Centre hospitalier Mont-Sinaï c. Québec (Ministre de la Santé et des Services sociaux), [2001] 2 R.C.S. 281, 2001 CSC 41
Ministre de la Santé et des Services sociaux Appelant
c.
Centre hospitalier Mont-Sinaï Intimé
et
Elliot L. Bier, Howard Blatt, Peter Erenyi,
Ruth Kovac, Mary Likoudis, Avrum P. Orenstein,
Charles Roth (en leur qualité d’administrateurs du
Centre hospitalier Mont-Sinaï) Intimés
et
Centre hospitalier gériatrique Maïmonides Intimé
Répertorié : Centre hospitalier Mont-Sinaï c. Québec (Ministre de la Santé et des Services sociaux)
Référence neutre : 2001 CSC 41.
No du greffe : 27022.
2000 : 12 décembre; 2001 : 29 juin.
Présents : Le juge en chef McLachlin et les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier, Iacobucci, Major, Bastarache et Binnie.
en appel de la cour d’appel du québec
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec, [1998] R.J.Q. 2707, 9 Admin. L.R. (3d) 161, [1998] A.Q. no 2982 (QL), confirmant un jugement de la Cour supérieure, J.E. 92-1815. Pourvoi rejeté.
Patrice Claude, Anne-Marie Brunet et Jean-François Jobin, pour l’appelant.
Gilles Poulin et Elliot L. Bier, pour les intimés le Centre hospitalier Mont‑Sinaï et Elliot L. Bier et autres.
Personne n’a comparu pour l’intimé le Centre hospitalier gériatrique Maïmonides.
Version française des motifs du juge en chef McLachlin et du juge Binnie rendus par
1 Le juge Binnie — Je suis d’accord avec mon collègue le juge Bastarache pour dire qu’il y a lieu de rejeter le présent pourvoi. Je souscris également à son rejet de l’argument des intimés, selon lequel ils possédaient déjà le permis modifié au moment du déménagement du Centre hospitalier Mont-Sinaï de Sainte‑Agathe à Montréal et que tout ce qu’il restait à faire était d’en rendre le libellé conforme à la réalité juridique. Comme mon collègue le souligne au par. 97, « avoir droit au permis est différent du fait de le posséder ». Au gouvernement, une mesure ne se concrétise qu’au moment où elle est prise.
2 Mon collègue le juge Bastarache met l’accent sur le ministre de la Santé et des Services sociaux et conclut que celui‑ci avait effectivement exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu de l’art. 138 de la Loi sur les services de santé et les services sociaux, L.R.Q., ch. S‑5 (maintenant l’art. 441 de la Loi sur les services de santé et les services sociaux, L.R.Q., ch. S-4.2), ce qui avait abouti au déménagement du Centre à Montréal en janvier 1991 (par. 105). Selon lui, les différentes mesures que le ministre a prises à l’égard des intimés et les communications qu’il a eues avec eux témoignent de la façon dont le pouvoir discrétionnaire a été exercé et du moment où il l’a été (par. 101). Dans cette optique, il s’agit de savoir si l’exercice initial du pouvoir discrétionnaire conféré par l’art. 138 a été validement infirmé dans la décision du 3 octobre 1991 de refuser le permis modifié (par. 107).
3 Naturellement, il existe une distinction entre prendre une décision et en établir l’existence au moyen de documents, mais cette distinction pose en l’espèce de graves problèmes pratiques. À quel moment exactement le ministre est-il passé de la délibération à une décision? Comment le citoyen peut-il savoir que le ministre a exercé son pouvoir décisionnel, et ce qui est important, comment le ministre peut-il savoir qu’il a exercé ce pouvoir? L’allégation selon laquelle il y a eu exercice de pouvoir suffit-elle pour exposer le ministre à un interrogatoire préalable sur son état d’esprit? Dans quelle mesure le ministre doit-il s’être engagé moralement à agir pour que l’on puisse considérer qu’il a pris une « décision »?
4 Je préfère l’approche de la Cour d’appel du Québec qui a fondé sa décision sur une analyse des rapports entre les intimés et le ministre. Les communications du ministre ne font pas que témoigner de l’état d’esprit de ce dernier; elles sont aussi à l’origine du droit des intimés. En d’autres termes, j’estime que les intimés n’obtiendraient probablement pas l’ordonnance qu’ils sollicitent si les ministres qui se sont succédé s’étaient livrés, sans exprimer leur pensée, aux cogitations et aux délibérations auxquelles ils se sont livrés entre 1984 et 1991.
5 Ce qui est décisif pour la cause des intimés est non seulement le fait que les ministres qui se sont succédé ont exprimé l’opinion que l’ajout des soins de courte durée aux services déjà offerts par le Centre était dans l’intérêt public (et ce, en des termes équivalant à une promesse de délivrer le permis modifié), mais encore le fait que les intimés se sont fiés à ces déclarations et à ces communications. Fait inexplicable, lorsque ces derniers ont demandé le permis modifié qui leur avait été promis, le vent a soudainement tourné au ministère. Le ministre a simplement exigé que les lits destinés aux soins de courte durée soient combinés à des installations de diagnostic et de traitement améliorées, une mesure que les intimés n’avaient pas proposée et que, malgré son insistance, le ministre n’était pas prêt à financer. Voici ce que le ministre a écrit :
L’excellence développée par cet hôpital dans les soins dits intermédiaires des maladies respiratoires l’a été dans le cadre d’un permis de 107 lits de longue durée. Si, aujourd’hui, 50 de ces lits étaient reclassifiés pour devenir des lits de courte durée, tel que vous le demandez, il faudrait renforcer la capacité de l’établissement pour faire face à des problèmes cliniques plus aigus et plus complexes que présentement. Il faudrait, à cette fin, lui accorder des ressources additionnelles, ce que le Gouvernement n’est pas en mesure de faire.
L’analyse du dossier effectuée par mon Ministère conclut que le permis de l’hôpital Mont-Sinaï doit demeurer ce qu’il est, soit 107 lits de longue durée, avis que je partage.
6 Il ressort clairement de cette lettre que le ministre n’a accordé aucune importance aux conséquences du manquement à ses promesses pour les intimés.
I. Les questions de droit
7 La formulation de l’art. 138 de l’ancienne loi est déterminante :
138. Toute personne qui sollicite un permis doit transmettre sa demande au ministre conformément aux règlements.
Le ministre délivre un permis permanent ou un permis temporaire s’il estime que l’intérêt public le justifie. [Je souligne.]
Par conséquent, si le ministre est d’avis, en principe, que l’intérêt public serait servi par l’établissement modifié, il délivre alors (obligatoirement) le permis. La contestation des intimés comporte donc trois étapes : (1) la décision du 3 octobre 1991 doit être annulée; (2) le ministre doit s’en tenir à la conception de l’intérêt public que ses prédécesseurs et lui-même partageaient avec les intimés entre 1984 et le 2 octobre 1991; (3) compte tenu de cette conception de l’intérêt public, il faut délivrer un mandamus pour faire exécuter l’obligation qu’impose l’art. 138 de délivrer le permis modifié.
8 Il n’est pas question en l’espèce d’une simple demande de permis suivie d’un refus justifié par « l’intérêt public ». Depuis 1984, les intimés travaillent en étroite collaboration avec les fonctionnaires du ministère responsables de la réglementation. Une série d’accords et d’ententes progressives ont été conclus avec l’appui, voire l’encouragement, des ministres qui se sont succédé. Ce qui a peut‑être commencé par une notion abstraite de « l’intérêt public » est devenu, au fil d’initiatives privées et de réponses ministérielles, une image précise de l’intérêt public représentée par la brique, le mortier, les installations et l’emplacement. Non seulement les ministres qui se sont succédé ont-ils souscrit à cette représentation de l’intérêt public, mais encore ils ont encouragé les intimés à agir en conséquence. S’il s’agissait d’une situation relevant du droit privé, il y aurait probablement inexécution de contrat. De toute évidence, nous ne sommes pas en présence d’une telle situation.
II. L’argumentation du ministre appelant
9 L’avocat du ministre a souligné que l’art. 138 démontre clairement que le législateur a voulu que ce soit le ministre, et non pas les tribunaux, qui détermine ce qui est dans l’intérêt public. La validité de ce texte législatif n’est pas contestée. Le ministre connaissait très bien le Centre et, pendant sept ans, il avait entendu tout ce que les intimés avaient à dire. En pareil cas, une décision ministérielle commande la retenue : Calgary Power Ltd. c. Copithorne, [1959] R.C.S. 24; Nenn c. La Reine, [1981] 1 R.C.S. 631; Canada (Procureur général) c. Purcell, [1996] 1 C.F. 644 (C.A.). Le ministre prétend que ni la théorie de l’expectative légitime ni la préclusion (estoppel) ne donnent aux intimés le droit à une réparation substantielle, c’est‑à‑dire le permis modifié. La préclusion ne peut être utilisée que comme un bouclier et non comme une épée : Canadian Superior Oil Ltd. c. Paddon-Hughes Development Co., [1970] R.C.S. 932, p. 937-939; Gilbert Steel Ltd. c. University Construction Ltd. (1976), 12 O.R. (2d) 19 (C.A.), p. 23.
III. L’argumentation des intimés
10 Les intimés ne contestent pas le principe général de la retenue envers le pouvoir discrétionnaire du ministre. Ils invoquent cependant l’ensemble des rapports développés au cours des sept années qui ont précédé le rejet du 3 octobre 1991. Leur position sur le plan juridique peut s’expliquer de plusieurs façons :
(1) Ils avaient droit au permis modifié pour « régulariser » la situation de l’hôpital sur le plan des lits dont il disposait à la suite de l’entente mutuelle avec le ministre. La Cour doit considérer comme accompli ce qui aurait dû l’être.
(2) L’équité procédurale exigeait que la demande de permis modifié soit accueillie.
(3) Même s’il se peut qu’il n’y ait eu aucun droit comme tel à un permis modifié, les intimés s’attendaient raisonnablement et légitimement à ce qu’un tel permis soit délivré. Le ministre l’avait promis, la loi l’habilitait à tenir sa promesse et aucun intérêt public prépondérant n’était susceptible de justifier le manquement à cette promesse.
(4) Les affirmations du ministre l’empêchaient de soutenir qu’il avait, en octobre 1991, un pouvoir discrétionnaire absolu d’accorder ou de refuser le permis modifié. Trop d’eau avait coulé sous les ponts. Par leurs affirmations et leur comportement, les ministres qui se sont succédé depuis 1984 ont amené les intimés à modifier leurs activités en ajoutant des soins de courte durée, à lancer une campagne de financement et à déménager dans de nouvelles installations à Montréal. Le ministre ne pouvait pas, en fin de compte, échapper à ces faits le 3 octobre 1991. Il y avait entrave au pouvoir discrétionnaire qu’il aurait par ailleurs détenu.
(5) Il y a lieu d’annuler la décision du ministre pour cause d’abus de pouvoir discrétionnaire. Les rapports que les ministres qui se sont succédé ont eus avec les intimés entre 1984 et 1991 reflétaient une conception réfléchie de l’intérêt public qui a été rejetée le 3 octobre 1991 sans qu’un facteur très pertinent soit pris en considération, à savoir les conséquences de cette décision pour les intimés. Si le ministre devait prendre une décision conforme à sa conception antérieure de l’intérêt public, le permis modifié serait délivré. Aucun motif plausible n’a été donné à l’appui du manquement à la promesse de délivrer un permis modifié. Dans les circonstances, la décision du 3 octobre 1991 était manifestement déraisonnable.
11 On notera que la plupart de ces arguments ne pourraient mener qu’à une réparation procédurale s’ils étaient retenus. Tel n’est pas, comme nous l’avons vu, l’objectif ultime des intimés. Bien que, dans certains cas, une partie puisse invoquer un droit substantiel pour justifier une protection procédurale, les intimés en l’espèce invoquent, dans une certaine mesure, une prétendue violation de leurs droits procéduraux pour solliciter une réparation substantielle.
12 J’aborderai chacun de ces arguments juridiques successivement.
A. Les intimés ont-ils le droit acquis d’obtenir un permis modifié?
13 On a prétendu en plaidoirie que les intimés pouvaient être en mesure d’invoquer le principe appliqué dans Hill c. Nouvelle-Écosse (Procureur général), [1997] 1 R.C.S. 69. Dans cette affaire, une nouvelle route provinciale séparait une ferme en deux. Le fermier prétendait que la province lui avait notamment accordé, à titre de contrepartie pour l’expropriation de ses terres 27 ans auparavant, une servitude en equity l’autorisant à traverser la route avec son bétail et sa machinerie pour se rendre d’un bout à l’autre de sa ferme. Le fermier et la province s’étaient manifestement comporté en ce sens au cours des 27 années précédentes. La province a par la suite rejeté l’entente en soutenant qu’elle n’avait jamais reconnu par écrit l’existence de l’intérêt dans les terres visées, comme l’exigeait l’art. 21 de la Public Highways Act, R.S.N.S. 1954, ch. 235. Notre Cour a conclu qu’il y avait eu « exécution partielle » par la province et que « [l]’equity reconnaît tout simplement comme accompli ce qui aurait dû l’être. Il sera possible de demander l’exécution d’une entente verbale qui a été accomplie en partie » (le juge Cory, par. 11-12).
