de justice pénale. Même si au Canada le ministère public a l’obligation de divulguer toute sa preuve à l’accusé, ce dernier n’a aucune obligation réciproque. Le juge Sopinka a examiné cette obligation de divulgation unilatérale dans R. c. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326, p. 333 :
J’ajouterais que les fruits de l’enquête qui se trouvent en la possession du substitut du procureur général n’appartiennent pas au ministère public pour qu’il s’en serve afin d’obtenir une déclaration de culpabilité, mais sont plutôt la propriété du public qui doit être utilisée de manière à s’assurer que justice soit rendue. La défense, par contre, n’est nullement tenue d’aider la poursuite et il lui est loisible de jouer purement et simplement un rôle d’adversaire à l’égard de cette dernière. L’absence d’une obligation de divulguer peut donc se justifier comme étant compatible avec ce rôle.
83 Le ministère public ne subira aucun préjudice si la divulgation des documents dans le cadre d’une demande de type McClure se limite à l’accusé. En temps normal, les communications protégées entre un tiers et son avocat ne peuvent jamais être portées à l’attention du ministère public, et elles ne lui sont d’aucune utilité pour décider si l’affaire sera instruite. En outre, même si le ministère public avait connaissance d’une communication protégée, il ne pourrait lever le secret simplement pour obtenir une image plus complète de tous les éléments de preuve au dossier, si louables que soient ses intentions. Sinon, le secret professionnel de l’avocat perdrait pratiquement tout son sens.
84 À mon avis, les principes qui s’appliquent normalement dans une poursuite criminelle ne sont pas modifiés lorsqu’une demande de type McClure est accueillie. La demande prévoit une divulgation restreinte en faveur de l’accusé dont l’innocence est en jeu et qui ne peut susciter un doute raisonnable d’aucune autre manière. La divulgation est autorisée à une fin précise et exceptionnelle. Le ministère public ne peut se servir de cette fin exceptionnelle pour obtenir la divulgation de documents protégés auxquels il n’aurait pas normalement accès. Cela lui permettrait d’écarter le secret professionnel sans avoir à répondre aux exigences rigoureuses énoncées dans McClure.
85 Pour éviter ce résultat, les documents communiqués à l’accusé en vertu d’une demande de type McClure devraient être soumis aux règles de divulgation normalement applicables dans un procès criminel. Si l’accusé décide de ne pas se servir des communications protégées en preuve, le ministère public n’en prendra jamais connaissance et le détenteur du secret professionnel ne sera pas mis en péril. Par contre, si la défense décide de se servir des communications protégées lors du procès ou pendant les négociations préalables au procès, le ministère public y aura accès dans la mesure où l’accusé les utilise.
86 Le ministère public s’inquiète de la possibilité que les communications protégées ne soient elles‑mêmes pas dignes de foi et il fait valoir qu’il est dans l’intérêt public de veiller à ce que l’accusé ne soit pas acquitté sur la base de communications sujettes à caution. La question est certes légitime, mais j’estime que les procédures proposées y répondent adéquatement. Si l’accusé décide de ne pas se servir des communications protégées, il n’y a alors aucun danger qu’elles soient le fondement d’un acquittement subséquent. En outre, dans la mesure où l’accusé se sert des communications protégées, le ministère public y aura accès. Si celui-ci doute de la fiabilité des déclarations protégées, il pourra alors les contester selon les règles de preuve ordinaires. Par exemple, l’avocat pourrait, au procès, être contre‑interrogé au besoin, pourvu que le juge du procès fasse preuve de vigilance en limitant à l’essentiel la levée du secret professionnel. Il est donc possible de répondre à l’inquiétude du ministère public concernant les « acquittements injustifiés » sans enfreindre davantage le secret professionnel.
87 Par ailleurs, le juge du procès devrait exercer son pouvoir discrétionnaire dans le but de protéger la confidentialité des communications divulguées vis‑à‑vis de ceux qui participent au procès et le public.
e) Immunité du détenteur du secret professionnel
88 La levée du secret professionnel de l’avocat peut engager la responsabilité du détenteur du privilège dans l’avenir, particulièrement dans les affaires, comme en l’espèce, qui peuvent impliquer l’aveu d’un crime grave. Le juge Dambrot a manifestement reconnu qu’il faut établir certaines protections pour empêcher que les documents divulgués ne deviennent ultérieurement un « glaive » contre Benson :
[traduction] . . . à moins qu’on me présente des arguments très convaincants, j’imposerais des conditions en ce qui a trait à la question de glaive et de bouclier dont vous avez parlé, parce que je crois qu’il serait extrêmement injuste que le ministère public puisse avoir l’avantage de l’utiliser comme élément de preuve affirmative contre Benson, à supposer que cela soit possible. Ce serait, il me semble, contraire aux motifs qui justifient l’ordonnance.
