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18/10/2001 | CANADA | N°2001_CSC_68

Canada | Hollick c. Toronto (Ville), 2001 CSC 68 (18 octobre 2001)


hollick c. toronto (ville), [2001] 3 R.C.S. 158, 2001 CSC 68

John Hollick Appelant

c.

Ville de Toronto Intimée

et

Ami(e)s de la terre, West Coast Environmental Law

Association, Association canadienne des médecins

pour l’environnement, Commissaire à l’environnement

de l’Ontario et La fondation du droit de l’Ontario Intervenants

Répertorié : Hollick c. Toronto (Ville)

Référence neutre : 2001 CSC 68.

No du greffe : 27699.

2001: 13 juin; 2001 : 18 octobre.

Présents : Le juge en chef McLachlin

et les juges Gonthier, Iacobucci, Major, Bastarache, Binnie et Arbour.

en appel de la cour d’appel de l’ontario

Pratique -- Recours collec...

hollick c. toronto (ville), [2001] 3 R.C.S. 158, 2001 CSC 68

John Hollick Appelant

c.

Ville de Toronto Intimée

et

Ami(e)s de la terre, West Coast Environmental Law

Association, Association canadienne des médecins

pour l’environnement, Commissaire à l’environnement

de l’Ontario et La fondation du droit de l’Ontario Intervenants

Répertorié : Hollick c. Toronto (Ville)

Référence neutre : 2001 CSC 68.

No du greffe : 27699.

2001: 13 juin; 2001 : 18 octobre.

Présents : Le juge en chef McLachlin et les juges Gonthier, Iacobucci, Major, Bastarache, Binnie et Arbour.

en appel de la cour d’appel de l’ontario

Pratique -- Recours collectifs -- Certification -- Plainte contre du bruit et de la pollution provenant d’une décharge municipale -- Action intentée par le demandeur contre la ville à titre de représentant de 30 000 autres personnes vivant dans les environs de la décharge -- Les demandeurs respectent-ils les conditions de certification établies dans la loi provinciale sur les recours collectifs ? -- Loi de 1992 sur les recours collectifs, L.O. 1992, ch. 6, art. 5(1).

L’appelant se plaint du bruit et de la pollution physique provenant d’une décharge que possède et exploite la ville intimée. En application de la Loi de 1992 sur les recours collectifs de l’Ontario, il demande la certification d’un recours collectif où il représenterait quelque 30 000 personnes habitant à proximité de la décharge. Le juge des requêtes conclut qu’il satisfait aux cinq conditions de certification prévues à l’art. 5 de la Loi et autorise l’appelant par ordonnance à poursuivre l’action comme représentant du groupe défini. La Cour divisionnaire infirme l’ordonnance de certification, ayant conclu que l’appelant n’a pas établi l’existence d’un groupe identifiable et de questions communes. La Cour d’appel partage l’avis de la Cour divisionnaire que l’existence de questions communes n’a pas été établie et déboute l’appelant.

Arrêt : Le pourvoi est rejeté.

Il faut interpréter libéralement la Loi de 1992 sur les recours collectifs pour lui donner plein effet. La Loi a été adoptée pour donner aux tribunaux un instrument de procédure bien adapté leur permettant de statuer efficacement, en fonction de principes établis plutôt que cas par cas, sur les affaires de plus en plus complexes de l’époque actuelle.

En l’espèce, il existe un groupe identifiable au sens de l’al. 5(1)b). L’appelant a défini le groupe en recourant à des critères objectifs et on peut déterminer si une personne est membre du groupe sans se référer au fond de l’action. Sur la question de savoir si « les demandes [. . .] des membres du groupe soulèvent des questions communes », selon l’al. 5(1)c), la question sous-jacente est de savoir si le fait d’autoriser le recours collectif permettra d’éviter la répétition de l’appréciation des faits ou de l’analyse juridique. Par conséquent, une question n’est commune que lorsque sa résolution est nécessaire pour le règlement des demandes de chaque membre du groupe. Par ailleurs, une question n’est « commune » au sens voulu que s’il s’agit d’un élément important des demandes de chaque membre du groupe. En l’espèce, si chaque membre du groupe a une demande à faire valoir contre l’intimée, un aspect de la question de la responsabilité est commun au sens de l’al. 5(1)c). La question est de savoir s’il existe un lien rationnel entre le groupe tel qu’il est défini et les questions communes énoncées. S’il incombe au représentant proposé d’établir que le groupe est défini de manière suffisamment étroite, il n’est pas tenu de montrer que tous les membres du groupe partagent le même intérêt dans le règlement de la question commune énoncée. L’appelant a apporté la preuve requise. Il est suffisamment clair que de nombreuses autres personnes que l’appelant ont été préoccupées par le bruit et les rejets physiques provenant de la décharge. De plus, même si un nombre disproportionné de plaintes paraissent provenir de certaines parties du territoire décrit dans la définition du groupe, des habitants de nombreux autres secteurs compris dans ce territoire se sont plaints.

Toutefois, le recours collectif ne serait pas le meilleur moyen de régler les questions communes, comme l’exige l’al. 5(1)d). En l’absence de paramètres établis par le législateur, la question du meilleur moyen est fonction des trois principaux avantages du recours collectif : l’économie de ressources judiciaires, l’accès à la justice et la modification des comportements. Sur la question du meilleur moyen, il faut examiner l’importance des questions communes par rapport à l’ensemble des revendications. L’exigence concernant le meilleur moyen consiste à se demander si le recours collectif est un moyen préférable à d’autres procédures comme la jonction ou la réunion d’instances, ou la cause type. Le tribunal, dans l’analyse du meilleur moyen, doit examiner tous les moyens raisonnables offerts pour régler les demandes des membres du groupe, et non seulement la possibilité de recours individuels. L’appelant n’a pas établi que le recours collectif est le meilleur moyen de régler les demandes en l’espèce. En ce qui concerne l’économie de ressources judiciaires, toute question commune en l’espèce est négligeable par rapport aux questions individuelles. Même si chaque membre du groupe doit, pour obtenir réparation, prouver la pollution physique ou sonore, il est probable que certains secteurs ont été touchés plus gravement que d’autres et que différentes parties du territoire ont été frappées à différents moments. Une fois la question commune considérée dans le contexte global de la demande, il devient difficile d’affirmer que le règlement de la question commune fera progresser substantiellement l’instance. Autoriser le recours collectif en l’espèce ne favoriserait pas non plus l’accès à la justice. Le fait qu’aucune réclamation n’a été présentée au fonds d’indemnisation permet de penser que les demandes des membres du groupe sont soit modestes au point d’être non existantes, soit suffisamment importantes pour qu’il vaille la peine d’engager des instances individuelles. Dans les deux cas, l’accès à la justice n’est pas une préoccupation sérieuse. Pour des motifs similaires, il faut écarter l’argument que la modification du comportement est une considération importante en l’espèce.