14 L’arrêt Hill portait sur un intérêt en equity dans des terres. Dans la présente affaire, on ne peut pas dire que les intimés possèdent un « droit » et encore moins un droit propriétal à la délivrance d’un permis. La simple attente d’un dénouement favorable concernant la demande (lorsqu’elle sera présentée), alimentée par les déclarations et le comportement du ministre, n’est jamais rien de plus qu’une attente. Les intimés n’avaient même pas demandé le permis modifié avant de déménager à Montréal en 1991.
15 Aux États-Unis, la notion de « propriété » est parfois interprétée largement pour les fins de la clause de l’application régulière de la loi (voir, par exemple, Cleveland Board of Education c. Loudermill, 470 U.S. 532 (1985) (emploi de fonctionnaire); Perry c. Sindermann, 408 U.S. 593 (1972); Mathews c. Eldridge, 424 U.S. 319 (1976) (droit aux prestations d’invalidité de la sécurité sociale); et Barry c. Barchi, 443 U.S. 55 (1979) (renouvellement de permis d’entraîneur de chevaux)). Cependant, même la jurisprudence américaine semble concerner la possession et la continuation prévue d’un permis ou d’un avantage existant, et non l’espoir d’obtenir un nouveau permis ou un nouvel avantage.
16 Donc, si on fait abstraction de la contestation initiale fondée sur l’arrêt Hill, les autres arguments avancés à l’appui de la position des intimés partent de propositions très générales (par exemple, l’existence d’équité procédurale) pour arriver à des propositions plus restreintes qui sont, dans une très large mesure, propres aux rapports entre les parties en l’espèce (par exemple, la préclusion). Toutefois, à quelque égard que ce soit, ce dont se plaignent constamment les intimés, c’est que le ministre les a traités d’une manière inéquitable et arbitraire. À vrai dire, comme le souligne l’appelant, le pouvoir conféré au ministre par l’art. 138 est libellé comme un large pouvoir discrétionnaire, en matière de politique générale, qui doit être exercé dans « l’intérêt public ». Néanmoins, ce pouvoir discrétionnaire n’est pas absolu, quelque général que puisse être son libellé. Le ministre doit à tout le moins l’exercer aux fins pour lesquelles il est conféré : Roncarelli c. Duplessis, [1959] R.C.S. 121, p. 140; Padfield c. Minister of Agriculture, Fisheries and Food, [1968] A.C. 997 (H.L.), p. 1030. Il doit respecter les principes d’équité procédurale lorsqu’il examine l’intérêt des intimés dans leur demande de permis : Cardinal c. Directeur de l’établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643; Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311. D’autres restrictions sont plus controversées. Dans les cas où, comme en l’espèce, le ministre fait comprendre, par ses paroles ou par son comportement, que quelqu’un recevra ou conservera un avantage ou qu’un droit procédural sera accordé avant la prise d’une décision, la possibilité d’invoquer l’équité procédurale ou la teneur de cette forme d’équité peut être élargie en vertu de la théorie de l’expectative légitime : Assoc. des résidents du Vieux St‑Boniface Inc. c. Winnipeg (Ville), [1990] 3 R.C.S. 1170; Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C.‑B.), [1991] 2 R.C.S. 525; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; Bendahmane c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 3 C.F. 16 (C.A.); C. Roy, La théorie de l’expectative légitime en droit administratif (1993). On peut soutenir que, à moins que la loi ou un intérêt public prépondérant ne dicte le contraire, la préclusion s’applique lorsque la personne concernée était au fait des affirmations et s’y est fiée, et qu’elle subirait un préjudice si le ministre revenait sur ses affirmations antérieures : Sous-ministre du Revenu du Québec c. Transport Lessard (1976) Ltée, [1985] R.D.J. 502 (C.A.); Aurchem Exploration Ltd. c. Canada (1992), 91 D.L.R. (4th) 710 (C.F. 1re inst.). De plus, si, à la lumière des contraintes susmentionnées, peu importe qu’elles découlent de la loi ou que le ministre se les soit imposées lui-même, la décision résultante est manifestement déraisonnable, elle peut être annulée (Baker c. Canada, précité) et une ordonnance de type mandamus peut être accordée pour obliger le ministre à délivrer le permis modifié, là encore pourvu qu’aucun intérêt public prépondérant ne dicte le contraire (Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 3 R.C.S. 1100, confirmant [1994] 1 C.F. 742 (C.A.)). La liste des restrictions n’est pas exhaustive.
17 En fin de compte, le principal obstacle auquel se heurtent les intimés est le fait qu’ils ne sollicitent pas une réparation procédurale. Ils veulent que notre Cour leur accorde une réparation substantielle. Ils ne veulent ni se faire entendre ni être consultés davantage. Les événements en question datent de 10 ans. Les temps ont changé. Ils veulent que notre Cour ordonne au ministre de délivrer le permis modifié pour la période 1991-1993.
B. Le ministre n’a pas respecté les principes d’équité procédurale
18 Si les intimés n’avaient pas « droit » à un permis modifié, ils avaient néanmoins, dans l’issue de leur demande, un intérêt financier direct suffisant pour déclencher une obligation d’équité procédurale. Après tout, ils possédaient déjà un permis. Ils demandaient que leur permis soit modifié. Comme l’a précisé le juge Le Dain dans Cardinal c. Directeur de l’établissement Kent, précité, p. 653 :
Cette Cour a confirmé que, à titre de principe général de common law, une obligation de respecter l’équité dans la procédure incombe à tout organisme public qui rend des décisions administratives qui ne sont pas de nature législative et qui touchent les droits, privilèges ou biens d’une personne . . .
19 Les intimés avaient droit à l’équité procédurale indépendamment de l’existence des affirmations et des lettres émanant du ministre. La nature de l’intérêt des intimés suffisait : Re Webb and Ontario Housing Corp. (1978), 22 O.R. (2d) 257 (C.A.), le juge MacKinnon, juge en chef adjoint de l’Ontario, p. 265; Hutfield c. Fort Saskatchewan General Hospital District No. 98 Board (1986), 49 Alta. L.R. (2d) 256 (B.R.), p. 262-264, confirmé pour d’autres motifs (1988), 52 D.L.R. (4th) 562 (C.A. Alb.). De plus,
[traduction] [l]e droit administratif contemporain interprète très largement la portée des droits, privilèges et intérêts qui donnent droit à l’équité procédurale.
(D. J. M. Brown et J. M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada (feuilles mobiles), vol. 2, p. 7-31)
20 Une fois qu’intervient l’équité procédurale, son contenu dépend généralement (i) de la nature de la décision qui doit être rendue, (ii) des rapports existant entre le décideur et le particulier, et (iii) de l’effet de la décision sur les droits du particulier : Knight c. Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 R.C.S. 653, p. 669.
21 En l’espèce, les intimés n’ont même pas bénéficié de la moindre équité procédurale. Ils n’ont été avisés ni du fait que le ministre était sur le point de revenir sur sa position ni des motifs de ce revirement, et ils n’ont pas eu non plus l’occasion d’expliquer pourquoi devait prévaloir l’opinion qu’avait eue pendant longtemps le ministre, selon laquelle il était dans l’intérêt public que le Centre hospitalier Mont‑Sinaï subisse des changements. Grâce à ces déficiences, les intimés atteignent leur premier objectif, à savoir l’annulation de la décision rendue le 3 octobre 1991 par le ministre. Toutefois, comme nous l’avons vu, ils veulent davantage.
C. La théorie de l’expectative légitime
22 Les intimés font valoir que la théorie de l’expectative légitime peut être utilisée pour forcer à accorder non seulement une protection procédurale, mais également une réparation substantielle, pourvu que cette dernière ne soit pas contraire à la loi et qu’elle relève par ailleurs du pouvoir du ministre, ce qui serait le cas en l’espèce (voir S. J. SchØnberg, Legitimate Expectations in Administrative Law (2000), ch. 4). La jurisprudence antérieure de notre Cour milite contre un tel argument; voir Vieux St‑Boniface, précité, p. 1203-1204; Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada, précité, p. 557-558; Baker c. Canada, précité, par. 26. Les intimés affirment cependant que cette théorie évolue et prend de l’essor rapidement et qu’elle a été utilisée au Canada et à l’étranger pour obliger les décideurs qui exercent une prérogative ou un pouvoir conféré par la loi à accorder une réparation substantielle plutôt que simplement procédurale. La jurisprudence pertinente comprend l’arrêt Sous-ministre du Revenu du Québec c. Transport Lessard (1976) Ltée, précité, rendu par la Cour d’appel du Québec, des décisions rendues ailleurs au Canada par des tribunaux de première instance, dont Gingras c. Canada, [1990] 2 C.F. 68 (1re inst.), et Bloomfield c. Saskatchewan (Minister of Health), [1986] S.J. No. 675 (QL) (B.R.), ainsi que les décisions rendues en Angleterre par le lord juge Parker dans R. c. Secretary of State for the Home Department, ex parte Khan, [1984] 1 W.L.R. 1337 (C.A.), et par la suite par le juge Taylor (plus tard lord juge en chef) dans R. c. Secretary of State for the Home Department, ex parte Ruddock, [1987] 2 All E.R. 518 (Q.B.), de même que par le juge Sedley (plus tard lord juge) dans R. c. Ministry of Agriculture Fisheries and Food, ex parte Hamble (Offshore) Fisheries Ltd., [1995] 2 All E.R. 714 (Q.B.), p. 724 (qui contient une analyse utile du droit européen au même effet). Plus récemment, dans R. c. North and East Devon Health Authority, ex parte Coughlan, [2000] 3 All E.R. 850, la Cour d’appel d’Angleterre a confirmé d’une manière retentissante qu’en droit anglais la théorie de l’expectative légitime donne effectivement lieu à des réparations substantielles. Le maître des rôles lord Woolf affirme, d’une manière non équivoque, au par. 71 :
[traduction] Pour signifier quelque chose dans un tel cas, l’équité doit, pour les raisons que nous avons examinées, comporter l’équité de l’issue de l’affaire. Cela explique pourquoi la théorie de l’expectative légitime s’est révélée comme une application distincte du concept de l’abus de pouvoir relativement aux avantages tant substantiels que procéduraux . . . [Je souligne.]
23 Un point de vue semblable a été adopté en Irlande (Webb c. Ireland, [1988] I.R. 353 (S.C.)) et a été exprimé de manière plus hypothétique par la Haute Cour d’Australie dans Attorney-General (NSW) c. Quin (1990), 64 A.L.J.R. 327, le juge en chef Mason, p. 336 :
[traduction] Il se pourrait que, dans certains cas, le tribunal puisse accorder et ordonner une protection substantielle sans pour autant compromettre l’intérêt public que l’exercice de la prérogative ou du pouvoir conféré par la loi vise à servir.
(L’Australie semble s’être prononcée par la suite contre les réparations substantielles : C. Stewart, « Substantive Unfairness : A New Species of Abuse of Power? » (2000), 28 Fed. L. Rev. 617, p. 634.) Voir aussi l’arrêt Administrator, Transvaal c. Traub, 1989 (4) SA 731, rendu par la Section d’appel de la Cour suprême de l’Afrique du Sud. Certains auteurs préconisent également l’application de la théorie de l’expectative légitime aux droits substantiels; voir, par exemple, C. Forsyth, « Wednesbury protection of substantive legitimate expectations », [1997] Pub. L. 375. Par contre, il y a le point de vue traditionnel selon lequel [traduction] « les décideurs désignés par la loi ne peuvent pas donner des assurances qui les rendront inhabiles à exercer ultérieurement leur compétence ou leurs pouvoirs » : D. J. Mullan, Administrative Law (2001), p. 380.