Même si le juge Dambrot n’a pas assorti l’ordonnance de divulgation de conditions explicites, toutes les parties en la présente instance, y compris le ministère public, s’entendent pour dire qu’en cas de divulgation des communications, Benson devrait bénéficier d’une immunité relativement à l’utilisation ultérieure de ses communications protégées.
89 Comme je l’ai déjà précisé, le secret professionnel de l’avocat est un précepte fondamental de notre système juridique. Les clients doivent avoir l’assurance de pouvoir communiquer avec leurs avocats librement et franchement sans crainte que leurs communications soient utilisées ultérieurement contre eux. Ce principe ne saurait d’aucune façon être affaibli par la divulgation restreinte qu’autorise McClure. Le test établi dans cette affaire autorise exceptionnellement la divulgation lorsqu’elle est nécessaire pour empêcher une déclaration de culpabilité injustifiée. La divulgation doit se limiter à cette seule fin. Elle ne devrait pas servir à incriminer le détenteur du privilège, lequel aurait été protégé n’eut été l’application de McClure.
90 L’immunité du détenteur du privilège dans le cadre d’une demande de type McClure n’est pas tout à fait analogue aux autres sortes d’immunité traditionnellement reconnues dans les affaires criminelles. N’étant pas un accusé, le détenteur du privilège ne peut pas invoquer le droit de ne pas témoigner contre lui‑même prévu à l’al. 11c) de la Charte. En fait, le détenteur du privilège (Benson) peut même ne pas être un témoin, de sorte qu’il ne peut invoquer le privilège de ne pas s’incriminer garanti à l’art. 13 de la Charte et au par. 5(2) de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. 1985, ch. C-5. Il s’agit donc d’une question qui relève des grands principes de justice fondamentale découlant de l’art. 7 de la Charte.
91 L’article 7 dispose que « [c]hacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale. » Dans Thomson Newspapers Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1990] 1 R.C.S. 425, le juge La Forest a estimé que l’art. 7 « peut accorder, à tout le moins dans certains cas, aux intérêts que le droit vise à protéger une protection résiduelle qui va au‑delà de la protection spécifique prévue par l’al. 11c) et l’art. 13 » (p. 537). D’autres juges de la Cour ont également précisé que l’art. 7 accordait une « protection résiduelle » contre l’auto‑incrimination dans les situations qui ne sont pas déjà régies par d’autres articles de la Charte.
92 Dans R. c. P. (M.B.), [1994] 1 R.C.S. 555, le juge en chef Lamer confirme que « [l]a protection générale accordée à un accusé est sans doute mieux décrite par le principe général interdisant l’auto-incrimination qui est fermement enraciné dans la common law et qui constitue un principe de justice fondamentale au sens de l’art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés » (p. 577). Ensuite, dans R. c. Jones, [1994] 2 R.C.S. 229, le juge en chef Lamer définit, à la p. 249, le principe interdisant l’auto‑incrimination :
Toute action de l’État qui contraint une personne à produire une preuve contre elle‑même dans des procédures l’opposant à l’État viole le principe interdisant l’auto‑incrimination. La contrainte, devrait‑on le souligner, signifie refuser la possibilité de donner un consentement libre et éclairé.
Le Juge en chef faisait également remarquer que la raison d’être du principe puisait sa source dans deux autres principes : « (1) la protection contre les confessions indignes de foi, et (2) la protection contre les abus de pouvoir de l’État » (p. 250). Le juge en chef Lamer était dissident dans Jones, mais ces principes ont été cités par la Cour dans des arrêts subséquents, mentionnés plus loin, et doivent être reconnus comme faisant autorité.