Jurisprudence

Arrêts mentionnés : Rylands c. Fletcher (1868), L.R. 3 H.L. 330; Bywater c. Toronto Transit Commission (1998), 27 C.P.C. (4th) 172; Western Canadian Shopping Centres Inc. c. Dutton, [2001] 2 R.C.S. 534, 2001 CSC 46; Caputo c. Imperial Tobacco Ltd. (1997), 34 O.R. (3d) 314; Webb c. K-Mart Canada Ltd. (1999), 45 O.R. (3d) 389; Mouhteros c. DeVry Canada Inc. (1998), 41 O.R. (3d) 63; Taub c. Manufacturers Life Insurance Co. (1998), 40 O.R. (3d) 379; Abdool c. Anaheim Management Ltd. (1995), 21 O.R. (2d) 453; Rumley c. Colombie-Britannique, [2001] 3 R.C.S. 184, 2001 CSC 69.

Lois et règlements cités

Charte des droits environnementaux de 1993, L.O. 1993, ch. 28, art. 61(1), 74(1).

Class Proceedings Act, R.S.B.C. 1996, ch. 50, art. 4(2).

Code de procédure civile, L.R.Q., ch. C-25, livre IX.

Federal Rules of Civil Procedure, règle 23b)(3).

Loi de 1992 sur les recours collectifs, L.O. 1992, ch. 6, art. 2(1), (2), 5(1), (4), (5), 6.

Loi sur la protection de l’environnement, L.R.O. 1990, ch. E.19, art. 14(1), 99, 172(1), 186(1).

Loi sur le droit de la famille, L.R.O. 1990, ch. F.3.

Règles de procédure civile, R.R.O. 1990, Règl. 194, règle 12.01.

Doctrine citée

Branch, Ward K. Class Actions in Canada. Vancouver : Western Legal Publications, 1996 (loose-leaf updated December 1998, release 4).

Cochrane, Michael G. Class Actions : A Guide to the Class Proceedings Act, 1992. Aurora, Ont. : Canada Law Book, 1993.

Eizenga, Michael A., Michael J. Peerless and Charles M. Wright. Class Actions Law and Practice. Toronto : Butterworths, 1999 (loose-leaf updated June 2001, issue 4).

Friedenthal, Jack H., Mary K. Kane and Arthur R. Miller. Civil Procedure, 2nd ed. St. Paul, Minn. : West Publishing Co., 1993.

Ontario. Attorney General’s Advisory Committee on Class Action Reform. Report of the Attorney General’s Advisory Committee on Class Action Reform. Toronto : The Committee, 1990.

Ontario. Commission de réforme du droit. Report on Class Actions. Toronto : Ministère du Procureur général, 1982.

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (1999), 46 O.R. (3d) 257, 181 D.L.R. (4th) 426 (sub nom. Hollick c. Metropolitan Toronto (Municipality)), 127 O.A.C. 369, 32 C.E.L.R. (N.S.) 1, 41 C.P.C. (4th) 93, 7 M.P.L.R. (3d) 244, [1999] O.J. No. 4747 (QL), rejetant l’appel d’une décision de la Cour divisionnaire (1998), 42 O.R. (3d) 473, 168 D.L.R. (4th) 760, 116 O.A.C. 108, 28 C.E.L.R. (N.S.) 198, 31 C.P.C. (4th) 64, [1998] O.J. No. 5267 (QL), qui a accueilli l’appel d’une décision de la Cour de l’Ontario (Division générale) (1998), 27 C.E.L.R. (N.S.) 48, 18 C.P.C. (4th) 394, [1998] O.J. No. 1288 (QL), qui avait accordé une motion en certification de recours collectif. Pourvoi rejeté.

Michael McGowan, Kirk M. Baert, Pierre Sylvestre et Gabrielle Pop‑Lazic, pour l’appelant.

Graham Rempe et Kalli Y. Chapman, pour l’intimée.

Robert V. Wright et Elizabeth Christie, pour les intervenants Ami(e)s de la terre, West Coast Environmental Law Association et Association canadienne des médecins pour l’environnement.

Doug Thomson et David McRobert, pour l’intervenant le Commissaire à l’environnement de l’Ontario.

Argumentation écrite seulement par Mark M. Orkin, c.r., pour l’intervenante La fondation du droit de l’Ontario.

Version française du jugement de la Cour rendu par

1 Le Juge en chef — La question du pourvoi est de savoir si l’appelant a satisfait aux exigences de la certification prévues par la Loi de 1992 sur les recours collectifs de l’Ontario, L.O. 1992, ch. 6, et s’il doit donc être autorisé à poursuivre la Ville de Toronto à titre de représentant d’environ 30 000 autres personnes habitant à proximité d’une décharge appartenant à la Ville et exploitée par elle. Pour les motifs qui suivent, je conclus que l’appelant n’a pas satisfait à ces exigences et qu’il ne peut donc poursuivre la Ville qu’en son nom personnel, et non pour le compte du groupe en question.

I. Les faits

2 L’appelant, M. Hollick, se plaint du bruit et de la pollution physique provenant de la décharge Keele Valley que possède et exploite l’intimée la Ville de Toronto. En application de la Loi de 1992 sur les recours collectifs, il demande la certification d’un recours collectif et sa désignation en tant que représentant de quelque 30 000 personnes habitant à proximité de la décharge, soit :

[traduction] A. Toutes les personnes ayant possédé ou occupé un immeuble dans la municipalité régionale de York, dans le territoire délimité au sud par le chemin Rutherford, à l’ouest par la rue Jane, au nord par le chemin King-Vaughan et à l’est par la rue Yonge, à tout moment depuis le 3 février 1991 ou, en cas de décès, leurs successions;

B. Tous les parents, grands-parents, enfants, petits‑enfants, frères, sœurs et conjoints (au sens de l’art. 61 de la Loi sur le droit de la famille) vivants des personnes qui étaient propriétaires et/ou occupants . . .

Notre Cour n’est pas appelée en l’espèce à trancher au fond le litige qui oppose l’appelant et l’intimée. Elle doit seulement décider si l’appelant devrait être autorisé à exercer son recours en tant que représentant du groupe défini.

3 Jusqu’en 1983, Keele Valley était une carrière de gravier privée. Elle était exploitée conformément à un certificat d’autorisation délivré en 1980 par le ministère de l’Environnement. Après son acquisition par l’intimée en 1983, le ministère de l’Environnement a délivré un nouveau certificat d’autorisation visant 375,9 hectares, dont 99,2 hectares sont occupés par la décharge. Le reste de la superficie sert de zone tampon. Le certificat précise que la décharge Keele Valley ne peut recevoir que des déchets municipaux ou commerciaux non dangereux et qu’elle doit respecter d’autres exigences concernant le traitement et le stockage des déchets. Il prévoit en outre l’établissement d’un fonds d’indemnisation de 100 000 $ (Small Claims Trust Fund) géré par le ministère de l’Environnement pour couvrir toute réclamation de 5 000 $ ou moins résultant d’incidences externes.

