Synthèse
Référence neutre : 2002 CSC 25
Date de la décision :
21/03/2002Sens de l'arrêt :
Le pourvoi est accueilli. le verdict et la peine sont rétablis
Analyses
Droit criminel - Éléments de l’infraction - Agression sexuelle armée - Définition de « arme » - L’utilisation d’un godemiché en bambou dans une agression sexuelle en fait‑elle une agression sexuelle armée? - Sens du mot « blesser » dans la définition de « arme » à l’art. 2 du Code criminel - Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, art. 2, 272(1)a).
L’accusé est déclaré coupable au procès d’agression sexuelle armée et de relations sexuelles anales. Pendant l’agression sexuelle, l’accusé pénètre la plaignante avec un long godemiché de bambou en forme de bâton de baseball. La Cour d’appel conclut que le juge du procès a fait erreur en concluant que l’introduction par la force d’un objet dans le vagin de la plaignante suffisait pour constituer l’infraction d’agression sexuelle armée. En conséquence la Cour d’appel substitue une déclaration de culpabilité sur l’infraction incluse d’agression sexuelle simple et réduit la peine prononcée au procès.
Arrêt : Le pourvoi est accueilli. Le verdict et la peine sont rétablis.
Si un objet est utilisé dans l’infliction d’une blessure (physique ou psychologique) dans une agression sexuelle, il n’est pas nécessaire que la blessure équivaille à des lésions corporelles pour que soit déclenchée l’application de l’al. 272(1)a) du Code criminel. En l’espèce, il y avait une preuve de blessure. L’agression a blessé la plaignante et elle avait des ecchymoses importantes dans la région de l’aine. Elle a suffisamment saigné pour laisser des traces de sang sur le divan de l’accusé. L’application des règles de causalité en matière criminelle permettait au juge du procès de conclure que la plaignante avait été blessée par l’agression sexuelle et que l’utilisation de l’objet était suffisamment liée aux blessures pour permettre la conclusion que l’objet utilisé en commettant l’agression était une arme au sens de l’art. 2 du Code. Pour ce qui est de l’élément moral requis pour faire d’un objet une arme, la version française de l’art. 2, prise littéralement, pourrait vouloir dire que l’objet doit être conçu ou utilisé, ou qu’une personne entende l’utiliser, dans le but de blesser. La version anglaise fournit une clarification indiquant que, lorsqu’un objet a été utilisé pour tuer ou blesser, il n’est pas exigé qu’il ait été utilisé dans le but de tuer ou blesser, mais seulement qu’il ait été utilisé en causant la mort ou une blessure. L’accusé doit sciemment ou inconsidérément utiliser l’objet sans le consentement de la victime dans des circonstances où la blessure est raisonnablement prévisible. En l’espèce, l’accusé a agressé sexuellement la plaignante et l’a blessée en employant la force, dont une pénétration de force avec un objet. Il est parfaitement compatible avec la définition de l’art. 2 de conclure que l’objet a été utilisé pour causer des blessures et peut donc être qualifié d’arme.
Lois et règlements cités
Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, art. 2 « lésions corporelles » [aj. 1994, ch. 44, art. 2(2)], « arme » [rempl. 1995, ch. 39, art. 138(1)], 159(1), 272(1)a) [idem, art. 145], c) [idem].
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec, J.E. 2000‑1466, [2000] J.Q. no 2267 (QL), qui a rejeté l’appel interjeté par l’accusé contre une déclaration de culpabilité d’agression sexuelle armée et y a substitué un verdict de culpabilité d’agression sexuelle simple. Pourvoi accueilli.
Jacques Mercier, pour l’appelante.
Louis Gélinas et Yvan Braun, pour l’intimé.
Bernard Laprade, pour l’intervenant.
Version française du jugement de la Cour rendu par
Le juge Arbour —
I. Introduction
1 Le pourvoi porte sur l’interprétation des dispositions du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, ayant trait à l’agression sexuelle armée, et nous invite à examiner les circonstances dans lesquelles l’utilisation d’un objet au cours d’une agression sexuelle peut donner lieu à l’infraction visée à l’al. 272(1)a) du Code.
2 À son procès, l’accusé a été déclaré coupable d’agression sexuelle armée (al. 272(1)a)) et de relations sexuelles anales (par. 159(1)). Cependant, il a été acquitté de l’accusation d’agression sexuelle causant des lésions corporelles (al. 272(1)c)), le ministère public ayant concédé ne pas avoir satisfait au fardeau de preuve.