24 Une partie du problème causé par les positions opposées en l’espèce émane du fait qu’en droit anglais et dans le droit des ressorts qui ont suivi l’exemple anglais à cet égard, la théorie de l’expectative légitime remplit un certain nombre de fonctions qui sont différenciées au Canada. Dans l’arrêt Coughlan, précité, le maître des rôles lord Woolf a affirmé que le thème unificateur est [traduction] « l’équité administrative » à laquelle se rattachent l’équité procédurale et l’équité substantielle. (Voir également R. c. Inland Revenue Commissioners, ex parte M.F.K. Underwriting Agents Ltd., [1990] 1 W.L.R. 1545 (Q.B.), le lord juge Bingham (maintenant à la Chambre des lords), p. 1569-1570.) Sur le plan substantiel, le maître des rôles lord Woolf résume ainsi sa position, au par. 82 :
[traduction] Vu que la politique (conforme à la loi) est du ressort exclusif de l’autorité publique, les tribunaux considèrent que les motifs qui en sous-tendent l’établissement ou la modification font partie des faits — autrement dit, qu’ils échappent généralement au contrôle judiciaire. La tâche du tribunal — ce qui n’est pas toujours bien compris — consiste donc seulement à se demander si l’application de la politique à un individu amené à s’attendre à un résultat différent est un exercice de pouvoir équitable. Dans bien des cas, l’autorité se sera déjà posée la question et aura établi les exceptions appropriées [. . .] ou décidé de verser une indemnité financière lorsque cette forme d’indemnité suffit. Mais lorsqu’aucun accommodement de ce genre n’est consenti, il incombe au tribunal de décider si l’omission de répondre aux attentes de l’individu est inéquitable au point de constituer un abus du pouvoir de la part de l’autorité.
25 Dans l’affaire Coughlan même, les autorités locales en matière de santé avaient incité une femme atteinte de déficiences physiques graves à déménager d’un hôpital à une maison de soins infirmiers, en lui promettant qu’elle y trouverait un [traduction] « foyer pour la vie » (par. 4). Cinq années plus tard, à la suite de consultations et pour des raisons jugées parfaitement logiques par la cour (par. 65), les autorités locales en matière de santé ont décidé de fermer la maison de soins infirmiers. Toutefois, la cour a annulé cette décision, même si elle était logique et avait été prise à la suite de consultations, en expliquant que l’autorité publique n’avait pas accordé suffisamment d’importance à sa promesse antérieure d’un « foyer pour la vie ».
26 Il appert donc que la théorie anglaise de l’expectative légitime est devenue un code exhaustif englobant toute la gamme des recours en matière de droit administratif, qui va de l’équité procédurale, en passant par l’équité procédurale « améliorée » fondée sur le comportement, pour atteindre le niveau le plus haut où l’ingérence des tribunaux dans l’administration publique est la plus grande — celui où se situe la préclusion (estoppel) (même si ce recours ne doit pas être qualifié ainsi) qui justifie la réparation substantielle. Cette ingérence est justifiée, dit-on, par la multitude de décisions contradictoires prises par une autorité publique sur le même sujet et concernant le ou les mêmes individus; le maître des rôles lord Woolf dans Coughlan, précité, par. 66 :
[traduction] Ordinairement, il n’est pas permis d’invoquer l’abus de pouvoir pour modifier une décision rationnelle qui a été prise légalement dans un but approprié. La présente catégorie d’affaires est visiblement différente. Il y est question, non pas d’un seul, mais de deux exercices légaux de pouvoir (la promesse et le changement de politique) par la même autorité publique, qui entraînent des conséquences pour les individus coincés entre les deux.
27 En classant un domaine aussi vaste sous la bannière de « l’équité », il faut nécessairement établir des sous-catégories pour différencier les cas qui justifient une réparation très interventionniste de ceux qui ne la justifient pas. De nombreuses décisions anglaises en matière d’expectative légitime, invoquées par les intimés et situées à l’extrémité inférieure de la gamme, cadreraient bien avec nos principes d’équité procédurale. Les décisions invoquées qui se situent à l’extrémité supérieure de la gamme témoignent d’un degré d’intervention judiciaire dans la politique gouvernementale que nos tribunaux ont jusqu’à présent jugé inapproprié en l’absence de contestation fructueuse fondée sur la Charte canadienne des droits et libertés.
28 La jurisprudence canadienne tend à différencier, aux fins d’analyse, les notions connexes de l’équité procédurale et la théorie de l’expectative légitime. D’une part, on craint que considérer l’équité procédurale comme un sous‑ensemble d’expectatives légitimes ne complique inutilement et, en fait, ne nuise à l’évolution des règles très souples de l’équité procédurale, au lieu de la favoriser : D. Wright, « Rethinking the Doctrine of Legitimate Expectations in Canadian Administrative Law » (1997), 35 Osgoode Hall L.J. 139. D’autre part, il y a la crainte inverse que le fait d’invoquer le comportement antérieur d’un ministre pour solliciter une réparation substantielle ne contribue à établir un équilibre erroné entre les intérêts privés et les intérêts publics et à confondre le rôle du tribunal avec celui du ministre.
29 Selon notre jurisprudence, la possibilité d’invoquer l’équité procédurale et le contenu de cette forme d’équité dépendent généralement de la nature de l’intérêt du demandeur et de la nature du pouvoir exercé par l’autorité publique relativement à cet intérêt : Brown et Evans, op. cit., p. 7-13 et suiv.; D. J. Mullan, « “Confining the Reach of Legitimate Expectations” Case Comment : Sunshine Coast Parents for French v. School Disctrict No. 46 (Sunshine Coast) » (1991), 44 Admin. L.R. 245, p. 248. Par contre, la théorie de l’expectative légitime s’attache à la conduite de l’autorité publique dans l’exercice de ce pouvoir (Vieux St‑Boniface, précité, p. 1204) et notamment aux pratiques établies, à la conduite ou aux affirmations qui peuvent être qualifiées de claires, nettes et explicites (Brown et Evans, op. cit., p. 7-41). Les expectatives ne doivent pas entrer en conflit avec le mandat légal de l’autorité publique.
30 La théorie de l’expectative légitime est parfois considérée comme une forme de préclusion, mais il ressort amplement de la jurisprudence, de la doctrine et des principes que le demandeur qui invoque la théorie de l’expectative légitime peut mais ne doit pas nécessairement démontrer qu’il était au fait de la conduite en cause ou qu’il s’y est fié à son détriment. Cela s’explique par le fait que l’accent est mis sur la promotion de [traduction] « la régularité, [de] la prévisibilité et [de] la certitude des rapports du gouvernement avec le public » : S. A. de Smith, H. Woolf et J. Jowell, Judicial Review of Administrative Action (5e éd. 1995), p. 417, ce à quoi les éditeurs ajoutent, à la p. 426, qu’insister sur l’existence de conditions semblables à celles qui justifient la préclusion
[traduction] entraînerait une discrimination injuste entre ceux qui connaissaient et ceux qui ignoraient l’existence de l’affirmation et avantagerait ceux qui étaient bien informés. Les pratiques administratives malencontreuses seraient aussi encouragées en raison de la trop grande facilité avec laquelle les décideurs échapperaient aux conséquences normales de leurs actes.
La Haute Cour d’Australie adopte un point de vue similaire :
[traduction] Mais, qui plus est, la notion d’expectative légitime ne repose sur aucun principe de préclusion. La question de savoir si le ministre peut être empêché d’exercer son pouvoir discrétionnaire est une autre question, qui n’a pas été soulevée par l’appelant. L’expectative légitime ne dépend pas de la connaissance et de l’état d’esprit de l’individu concerné, bien qu’elle puisse découler de la conduite d’une autorité publique à l’égard d’un individu . . .
(Haoucher c. Minister for Immigration, Local Government and Ethnic Affairs (1990), 19 A.L.D. 577, le juge Toohey, p. 590)
Voir également Minister of State for Immigration and Ethnic Affairs c. Teoh (1995), 183 C.L.R. 273 (H.C.).
31 Il est difficile de diminuer ainsi les exigences nécessaires à l’application de la théorie de l’expectative légitime (pour de bonnes raisons de politique générale), tout en augmentant considérablement la possibilité que cette théorie permette de renverser la décision du ministre ou d’une autre autorité publique sur des questions de politique substantielle. On s’attendrait normalement à ce qu’une forme de réparation plus interventionniste soit assortie d’exigences plus strictes en matière de preuve.
32 Dans le Renvoi relatif au régime d’assistance publique du Canada, le juge Sopinka (citant l’arrêt Vieux St-Boniface, précité) a considéré la théorie de l’expectative légitime comme « le prolongement des règles de justice naturelle et de l’équité procédurale » qui peut donner « à une personne touchée par la décision d’un fonctionnaire public la possibilité de présenter des observations dans des circonstances où, autrement, elle n’aurait pas cette possibilité » (p. 557 (je souligne)). Il va sans dire que, lorsqu’il a parlé de présenter des observations, le juge Sopinka ne limitait pas la réparation à des observations, mais qu’il avait plutôt l’intention d’inclure toute réparation procédurale qui pourrait se révéler appropriée selon les faits d’une affaire donnée. Le mot « procédure » est large. La porte n’a été fermée qu’aux réparations substantielles. Il me semble que, malgré l’argument des intimés, il y a lieu de confirmer cette conclusion. Des conditions préalables plus strictes que celles dictées actuellement par la théorie de l’expectative légitime doivent être remplies pour que la Cour accorde une réparation substantielle.
33 Dans le Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada, précité, le juge Sopinka ajoute deux autres restrictions. Il cite, à la p. 558, un passage de l’arrêt Martineau c. Comité de discipline de l’Institution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602. La première restriction était la suivante : « Une décision purement administrative, fondée sur des motifs généraux d’ordre public, n’accordera normalement aucune protection procédurale à l’individu, et une contestation de pareille décision devra se fonder sur un abus de pouvoir discrétionnaire » (p. 558 (je souligne)). Je reviendrai plus loin à la notion d’« abus de pouvoir discrétionnaire ».
34 La seconde restriction veut qu’« on ne [puisse] soumettre à la surveillance judiciaire les organismes publics qui exercent des fonctions de nature législative » (p. 558 (je souligne)). Le Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada portait sur l’application de la théorie de l’expectative légitime au législateur dans les cas où la retenue judiciaire s’impose clairement. Il peut être difficile, dans d’autres contextes, de déterminer quand l’exception législative s’applique et quand elle ne s’applique pas, comme cela a été débattu en Cour d’appel fédérale dans l’affaire Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [2000] 4 C.F. 264, notamment dans les motifs du juge Evans, aux par. 105 et suiv. Cette question reste à trancher.
35 En confirmant que la théorie de l’expectative légitime est restreinte à la réparation procédurale, il faut reconnaître qu’il est parfois difficile de différencier ce qui est de nature procédurale et ce qui est de nature substantielle. Par exemple, dans Bendahmane c. Canada, précité, les juges majoritaires de la Cour d’appel fédérale ont considéré comme étant de nature procédurale la demande présentée par le requérant en vue de bénéficier d’un programme de réduction de l’arriéré des revendications du statut de réfugié (p. 33), alors que le juge dissident estimait que la réparation demandée était de nature substantielle (p. 25). Une décision tout aussi serrée a été rendue dans Canada (Procureur général) c. Canada (Commissaire de l’enquête sur l’approvisionnement en sang au Canada), [1996] 3 C.F. 259 (1re inst.). L’insistance trop grande sur une qualification et une catégorisation formelles des pouvoirs aux dépens d’une application souple des principes généraux peut être nuisible en l’espèce. Il vaut mieux poser la question sous l’angle du principe sous-jacent mentionné précédemment, à savoir que l’établissement des politiques générales d’intérêt public relève d’abord et avant tout du ministre et non pas des tribunaux.
36 La qualification de la réparation comme étant « de nature substantielle » doit être effectuée en fonction des fondements de principe sur lesquels reposent son exclusion plutôt que d’être traitée comme une question de forme. Lorsque, comme dans l’arrêt Bendahmane c. Canada, la réparation peut raisonnablement être qualifiée de procédurale compte tenu du principe de retenue applicable aux questions de politique substantielle, il y a généralement lieu de la qualifier ainsi.
37 Il s’ensuit que la jurisprudence des tribunaux anglais et d’autres tribunaux étrangers qui donne effet à une expectative légitime sur le plan du fond doit être interprétée à la lumière des différences en droit canadien.
38 En l’espèce, comme nous l’avons vu, la décision du ministre sera annulée par l’application des règles ordinaires de l’équité procédurale. Il n’est pas nécessaire d’élargir la possibilité d’invoquer l’équité procédurale ou le contenu de cette forme d’équité en raison du comportement de ministres s’étant succédé qui, à cet égard, ne constitue qu’une circonstance aggravante. Bref, il n’est pas nécessaire de recourir à la théorie de l’expectative légitime pour obtenir une réparation procédurale et, comme je l’ai expliqué, cette théorie ne permet pas d’obtenir une réparation substantielle.
D. La préclusion promissoire (promissory estoppel)
39 La Cour d’appel du Québec a conclu ([1998] R.J.Q. 2707) que, même si le ministre n’était pas tenu de délivrer le permis modifié en vertu de la théorie de l’expectative légitime, ses affirmations et son comportement antérieurs l’empêchaient de refuser de le faire. La preuve en l’espèce était plus que suffisante pour établir l’existence d’une expectative légitime. En décidant que la préclusion pouvait être invoquée, le juge Robert s’est fondé notamment sur les décisions Transport Lessard et Aurchem, précitées. Il y a aussi lieu de mentionner l’affaire Bawolak c. Exroy Resources Ltd., [1993] R.D.J. 192 (C.A.), et l’article de D. J. Mullan, intitulé « Canada Assistance Plan — Denying Legitimate Expectation a Fair Start? » (1993), 7 Admin. L.R. (2d) 269, p. 290. Le juge Robert a souligné que la question de la possibilité d’invoquer la préclusion contre un ministre a été laissée en suspens par notre Cour dans l’arrêt Comeau’s Sea Foods Ltd. c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), [1997] 1 R.C.S. 12, le juge Major, par. 57. Voir également P. McDonald, « Contradictory Government Action : Estoppel of Statutory Authorities » (1979), 17 Osgoode Hall L.J. 160, p. 180-181.