4 Le ministère de l’Environnement surveille la décharge en y affectant deux inspecteurs à temps plein et en examinant les rapports détaillés que l’intimée est tenue de lui remettre. De plus, la Ville de Vaughan a créé un comité de liaison permettant à la collectivité d’exprimer les inquiétudes causées par la décharge. Jusqu’en 1998, l’appelant participe régulièrement aux réunions du comité de liaison. Enfin, la collectivité a accès à un service de plaintes par téléphone mis à sa disposition par l’intimée.

5 L’appelant soutient que la décharge Keele Valley émet illégalement sur ses terres et les terres des membres du groupe :

[traduction]

a) des quantités importantes de méthane, d’hydrogène sulfuré, de chlorure de vinyle et d’autres gaz toxiques, des odeurs, des émanations et de la fumée désagréables, ainsi que des sédiments, des particules, des poussières et des déchets aérogènes ou transportés par les oiseaux ou le vent (collectivement, la « pollution physique »);

b) des bruits intenses et de fortes vibrations (collectivement, la « pollution sonore »).

Le 28 novembre 1997, l’appelant dépose une motion en certification de recours collectif. À l’appui, il fait valoir qu’en 1996, 139 plaintes ont été transmises par téléphone à l’intimée (devant notre Cour, l’appelant a soutenu [traduction] « qu’au moins 500 » plaintes ont été adressées « à diverses instances gouvernementales de 1991 à 1996 » (mémoire, par. 7).) Il signale par ailleurs qu’en 1996, le ministère de l’Environnement a infligé une amende à l’intimée pour le compostage de tontes de gazon dans des installations situées juste au nord de la décharge Keele Valley. Selon l’appelant, le groupe est bien défini et ses membres partagent un intérêt commun face à l’intimée et le recours collectif est le meilleur moyen de régler le litige. Au nom du groupe, l’appelant demande une injonction, des dommages-intérêts compensatoires de 500 000 000 $ et des dommages-intérêts exemplaires de 100 000 000 $.

6 L’intimée conteste le bien-fondé des doléances de l’appelant et estime que le recours collectif ne devrait pas être autorisé. Elle prétend avoir surveillé les rejets dans l’atmosphère provenant de la décharge Keele Valley et que, selon les données obtenues, [traduction] « aucun des niveaux observés n’a dépassé les niveaux d’intervention du ministère de l’Environnement ». Elle signale qu’il existe d’autres sources possibles de la pollution dont se plaint l’appelant, y compris une carrière en exploitation, un poste privé de transbordement des déchets, une fabrique de plastique et une usine de bitume. En outre, quelques fermes des environs ont des installations privées de compostage. L’intimée fait valoir par ailleurs que 150 personnes ont porté plainte au cours des six ans visés par le dossier de la motion et que ce chiffre est peu élevé compte tenu de l’importance du groupe. Enfin, elle fait remarquer qu’aucune demande d’indemnisation sur le fonds n’a été faite jusqu’à maintenant.

II. Les décisions antérieures

7 Le juge des requêtes, le juge Jenkins, conclut que l’appelant remplit chacune des cinq conditions de la certification selon le par. 5(1) de la Loi de 1992 sur les recours collectifs : (1998), 27 C.E.L.R. (N.S.) 48. Il conclut que la déclaration de l’appelant révèle l’existence de causes d’action en vertu de l’art. 99 de la Loi sur la protection de l’environnement, L.R.O. 1990, ch. E.19, et suivant la règle établie dans Rylands c. Fletcher (1868), L.R. 3 H.L. 330; que l’appelant a défini un groupe identifiable de deux personnes ou plus; que les questions de la responsabilité et des dommages-intérêts exemplaires sont communes au groupe et que le recours collectif est le meilleur moyen de régler les demandes du groupe. Enfin, il juge que l’appelant est apte à représenter le groupe et qu’il a établi un plan d’action efficace. Même s’il refuse l’injonction au motif que les dommages-intérêts seraient une réparation suffisante et rejette ses demandes fondées sur la Loi sur le droit de la famille, L.R.O. 1990, ch. F.3, parce que les faits allégués [traduction] « ne peuvent [. . .] étayer la perte de conseils, de soins et de compagnie » (p. 62), le juge Jenkins conclut que l’appelant a satisfait aux exigences du par. 5(1). Il certifie donc le recours collectif et nomme l’appelant représentant du groupe défini.

8 Le juge O’Leary, de la Cour divisionnaire de l’Ontario infirme l’ordonnance de certification, estimant qu’il n’y a ni groupe identifiable ni questions communes : (1998), 42 O.R. (3d) 473. À son avis, pour qu’un groupe soit identifiable, il faut [traduction] « que tous ses membres partagent la même cause d’action » contre la partie défenderesse et, « pour partager la même cause d’action, les membres du groupe doivent avoir subi l’atteinte à l’usage et à la jouissance de la propriété dénoncée dans la déclaration » (p. 479). Le juge O’Leary conclut que l’appelant n’a pas établi l’existence d’un groupe identifiable (aux p. 479-480):

[traduction] [V]u la preuve, il n’est pas vraisemblable que les 30 000 [membres du groupe] aient subi une telle atteinte. On ne peut présumer, à partir des plaintes adressées à Toronto, que la décharge était à l’origine de l’odeur ou des autres désagréments en cause [. . .] [M]ême si l’on considérait que la décharge Keele Valley était la cause de toutes les plaintes, le fait que 150 personnes aient porté plainte en sept ans rend peu probable que 30 000 personnes aient subi une atteinte à la jouissance de leur propriété.

Pour les mêmes motifs, il statue que l’appelant n’a pas établi l’existence de questions communes : [traduction] « étant donné que le groupe visé par la certification [. . .] ne s’apparente aucunement à un groupe susceptible, selon la preuve, d’avoir subi un préjudice imputable à l’exploitation de la décharge, il n’existe apparemment pas de questions communes aux membres du groupe » (p. 480). Le juge O’Leary annule l’ordonnance sans préjudice du droit du demandeur de présenter une nouvelle demande étayée par une preuve additionnelle.

9 Partageant l’avis de la Cour divisionnaire selon lequel l’existence de questions communes n’est pas établie, la Cour d’appel de l’Ontario, par la voix du juge Carthy, rejette l’appel de Hollick : (1999), 46 O.R. (3d) 257. Citant Bywater c. Toronto Transit Commission (1998), 27 C.P.C. (4th) 172 (C. Ont. (Div. gén.)), le juge Carthy souligne que la définition d’un groupe identifiable ne devrait pas dépendre du fond du recours. Cependant, il ne voit aucun empêchement à ce que le tribunal regarde au-delà des actes de procédure pour décider si les conditions de la certification ont été remplies et note : [traduction] « S’il en était autrement, toute déclaration alléguant l’existence d’un groupe identifiable empêcherait le tribunal de poursuivre l’examen » (p. 264). Le juge Carthy reconnaît que, pour conclure à l’existence d’un groupe identifiable, un tribunal ne devrait pas exiger la preuve que chaque membre du groupe proposé a, individuellement, une demande fondée. Le tribunal devrait cependant exiger [traduction] « une preuve susceptible de conférer une certaine crédibilité à l’allégation qu’il . . . “existe un groupe identifiable. . .” » (p. 264) (italiques omis).