3 Le pourvoi ne concerne aucunement la déclaration de culpabilité pour relations sexuelles anales ni la question de savoir si l’accusé a commis une agression sexuelle. La seule question en litige est de savoir si, dans les circonstances, l’intimé a été déclaré coupable à juste titre d’agression sexuelle armée.
II. Les faits
4 L’intimé rencontre la plaignante, âgée de 20 ans, dans un bar et lui offre de la conduire à un rendez‑vous qu’elle a pris avec des amis. En chemin, il lui dit qu’il doit arrêter chez lui et l’invite à entrer. Il commence alors à l’embrasser malgré ses protestations et la couche sur un divan. Il la tient là contre son gré, la déshabille et lui introduit le pénis dans le vagin. Il la retourne et la pénètre dans l’anus. Il la retourne encore et, à ce moment-là, elle se rend compte qu’il lui insère un objet dans le vagin. Dans son témoignage, elle décrit cet objet comme un bâton qu’elle croyait alors être une baguette de billard. L’instrument utilisé par l’accusé pour pénétrer la victime est un godemiché de bambou décoré, qu’il dit avoir acheté comme stimulant sexuel dans un magasin au Mexique. Le godemiché a la forme d’un bâton de baseball et mesure environ 24 pouces de long. La plaignante croyait qu’il avait utilisé la partie large du bâton, mais les empreintes génétiques révèlent que c’est la petite partie du godemiché que l’intimé a introduit dans le vagin de la plaignante.
5 Dans son témoignage, la plaignante dit qu’elle a été blessée par l’agression de l’intimé et qu’elle a saigné après. Elle avait récemment souffert d’une infection utérine et croyait que cela pouvait avoir contribué au saignement. L’intimé nie avoir agressé sexuellement la plaignante. Il allègue qu’elle était une partenaire consentante et qu’elle a répondu à ses avances avec enthousiasme. Pour ce qui est de l’utilisation du godemiché, il affirme que la plaignante l’a utilisé pour se masturber. Il admet que cet objet lui appartenait et qu’il s’en était servi dans le passé avec d’autres partenaires comme stimulant sexuel.
6 Le juge du procès accepte le témoignage de la plaignante, explique en détail pourquoi il n’accepte pas la version de l’intimé et conclut qu’il n’y a aucun doute que l’accusé a commis une agression sexuelle armée. Il arrive à cette conclusion sans se reporter à la définition du mot « arme » à l’art. 2 du Code criminel.
7 La Cour d’appel annule la déclaration de culpabilité pour agression sexuelle armée, substitue une déclaration de culpabilité sur l’infraction incluse d’agression sexuelle simple et réduit la peine en conséquence. La Cour d’appel statue que le juge du procès a commis une erreur lorsqu’il a conclu que l’introduction par la force d’un objet dans le vagin de la plaignante suffisait pour constituer une agression sexuelle armée, au sens du Code.
III. Analyse
8 Pour les besoins de l’analyse, les dispositions pertinentes du Code criminel doivent être citées côte à côte dans leur version française et anglaise :
2. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.
. . .
« arme » Toute chose conçue, utilisée ou qu’une personne entend utiliser pour soit tuer ou blesser quelqu’un, soit le menacer ou l’intimider. Sont notamment visées par la présente définition les armes à feu.
2. In this Act,
. . .
“weapon” means any thing used, designed to be used or intended for use
(a) in causing death or injury to any person, or
(b) for the purpose of threatening or intimidating any person
and, without restricting the generality of the foregoing, includes a firearm;
272. (1) Commet une infraction quiconque, en commettant une agression sexuelle, selon le cas :
a) porte, utilise ou menace d’utiliser une arme ou une imitation d’arme;
b) menace d’infliger des lésions corporelles à une autre personne que le plaignant;
c) inflige des lésions corporelles au plaignant;
d) participe à l’infraction avec une autre personne.
272. (1) Every person commits an offence who, in committing a sexual assault,
(a) carries, uses or threatens to use a weapon or an imitation of a weapon;
(b) threatens to cause bodily harm to a person other than the complainant;
(c) causes bodily harm to the complainant; or
(d) is a party to the offence with any other person.