40 Je suis d’accord avec le juge Robert pour dire que, dans certains cas particuliers, la préclusion peut être invoquée contre une autorité publique, y compris un ministre. L’analyse intéressante de McDonald, loc. cit., illustre les différentes circonstances dans lesquelles la question s’est posée ainsi que les diverses réponses données par les tribunaux. Une forme de préclusion a été appliquée non seulement par la Cour d’appel du Québec dans Transport Lessard, précité, mais aussi par la Cour d’appel de l’Ontario dans Re Multi-Malls Inc. and Minister of Transportation and Communications (1976), 14 O.R. (2d) 49, et par notre Cour (quoique contre une municipalité) dans Commission hydro-électrique de Kenora (Ville) c. Vacationland Dairy Co-operative Ltd., [1994] 1 R.C.S. 80. Il a déjà été question de la décision rendue dans Aurchem par le juge Strayer, de la Section de première instance de la Cour fédérale, qui a interdit à un registraire minier de refuser d’enregistrer des concessions. Plusieurs décisions pertinentes ont été rendues en Grande-Bretagne, dont de nombreuses ont été rendues par lord Denning, notamment Robertson c. Minister of Pensions, [1949] 1 K.B. 227, p. 231, et Lever Finance Ltd. c. Westminster (City) London Borough Council, [1971] 1 Q.B. 222 (C.A.), mais aussi North Western Gas Board c. Manchester Corp., [1963] 3 All E.R. 442 (C.A.), le lord juge Sellers, p. 451.
41 Dans les décisions anglaises plus récentes, la préclusion a également été intégrée dans la rubrique générale de l’équité; voir Coughlan, précité, par. 80 :
[traduction] Comme le maître des rôles lord Donaldson l’a dit dans R. c. ITC, ex p TSW (5 février 1992) (non publié) : « Le critère applicable en droit public est l’équité, et non pas une adaptation du droit des contrats ou la préclusion ».
42 Il faut souligner que les conditions d’application de la préclusion vont bien au‑delà de celles de la théorie de l’expectative légitime. Comme je l’ai mentionné, il n’est pas (absolument) nécessaire, dans le cas de l’expectative légitime, que le demandeur ait eu une connaissance personnelle de la conduite de l’autorité, qu’il s’y soit fié, et ce, à son détriment. Par contre, le demandeur qui invoque la préclusion doit nettement satisfaire à des exigences plus strictes en matière de preuve.
43 Aux États-Unis (où le droit administratif est fortement influencé par la clause d’application régulière de la loi figurant dans la Constitution), les tribunaux hésitent à permettre que la préclusion soit invoquée contre le gouvernement, et ce, tant pour des raisons de politique générale que pour des raisons d’ordre juridique :
[traduction] Le gouvernement fédéral met en œuvre des centaines de programmes de réglementation et de prestations extrêmement complexes. Des millions de fonctionnaires renseignent quotidiennement des citoyens au sujet de leurs droits et obligations en vertu de ces programmes. Les renseignements erronés sont à la fois inévitables et habituels. L’Internal Revenue Service (IRS) est un bon exemple de cette situation. Il compte parmi les organismes fédéraux les plus respectés en raison de sa compétence. Pourtant, chaque année, le General Accounting Office (GAO) mène une étude des renseignements fournis par l’IRS aux contribuables et, chaque année, cette étude démontre que l’IRS donne des renseignements erronés dans une proportion de 10 à 20 pour 100 des cas. Certains contribuables subissent un préjudice en se fiant aux renseignements reçus de l’IRS, mais des millions de contribuables profitent de la disponibilité de cet organisme.
(K. C. Davis et R. J. Pierce Jr., Administrative Law Treatise (3e éd. 1994), vol. 2, p. 229-230)
44 La Cour suprême des États‑Unis a cependant refusé d’écarter entièrement la préclusion en droit public (du moins en théorie), notamment dans les arrêts Office of Personnel Management c. Richmond, 496 U.S. 414 (1990), p. 423, et United States c. Pennsylvania Industrial Chemical Corp., 411 U.S. 655 (1973). L’arrêt United States c. Asmar, 827 F.2d 907 (3rd Cir. 1987), p. 911, note 4, énumère des décisions où des cours de circuit ont permis que la préclusion soit invoquée contre le gouvernement dans des circonstances exceptionnelles. Les professeurs Davis et Pierce, op. cit., indiquent, à la p. 231, que pour invoquer avec succès la préclusion en equity aux États‑Unis, il faut à tout le moins démontrer ce qui suit : [traduction] « (1) un renseignement non équivoque a été donné par une autorité inhabituelle; (2) un individu s’est fié raisonnablement à ce renseignement; (3) l’individu en cause a, de ce fait, subi un préjudice extrême; (4) une injustice flagrante sera causée à l’individu si le tribunal ne retient pas la préclusion invoquée ».
45 En l’espèce, le juge Robert a adopté la définition de droit privé de la préclusion promissoire (promissory estoppel) fournie par le juge Sopinka dans l’arrêt Maracle c. Travellers Indemnity Co. of Canada, [1991] 2 R.C.S. 50, p. 57 :
Les principes de l’irrecevabilité fondée sur une promesse [promissory estoppel] sont bien établis. Il incombe à la partie qui invoque cette exception d’établir que l’autre partie a, [1] par ses paroles ou sa conduite, fait une promesse ou donné une assurance [2] destinées à modifier leurs rapports juridiques et à inciter à l’accomplissement de certains actes. De plus, le destinataire des déclarations doit prouver que, [3] sur la foi de celles‑ci, [4] il a pris une mesure quelconque ou a de quelque manière changé sa position. . .
[L]a promesse doit être non équivoque, mais [. . .] elle peut s’inférer des circonstances.
46 Si la présente affaire relevait du droit privé, je conviendrais que les éléments de la préclusion promissoire sont présents. La preuve est plus que suffisante pour que s’applique l’équité procédurale ou la théorie de l’expectative légitime. Lorsque les ministres qui se sont succédé ont fait des affirmations claires et précises, ils entendaient que les intimés agissent en conséquence et c’est ce que ces derniers ont fait. Ces ministres ont encouragé la nouvelle combinaison de lits de courte durée et de lits de longue durée en sachant qu’elle aurait un effet sur les rapports juridiques, à savoir le respect du permis existant par les intimés et la nécessité subséquente de modifier le permis. Des assurances ont été données quant à la délivrance d’un permis modifié. Si on permet au ministre de revenir sur sa promesse de délivrer un permis modifié après que les intimés aient changé les activités de leur hôpital et qu’ils aient notamment effectué la campagne de financement et le déménagement à Montréal, les intimés affirment qu’ils auront agi, à leur détriment, sur la foi des promesses du ministre.
47 Toutefois, l’affaire ne relève pas du droit privé. La préclusion en droit public exige clairement que l’on détermine l’intention que le législateur avait en conférant le pouvoir dont on cherche à empêcher l’exercice. La loi est suprême. Des circonstances qui pourraient par ailleurs donner lieu à la préclusion peuvent devoir céder le pas à un intérêt public prépondérant exprimé dans le texte législatif. Comme le juge Rand l’a affirmé dans l’arrêt St. Ann’s Island Shooting and Fishing Club Ltd. c. The King, [1950] R.C.S. 211, p. 220 : [traduction] « il ne peut pas y avoir préclusion face à une disposition explicite d’une loi » (je souligne). Voir également The King c. Dominion of Canada Postage Stamp Vending Co., [1930] R.C.S. 500.
48 En l’espèce, le ministre est mandaté en termes larges pour agir dans l’intérêt public, et s’il juge qu’il est contraire à l’intérêt public de délivrer le permis modifié, le tribunal ne doit pas, selon moi, l’empêcher de faire ce qu’il considère être son devoir. Ce qui est en cause n’est pas tant le pouvoir du ministre de modifier ses politiques que le sort des individus aux prises avec une suite de décisions ministérielles contradictoires sur le même sujet. Sur le plan de l’interprétation législative, il semble ressortir du critère général de l’art. 138 (« l’intérêt public ») que le législateur a voulu que ce soit le ministre, et non pas les tribunaux, qui détermine les mesures transitoires nécessaires pour passer de l’ancienne politique (autorisant une combinaison de 57 lits de longue durée et de 50 lits de courte durée) à la nouvelle politique (selon laquelle les 50 lits de courte durée ne seraient permis que s’ils étaient assortis de services de diagnostic et de traitement améliorés en plus de la salle d’opération, des laboratoires et des installations de radiologie déjà en place).
49 J’ai mentionné, au départ, que le libellé du pouvoir particulier conféré par la loi et l’identité de celui qui l’exerce (un ministre) sont des éléments importants. De manière générale, la jurisprudence invoquée par les intimés a trait à des pouvoirs moindres ou à un pouvoir discrétionnaire plus limité à un niveau administratif moins élevé. L’arrêt Transport Lessard, précité, portait sur l’interprétation d’une disposition relative à la taxe de vente applicable à la vente en bloc de matériel de camionnage (et la préclusion a été appliquée en dépit de la mise en garde de notre Cour dans Granger c. Canada (Commission de l’Emploi et de l’Immigration du Canada), [1989] 1 R.C.S. 141, confirmant [1986] 3 C.F. 70 (C.A.)). Dans l’arrêt Re Multi-Malls, précité, le litige portait sur la décision de nature procédurale d’un ministre de refuser de soumettre un document de planification à l’examen de la Commission des affaires municipales de l’Ontario. Dans la décision Aurchem, précitée, il était question du refus d’un registraire minier d’enregistrer certaines concessions minières en raison de vices de forme. Le juge Strayer a souligné que son ordonnance visait non pas à empêcher les changements de politique, mais plutôt à protéger les personnes prises dans la transition d’un régime souple à un régime plus strict. Les exigences réglementaires relevaient de la forme et non pas du fond, et la loi elle-même prévoyait la possibilité de renoncer à leur application. Dans aucune de ces affaires, la disposition législative conférant le pouvoir décisionnel n’était-elle rédigée de manière aussi large que l’art. 138 de la loi dont il est question en l’espèce.
50 L’appelant reproche aussi à la Cour d’appel du Québec d’avoir, en l’espèce, utilisé la préclusion comme une épée plutôt que comme un bouclier, mais (comme dans Aurchem) cette mesure pourrait se justifier simplement par le fait qu’elle a empêché le ministre de se fonder sur des éléments qu’il ne pouvait, dans aucun cas, prendre en considération.
51 La règle de la préclusion comporte un aspect de droit public qui doit tenir compte du contexte factuel et juridique. En l’espèce, les principales considérations sont le libellé de l’art. 138 et le statut du décideur. J’estime que, d’après les faits de la présente affaire, la préclusion ne peut pas être appliquée comme l’a fait la Cour d’appel du Québec.
E. La décision du ministre équivalait à un abus de pouvoir discrétionnaire
52 La dernière question qui se pose est de savoir si la décision du ministre était manifestement déraisonnable compte tenu de l’ensemble des circonstances. Cette question touche au fond de la décision plutôt qu’à la façon dont celle-ci a été prise. Les intimés mettent l’accent sur cinq facteurs notamment : (i) la conception de l’intérêt public que le ministre et ses prédécesseurs ont partagée avec les intimés jusqu’au 3 octobre 1991, à savoir que la combinaison d’installations offerte par le Centre à Montréal serait dans l’intérêt public; (ii) les affirmations du ministre, le fait que les intimés s’y soient fiés, et ce, à leur détriment; (iii) l’omission du ministre de donner une justification rationnelle fondée sur l’intérêt public pour revenir sur une mesure par ailleurs conforme à la loi; (iv) le défaut du ministre de prendre en considération l’effet de son revirement soudain d’opinion sur l’intérêt des intimés; (v) dans les circonstances, le caractère manifestement déraisonnable de la décision subséquente du 3 octobre 1991. En d’autres termes, les faits à l’origine des arguments concernant l’équité procédurale, l’expectative légitime et la préclusion sont repris dans l’analyse de l’abus de pouvoir discrétionnaire.