10 Le juge Carthy ne juge pas nécessaire de trancher la question de savoir si l’appelant a établi l’existence d’un groupe identifiable, car selon lui l’appelant n’a pas satisfait à l’exigence concernant les questions communes. À son avis, chaque allégation de l’appelant exige la preuve d’une nuisance. Comme une telle preuve oblige l’appelant à établir le préjudice individuellement, le juge Carthy conclut à l’absence de questions communes (aux p. 266-267) :

[traduction] Ce groupe de 30 000 personnes n’est pas comparable aux patients qui ont reçu des implants, aux occupants d’un train sinistré ou aux personnes qui ont bu de l’eau polluée. La vie de chacun de ses membres a été touchée, ou ne l’a pas été, de manière différente et à un degré différent et chacun peut être ou ne pas être en mesure de tenir l’intimée responsable d’une nuisance . . .

Nulle question commune autre que la responsabilité n’a été avancée, et je n’en vois aucune autre qui puisse faire progresser l’instance.

Le juge Carthy rejette l’appel, confirmant l’ordonnance de la Cour divisionnaire sauf l’autorisation de présenter une demande nouvelle étayée par une preuve additionnelle.

III. Les textes législatifs

11 Loi de 1992 sur les recours collectifs, L.O. 1992, ch. 6

5 (1) Le tribunal saisi d’une motion visée à l’article 2, 3 ou 4 certifie qu’il s’agit d’un recours collectif si les conditions suivantes sont réunies :

a) les actes de procédure ou l’avis de requête révèlent une cause d’action;

b) il existe un groupe identifiable de deux personnes ou plus qui se ferait représenter par le représentant des demandeurs ou des défendeurs;

c) les demandes ou les défenses des membres du groupe soulèvent des questions communes;

d) le recours collectif est le meilleur moyen de régler les questions communes;

e) il y a un représentant des demandeurs ou des défendeurs qui :

(i) représenterait de façon équitable et appropriée les intérêts du groupe,

(ii) a préparé un plan pour l’instance qui propose une méthode efficace de faire avancer l’instance au nom du groupe et d’aviser les membres du groupe de l’instance,

(iii) n’a pas de conflit d’intérêts avec d’autres membres du groupe, en ce qui concerne les questions communes du groupe.

6 Le tribunal ne doit pas refuser de certifier qu’une instance est un recours collectif en se fondant uniquement sur l’un des motifs suivants :

1. Les mesures de redressement demandées comprennent une demande de dommages-intérêts qui exigerait, une fois les questions communes décidées, une évaluation individuelle.

2. Les mesures de redressement demandées portent sur des contrats distincts concernant différents membres du groupe.

3. Des mesures correctives différentes sont demandées pour différents membres du groupe.

4. Le nombre de membres du groupe ou l’identité de chaque membre est inconnu.

5. Il existe au sein du groupe un sous-groupe dont les demandes ou les défenses soulèvent des questions communes que ne partagent pas tous les membres du groupe.

IV. La question en litige

12 L’appelant devrait-il être autorisé à intenter un recours collectif au nom du groupe qu’il décrit dans sa déclaration?

V. L’analyse

13 La Loi de 1992 sur les recours collectifs de l’Ontario, comme des lois similaires de la Colombie-Britannique et du Québec, permet à un membre d’un groupe d’introduire une instance au nom du groupe : voir pour l’Ontario, Loi de 1992 sur les recours collectifs, par. 2(1); pour le Québec, Code de procédure civile, L.R.Q., ch. C-25, livre IX; pour la Colombie-Britannique, Class Proceedings Act, R.S.B.C. 1996, ch. 50. La personne cherchant à représenter le groupe doit demander par voie de motion une ordonnance certifiant que l’instance est un recours collectif et la nommant représentante du groupe : Loi de 1992 sur les recours collectifs, par. 2(2). L’article 5 de la Loi énonce cinq critères qui permettront au juge saisi de la motion de décider s’il y a lieu de certifier le recours collectif. Si ces conditions sont remplies, le juge doit certifier le recours collectif.

14 Il ressort de l’évolution législative de la Loi de 1992 sur les recours collectifs qu’il convient de l’interpréter libéralement. Avant son adoption, le recours collectif était régi, en Ontario, par la règle 12.01 des Règles de procédure civile, R.R.O. 1990, Règl. 194, ainsi libellée :

Si de nombreuses personnes ont un même intérêt, une ou plusieurs d’entre elles peuvent intenter ou contester une instance au nom ou au profit de toutes les autres, ou peuvent y être autorisées par le tribunal.

Cette règle permettait aux tribunaux de régler des cas relativement simples de recours collectifs, mais il est devenu évident à la fin du XXe siècle que la règle 12.01 n’était pas adaptée aux affaires complexes qui commençaient à venir devant les tribunaux. Ces affaires traduisaient « [l]a montée de la production de masse, la diversification de la propriété commerciale, la venue des conglomérats, et la prise de conscience des fautes environnementales » : Western Canadian Shopping Centres Inc. c. Dutton, [2001] 2 R.C.S. 534, 2001 CSC 46, par. 26. Souvent, le nombre des intéressés était considérable, et les affaires soulevaient des questions de droit complexes, enchevêtrées — dont certaines étaient communes au groupe, et d’autres pas. Les tribunaux auraient pu composer avec des recours collectifs modérément complexes en exerçant leur pouvoir inhérent en matière de procédure, mais ils auraient dû régler cas par cas les complications procédurales : voir Western Canadian Shopping Centres, par. 51. La Loi de 1992 sur les recours collectifs a été édictée pour donner aux tribunaux un instrument de procédure adapté leur permettant de statuer efficacement, en fonction de principes établis plutôt que cas par cas, sur les affaires de plus en plus compliquées de l’époque actuelle.

15 La Loi traduit la reconnaissance croissante des avantages importants qu’offre le recours collectif comme instrument de procédure. J’explique en détail dans Western Canadian Shopping Centres (par. 27-29) que le recours collectif a trois avantages majeurs sur les poursuites individuelles multiples. Premièrement, par le regroupement d’actions individuelles semblables, le recours collectif permet de faire des économies de ressources judiciaires en évitant la duplication inutile de l’appréciation des faits et de l’analyse du droit. Deuxièmement, en répartissant les frais fixes de justice entre les nombreux membres du groupe, le recours collectif assure un meilleur accès à la justice en rendant économiques des poursuites que les membres du groupe auraient jugées trop coûteuses pour les intenter individuellement. Troisièmement, le recours collectif sert l’efficacité et la justice en faisant en sorte que les malfaisants actuels ou éventuels prennent pleinement conscience du préjudice qu’ils infligent ou qu’ils pourraient infliger au public et modifient leur comportement en conséquence. En proposant l’adoption d’une loi sur les recours collectifs, la Commission de réforme du droit de l’Ontario a fait ressortir chacun de ces avantages : voir Commission de réforme du droit de l’Ontario, Report on Class Actions (1982), vol. I, p. 117-145; voir aussi ministère du Procureur général, Report of the Attorney General’s Advisory Committee on Class Action Reform, février 1990, p. 16-18. Il est donc essentiel, selon moi, que les tribunaux n’interprètent pas la loi de manière trop restrictive, mais qu’ils adoptent une interprétation qui donne pleinement effet aux avantages escomptés par les rédacteurs.