9 Il n’y a pas d’appel contre l’acquittement du chef d’agression sexuelle causant des lésions corporelles. Il est également reconnu que le godemiché n’est pas une « chose conçue » soit pour tuer ou blesser quelqu’un, soit le menacer ou l’intimider. Le ministère public soutient que l’intimé peut être déclaré coupable en vertu de l’al. 272(1)a) s’il utilise « toute chose [. . .] pour [. . .] blesser quelqu’un », et selon la version anglaise uses « any thing [. . .] in causing [. . .] injury to any person ». Selon le ministère public, lorsque, dans les faits, un objet a servi à causer des blessures, il n’est pas nécessaire d’établir que l’accusé avait subjectivement l’intention de l’utiliser à cette fin.
10 La Cour d’appel arrive à une conclusion différente, se reportant seulement à la définition française du mot « arme » qui, prise isolément, pourrait vouloir dire que, pour qu’un objet devienne une arme, il faut qu’il ait été conçu ou utilisé, ou qu’une personne entende l’utiliser, pour l’une des fins interdites. La cour conclut qu’il faut appliquer un critère subjectif et que, pour déclarer l’accusé coupable, il faut établir qu’il avait l’intention d’utiliser l’objet comme une arme. La cour estime que le juge du procès ne pouvait conclure que l’intimé avait utilisé le godemiché à l’une des fins interdites. L’objet n’a pas été utilisé pour tuer, menacer ou intimider; et la Cour d’appel semble avoir conclu que, compte tenu de l’acquittement de l’infraction d’avoir infligé des lésions corporelles, il n’a pas été utilisé non plus pour blesser.
11 Avec égards, la conclusion de la Cour d’appel repose sur une analyse insuffisante des conditions juridiques régissant l’infraction, et sur une mauvaise application du droit aux faits. Plus particulièrement, la Cour d’appel ne s’est pas reportée au texte anglais de la définition du mot « arme » dans le Code, qui aurait dissipé toute ambiguïté pouvant résulter du texte français.
12 Vu les faits de l’espèce, le juge du procès avait à mon avis l’option de conclure que l’objet avait été utilisé comme une arme par l’accusé puisqu’il avait été « utilis[é] [. . .] pour [. . .] blesser » la victime. Cette conclusion demande de bien comprendre le sens du mot « blesser » à l’art. 2 ainsi que l’intention requise pour qu’un objet devienne une arme au sens de cette disposition.
13 « Blesser » à l’art. 2 n’est pas synonyme de « infliger des lésions corporelles ». L’agression sexuelle avec infliction de lésions corporelles fait l’objet de l’infraction distincte visée à l’al. 272(1)c). L’expression « lésions corporelles », qui est utilisée largement dans le contexte des voies de fait, est ainsi définie à l’art. 2 : « Blessure qui nuit à la santé ou au bien‑être d’une personne et qui n’est pas de nature passagère ou sans importance » (je souligne). Cela suffit en soi pour établir que l’acquittement de l’intimé de l’accusation d’agression sexuelle avec infliction de lésions corporelles ne détermine pas la question de savoir si l’intimé a utilisé un objet « pour [. . .] blesser », ce qui ferait de cet objet une arme. On ne saurait aller aussi loin que l’appelante et conclure que, puisque toutes les agressions sexuelles causent des blessures (physiques ou psychologiques), l’utilisation d’un objet au cours de la perpétration d’une agression sexuelle permet d’établir automatiquement le chef d’agression sexuelle armée. En revanche, si un objet est utilisé dans l’infliction d’une blessure (physique ou psychologique) dans une agression sexuelle, il n’est pas nécessaire que la blessure équivaille à des lésions corporelles pour que soit déclenchée l’application de l’al. 272(1)a).