53 J’ai déjà mentionné l’exception de « l’abus de pouvoir discrétionnaire » à la retenue dont fait habituellement l’objet la prise de décisions ministérielles, que le juge Dickson souligne dans un passage de l’arrêt Martineau c. Matsqui, précité, repris par le juge Sopinka dans le Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada, précité. Les deux juges se souciaient de l’équité procédurale. Toutefois, les tribunaux anglais appliquent depuis longtemps l’« abus de pouvoir discrétionnaire » à la prise de décisions de fond, ce qu’ils appellent « le caractère déraisonnable de Wednesbury », d’après l’arrêt Associated Provincial Picture Houses, Ltd. c. Wednesbury Corp., [1948] 1 K.B. 223 (C.A.). L’arrêt Wednesbury a été cité avec approbation dans Baker c. Canada, précité, par. 53. Voir, de manière générale, H. W. MacLauchlan, « Transforming Administrative Law : The Didactic Role of the Supreme Court of Canada » (2001), 80 R. du B. can. 281, p. 285 et suiv.
54 L’arrêt Baker c. Canada a établi que la norme de contrôle en matière d’abus de pouvoir discrétionnaire peut en principe aller de la norme de la décision correcte, en passant par celle du caractère déraisonnable, jusqu’à la norme du caractère manifestement déraisonnable. Comme l’a expliqué le professeur D. J. Mullan, dans Administrative Law, op. cit., p. 108, il en résulte [traduction] « une théorie générale ou unificatrice de contrôle des décisions de fond prises par tout décideur qui exerce une prérogative ou un pouvoir conféré par la loi ». La méthode unifiée a été prévue jusqu’à un certain point dans les arrêts antérieurs relatifs à l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’un ministre qui ont été rendus par la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique dans MacMillan Bloedel Ltd. c. Minister of Forests of British Columbia, [1984] 3 W.W.R. 270, le juge Macfarlane, p. 282, et par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Lazarov c. Secrétaire d’État du Canada, [1973] C.F. 927, le juge Thurlow, p. 938-939. Voir également Re Stora Kopparbergs Bergslags Aktiebolag and Nova Scotia Woodlot Owners’ Association (1975), 61 D.L.R. (3d) 97 (C.A.N.-É.), et Canadian National Railway Co. c. Fraser-Fort George (Regional District) (1996), 140 D.L.R. (4th) 23 (C.A.C.‑B.).
55 Dans l’arrêt Baker c. Canada lui-même, le juge L’Heureux-Dubé, s’exprimant au nom de notre Cour, a conclu, au par. 62, que la norme de contrôle appropriée dans cette affaire était celle de la décision raisonnable simpliciter. Il faut interpréter cette conclusion à la lumière des faits particuliers. Une mesure d’expulsion a été prise contre l’appelante, Mavis Baker, mère d’enfants à charge nés au Canada. Elle a alors demandé d’être dispensée de faire sa demande de résidence permanente de l’extérieur du Canada, pour des raisons d’ordre humanitaire, conformément au par. 114(2) de la Loi sur l’immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2. Sa demande était appuyée de lettres exprimant des inquiétudes quant à la possibilité d’obtenir un traitement médical dans son pays d’origine et quant à l’effet de son départ éventuel sur ses enfants nés au Canada. Sa demande a été rejetée pour le motif qu’il n’y avait pas suffisamment de raisons humanitaires pour justifier de traiter sa demande au Canada. Bien que cette décision ait été prise au nom du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, il a été tenu pour acquis qu’elle résultait de l’exercice d’un pouvoir délégué par un agent d’immigration dont les notes ont été considérées comme document constatant les motifs de sa décision (par. 44). L’agent d’immigration avait agi dans le cadre des directives établies par le ministre. Son mandat consistait à appliquer ces directives selon lesquelles il devait
être conscient des considérations humanitaires possibles, [. . .] tenir compte des difficultés qu’une décision défavorable imposerait au demandeur ou aux membres de sa famille proche, et [. . .] considérer comme un facteur important les liens entre les membres d’une famille. (par. 72)
Il a été allégué que l’agent d’immigration, qui était tenu d’agir dans le cadre des directives, avait violé les règles explicites établies par son propre ministre. Dans ces circonstances quelque peu inhabituelles, notre Cour a conclu que la décision devait faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable simpliciter.
56 Notre Cour a souligné, dans l’arrêt Baker c. Canada, précité (le juge L’Heureux-Dubé, par. 53), que les décisions ministérielles de nature discrétionnaire font habituellement l’objet d’une très grande retenue, citant Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, p. 7-8. Le juge L’Heureux-Dubé précise, au par. 56 :
La démarche pragmatique et fonctionnelle peut tenir compte du fait que plus le pouvoir discrétionnaire accordé à un décideur est grand, plus les tribunaux devraient hésiter à intervenir dans la manière dont les décideurs ont choisi entre diverses options.
57 Une plus grande retenue peut se révéler nécessaire en raison du libellé particulier de la loi : Re Sheehan and Criminal Injuries Compensation Board (1975), 52 D.L.R. (3d) 728 (C.A. Ont.), où l’art. 5 de la Law Enforcement Compensation Act, R.S.O. 1970, ch. 237, obligeait la Commission à [traduction] « tenir compte de toutes les circonstances qu’elle considère pertinentes » (je souligne).
58 La norme de retenue la plus élevée, celle du caractère manifestement déraisonnable, doit généralement être appliquée aux décisions que prennent des ministres en exerçant des pouvoirs discrétionnaires en contexte administratif. La présente affaire montre pourquoi il doit en être ainsi. Le permis délivré par le ministre a pour objet général de régir la prestation de services de santé conformément à « l’intérêt public ». Cela favorise l’adoption d’une norme de retenue élevée, tout comme le fait l’expertise du ministre et de ses conseillers, sans compter la position élevée que ce dernier occupe dans la hiérarchie des décideurs qui exercent une prérogative ou un pouvoir conféré par la loi. L’exercice du pouvoir dépend de ce que le ministre considère être dans l’intérêt public, ce qui est un excellent exemple de mesure touchant l’intérêt public. Bien qu’elle ne soit directement pertinente que dans les cas de renouvellement, la formulation privative de l’art. 139.1 confirme le degré élevé de retenue qui s’impose en l’espèce (« [l]a décision du ministre est finale et sans appel »).
59 Par conséquent, la norme de contrôle appropriée en l’espèce est celle du caractère manifestement déraisonnable.
60 Le recours au principe du « caractère déraisonnable » pour vérifier la validité des décisions de fond remonte à l’arrêt Baker c. Canada, précité, par. 53 :
Un principe général relatif au «caractère déraisonnable» a parfois été appliqué aussi à des décisions discrétionnaires: Associated Provincial Picture Houses, Ltd. c. Wednesbury Corporation, [1948] 1 K.B. 223 (C.A.). À mon avis, ces principes englobent deux idées centrales — qu’une décision discrétionnaire, comme toute autre décision administrative, doit respecter les limites de la compétence conférée par la loi, mais que les tribunaux devront exercer une grande retenue à l’égard des décideurs lorsqu’ils contrôlent ce pouvoir discrétionnaire et déterminent l’étendue de la compétence du décideur.
61 La Cour a également conclu, dans Baker c. Canada, que le ministre et les fonctionnaires de l’Immigration n’avaient pas accordé suffisamment d’importance à l’effet de la décision sur Mme Baker et ses enfants nés au Canada. Cela fait partie du critère traditionnel de l’arrêt Wednesbury, comme le fait remarquer le maître des rôles lord Woolf, dans l’arrêt Coughlan, précité, lorsqu’il affirme, au par. 58, que le critère de l’arrêt Wednesbury [traduction] « est la rationalité et la question de savoir si l’organisme public a accordé suffisamment d’importance aux conséquences du manquement à la promesse » (je souligne). Ce dernier ajoute, au par. 81 : « Nous préférerions considérer que les catégories de Wednesbury constituent en soi les meilleurs exemples (et non pas nécessairement les seuls) . . . de la mauvaise utilisation qui peut être faite du pouvoir public ». Voilà pourquoi il a intégré le « caractère déraisonnable » dans le concept global anglais de l’iniquité administrative.
62 L’élément qui différencie le droit canadien du droit anglais émergent est l’affirmation, au cœur du traitement réservé à l’équité substantielle dans l’arrêt Coughlan, selon laquelle les tribunaux jouent un rôle central pour ce qui est de régir la politique gouvernementale. Dans l’arrêt Coughlan, par. 76, on affirme que le refus d’accorder une réparation substantielle en vertu de la théorie de l’expectative légitime
[traduction] ne peut être justifié que s’il existe un intérêt public prépondérant. C’est aux tribunaux qu’il appartient de décider si un tel intérêt existe. [Je souligne.]
63 Au Canada, du moins jusqu’à maintenant, les tribunaux ont adopté le point de vue selon lequel il appartient généralement au ministre de décider si l’intérêt public l’emporte. Les tribunaux n’interviendront que s’il est établi que la décision du ministre est manifestement déraisonnable, au sens d’être irrationnelle ou abusive, ou (pour reprendre les termes utilisés dans Coughlan, par. 72) [traduction] « si arbitraire et oppressive qu’aucune personne raisonnable ne [la] jugerait justifiée ». Cette exigence stricte est respectée en l’espèce où, comme dans l’affaire Baker c. Canada, le caractère déraisonnable tient à l’absence singulière de reconnaissance des conséquences graves que le revirement soudain d’opinion du ministre a eu sur les intimés, qui ont été pris entre l’ancienne politique (voulant que 50 lits destinés aux soins de courte durée soient dans l’intérêt public) et la nouvelle politique (selon laquelle 50 lits destinés aux soins de courte durée doivent être assortis de services de diagnostic et de traitement améliorés).
64 À mon avis, la décision ministérielle du 3 octobre 1991 est « manifestement déraisonnable » en raison de la façon dont celui-ci et ses prédécesseurs ont défini l’intérêt public pendant les sept années au cours desquelles ils ont consulté et encouragé les intimés et leur ont donné des assurances, et en raison de l’omission totale du ministre de prendre en considération les conséquences que le manquement à ses promesses entraînerait pour ces derniers.
65 Notre Cour devrait tenir compte — et tiendrait effectivement compte — de tout motif de politique sérieux exposé par le ministre pour justifier une nouvelle définition de l’intérêt public en l’espèce, surtout à la lumière de la portée générale du pouvoir discrétionnaire d’agir si « l’intérêt public le justifie », que lui confère l’art. 138. Cependant, le ministre n’a formulé aucun motif de cette nature dans la lettre du 3 octobre 1991 faisant état de sa décision, et n’a pas non plus contredit le dossier. Il n’a pas indiqué que les 50 lits destinés aux soins de courte durée n’étaient pas dans l’intérêt public. Le seul élément nouveau est qu’il a dit que l’intérêt public serait encore mieux servi par l’ajout de ressources en matière de diagnostic et de traitement qu’il n’était cependant pas prêt à financer. Comme mon collègue le souligne au par. 114, « la décision du ministre doit à tout le moins être conforme à la réalité ».
IV. Conclusion
66 Nous sommes donc en présence d’une décision ministérielle manifestement déraisonnable qui a été prise d’une façon visiblement inéquitable. L’ensemble des affirmations et du comportement auxquels les intimés se sont fiés à leur détriment, comme nous l’avons vu plus haut, conjugué à l’omission du ministre de tenir compte des intérêts de ces derniers le 3 octobre 1991, empêchaient le ministre d’abandonner la notion de l’intérêt public que les ministres avaient constamment adoptée pendant les sept années précédentes.
67 Compte tenu de ces antécédents, le ministre ne devrait pas pouvoir maintenant (c’est‑à‑dire 10 ans plus tard) préconiser une nouvelle vision de l’intérêt public qui contredise ce qui a été dit et fait auparavant. D’après les faits de la présente affaire, le ministre n’a qu’un seul choix qui ne soit pas manifestement déraisonnable et ce choix consiste à délivrer le permis modifié pour la période 1991-1993 (c’est‑à‑dire que, selon l’art. 138 qui était alors en vigueur, le permis modifié doit être délivré). Ainsi, bien que ce soit pour des raisons quelque peu différentes, je souscris, en définitive, à la façon de trancher le pourvoi proposée par mon collègue le juge Bastarache.
68 L’autre solution serait que notre Cour renvoie la décision au ministre pour qu’il la réexamine à la lumière des contraintes juridiques décrites aux présentes. Un tel renvoi équivaudrait à un ordre de délivrer le permis modifié pour la période 1991‑1993 et il est évident qu’il y aurait quelque chose d’invraisemblable dans cette démarche. L’hôpital intimé a déménagé de Sainte-Agathe à Montréal il y a 10 ans. Dans l’intervalle, les ministres, les politiques et les budgets en matière de santé se sont succédé. La loi applicable a subi des modifications importantes et pertinentes à certains égards. Une fois que la situation actuelle aura été régularisée par la délivrance du permis modifié pour la période 1991‑1993, le ministre actuel pourra alors évaluer, à la lumière de la loi et des circonstances actuelles, le statut de l’établissement intimé et ce à quoi il a maintenant droit.