16 Il est particulièrement important d’avoir ce principe à l’esprit à l’étape de la certification. Dans son rapport de 1982, la Commission de réforme du droit de l’Ontario propose que la nouvelle loi sur les recours collectifs comporte un « critère préliminaire du bien‑fondé du recours » dans les conditions de la certification. Le critère proposé aurait obligé le représentant proposé à établir [traduction] « qu’il existe une possibilité raisonnable que, au procès, des questions importantes de fait et de droit communes aux membres du groupe soient tranchées en faveur du groupe » : Report on Class Actions, op. cit., vol. III, p. 862. Malgré la recommandation de la Commission de réforme du droit, l’Ontario n’a pas retenu le critère préliminaire du bien-fondé du recours. La Loi de 1992 sur les recours collectifs se contente d’exiger que la déclaration « révèl[e] une cause d’action » (al. 5(1)a)). La Loi écarte carrément un examen au fond à l’étape de la certification (par. 5(5) : « L’ordonnance certifiant qu’il s’agit d’un recours collectif ne constitue pas une décision sur le fond de l’instance »). Voir aussi Caputo c. Imperial Tobacco Ltd. (1997), 34 O.R. (3d) 314 (Div. gén.), p. 320 ([traduction] « il n’y a lieu à aucun examen au fond dans une demande de certification »). L’étape de la certification intéresse la forme que revêt l’action. La question à cette étape n’est pas s’il est vraisemblable que la demande aboutisse, mais s’il convient de procéder par recours collectif : voir à titre général Report of the Attorney General’s Advisory Committee on Class Action Reform, p. 30-33.

17 J’applique maintenant ces principes à l’espèce. La question est de savoir si l’appelant a satisfait aux conditions de certification de l’art. 5 de la Loi. L’intimée ne conteste pas que la déclaration de l’appelant révèle une cause d’action. Il faut donc décider tout d’abord s’il existe un groupe identifiable. Selon moi, oui. L’appelant a défini le groupe en recourant à un critère objectif : une personne en est membre si, pendant une période donnée, elle a possédé ou occupé un immeuble situé dans un territoire précis. On peut déterminer si une personne est membre du groupe sans se référer au fond de l’action. Bien que l’appelant n’ait pas nommé chaque membre, le groupe est clairement circonscrit (c’est-à-dire qu’il n’est pas sans limites). Il existe donc un groupe identifiable au sens de l’al. 5(1)b) : voir J. H. Friedenthal, M. K. Kane et A. R. Miller, Civil Procedure (2e éd. 1993), p. 726-727; Bywater, précité, p. 175-176; Western Canadian Shopping Centres, précité, par. 38.

18 Une question plus difficile se pose, celle de savoir si « les demandes [. . .] des membres du groupe soulèvent des questions communes », comme l’exige l’al. 5(1)c) de la Loi de 1992 sur les recours collectifs. Dans Western Canadian Shopping Centres, je dis que la question sous-jacente est « de savoir si le fait d’autoriser le recours collectif permettra d’éviter la répétition de l’appréciation des faits ou de l’analyse juridique ». Par conséquent, une question n’est commune « que lorsque sa résolution est nécessaire pour le règlement des demandes de chaque membre du groupe » (par. 39). Par ailleurs, une question n’est « commune » au sens voulu que s’il s'agit d’un « élément [. . .] important » des demandes de chaque membre du groupe.

19 En l’espèce, il ne fait aucun doute que, si chaque membre du groupe a une demande à faire valoir contre l’intimée, un aspect de la question de la responsabilité est commun au sens de l’al. 5(1)c). Pour avoir gain de cause individuellement, un membre du groupe proposé doit établir entre autres choses que l’intimée a rejeté des polluants dans l’air. Cet aspect au moins (ainsi que d’autres, peut‑être) de la question de la responsabilité serait commun à tous ceux qui poursuivent l’intimée. Cependant, il est difficile de décider si chaque membre du groupe proposé a effectivement une demande ou, à tout le moins, une « demande apparente » à faire valoir contre l’intimée. En d’autres termes, la question est de savoir s’il existe un lien rationnel entre le groupe tel qu’il est défini et les questions communes énoncées : voir Western Canadian Shopping Centres, par. 38 (« [l]es critères [définissant le groupe] devraient avoir un rapport rationnel avec les revendications communes à tous les membres du groupe »). Pour établir l’existence d’un tel lien, l’appelant invoque les nombreuses plaintes reçues par le ministère de l’Environnement concernant la décharge Keele Valley. Selon lui, le nombre élevé de plaintes montre que la situation de beaucoup d’autres membres du groupe proposé, sinon tous, est semblable vis-à-vis de l’intimée. Cette dernière, pour sa part, estime que le fait que [traduction] « 150 personnes aient porté plainte en sept ans rend peu probable que 30 000 personnes aient subi une atteinte à la jouissance de leur propriété » (jugement de la Cour divisionnaire, p. 479-480). L’intimée cite également le jugement de la Cour d’appel de l’Ontario (à la p. 264), qui a refusé de reconnaître l’existence de questions communes parce que

[traduction] [d]ans des circonstances comme celles relatées dans la déclaration, on s’attendrait à des preuves de l’existence d’un groupe de personnes luttant pour que l’on donne suite à leurs plaintes, comme des « réunions municipales », des revendications, des demandes adressées au fonds d’indemnisation sans égard à la responsabilité [et] des demandes de modification du certificat d’autorisation. . .

20 L’intimée a bien sûr raison d’affirmer que l’exigence d’un « groupe identifiable » englobe implicitement celle d’un lien rationnel entre le groupe et les questions communes. Peu de choses ont été dites au sujet de cette exigence, car le lien ressort habituellement des faits. Dans le cas d’un délit civil touchant simultanément un grand nombre de personnes (un accident d’avion, par exemple), la délimitation du groupe n’est généralement pas contestée. Il en va de même dans le cas de poursuites fondées sur la responsabilité du fait du produit (le groupe se composant habituellement des personnes ayant acheté le produit) ou pour fraude dans le domaine des valeurs mobilières (le groupe étant généralement formé des détenteurs des actions en cause). Toutefois, en l’espèce, la composition du groupe n’est pas aussi évidente. Il incombe au représentant proposé d’établir que le groupe est défini de manière suffisamment étroite.