93 La définition et la raison d’être formulées par le juge en chef Lamer ont été citées par le juge La Forest dans R. c. Fitzpatrick, [1995] 4 R.C.S. 154, où un pêcheur était accusé d’avoir pêché une quantité supérieure aux contingents fixés. Le juge La Forest a conclu que le principe interdisant l’auto‑incrimination n’était pas enclenché par l’obligation faite au pêcheur de soumettre des journaux de bord et un rapport radio indiquant le poids estimatif de ses prises. L’absence de relation de nature contradictoire ou inquisitoriale et le degré « atténu[é] » de la contrainte dans cette affaire ont particulièrement convaincu le juge La Forest (par. 37). De même, le juge La Forest a conclu que l’obligation de soumettre un rapport ne compromettait pas non plus la raison d’être du principe interdisant l’auto‑incrimination, en ce sens qu’elle n’incitait pas aux aveux indignes de foi ni aux abus de pouvoir de l’État. Le juge Iacobucci a suivi le même raisonnement dans R. c. White, [1999] 2 R.C.S. 417, où il a conclu que l’obligation de déclarer les accidents d’automobile fait effectivement intervenir le principe interdisant l’auto‑incrimination.
94 Appliquant ces critères au présent pourvoi, je conclus que les détenteurs du privilège dont les communications avec leur avocat sont divulguées dans le cadre d’une demande de type McClure doivent être protégés par le principe résiduel interdisant l’auto‑incrimination contenu à l’art. 7 de la Charte. Bien que le détenteur du privilège ne prenne pas nécessairement part à des procédures contradictoires au moment où il communique avec son avocat, il risque d’être engagé dans de telles procédures une fois les communications divulguées. En outre, la communication à l’avocat n’est pas « imposée » par l’État comme le serait l’obligation légale de soumettre un rapport ou l’interrogatoire policier, mais elle est imposée en ce sens que sa divulgation est ordonnée par une cour de justice, l’ordonnance de la cour l’emportant sur la protection du secret professionnel, qui s’appliquerait autrement. La protection résiduelle de l’art. 7 serait fictive si elle permettait qu’une personne soit incriminée à cause de déclarations divulguées à titre d’exception au privilège qu’elle détient.
95 Quelle est donc l’étendue de cette protection résiduelle offerte aux personnes qui voient leur privilège écarté en raison d’une demande de type McClure? La Cour a fait remarquer que l’interprétation du principe interdisant l’auto‑incrimination contenu à l’art. 7 de la Charte « vari[e] selon le contexte », parce qu’elle « exige différentes choses à différents moments »; voir White, précité, par. 45. Ainsi, si elle peut compter sur la jurisprudence antérieure pour éclairer le présent pourvoi, la Cour conserve la faculté d’ajuster l’étendue du principe selon les faits particuliers de l’affaire.
96 S’agissant de communications divulguées dans le cadre de demandes de type McClure, il est crucial de considérer l’importance fondamentale du secret professionnel dans notre système de justice. Ce privilège peut être levé uniquement dans les cas d’extrême exception, lorsque l’innocence d’une autre personne est en jeu. Il est important de porter le moins possible atteinte aux droits du détenteur du privilège. En conséquence, après examen de l’interprétation jurisprudentielle du principe interdisant l’auto‑incrimination, j’estime que la protection accordée au détenteur du privilège se doit d’être parmi les plus fortes que le droit puisse offrir.
97 Dans R. c. S. (R.J.), [1995] 1 R.C.S. 451, la Cour a été appelée à déterminer si un accusé inculpé et jugé séparément pouvait être un témoin contraignable au procès d’un deuxième accusé inculpé relativement à la même infraction. En raison des procès séparés, le premier accusé avait simplement un statut de « témoin » au procès du deuxième accusé et était assujetti aux règles ordinaires de la contraignabilité des témoins. La Cour a conclu que le premier accusé était un témoin régulièrement contraignable, mais que l’art. 13 de la Charte lui permettait de bénéficier d’une immunité contre l’utilisation en preuve de son témoignage. Il était également protégé en vertu de l’art. 7 de la Charte par l’immunité contre l’utilisation d’une preuve dérivée qui découlait, dans les faits, de la communication forcée.