69 Je suis donc d’avis de rejeter le pourvoi.
Version française du jugement des juges L’Heureux-Dubé, Gonthier, Iacobucci, Major et Bastarache rendu par
70 Le juge Bastarache — La Cour est appelée, en l’espèce, à déterminer la légalité du refus de l’appelant, le ministre de la Santé et des Services sociaux (le « ministre »), de régulariser le permis d’exploitation de l’intimé, le Centre hospitalier Mont-Sinaï (le « Centre »).
I. Les faits
71 À l’origine, le Centre était un établissement de soins de longue durée destiné principalement aux patients atteints de tuberculose. Il a été installé à Sainte‑Agathe au moment où le repos dans une région où l’air est pur était la principale façon de traiter cette maladie. Il convenait peut-être davantage, à l’époque, de le qualifier de sanatorium. Toutefois, au cours des années 50, alors que l’incidence de la tuberculose diminuait et que la nature des maladies respiratoires et de leur traitement changeait, le Centre a commencé à offrir de nouveaux programmes et services, et en fait, à développer une grande expertise en matière de maladies respiratoires grâce à des installations mixtes de soins de courte et de longue durée. Au chapitre des soins de courte durée, le Centre offrait notamment des soins palliatifs, des services de laboratoire et de radiologie ainsi que des services opératoires. D’après les rapports annuels qui lui ont été soumis depuis 1974, le gouvernement était au fait de ce changement d’orientation, de cette diversification et de ces nouveaux services de courte durée, et il a continué de financer l’ensemble des activités du Centre. En raison de la distance à laquelle le Centre se trouvait de Montréal, d’où provenaient alors un bon nombre de ses patients nécessitant des soins de courte durée, il est devenu de plus en plus évident que sa localisation à Sainte‑Agathe n’était plus pratique. En 1984, le ministère de la Santé et des Services sociaux a entrepris de sérieuses négociations avec le Centre en vue d’un éventuel déménagement à Montréal.
72 Pendant ces négociations, le Centre a indiqué clairement que son permis était important. À l’époque, le Centre fonctionnait en vertu de son permis initial pour 107 lits de longue durée quoique dès 1984, en plus d’offrir des services et programmes de courte durée, il exploitait déjà depuis 10 ans 57 lits de longue durée et 50 lits de durée intermédiaire ou de courte durée. Il voulait que le permis soit modifié de manière à le rendre conforme à la réalité. Il a informé le ministère qu’il s’était toujours présenté comme un établissement offrant à la fois des soins de longue et de courte durée lors de ses campagnes de financement au sein de la communauté juive de Montréal. Le ministère a promis au Centre de modifier officiellement le permis après le déménagement. Selon la loi en vigueur à l’époque, à savoir la Loi sur les services de santé et les services sociaux, L.R.Q., ch. S‑5, le Centre ne subirait aucun préjudice sur le plan administratif ou financier s’il acceptait d’attendre. Au cours des années suivantes, des fonds ont été recueillis pour effectuer le déménagement qui, en fin de compte, a coûté six millions de dollars. Pendant cette période, les ministres qui se sont succédé ont réitéré la promesse de délivrer le permis approprié.
73 Le Centre a déménagé à Montréal en janvier 1991 et, le 31 janvier 1991, alors que la date d’expiration de son permis approchait (le 31 mars 1991), le Centre a présenté au ministre une demande officielle de régularisation de son permis. Une nouvelle loi déposée le 10 décembre 1990 est entrée en vigueur progressivement à compter du 4 septembre 1991; il s’agissait de la Loi sur les services de santé et les services sociaux, L.R.Q., ch. S-4.2. En vertu de son ancien permis non modifié, le Centre se qualifiait désormais comme un « centre d’hébergement et de soins de longue durée », ce qui l’empêchait en pratique d’être représenté par un conseil d’administration autonome. Sans lui donner la possibilité de se faire entendre sur la question, le ministre a écrit une lettre, le 3 octobre 1991, informant le Centre qu’il n’obtiendrait pas le permis promis et qu’il devrait fonctionner sous le régime de l’ancien permis non modifié, et ce, même si les services qu’il offrait comprenaient des services de courte durée. Le gouvernement a continué de financer ces services et n’en a pas demandé l’interruption. Même si la lettre justifiait le refus par des considérations financières, le Centre n’avait jamais demandé plus d’argent pour fournir ses services de courte durée. Il fournissait ces services depuis au moins 1974 et rien n’indiquait qu’il ne pourrait pas continuer à le faire à l’intérieur de l’enveloppe budgétaire qui lui était allouée.
74 Le Centre a présenté à la Cour supérieure une requête en mandamus, dans laquelle il lui demandait d’ordonner au ministre de délivrer le permis promis. Il sollicitait également l’annulation de l’élection du conseil d’administration unifié afin d’être en mesure d’élire son propre conseil d’administration.
II. Les dispositions législatives
75 Étant donné que le Centre a présenté sa demande le 31 janvier 1991, c’est‑à‑dire avant l’entrée en vigueur, le 1er octobre 1992, des art. 437 à 443 de la Loi sur les services de santé et les services sociaux, L.R.Q., ch. S-4.2, qui régissent sur la délivrance et le renouvellement des permis, c’est la Loi sur les services de santé et les services sociaux, L.R.Q., ch. S-5, qui s’applique.
76 Les dispositions pertinentes de la Loi sur les services de santé et les services sociaux, L.R.Q., ch. S-5 (l’« ancienne loi »), sont les suivantes :
136. Nul ne peut exploiter un établissement s’il ne détient un permis permanent ou un permis temporaire délivré à cette fin par le ministre.
137. Le permis permanent indique la catégorie de l’établissement et, s’il y a lieu, sa classe, son type et sa capacité.
. . .
138. Toute personne qui sollicite un permis doit transmettre sa demande au ministre conformément aux règlements.
Le ministre délivre un permis permanent ou un permis temporaire s’il estime que l’intérêt public le justifie.
139. Un permis permanent est accordé pour une période de deux ans qui se termine le 31 mars.
Un permis temporaire est accordé pour une période inférieure à deux ans.
139.1 Un permis permanent est renouvelé pour deux ans si son détenteur remplit les conditions prescrites par règlement.
Cependant, le ministre peut, après consultation du conseil régional concerné, modifier la catégorie, la classe, le type ou la capacité indiqué au permis s’il estime que l’intérêt public le justifie.
Avant de modifier la catégorie, la classe ou le type indiqué au permis, le ministre doit donner à l’établissement concerné l’occasion de lui faire des représentations.
La décision du ministre est finale et sans appel; elle n’est pas considérée comme un refus de renouvellement aux fins de la sous‑section 2 de la présente section.
Le détenteur d’un permis qui est modifié doit prendre les mesures nécessaires pour s’y conformer dans les six mois de la réception du nouveau permis.
77 Il vaut également la peine de mentionner certaines dispositions de la Loi sur les services de santé et les services sociaux, L.R.Q., ch. S-4.2 (la « nouvelle loi ») :
81. La mission d’un centre hospitalier est d’offrir des services diagnostiques et des soins médicaux généraux et spécialisés. . .
83. La mission d’un centre d’hébergement et de soins de longue durée est d’offrir de façon temporaire ou permanente un milieu de vie substitut, des services d’hébergement, d’assistance, de soutien et de surveillance ainsi que des services de réadaptation, psychosociaux, infirmiers, pharmaceutiques et médicaux aux adultes qui, en raison de leur perte d’autonomie fonctionnelle ou psychosociale, ne peuvent plus demeurer dans leur milieu de vie naturel, malgré le support de leur entourage.
. . .
119. Un conseil d’administration est formé pour administrer l’ensemble des établissements qui ont leur siège social dans le territoire d’une municipalité régionale de comté et qui exploitent soit un centre d’hébergement et de soins de longue durée, soit à la fois un centre d’hébergement et de soins de longue durée et un centre hospitalier de soins généraux et spécialisés de moins de 50 lits.
. . .
126. Un conseil d’administration est formé pour administrer . . .
. . . un établissement qui exploite à la fois un centre d’hébergement et de soins de longue durée et un centre hospitalier de soins généraux et spécialisés de 50 lits ou plus.
III. Historique des procédures judiciaires
A. Cour supérieure du Québec, J.E. 92-1815
78 Dans sa décision du 9 novembre 1992, madame le juge Marcelin de la Cour supérieure du Québec a tiré au moins cinq conclusions de fait importantes. Premièrement, elle a conclu que le Centre exploitait depuis longtemps à Sainte‑Agathe un centre mixte de soins de courte et de longue durée. Deuxièmement, elle a conclu que le ministre savait que le Centre exploitait non seulement un établissement de soins de longue durée, mais qu’il fournissait également des services de courte durée. Le gouvernement finançait ces services et manifestait son assentiment malgré la non‑concordance des activités et du permis. Troisièmement, les discussions des parties relativement au déménagement du Centre avaient toujours porté sur des lits de courte et de longue durée. Quatrièmement, le Centre avait reçu des autorités gouvernementales des promesses selon lesquelles son permis serait modifié au moment de son déménagement à Montréal. Et, cinquièmement, elle a conclu que c’était à la suggestion des ministres qui se sont succédé que le Centre avait accepté d’attendre son transfert à Montréal pour demander officiellement la modification de son permis.
79 Madame le juge Marcelin a accueilli en partie la requête en mandamus. Selon elle, le ministère avait par ses promesses et son comportement créé une « expectative légitime » que le Centre obtiendrait un permis reflétant la vraie nature de ses activités une fois qu’il aurait déménagé à Montréal. Toutefois, étant donné que la théorie de l’expectative légitime est limitée à la justice naturelle et à l’équité (la règle audi alteram partem) ainsi qu’aux réparations procédurales, et qu’elle ne confère aucun droit substantiel, madame le juge Marcelin n’a pas ordonné au ministre de délivrer le permis approprié. Elle s’est contentée de lui ordonner d’entendre le Centre sur la question avant de décider s’il était dans l’intérêt public de modifier le permis.
80 Madame le juge Marcelin a donc estimé que la lettre du 3 octobre 1991 n’était pas un exercice valide du pouvoir discrétionnaire du ministre pour deux raisons. En premier lieu, la lettre ne respectait pas l’exigence de l’art. 139.1 que le ministre donne à l’établissement concerné l’occasion de faire des représentations lorsqu’il envisage de modifier un permis. Madame le juge Marcelin a souligné, en deuxième lieu, que le refus contenu dans la lettre était motivé par des raisons fragiles et insuffisantes — on ne pouvait pas invoquer le prétendu argument financier vu que le Centre n’avait jamais demandé plus d’argent pour fournir des services de courte et de longue durée.
81 Soulignant que le Centre fonctionnait sans permis depuis le 31 mars 1991, madame le juge Marcelin a ordonné le renouvellement de l’ancien permis (dans les 30 jours du jugement), en plus d’ordonner au ministre de consulter le Centre sur sa décision relative au permis modifié (dans les 90 jours du jugement). Elle a affirmé que « le Centre a le droit de recevoir une décision du ministre qui ne doit pas être un abus de discrétion et doit être fondée sur des motifs pertinents et sans buts cachés [et non] pour un motif ultérieur ».
82 Au sujet du conseil d’administration unifié, madame le juge Marcelin était d’avis qu’il était prématuré de se prononcer sur la validité de l’élection étant donné que le ministre n’avait pas encore attribué au Centre une classification déterminante à ce sujet soit en renouvelant l’ancien permis, soit en rendant une décision valide au sujet de la modification. Il faudrait attendre que le ministre ait exercé validement son pouvoir discrétionnaire pour se prononcer à cet égard.
83 Le Centre a interjeté appel contre cette décision.
B. Cour d’appel du Québec, [1998] R.J.Q. 2707
84 S’exprimant au nom d’une formation de trois juges, le juge Robert a accueilli l’appel, ordonné au ministre de délivrer le permis promis et annulé l’élection du conseil d’administration unifié eu égard au droit du Centre d’élire son propre conseil d’administration.
85 Le juge Robert a d’abord conclu que la cour de première instance n’avait commis aucune erreur, et encore moins une erreur manifeste et dominante, dans son appréciation de la preuve. Il a confirmé les conclusions de fait de madame le juge Marcelin, à savoir que le Centre exploitait depuis de nombreuses années des lits de courte et de longue durée, qu’il le faisait à la connaissance du gouvernement, que le gouvernement lui avait promis de régulariser son permis après le déménagement à Montréal et que c’était sur la foi de ces promesses qu’il avait accepté d’attendre son déménagement pour demander officiellement la régularisation de son permis. Le juge Robert a réexaminé divers éléments de preuve et a confirmé ces conclusions de différentes manières.