21 Ce n’est pas une lourde exigence. Le représentant n’est pas tenu de montrer que tous les membres du groupe partagent le même intérêt dans le règlement de la question commune énoncée. Il doit cependant montrer de quelque manière que le groupe n’est pas inutilement large, c’est-à-dire qu’on ne pourrait lui donner une définition plus étroite sans exclure arbitrairement des personnes ayant le même intérêt dans le règlement de la question commune. Lorsque le groupe pourrait être défini plus étroitement, le tribunal devrait soit refuser la certification, soit l’accorder à la condition que la définition du groupe soit modifiée : voir W. K. Branch, Class Actions in Canada (1996), par. 4.205; Webb c. K-Mart Canada Ltd. (1999), 45 O.R. (3d) 389 (C.S.J.) (demande d’indemnité pour congédiement injustifié; la définition du groupe était trop large en ce qu’elle englobait les personnes dont on pouvait prouver qu’elles avaient été congédiées pour un motif valable); Mouhteros c. DeVry Canada Inc. (1998), 41 O.R. (3d) 63 (Div. gén.)) (déclarations trompeuses d’une école concernant le placement de ses diplômés; la composition du groupe était trop étendue, car elle comprenait des diplômés ayant trouvé un emploi).

22 Il faut se demander ensuite dans quelle mesure on peut permettre ou demander au représentant du groupe de présenter des preuves à l’appui de sa demande de certification. Les recommandations de la Commission de réforme du droit de l’Ontario sur ce point, dans son rapport de 1982, ont peut-être peu de poids puisque, comme je le dis plus haut, ce rapport proposait aussi l’adoption d’un critère préliminaire du bien-fondé du recours à l’étape de la demande de certification : voir Report on Class Actions, op. cit., vol. II, p. 422-426 (recommandant que le demandeur représentant et la partie défenderesse soient tenus, à l’étape de la certification, de produire un ou plusieurs affidavits exposant tous les faits allégués et que les parties soient autorisées à interroger les déposants). Le rapport de 1990 du comité consultatif du procureur général est peut-être une meilleure référence. Il recommande ceci : [traduction] « à l’audition de la demande de certification, [. . .] le demandeur représentant doit, et la partie défenderesse peut, signifier et déposer un ou plusieurs affidavits exposant les faits pertinents que chacun entend invoquer » (je souligne) : Report of the Attorney General’s Advisory Committee on Class Action Reform, op. cit., p. 33. Selon moi, c’est à juste titre que ce rapport exige du représentant du groupe qu’il apporte une preuve suffisante à l’appui de sa demande de certification tout en permettant à la partie adverse de produire à son tour sa propre preuve.

23 Telle paraît être la pratique actuelle devant les tribunaux ontariens. Dans Caputo, précité, le représentant a intenté un recours collectif contre des fabricants de cigarettes, alléguant que ces derniers avaient sciemment trompé le public au sujet des risques associés à la cigarette. À l’appui de la demande de certification, le représentant du groupe n’a déposé que l’affidavit d’un avocat établi sur la foi de renseignements tenus pour véridiques. La cour a estimé que la preuve offerte ne justifiait pas la certification du recours collectif et que les défendeurs devraient être autorisés à interroger les membres du groupe individuellement pour obtenir l’information nécessaire afin qu’il puisse être statué sur la demande. Selon la cour, [traduction] « Il est essentiel de disposer d’un dossier adéquat », ce qui « varie en fonction des circonstances de chaque espèce » (p. 319).

24 Dans Taub c. Manufacturers Life Insurance Co. (1998), 40 O.R. (3d) 379 (Div. gén.), la représentante voulait intenter un recours collectif au nom des locataires de l’immeuble qu’elle habitait. Elle alléguait que de la moisissure compromettait la santé des occupants. Toutefois, elle n’avait présenté aucune preuve indiquant que de la moisissure avait été détectée ailleurs que dans son propre appartement. La cour dit, p. 380-381, que [traduction] « la Loi exige que le demandeur représentant offre un minimum d’éléments probants à l’appui de la demande de certification » (je souligne). Bien que la Loi de 1992 sur les recours collectifs n’exige pas une preuve préliminaire du bien-fondé du recours, [traduction] « le juge doit être convaincu de l’existence de certains faits de base exigés par l’art. 5 de la Loi, pour rendre une ordonnance de certification » (p. 381).

25 Je conviens que le représentant du groupe défini doit établir un certain fondement factuel pour la demande de certification. Comme le dit la cour dans Taub, cela ne signifie pas qu’il faut des affidavits des membres du groupe ou qu’il faut un examen au fond des demandes d’autres membres du groupe. Cependant, le rapport précité du comité consultatif du procureur général envisageait manifestement que le représentant du groupe serait tenu d’étayer sa demande de certification (à la p. 31) : ([traduction] « la preuve à l’appui de la demande devrait se limiter aux critères [de certification] »). De toute évidence, c’est ce que prévoit la Loi au par. 5(4) (« [l]e tribunal peut ajourner la motion en vue de faire certifier le recours collectif afin de permettre aux parties de modifier leurs documents ou leurs actes de procédure ou d’autoriser la présentation d’éléments de preuve supplémentaires »). À mon sens, le représentant du groupe doit établir un certain fondement factuel pour chacune des conditions énumérées à l’art. 5 de la Loi, autre que l’exigence que les actes de procédure révèlent une cause d’action. Cette dernière exigence est régie bien sûr par la règle qu’un acte de procédure ne devrait pas être radié parce qu’il ne révèle pas de cause d’action à moins qu’il soit [traduction] « manifeste et évident » qu’il n’y a lieu à aucune réclamation : voir Branch, op. cit., par. 4.60.

26 J’estime que l’appelant s’est acquitté de son obligation au chapitre de la preuve. Il a joint à la motion les dossiers des plaintes déposées, totalisant quelque 115 pages, obtenus du ministère de l’Environnement et de l’Énergie de l’Ontario et du Service des travaux publics de la Communauté urbaine de Toronto. Les dossiers du ministère documentent près de 300 plaintes formulées entre juillet 1985 et mars 1994, environ 200 plaintes en 1995 et environ 150 plaintes en 1996. Les dossiers du Service des travaux publics contiennent près de 300 plaintes déposées entre juillet 1983 et la fin de l’année 1993. Comme certaines personnes peuvent avoir adressé leur plainte à la fois au ministère de l’Environnement et de l’Énergie et au Service des travaux publics, il est difficile de déterminer précisément le nombre de plaintes distinctes déposées au cours d’une année. Il est suffisamment clair, toutefois, que de nombreuses autres personnes que l’appelant ont déploré le bruit et les rejets physiques provenant de la décharge. Je remarque par ailleurs que, même si un nombre disproportionné de plaintes paraissent provenir de certaines parties du territoire décrit dans la définition du groupe, des habitants de nombreux autres secteurs compris dans ce territoire ont porté plainte. Je conclus donc que l’appelant a établi un fondement factuel suffisant à l’appui de l’existence de questions communes.