98 De même, dans British Columbia Securities Commission c. Branch, [1995] 2 R.C.S. 3, la Cour devait déterminer l’étendue de l’immunité qu’il convenait d’accorder à des dirigeants d’une société contraints à témoigner dans une affaire impliquant la société au sujet de dépenses discutables qu’elle avait engagées. Les dirigeants ont allégué que ce témoignage forcé violait le principe interdisant l’auto‑incrimination visé à l’art. 7. La Cour n’a pas partagé cet avis et a conclu qu’on avait régulièrement contraint les dirigeants à témoigner. Toutefois, les art. 13 et 7 de la Charte commandaient que les dirigeants bénéficient d’une immunité « contre l’utilisation de la preuve » et « contre l’utilisation de la preuve dérivée », respectivement, eu égard à leur témoignage forcé.
99 À mon avis, le détenteur du privilège dans le cadre de demandes de type McClure doit recevoir au moins autant de protection que celle décrite précédemment. La raison d’être de la protection d’un témoin, même celui qui est inculpé relativement au même crime, s’applique tout autant aux éléments de preuve dont la divulgation est ordonnée en vertu d’une demande de type McClure. Le tiers qui fait une déclaration incriminante à son avocat la fait avec l’assurance qu’elle ne sera pas ultérieurement utilisée contre lui. Si sa divulgation est par la suite ordonnée à cause d’une demande de type McClure, le tiers aura été, indirectement, contraint de témoigner contre lui-même. Même si cette contrainte n’a pas la même nature « contradictoire » que dans les situations où les policiers ou la poursuite obligent directement l’accusé à s’incriminer, l’ordonnance rendue par un juge en réponse à une demande de type McClure suppose un degré comparable de « contrainte » de la part de l’État. Par conséquent, le détenteur du privilège devrait recevoir les mêmes protections garanties par la Charte que s’il avait été contraint de témoigner, à savoir l’immunité contre l’utilisation de la preuve et l’immunité contre la preuve dérivée.
100 Cela implique que les communications du détenteur du privilège et tous les éléments de preuve qui en dérivent ne peuvent être utilisés ultérieurement dans une poursuite contre lui. Toutefois, je ne suis pas d’accord avec l’intervenante la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada pour dire qu’il faut qualifier de preuve dérivée tout renseignement découvert lors d’une enquête ultérieure. L’intervenante a fait valoir que, comme la poursuite contre Benson risque de ne jamais être rouverte n’eût été la divulgation de ses communications protégées, tout renseignement découvert après cette divulgation constitue nécessairement une preuve dérivée. Cet argument va trop loin et a comme effet, en pratique, d’étendre au détenteur du privilège l’immunité à l’égard d’une affaire donnée, que nous analyserons et rejetterons plus loin. Pour être qualifiée de preuve dérivée, la preuve doit avoir un lien plus tangible avec la preuve auto-incriminante, comme l’indique l’analyse du juge Cory dans R. c. Stillman, [1997] 1 R.C.S. 607, par. 99-102.
101 Ainsi, dans R. c. Burlingham, [1995] 2 R.C.S. 206, la police a violé le droit de l’accusé à l’assistance d’un avocat et a manipulé l’accusé pour l’amener à faire un aveu complet de meurtre, notamment à décrire l’endroit où on pourrait trouver l’arme du crime. La Cour a conclu que la saisie subséquente de l’arme résultait d’une déclaration irrégulièrement obtenue par mobilisation de l’accusé contre lui-même, et la preuve a été exclue en vertu du par. 24(2) de la Charte. Il existait un lien clair et tangible entre la déclaration auto-incriminante et la découverte de l’arme du meurtre. Dans le cas des demandes de type McClure, l’immunité contre l’utilisation de la preuve dérivée couvre la preuve dérivée des communications, non du fait qu’elles ont été divulguées.
102 L’immunité contre l’utilisation de la preuve et celle contre la preuve dérivée interdisent au ministère public d’utiliser les communications comme preuve directe contre le détenteur du privilège et de les utiliser pour attaquer sa crédibilité s’il est lui-même l’accusé. Le juge Sopinka a expliqué la nécessité de cette dernière protection au par. 34 de R. c. Calder, [1996] 1 R.C.S. 660 :
L’effet sur la considération dont jouit l’administration de la justice se juge par référence à la norme du citoyen raisonnable et bien informé qui représente les valeurs de la communauté. L’anéantissement de la crédibilité du témoignage de l’accusé au moyen de déclarations tirées de lui en violation des droits qu’il tient de la Charte, aura normalement le même effet que l’utilisation des mêmes déclarations dans la preuve principale du ministère public pour l’incriminer.