86 Il a ensuite confirmé la décision de madame le juge Marcelin que la théorie de l’expectative légitime est limitée aux réparations procédurales, du moins dans l’état actuel du droit au Canada. Il a examiné la situation dans différents ressorts, faisant remarquer qu’au Royaume‑Uni, mais non en Australie, cette théorie est devenue une source de droits substantiels et de droits procéduraux. Le juge Robert a conclu que la préclusion promissoire (promissory estoppel) en droit public était un autre moyen qui devait être utilisé en l’espèce pour accorder une réparation substantielle — le permis promis.
87 Enfin, le juge Robert a décidé qu’il n’était pas nécessaire d’examiner l’argument du Centre selon lequel il s’agissait non pas d’un cas où le ministre pouvait exercer son pouvoir discrétionnaire aux termes de l’art. 139.1, mais en fait d’un cas où ce dernier était tenu de délivrer le permis en vertu de l’art. 138. Cet argument voulait qu’étant donné que tout s’était déroulé à la connaissance du gouvernement et avec son approbation, le Centre possédait en fait le permis d’exploiter l’établissement de soins de courte et de longue durée — il avait effectivement « acquis » le permis et seul le libellé du permis n’était pas conforme à la réalité. Tout en précisant qu’il n’était pas nécessaire de l’examiner pour les fins de l’appel, le juge Robert a fait remarquer que cette approche était susceptible de causer des problèmes en raison des exigences juridiques liées aux « droits acquis ».
88 C’est donc en se fondant sur la théorie de la préclusion promissoire en droit public que le juge Robert a ordonné au ministre de délivrer le permis promis pour la période du 1er avril 1991 au 31 mars 1993 et qu’il a ordonné l’annulation de l’élection du conseil d’administration unifié.
89 Le ministre se pourvoit devant notre Cour.
IV. Analyse
90 Bien que je partage l’avis de la Cour d’appel que le ministre est tenu de délivrer le permis promis au Centre, je ne crois pas qu’il y ait lieu de recourir à la préclusion promissoire en droit public pour rendre cette ordonnance. Je suis d’avis que la meilleure façon de trancher le présent pourvoi est de reconnaître que les faits de la présente affaire sont à l’origine d’une situation qualifiée à tort de renouvellement d’un permis existant aux termes de l’art. 139.1 de l’ancienne loi. La situation relève plutôt de l’art. 138 de cette loi, en ce sens que le ministre avait déjà exercé son pouvoir discrétionnaire et qu’il était, de ce fait, tenu de délivrer le permis pour l’exploitation d’un établissement de soins de courte et de longue durée, une fois le Centre déménagé à Montréal.
A. Quel article de l’ancienne loi s’applique à la situation qui nous occupe?
91 L’article 139.1 de l’ancienne loi prévoit :
Un permis permanent est renouvelé pour deux ans si son détenteur remplit les conditions prescrites par règlement.
Le règlement en question est le Règlement sur la délivrance et le renouvellement du permis d’un établissement, décret 1373-84, (1984) 116 G.O. II, 2769. Parmi les conditions prescrites par ce règlement, il y a notamment celles voulant que la personne qui demande la délivrance ou le renouvellement soit un citoyen canadien ou un résident permanent domicilié au Québec, qu’elle soit solvable, qu’elle ne soit pas sous le coup d’une condamnation en vertu du Code criminel et qu’elle ait transmis au ministre les renseignements requis. En d’autres termes, si c’était là le contenu intégral de l’art. 139.1, le pouvoir discrétionnaire du ministre ne s’appliquerait pas en matière de renouvellement. Si les conditions prescrites par le règlement sont remplies, le permis est renouvelé.
92 Pourtant, l’art. 139.1 ajoute :
Cependant, le ministre peut, après consultation du conseil régional concerné, modifier la catégorie, la classe, le type ou la capacité indiqué au permis s’il estime que l’intérêt public le justifie.
Avant de modifier la catégorie, la classe ou le type indiqué au permis, le ministre doit donner à l’établissement concerné l’occasion de lui faire des représentations.
La décision du ministre est finale et sans appel; elle n’est pas considérée comme un refus de renouvellement aux fins de la sous-section 2 de la présente section.
Ces parties de l’art. 139.1 confèrent au ministre une grande discrétion dans l’exercice de son pouvoir de modifier le permis à l’occasion d’un renouvellement (une modification peut être apportée « s’il estime que l’intérêt public le justifie »), ainsi qu’un caractère définitif à l’exercice de ce pouvoir (la décision est « finale et sans appel »). C’est aussi cet article qui oblige le ministre à donner à l’établissement concerné l’occasion de faire des représentations. Il est important de souligner, au départ, que l’art. 139.1 vise à conférer un pouvoir ministériel discrétionnaire limité aux cas de renouvellement de permis pourvu que l’établissement en cause modifie ses activités en fonction des nouvelles exigences que le ministre impose dans ce qu’il estime être l’intérêt public.
93 La question qui se pose est la suivante : la demande que le Centre a présentée le 31 janvier 1991 était-elle une demande de renouvellement de permis assujettie à l’art. 139.1? J’estime que non. Premièrement, je constate que divers documents indiquent que les parties considéraient qu’il s’agissait d’une demande de modification du permis du Centre plutôt qu’une demande de renouvellement. Par exemple, sur le formulaire de demande présenté au ministre le 31 janvier 1991, le Centre a coché la case « modification » plutôt que la case « renouvellement ». Parallèlement, le ministère parle de « modification » plutôt que de renouvellement (lettre du 14 septembre 1990). Deuxièmement, d’après les faits constatés par la cour de première instance et acceptés sans hésitation par la Cour d’appel, les parties ne considéraient pas que la demande officielle qui serait faite après le déménagement du Centre à Montréal viserait le renouvellement de l’ancien permis, qui, depuis au moins 1974, ne reflétait plus les services fournis par le Centre et financés par le gouvernement. Les parties estimaient que le permis serait finalement modifié de manière à refléter la véritable vocation du Centre, celle d’un hôpital offrant à la fois des soins de longue et de courte durée. Les deux cours d’instance inférieure ont qualifié cette mesure de « régularisation » du permis et je partage leur avis. Même si on peut parler avec raison de modification du permis, j’estime que c’est une erreur de qualifier la mesure en question de renouvellement de cet ancien permis non conforme à la réalité. Il n’est pas non plus raisonnable de conclure que le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire de renouveler le permis du Centre à la condition que l’établissement modifie ses activités conformément à ce qu’il jugeait alors être dans l’intérêt public. La preuve indique que le ministre était d’avis que le Centre continuerait d’offrir les mêmes services et de toucher le même financement.
94 En réalité, même s’il est vrai que l’art. 139.1 parle de modifier la catégorie, la classe, le type ou la capacité indiqués sur le permis, cela est restreint non seulement au contexte d’une demande de renouvellement, mais encore aux cas où le ministre examine, de sa propre initiative, la possibilité d’apporter des modifications qui seraient dans l’intérêt public. En d’autres termes, l’établissement présente la demande de renouvellement tous les deux ans, comme il doit le faire (même dans le cas d’un permis permanent), et le ministre peut ordonner qu’une modification soit apportée si l’intérêt public justifie de le faire. La décision est finale et sans appel si elle a été prise de bonne foi et si l’établissement concerné a eu l’occasion de faire des représentations. Toutefois, l’art. 139.1 ne s’applique pas intégralement aux cas où la modification est demandée par la partie en cause plutôt que par le ministre. Cette disposition ne s’applique donc pas à la présente situation.
95 Par conséquent, j’estime que madame le juge Marcelin a commis une erreur en mettant l’accent sur les préoccupations de « justice naturelle » découlant de l’obligation d’entendre le Centre qu’impose l’art. 139.1. S’il s’était agi d’une demande de renouvellement, elle aurait eu raison d’affirmer que la lettre du 3 octobre 1991 ne pouvait pas constituer un exercice valide de pouvoir discrétionnaire en raison du manquement à cette obligation. Il ne s’agissait toutefois pas d’une demande de renouvellement et, selon moi, l’art. 139.1 ne s’applique tout simplement pas. Il est donc inutile de se demander si l’expectative légitime résultant des rapports entre les parties peut donner lieu à une réparation substantielle — la délivrance du permis — en plus de la protection procédurale offerte par le droit d’être entendu, que ce soit en vertu d’une théorie élargie de l’expectative légitime ou en vertu de la préclusion promissoire en droit public.
96 J’estime que c’est l’art. 138, et non pas l’art. 139.1, qui s’applique en l’espèce. Cet article prévoit :
Toute personne qui sollicite un permis doit transmettre sa demande au ministre conformément aux règlements.
Le ministre délivre un permis permanent ou un permis temporaire s’il estime que l’intérêt public le justifie.
Il est évident que cette disposition régit les demandes de nouveaux permis en ce sens que toute personne qui sollicite un permis doit présenter au ministre une demande conforme au règlement, et le ministre accorde le permis s’il estime que l’intérêt public le justifie. Il est vrai que la demande présentée par le Centre, le 31 janvier 1991, en vue d’obtenir le permis « régularisé » qui avait été promis, semble être non pas une demande de nouveau permis mais plutôt une demande de changement ou de modification du permis existant, comme l’indique notamment le fait d’avoir coché la case « modification » dans le formulaire de demande. S’agit-il d’un cas où l’art. 138 s’applique? Je souligne à cet égard la note suivante tirée de la Collection Lois et Règlements JUDICO, Services de santé et services sociaux (7e éd. 1990-1991), p. 133 :
L’établissement, détenteur d’un permis, qui demande une modification à ce permis ou un changement doit situer cette demande dans le cadre de l’article 138.
Partant, la demande présentée le 31 janvier 1991 par le Centre semble se situer nettement dans le cadre de l’art. 138.
97 Je ne suis pas d’accord avec les arguments du Centre selon lesquels il possédait en fait (et en droit) le permis modifié et que seule la question du libellé du permis se posait lorsqu’il a présenté la demande de régularisation le 31 janvier 1991. À mon avis, avoir droit au permis est différent du fait de le posséder. Je souscris ici à l’opinion du juge Robert qu’il est très difficile de dire que le Centre a « acquis » le permis en offrant des soins de courte durée qui, de l’aveu général, étaient non seulement tolérés, mais bel et bien financés par le gouvernement.
98 Je mentionne à cet égard l’art. 140 de l’ancienne loi, qui se lisait ainsi :
Tout détenteur de permis doit exercer ses activités à l’intérieur des limites fixées dans son permis et tenir les livres et comptes prescrits par les règlements.
L’article 444 de la nouvelle loi prévoit de la même façon :
Le titulaire d’un permis doit exercer ses activités conformément à ce qui est indiqué à son permis.
Même si je ne veux pas qu’on croie que je me prononce directement sur cette question étant donné que les parties ont fait valoir bien peu en faveur ou contre l’application de la théorie des droits acquis dans le présent cas, il semble à tout le moins utile de souligner, comme l’a fait le juge Robert, que le Centre a pendant toutes ces années excédé les limites de son permis. Il se peut bien qu’en raison de l’illégalité de ses activités le Centre n’ait pas pu « acquérir » le permis. Je relève en passant la disposition corrélative de l’art. 140, à savoir l’art. 141, qui s’est appliquée jusqu’à l’entrée en vigueur de la nouvelle loi :
141. Un détenteur de permis doit, aux époques fixées par règlement ou, à défaut, sur demande du ministre, lui fournir en la forme qu’il prescrit :
1o un rapport détaillé de ses activités qui contient les renseignements prescrits par règlement;
2o des états financiers certifiés par le vérificateur de l’établissement, s’il s’agit d’un établissement public ou d’un établissement privé visé dans les articles 176 et 177.
Il me semble que cette disposition vise à garantir que le ministre soit tenu au courant des activités d’un établissement. Si cet établissement excède les limites de son permis et que le ministre le sait grâce aux documents qui lui sont fournis, ce fait influe sûrement sur la détermination de la légalité ou de l’illégalité des activités de l’établissement en question.
99 Je reconnais qu’il y a souvent une différence importante entre un acte juridique et le document qui le constate; par exemple, en l’absence d’exigence d’écrit, un document témoigne de l’existence d’un contrat qui existe tout à fait indépendamment de ce document et, bien que ce dernier soit utile en matière de preuve, il n’est pas essentiel à l’existence même du contrat. J’hésiterais toutefois à qualifier un permis de la même manière. Je pense qu’une activité peut être autorisée en l’absence de tout permis implicite ou acquis. En d’autres termes, il peut y avoir permission dans le sens de ce qui est autorisé, mais pas dans le sens d’un permis qui la constate. De toute manière, je préfère affirmer ici que les activités étaient autorisées (c’est‑à‑dire permises), mais que le permis lui‑même n’existait pas encore. Le Centre agissait donc en vertu de son permis d’établissement de soins de longue durée avec l’assentiment du gouvernement pour ce qui est de décider de la légalité ou de l’illégalité de ses activités. Il n’agissait pas en vertu d’un permis modifié acquis ou implicite. Il a présenté la demande de modification au moment convenu par les parties, c’est-à-dire après le déménagement à Montréal. Il l’a fait parce qu’il ne possédait pas encore ce permis. Même si cette demande pouvait bien viser à obtenir ce à quoi le Centre considérait avoir droit, il ne s’agissait pas d’une simple demande pour la forme visant à obtenir ce qu’il possédait déjà. En fait, la demande présentée aurait été, dans ce sens, une demande de renouvellement visée par l’art. 139.1.