27 Toutefois, je ne peux conclure que « le recours collectif est le meilleur moyen de régler les questions communes », comme l’exige l’al. 5(1)d). Les parties conviennent que, en l’absence de paramètres établis par le législateur, la question du meilleur moyen est fonction des trois principaux avantages du recours collectif : l’économie de ressources judiciaires, l’accès à la justice et la modification des comportements : voir aussi Abdool c. Anaheim Management Ltd. (1995), 21 O.R. (2d) 453 (C. div.); comparer avec la Class Proceedings Act de la Colombie-Britannique, par. 4(2) (énumérant les facteurs à considérer pour décider si le recours collectif est la meilleure procédure). Pour le reste, cependant, l’appelant et l’intimée diffèrent. Dans sa plaidoirie devant notre Cour, l’appelant a soutenu que le tribunal doit examiner les questions communes seulement et se demander si le recours collectif plutôt que des recours individuels est le meilleur moyen de régler les questions communes considérées isolément. L’intimée a rétorqué que les questions communes doivent être analysées en contexte, compte tenu de l’ensemble des questions en litige — communes et individuelles. Elle soutenait par ailleurs qu’il fallait tenir compte de l’existence d’autres moyens d’obtenir réparation.

28 Le rapport précité du comité consultatif du procureur général indique clairement qu’il faut donner une interprétation large au « meilleur moyen ». L’expression vise à exprimer deux idées : Premièrement, [traduction] « le recours collectif est-il un moyen juste, efficace et pratique de faire progresser l’instance? » Deuxièmement, le recours collectif est-il [traduction] « préférable aux autres procédures que sont la jonction ou la réunion d’instances, la cause type, etc.? » (Report of the Attorney General’s Advisory Committee on Class Action Reform, op. cit., p. 32) Il est impossible, selon moi, de décider si le recours collectif est préférable en ce sens qu’il est un « moyen juste, efficace et pratique de faire progresser l’instance », sans examiner les questions communes dans leur contexte.

29 La Loi comme telle exige seulement, bien sûr, que le recours collectif soit la meilleure procédure pour « régler les questions communes » (je souligne), et non qu’il s’agisse de la meilleure procédure pour régler les réclamations des membres du groupe. Cependant, je n’accorderais pas une trop grande importance au fait que la Loi emploie l’expression « régler les questions communes », et non « régler les demandes des membres du groupe ». Comme le dit un observateur:

[traduction] La [règle américaine] pertinente exige que le recours collectif soit le moyen le plus approprié de régler le « litige ». Les lois de la Colombie-Britannique et de l’Ontario disent que le recours collectif doit être le meilleur moyen de régler les « questions communes » (par opposition au litige tout entier). [Cette] différenc[e] peut sembler établir un test moins exigeant en Ontario et en Colombie-Britannique qu’aux États-Unis. Toutefois, il demeure important en Colombie-Britannique et en Ontario d’apprécier le litige globalement, y compris l’étape de l’examen des demandes individuelles, afin de décider si le recours collectif est le meilleur moyen de régler les questions communes. En théorie, il vaut toujours mieux régler les questions communes dans une instance commune. Toutefois, pour trancher cette question de procédure, il importe de recourir à une analyse pratique tenant compte des coûts et des avantages et de prendre en considération l’incidence d’un recours collectif sur les membres du groupe, les défendeurs et le tribunal.

Voir Branch, op. cit., par. 4.690. Je souscris à cette analyse.

30 Sur la question de la meilleure procédure, il faut donc examiner l’importance des questions communes par rapport à l’ensemble des revendications. Certes, la Loi prévoit que le recours collectif est autorisé même lorsqu’il existe d’importantes questions individuelles : voir l’art. 5. Il est vrai également que, contrairement au législateur fédéral américain, le législateur ontarien n’a pas retenu l’exigence que les questions communes « prévalent » sur les questions individuelles : voir Federal Rules of Civil Procedure, règle 23b)(3) (le recours collectif ne peut être autorisé que si [traduction] « les questions de droit ou de fait communes aux membres du groupe prévalent sur les questions qui ne touchent que des membres individuels »); voir aussi la Class Proceedings Act de la Colombie‑Britannique, al. 4(2)a) (pour décider si le recours collectif est la meilleure procédure, le tribunal doit se demander [traduction] « si les questions de fait ou de droit communes aux membres du groupe prévalent sur les questions qui ne touchent que des membres individuels »). Je ne peux cependant conclure que le législateur a voulu que cette analyse s’effectue dans l’abstrait. Les questions communes doivent être analysées en contexte. Comme le dit le président du comité consultatif du procureur général, la question de la meilleure procédure exige que le représentant du groupe [traduction] « établisse que compte tenu de toutes les circonstances propres à une demande donnée, le recours collectif est la meilleure procédure pour régler la demande et qu’il est préférable, particulièrement, aux recours individuels » (je souligne) : M. G. Cochrane, Class Actions : A Guide to the Class Proceedings Act, 1992 (1993), p. 27.

31 Il est clair par ailleurs que le tribunal ne peut négliger l’existence d’autres moyens que les recours individuels d’obtenir réparation. Comme je le précise plus haut, la loi exige que le recours collectif soit le meilleur moyen de régler les questions communes c’est-à-dire [traduction] « préférable aux autres procédures que sont la jonction ou la réunion d’instances, la cause type, etc. » : Report of the Attorney General’s Advisory Committee on Class Action Reform, op. cit., p. 32; voir aussi Cochrane, op. cit., p. 27; M. A. Eizenga, M. J. Peerless et C. M. Wright, Class Actions Law and Practice (feuilles mobiles), par. 3.62 ([traduction] « pour décider si le recours collectif est le moyen préférable, le tribunal peut examiner les autres moyens de régler le litige »). J’estime que le tribunal, dans l’analyse du meilleur moyen, doit examiner tous les moyens raisonnables offerts pour régler les demandes des membres du groupe, et non seulement la possibilité de recours individuels.

32 Je ne suis pas convaincue que le recours collectif est le meilleur moyen de régler les réclamations des membres du groupe. En ce qui concerne d’abord l’économie de ressources judiciaires, je note que toute question commune en l’espèce est négligeable par rapport aux questions individuelles. Même si chaque membre du groupe doit, pour obtenir réparation, prouver que la décharge Keele Valley a produit la pollution physique et sonore, il n’y a aucune raison de croire que la pollution a frappé uniformément le territoire délimité et pendant toute la période visée par la définition du groupe. Au contraire, il est probable que certains secteurs aient été touchés plus gravement que d’autres et que différentes parties du territoire aient été frappées à différents moments. Comme l’indique la Cour divisionnaire, [traduction] « [m]ême si l’on ne tient compte que des 150 personnes qui ont déposé des plaintes, celles‑ci se rapportent à des dates différentes sur sept ans et à des endroits différents sur 16 milles carrés » (p. 480). Certains habitent à proximité de la décharge, d’autres plus loin. Certains habitent à proximité d’une autre source possible de pollution. Une fois la question commune considérée dans le contexte global de la demande, il devient difficile d’affirmer que le règlement de la question commune fera progresser substantiellement l’instance.