À mon avis, les arguments en faveur de la protection contre l’attaque de la crédibilité sont particulièrement solides dans les affaires résultant de demandes de type McClure. Notre système de justice ne peut sanctionner l’attaque de la crédibilité de l’accusé par des communications qui autrement auraient été entièrement protégées par le secret professionnel de l’avocat.
103 Toutefois, cela ne veut pas dire que la divulgation de renseignements protégés en vertu d’une demande de type McClure doive entraîner l’immunité dite « à l’égard d’une affaire donnée » (c’est‑à‑dire l’immunité à l’égard de toute poursuite au criminel dans l’avenir pour des crimes qui sont l’objet des communications entre l’avocat et son client). Un tel élargissement de l’immunité offrirait au détenteur du privilège une protection qui ne lui aurait jamais été offerte, n’eut été la demande de type McClure présentée par l’accusé. Je suis conscient que la levée du secret professionnel ne devrait jamais être utilisée pour incriminer le détenteur du privilège, mais je conviens avec l’intimé le procureur général de l’Ontario que la nécessité évidente de l’immunité contre l’utilisation de la preuve et de l’immunité contre la preuve dérivée ne justifie pas l’immunité absolue à l’égard de l’infraction en question. Ainsi, si le ministère public est capable de découvrir des éléments de preuve qui sont tout à fait indépendants et qui ne sont pas dérivés des communications entre l’avocat et son client, il devrait pouvoir les invoquer contre le détenteur du privilège dans une poursuite subséquente. Toute conclusion contraire ouvrirait la voie aux « sphères d’immunité » dont l’expérience américaine a souffert avec l’immunité à l’égard d’une affaire donnée suivant le Cinquième amendement; voir M. Berger, Taking the Fifth : The Supreme Court and the Privilege Against Self-Incrimination (1980), p. 70. Qui plus est, cela compromettrait inutilement l’intérêt public qui commande que les criminels soient traduits en justice.
104 En outre, il existe une possibilité, même infime, que l’élargissement de l’immunité à l’égard d’une affaire donnée dans ce genre de dossier permette à des cocomploteurs de manipuler le système de justice. Si l’un d’eux était inculpé, l’autre pourrait faire des aveux à leur avocat. L’accusé pourrait ensuite présenter une demande de type McClure et utiliser l’aveu protégé par le secret professionnel pour susciter un doute raisonnable quant à sa culpabilité. Du même coup, le cocomploteur détenteur du privilège serait à l’abri de toute poursuite ultérieure à l’égard de cette infraction. À mon avis, l’élargissement de l’immunité aux détenteurs du privilège ne devrait pas aller jusqu’à empêcher le ministère public de poursuivre l’auteur d’une infraction.
VII. Remarques concernant la procédure
105 Le présent pourvoi, comme l’affaire McClure qui l’a précédé, est parvenu directement à la Cour suprême du Canada sans avoir eu l’avantage d’être examiné par la Cour d’appel de l’Ontario.
106 À cet égard, le présent pourvoi suit la voie empruntée dans Dagenais c. Société Radio‑Canada, [1994] 3 R.C.S. 835; A. (L.L.) c. B. (A.), [1995] 4 R.C.S. 536; R. c. Adams, [1995] 4 R.C.S. 707; et R. c. Mentuck, [2001] 3 R.C.S. 442, 2001 CSC 76.
107 Les articles 674 et 675 du Code criminel prescrivent les procédures à suivre pour se pourvoir en appel devant les cours d’appel provinciales intermédiaires, mais ils sont conçus de manière à exclure la compétence de ces cours en matière d’appels d’ordonnances interlocutoires.
108 Le tiers appelant, Benson en l’espèce, ne pouvait interjeter appel de l’ordonnance interlocutoire lui enjoignant de déposer ses communications protégées, qu’il soit ou non partie au procès criminel. Au lieu de cela, il a dû présenter directement devant la Cour au titre du par. 40(1) de la Loi sur la Cour suprême, L.R.C. 1985, ch. S-26, une demande d’autorisation d’appel contre l’ordonnance finale qui l’obligeait à produire ses communications avec son avocat.