14 Sans donner de définition exhaustive du mot « blessure » (injury) ou « blesser » (to cause injury), ni faire le catalogue des distinctions entre « blessure » et « lésions corporelles », qu’il suffise de dire qu’il y avait en l’espèce preuve de blessures. La plaignante a témoigné que l’agression lui a fait mal et le médecin qui l’a examinée a témoigné qu’elle avait des ecchymoses récentes et importantes dans la région de l’aine. Elle a suffisamment saigné pour laisser des traces de sang sur le divan de l’intimé. L’intimé, qui est maintenant reconnu coupable d’agression sexuelle, ne peut se disculper d’avoir causé les blessures en alléguant que le saignement peut avoir été déclenché par l’état de santé préexistant de la victime. De même, il n’est pas en mesure de soutenir, dans les circonstances en l’espèce, que les blessures de la plaignante peuvent ne pas être attribuables à l’insertion contre son gré d’un objet dans son vagin, mais que ces blessures pourraient résulter de la partie de l’agression où aucun objet n’a été utilisé. À mon avis, l’application des règles de causalité en matière criminelle permettait au juge du procès de conclure que la plaignante avait été blessée par l’agression sexuelle commise contre elle par l’intimé, et que l’utilisation de l’objet était suffisamment liée aux blessures pour permettre la conclusion que l’objet utilisé en commettant l’agression était une arme au sens de l’art. 2. Ce raisonnement s’applique aux blessures tant psychologiques que physiques.
15 La Cour d’appel a omis aussi de distinguer les divers éléments moraux requis pour faire d’un objet une arme au sens de l’art. 2. Comme je le dis plus haut, la version française de la définition du mot « arme » à l’art. 2, prise littéralement, pourrait vouloir dire que, pour qu’un objet devienne une arme, il faut qu’il soit conçu ou utilisé, ou qu’une personne entende l’utiliser, dans le but de blesser. La version anglaise fournit une clarification qui est compatible avec une interprétation correcte de l’intention requise pour faire d’un objet une arme dans toutes les situations visées par la disposition. Le texte anglais fait une distinction entre l’objet conçu ou utilisé, ou qu’une personne entend utiliser « for the purpose of threatening or intimidating », c’est-à-dire « dans le but de menacer ou d’intimider », et l’objet qui a été utilisé « in causing death or injury », c’est-à-dire « en causant la mort ou une blessure ». Dans ce dernier cas, le législateur n’a pas utilisé les mots « for the purpose of » qui exigeraient que l’objet soit utilisé « dans le but de » causer la mort ou une blessure.
16 Il est sensé de faire une distinction entre ce pour quoi un objet est conçu ou ce pour quoi on prévoit l’utiliser, et le fait qu’il ait servi dans les faits à causer des blessures pendant une agression sexuelle. De toute évidence, il faut un lien de causalité entre la blessure causée par l’agression sexuelle et l’utilisation d’un objet au cours de l’agression. Par exemple, si l’accusé contraint la victime à porter un vêtement particulier pendant qu’il l’agresse sexuellement, il est évident que ce vêtement ne devient pas une arme même si la victime subit des blessures pendant l’agression. De même, l’accusé doit sciemment ou inconsidérément utiliser l’objet sans le consentement de la victime dans des circonstances où la blessure est raisonnablement prévisible. Lorsqu’un accusé, comme en l’espèce, agresse sexuellement la plaignante en employant la force contre elle sans qu’elle y consente, et que le recours à cette force, dont une pénétration de force avec un objet, lui a causé des blessures, j’estime qu’il est parfaitement compatible avec la définition de l’art. 2 de conclure que l’objet a été utilisé pour causer des blessures et peut donc être qualifié d’arme.
17 Bien que le juge du procès n’ait pas fait cette analyse, ses conclusions sont compatibles avec une bonne interprétation du droit. Par ailleurs, la Cour d’appel a commis une erreur en concluant qu’il n’y avait pas de preuve de blessure et que le godemiché n’avait pas été utilisé dans l’intention subjective de blesser. Lorsqu’un accusé emploie sciemment ou inconsidérément la force et agresse sexuellement une personne, s’il utilise un objet dans l’agression et que cet objet contribue au mal causé à la victime par l’agression, l’accusé ne peut échapper à la déclaration de culpabilité pour agression sexuelle armée en alléguant qu’il avait l’intention de stimuler sexuellement la personne qu’il était en train d’agresser.
IV. Dispositif
18 La Cour a accueilli l’appel à l’audience et a rétabli le verdict et la peine prononcés par le juge du procès.
Pourvoi accueilli.
Procureur de l’appelante : Le substitut du Procureur général, Shawinigan.
Procureur de l’intimé : Louis Gélinas, Montréal.
Procureur de l’intervenant : Le procureur général du Canada, Ottawa.
Parties
Demandeurs :
Sa Majesté la ReineDéfendeurs :
LamyProposition de citation de la décision:
R. c. Lamy, 2002 CSC 25 (21 mars 2002)
Origine de la décision
Date de l'import :
06/04/2012Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2002-03-21;2002.csc.25