33 Autoriser le recours collectif en l’espèce ne favoriserait pas non plus l’accès à la justice. L’appelant fait valoir que les demandes des membres du groupe pourraient être si modestes qu’il ne vaudrait pas la peine pour eux d’intenter des recours individuels. Dans bien des cas, il s’agit effectivement d’un risque réel. Comme je le dis plus haut, un des avantages importants du recours collectif est de répartir les frais fixes de justice entre tous les membres du groupe et de rendre financièrement possibles des poursuites qui, autrement, n’auraient pas pu être engagées. Toutefois, je ne suis pas totalement convaincue que ce soit le cas en l’occurrence. La faille principale dans le raisonnement de l’appelant est la suivante : s’il est en fait vrai que les demandes sont tellement modestes que la question de l’accès à la justice se pose, l’indemnisation par le fonds créé pour ce type de réclamations est le mode de réparation idéal. En effet, comme il s’agit d’un programme d’indemnisation sans égard à la responsabilité, le fonds devrait permettre d’obtenir réparation bien plus rapidement que par voie judiciaire. Si, en revanche, le fonds d’indemnisation n’est pas assez important pour les demandes des membres du groupe, on peut se demander si la question de l’accès à la justice se pose. Si leurs réclamations sont substantielles, elles valent la peine d’intenter des recours individuels. Le fait qu’aucune réclamation n’a été présentée au fonds pourrait indiquer que les demandes des membres du groupe sont soit modestes au point d’être non existantes, soit suffisamment importantes pour qu’il vaille la peine d’engager des instances individuelles. Dans l’un ou l’autre cas, l’accès à la justice n’est pas une préoccupation sérieuse. Bien sûr, l’existence d’un fonds permettant aux membres du groupe de demander une indemnisation n’est pas en soi un motif de refuser un recours collectif -- même si le régime d’indemnisation peut permettre d’obtenir réparation plus rapidement : Rumley c. Colombie-Britannique, [2001] 3 R.C.S. 184, 2001 CSC 69, par. 38. L’existence d’un tel régime est une considération dont il faut tenir compte dans l’évaluation de la gravité du problème d’accès à la justice.

34 Pour des motifs similaires, j’écarte l’argument selon lequel la modification du comportement est une considération importante en l’espèce. La modification comportementale peut être pertinente aux fins de décider si un recours collectif devrait être autorisé. Comme le note Western Canadian Shopping Centres, précité, par. 29, « [s]ans recours collectifs, des personnes qui causent des préjudices individuels mineurs mais répandus pourraient négliger le coût total de leur conduite, sachant que, pour un demandeur, les frais d’une poursuite dépasseraient largement la réparation probable ». Il s’agit certainement d’une préoccupation tout aussi pressante dans le contexte d’un litige environnemental. D’ailleurs, l’Ontario a adopté une loi reconnaissant que le préjudice environnemental est un coût dont il faut dûment tenir compte dans la prise de décisions publiques et privées : voir la Charte des droits environnementaux de 1993, L.O. 1993, ch. 28, et la Loi sur la protection de l’environnement. Je ne suis pas convaincue, cependant, qu’autoriser le recours collectif en l’espèce contribuerait à la réalisation de cet objectif. Si les membres du groupe ont des demandes substantielles à faire valoir contre l’intimée, ils devraient être disposés à intenter des recours individuels; par contre, si leurs demandes sont minimes, ils seront en mesure d’obtenir réparation en s’adressant au fonds d’indemnisation créé à cette fin. Dans l’un ou l’autre cas, l’intimée devra absorber les coûts occasionnés par son comportement.

35 Je signale de plus que la législation ontarienne de l’environnement offre au plaignant d’autres moyens d’obliger l’intimée à tenir pleinement compte du coût de ses actes. Bien que l’existence de cette législation n’écarte certainement pas la possibilité de recours collectifs dans le domaine de l’environnement, elle apaise jusqu’à un certain point les craintes légitimes au chapitre de la modification comportementale : voir la Charte des droits environnementaux de 1993, par. 61(1) (« [d]eux personnes qui résident en Ontario et qui croient qu’une politique, une loi, un règlement ou un acte de l’Ontario devrait être modifié, abrogé ou révoqué en vue de protéger l’environnement peuvent demander au commissaire à l’environnement de faire examiner par le ministre compétent la politique, la loi, le règlement ou l’acte en question »), et par. 74(1) (« [d]eux personnes qui résident en Ontario et qui croient qu’il y a eu contravention à une loi, à un règlement ou à un acte prescrits peuvent demander au commissaire à l’environnement de faire mener par le ministre compétent une enquête sur la contravention reprochée »); Loi sur la protection de l’environnement, par. 14(1) (« [m]algré toute autre disposition de la présente loi et des règlements, nul ne doit rejeter un contaminant dans l’environnement naturel ou permettre ou faire en sorte que cela se fasse lorsqu’un tel acte cause ou causera vraisemblablement une conséquence préjudiciable »); par. 172(1) (« [s]i une personne se plaint qu’un contaminant cause ou a causé des lésions à du bétail, ou des dommages à des récoltes, à des arbres ou à une autre végétation qui peuvent occasionner une perte financière à cette personne, elle peut, dans les quatorze jours après que les lésions ou les dommages deviennent apparents, demander au ministre de faire une enquête »); et par. 186(1) (« [q]uiconque enfreint la présente loi ou les règlements est coupable d’une infraction »).

36 Je conclus que l’instance ne satisfait pas aux exigences du par. 5(1) de la Loi de 1992 sur les recours collectifs de l’Ontario. Même selon l’interprétation libérale préconisée plus haut, l’appelant n’a pas établi que le recours collectif est le meilleur moyen de régler les demandes en l’espèce.

37 Je tiens cependant à préciser la portée du présent arrêt. L’appelant a cherché à caractériser la question à trancher comme étant la question de savoir si la Loi de 1992 sur les recours collectifs de l’Ontario autorise les recours collectifs dans le domaine de l’environnement. Je ne formulerais pas la question de manière aussi générale. Même si l’appelant n’a pas rempli les conditions de la certification, cela ne veut pas dire que ces conditions ne pourraient jamais être réunies dans le contexte de la responsabilité environnementale. Ce sont nécessairement les faits de l’espèce qui déterminent s’il y a lieu d’autoriser un recours collectif. Dans la présente affaire, il y avait des doutes sérieux quant à la question de la meilleure procédure. Une autre affaire de délit civil environnemental pourrait ne pas soulever les mêmes doutes. Il conviendra de statuer alors en fonction des faits.

38 Le pourvoi est rejeté. Il n’y a pas d’adjudication des dépens.

Pourvoi rejeté.

Procureurs de l’appelant : McGowan & Associates, Toronto.

Procureur de l’intimée : H. W. O. Doyle, Toronto.

Procureurs des intervenants Ami(e)s de la terre, West Coast Environmental Law Association et Association canadienne des médecins pour l’environnement : Sierra Legal Defence Fund, Toronto.

Procureurs de l’intervenant le Commissaire à l’environnement de l’Ontario : McCarthy Tétrault et David McRobert, Toronto.

Procureur de l’intervenante La fondation du droit de l’Ontario : Mark M. Orkin, Toronto.



Parties
Demandeurs : Hollick
Défendeurs : Toronto (Ville)

Références :
Proposition de citation de la décision: Hollick c. Toronto (Ville), 2001 CSC 68 (18 octobre 2001)


Origine de la décision
Date de la décision : 18/10/2001
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : 2001 CSC 68 ?
Numéro d'affaire : 27699
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2001-10-18;2001.csc.68 ?
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