109 L’administration de la justice serait beaucoup mieux servie si la compétence des tribunaux d’appel provinciaux était élargie de manière à faciliter aux parties l’accès à ces tribunaux. La Cour suprême du Canada pourrait également disposer du dossier plus complet et du précieux apport des tribunaux d’appel provinciaux si leurs décisions étaient portées en appel devant la Cour.
110 Cette anomalie du Code criminel représente un fardeau inutile et la Cour a déjà à maintes reprises souligné ces graves lacunes tout en demandant au législateur d’adopter une modification législative. La Cour réitère ici, une fois de plus, avec insistance cette demande.
VIII. Dispositif
111 Le pourvoi est accueilli et l’ordonnance de production rendue par le juge Dambrot est annulée.
Version française des motifs des juges L’Heureux-Dubé et Arbour rendus par
112 Le juge Arbour -- Le privilège du secret professionnel de l’avocat revêt une importance fondamentale dans le système judiciaire canadien et c’est l’une de nos règles d’exclusion de la preuve les plus sacrées. Comme il ressort clairement de R. c. McClure, [2001] 1 R.C.S. 445, 2001 CSC 14, rares sont les circonstances où ce privilège devra céder le pas, et ce uniquement en dernier recours, lorsque l’innocence de l’accusé est en jeu.
113 Je souscris entièrement à l’analyse de mon collègue le juge Major et disposerais du pourvoi comme il le fait, mais je voudrais ajouter quelques commentaires sur une question qui sera importante dans les futures demandes de type McClure. La question ne se posant pas directement en l’espèce, je m’abstiendrais normalement d’en traiter en détail. Toutefois, les lacunes qu’a signalées mon collègue quant à l’accès à la révision en appel posent un problème exceptionnel. Lorsque les juges du procès sont appelés à trancher des questions inédites et complexes, sans pouvoir bénéficier de l’assistance et de la supervision des tribunaux d’appel provinciaux, j’estime que la Cour se doit de fournir des indications plus élaborées. Par ailleurs, il est irréaliste de s’attendre à ce que la Cour puisse exercer régulièrement les fonctions de tribunal d’appel intermédiaire. Pour ces motifs, j’estime qu’il nous faut anticiper l’une des difficultés que connaîtront inévitablement les juges du procès dans ce domaine, comme le démontre clairement le présent dossier.
114 Le juge Dambrot craignait de toute évidence que le témoignage de Robertson concernant l’aveu de Benson ne soit pas admissible en preuve et cette préoccupation a été déterminante dans sa décision ([2001] O.J. No. 3408 (QL), par. 7) :
[traduction] Naturellement, de nombreux arguments militent, dans les circonstances, en faveur d’un assouplissement des règles ordinaires touchant l’utilisation des déclarations antérieures, ou leur admission comme preuve de leur véracité sur la base de la nécessité et de la fiabilité. Encore là, toutefois, ces possibilités sont compromises par l’attaque susceptible d’être portée contre l’exactitude et la fiabilité du récit de Robertson, ainsi que contre la fiabilité de l’aveu lui‑même. Je n’ai pas l’intention de m’étendre davantage sur la question de l’utilisation pouvant être faite des déclarations de Benson à Robertson, mais je voulais simplement signaler les difficultés auxquelles se heurte la défense.
115 En examinant la question de l’admissibilité du témoignage de Donna Robertson comme autre source de renseignements sur l’aveu de Benson, mon collègue souligne qu’il n’y a pas lieu de tenir l’inadmissibilité pour acquise (par. 43). Il indique que son témoignage est potentiellement admissible en vertu d’une exception à la règle d’exclusion du ouï‑dire. À cet égard, il cite les propos du juge Martin, de la Cour d’appel de l’Ontario, dans R. c. Williams (1985), 50 O.R. (2d) 321, à l’appui de la proposition voulant que le tribunal ait le pouvoir discrétionnaire d’assouplir en faveur de l’accusé des règles de preuve strictes lorsque cela est nécessaire pour éviter une erreur judiciaire. C’est sur ce point que je voudrais apporter des précisions.
116 L’idée que les tribunaux conservent le pouvoir discrétionnaire d’assouplir les règles de preuve lorsque l’innocence de l’accusé est en jeu puise son origine dans Williams. Dans cet arrêt, le juge Martin a statué que le droit de l’accusé de présenter une défense pleine et entière devait s’exercer dans le respect des règles régissant l’admission de la preuve (Williams, p. 337; voir également Dersch c. Canada (Procureur général), [1990] 2 R.C.S. 1505, p. 1515). Le juge Martin a toutefois effectivement ajouté que le tribunal avait le pouvoir discrétionnaire résiduel d’assouplir des règles de preuve strictes en faveur de l’accusé lorsque cela est nécessaire pour éviter une erreur judiciaire (p. 343). La thèse ainsi exprimée dans Williams trouve également appui dans les arrêts de la Cour d’appel de l’Ontario R. c. Rowbotham (1988), 41 C.C.C. (3d) 1, p. 57, et R. c. Finta (1992), 73 C.C.C. (3d) 65, p. 201‑202, conf. par [1994] 1 R.C.S. 701, ainsi que dans l’arrêt Finta de la Cour, p. 854.
117 L’arrêt Williams a été rendu avant R. c. Khan, [1990] 2 R.C.S. 531, où, pour ce qui est de la question du ouï‑dire, la Cour a adopté une méthode fondée sur des principes et axée sur la nécessité et les indices de fiabilité comme critères d’admission de la preuve par ouï‑dire. La règle de l’arrêt Khan ne traite pas du besoin exprimé dans Williams d’assouplir les règles d’exclusion lorsque l’innocence est en jeu. Or, la logique, les principes et les considérations d’intérêt public dictent que si l’une des règles d’exclusion les plus rigoureuses, soit le privilège du secret professionnel de l’avocat, doit céder le pas devant la crainte de condamner un innocent, alors d’autres règles d’exclusion, comme celle de l’exclusion du ouï‑dire, devraient d’abord céder le pas. Dans le contexte d’une demande de type McClure, on servira mieux les intérêts de la justice en assouplissant d’autres règles d’exclusion lorsque l’innocence est en jeu qu’en levant le secret des communications entre un avocat et son client.
118 Le témoignage de Donna Robertson concernant l’aveu de Benson ne sera de quelque secours pour l’accusé en l’espèce que s’il est admissible comme preuve de la véracité de son contenu, qu’on le présente comme déclaration antérieure incompatible dans le cas où Benson témoigne et nie l’allégation, ou comme élément indépendant de preuve disculpatoire. Lorsque la solution subsidiaire est de lever le secret professionnel de l’avocat, il convient de faire une distinction d’avec la jurisprudence établie par Khan ainsi que d’avec R. c. B. (K.G.), [1993] 1 R.C.S. 740. En effet, il faut reconnaître l’impératif de présenter au jury des renseignements qui, s’ils sont crus, exonéreraient entièrement l’accusé, lequel s’expose sinon à une déclaration de culpabilité injustifiée.
119 Les préoccupations qui sous‑tendent la règle établie dans McClure et qui ont conduit à la création d’une exception à l’une de nos règles d’exclusion les plus rigoureuses devraient également présider à l’application d’autres règles de preuve moins cruciales en vertu desquelles des renseignements sont soustraits au jury. Dans le cas du ouï‑dire, les considérations relatives à la nécessité et à la fiabilité, qui traduisent le souci d’équité envers la partie adverse dans le système contradictoire, devraient être pondérées avec les dangers de condamner un innocent et l’ingérence indésirable dans les confidences faites à un avocat.
120 Je recommanderais donc que, dans le cadre des demandes de type McClure, les juges du procès examinent toutes les solutions de rechange à la levée du privilège dans le même esprit et avec la même souplesse que les considérations d’intérêt public qui ont présidé à la création de la règle énoncée dans cet arrêt.
Pourvoi accueilli.
Procureur de l’appelant : Richard G. Litkowski, Toronto.
Procureurs de l’intimé Jason D. Brown : Rosen, Wasser, Toronto.
Procureurs de l’intimée Sa Majesté la Reine : Le ministère du Procureur général, Toronto.
Procureurs de l’intervenante la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada : Ruby & Edwardh, Toronto.
Procureur des intervenants Todd Ducharme et Peter Copeland : Anil K. Kapoor, Toronto.
Procureurs de l’intervenante Criminal Lawyers’ Association (Ontario) : Skurka & Pringle, Toronto.