100 J’estime que, même s’il n’équivalait pas à la délivrance d’un permis acquis ou implicite, le comportement du gouvernement a constitué un exercice de pouvoir discrétionnaire du ministre. En précisant que « [l]e ministre délivre un permis permanent ou un permis temporaire s’il estime que l’intérêt public le justifie », l’art. 138 attribue au ministre le pouvoir discrétionnaire de décider s’il est dans l’intérêt public de délivrer un permis temporaire ou permanent particulier. Le ministre a toutefois exercé ce pouvoir discrétionnaire en promettant au Centre de lui délivrer le permis modifié, en encourageant le déménagement à Montréal, en s’associant à la campagne de financement axée sur le rôle du Centre en tant qu’hôpital offrant à la fois des soins de longue et de courte durée et en continuant de financer les services de courte durée malgré leur non‑concordance avec le permis du Centre. Lorsque le ministre a pris ces décisions et adopté ce comportement avec le Centre, il a décidé, pour les fins de l’art. 138, qu’il était dans l’intérêt public d’accorder au Centre un permis permanent pour un établissement de soins de longue et de courte durée. La délivrance même du permis a simplement été retardée jusqu’à ce que le déménagement à Montréal ait été effectué. La diversité de ces rapports et leur échelonnement sur une longue période de temps n’empêchent pas, d’après moi, d’examiner l’ensemble de la situation ni de conclure qu’une décision concernant l’intérêt public a été prise et qu’il y a eu exercice de pouvoir discrétionnaire à cet égard. Le ministre était donc lié lorsque le Centre a demandé la délivrance du permis promis, le 31 janvier 1991. À mon avis, le fait qu’il n’a exigé aucune modification des activités du Centre confirme que cette conclusion est raisonnable. Le comportement particulier que le ministre a adopté en l’espèce indique qu’il a épuisé son pouvoir discrétionnaire. Cela ne signifie pas que, dans des circonstances différentes, il ne pourrait pas se fonder sur des considérations de politique générale prépondérantes pour revenir exceptionnellement sur une décision discrétionnaire antérieure.
B. Quand y a-t-il eu exercice du pouvoir discrétionnaire?
101 En raison de l’abondance des documents déposés qui témoignent de la promesse de régulariser le permis du Centre après le déménagement à Montréal, il est difficile de déterminer avec précision le moment où le ministre a exercé le pouvoir discrétionnaire que lui confère l’art. 138. Il serait donc utile de commencer par examiner les éléments de preuve les plus anciens du dossier et de passer en revue les actes et documents qui, peut-on dire, ont renforcé la promesse faite au Centre par le ministre et ses représentants.
102 Le ministre s’appuie sur un document daté du mois d’août 1984 et intitulé Programme fonctionnel et technique préparé par le ministre des Affaires sociales. Dans ce rapport, le ministre souligne le rôle du Centre comme fournisseur de soins pulmonaires ou respiratoires intermédiaires; voir, par exemple, p. 7 et 9. Le rapport fait état, d’une manière quelque peu laconique, de l’approbation par le ministre de la relocalisation du Centre de Sainte‑Agathe à Montréal (p. 10). Lorsque le document mentionne pour la première fois la vocation du Centre, il le fait dans les termes suivants (à la p. 11) :
La vocation de l’Hôpital Mont-Sinaï à Côte Saint-Luc est de 107 lits de soins de longue durée : 50 lits de soins pulmonaires intermédiaires et 57 lits de soins physiques.
Il ajoute, plus loin (à la p. 16) :
. . . 50 lits de soins pulmonaires intermédiaires et 57 lits de soins physiques.
Il importe de noter que ce document semble consacrer la formule 50/57 dans les rapports entre les parties. Cette formule figurait dans la lettre antérieure du 8 mai 1984 annexée au rapport. Cependant, elle n’apparaît pas dans l’autre lettre annexée au rapport, celle encore plus ancienne du 27 juin 1983. Ces lettres antérieures faisaient état de négociations futures portant sur la répartition précise des lits, d’évaluations fondées sur les besoins de la collectivité, et ainsi de suite, mais je suis d’avis que ce document du mois d’août 1984 consacre la formule 50/57 entre les parties.
103 Je ne puis reconnaître que le ministre situait la vocation 50/57 dans un contexte global de soins de longue durée étant donné la nature « intermédiaire » des lits autorisés. Comme l’ont conclu les deux cours d’instance inférieure, les lits de durée intermédiaire sont considérés comme des lits de courte durée, aux fins de classification. De plus, si le ministère considérait vraiment que les lits de durée intermédiaire autorisés étaient des lits de longue durée, on ne voit pas pourquoi il aurait même discuté avec le Centre de la possibilité de modifier son permis d’exploitation. Si le ministère percevait réellement ainsi les lits intermédiaires, aucune modification du permis ne serait nécessaire étant donné que le Centre ferait exactement ce que le permis prévoit — la prestation de services de longue durée. Toutefois, le ministère a non seulement discuté avec le Centre de la possibilité de modifier son permis en sachant que cette modification était au cœur de sa campagne de financement, mais encore il a effectivement promis de le modifier après le déménagement à Montréal.
104 La lettre du 21 novembre 1989 que le Conseil de la santé et des services sociaux de la région de Montréal métropolitain a fait parvenir au Centre est peut-être l’élément de preuve le plus important en l’espèce. On y expose le plan de relocalisation tout en reconnaissant que, dans la répartition 50/57, les 50 lits doivent être réservés aux soins de courte durée. Dans cette lettre, on prévoit qu’il faudra que
. . . cinquante-sept (57) places soient réservées à la clientèle de longue durée et un maximum de cinquante (50) places pour des soins de courte durée et intermédiaires.
Après cette date, le ministre ne peut certainement plus dire qu’il situe la répartition 50/57 dans le contexte des soins de longue durée. Les lits destinés aux soins intermédiaires sont assimilés aux lits destinés aux soins de courte durée et la raison de la modification du permis est indiquée clairement. La réponse du ministre à la demande de permis du Centre pour la période 1989-1991 montre qu’il s’agissait d’une promesse d’apporter au permis la modification demandée après le déménagement à Montréal. Dans la lettre du 14 septembre 1990 qu’il a fait parvenir au Centre à ce sujet, le sous-ministre adjoint précise :
Dès que vos services seront relocalisés sur Côte St-Luc à Montréal, nous devrons prendre les mesures pour modifier votre permis.
Après avoir déménagé à Montréal en janvier 1991, le Centre a présenté une demande de permis modifié pour la période 1991-1993. Toutefois, dans une lettre datée du 3 octobre 1991, le ministre a refusé le permis sollicité en disant que, si les 50 lits étaient reclassifiés en lits de courte durée, l’hôpital ferait face à des problèmes cliniques plus complexes qui nécessiteraient l’octroi de ressources financières additionnelles que le gouvernement n’était pas en mesure de fournir, ajoutant que le Centre devrait continuer de fonctionner sous le régime de son ancien permis.
105 Il est difficile de déterminer avec précision le moment où le ministre a abandonné la préférence que le Centre continue de fonctionner sous le régime de son permis d’établissement de soins de longue durée. Il se peut que cela ait toujours été la préférence et que ce soit ce qui a motivé le refus de modifier le permis du Centre. Ce n’est toutefois pas ce qu’on a indiqué au Centre lorsque le ministère a traité avec lui. Comme le souligne mon collègue le juge Binnie, « j’estime que les intimés n’obtiendraient probablement pas l’ordonnance qu’ils sollicitent si les ministres qui se sont succédé s’étaient livrés, sans exprimer leur pensée, aux cogitations et aux délibérations auxquelles ils se sont livrés entre 1984 et 1991 » (par. 4). Je conviens avec lui que ce qui importe en l’espèce est la ligne de conduite des parties et la preuve qui fait état de leur relation. Dans la lettre de 1989, on reconnaît que les lits sont des lits de courte durée et que le permis doit être modifié en conséquence. La lettre de 1990 fait état de la promesse. Tout au long de ces échanges, les ministres qui se sont succédé et les fonctionnaires du ministère savaient que la vocation du Centre en tant qu’établissement de soins de longue et de courte durée était un élément important de sa campagne de financement; 50 lits réservés aux soins de durée intermédiaire ont été alloués — lits qui sont considérés comme des lits destinés aux soins de courte durée et qui ont finalement été reconnus comme tels. Ces fonctionnaires étaient au fait de tous les services de courte durée du Centre et ils les ont financés; ils ont encouragé le déménagement à Montréal et ont promis que le permis serait modifié après ce déménagement. Telle était en grande partie la situation même en 1984, mais tout s’est concrétisé davantage pendant les années au cours desquelles les plans de relocalisation ont pris forme et ont été encouragés pour aboutir à ce qui est, selon moi, l’élément déclencheur en l’espèce : le déménagement à Montréal en janvier 1991. Par conséquent, j’estime qu’à cette date le ministre avait exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu de l’art. 138.
106 Dans leurs plaidoiries, les parties ont mentionné un certain nombre de décisions portant sur le degré de retenue applicable à l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’un ministre, dont l’arrêt récent de notre Cour Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817. Les décisions discrétionnaires d’un ministre doivent faire l’objet d’une grande retenue. Nous ne sommes cependant pas en présence d’une situation où, comme dans l’affaire Baker, c’est l’exercice du pouvoir discrétionnaire ministériel qui est examiné. En l’espèce, le ministre avait exercé son pouvoir discrétionnaire avant la décision contestée. En effet, ce pouvoir avait déjà été exercé au moment du déménagement à Montréal en janvier 1991, alors que la décision contestée en l’espèce est le refus, le 3 octobre 1991, de délivrer le permis modifié. C’est donc l’infirmation de l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre qui est en cause. En d’autres termes, le ministre avait déjà « exercé » ou « épuisé » son pouvoir discrétionnaire au moment du refus.
107 Toutefois, il reste à déterminer si la lettre du 3 octobre 1991 a validement infirmé l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire. Plus particulièrement, nous devons nous demander si, en vertu de quelque pouvoir discrétionnaire général, le ministre pouvait alors procéder ainsi pour infirmer l’exercice initial de sa discrétion.
C. L’exercice initial du pouvoir discrétionnaire a-t-il été validement infirmé?
108 Je suis d’avis qu’on ne peut pas considérer que le refus du 3 octobre 1991 a infirmé validement l’exercice antérieur du pouvoir discrétionnaire du ministre, et ce, pour au moins deux raisons.
109 Premièrement, les fonctionnaires du ministère n’ont jamais soulevé la question des ressources et du financement supplémentaires auprès des administrateurs du Centre. En fait, le Centre n’a jamais sollicité des services ou des fonds supplémentaires. De plus, rien n’indiquait que, pour respecter les exigences du permis demandé, le Centre devrait modifier ses activités et aurait ainsi besoin de plus d’argent. Les rapports budgétaires déposés au cours de la période de 1974 à 1991 ont toujours fait état de services de courte durée comme, par exemple, une salle d’opération, des laboratoires et des services de radiologie. Dans sa lettre du 24 octobre 1991, le Centre réagit au refus du ministre en faisant remarquer qu’il a toujours répondu aux besoins des patients à l’intérieur de l’enveloppe budgétaire qui lui était allouée et qu’il n’a pas l’intention de demander des ajustements budgétaires pour les soins et services résultant de la reclassification. Je tiens aussi à souligner que l’idée que le déménagement à Montréal n’entraînerait aucune réduction ou augmentation des programmes ni aucune hausse budgétaire a toujours été au cœur des négociations entre les parties; voir le rapport du ministre, op. cit., p. 11. Dans ces circonstances, le ministre ne peut pas invoquer maintenant une préoccupation vague et non fondée relative au financement pour infirmer un exercice antérieur de son pouvoir discrétionnaire.
110 Deuxièmement, le comportement adopté par le ministre depuis qu’il a refusé la modification du permis le 3 octobre 1991 ne permet pas de conclure qu’il a vraiment infirmé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Je mentionne à cet égard la lettre du 3 décembre 1991 qu’il a fait parvenir à la présidente du conseil d’administration d’un autre hôpital montréalais, le Centre hospitalier des convalescents de Montréal. Dans cette lettre, le ministre explique que le programme de soins palliatifs auparavant offert par cet hôpital sera transféré au Centre. Comme divers éléments de preuve l’indiquent (notamment l’affidavit de Howard Blatt) et comme le ministre lui‑même l’admet dans cette lettre lorsqu’il dit que l’utilisation de ces lits « se limite à quelques semaines », les lits des unités de soins palliatifs sont, par définition, des lits de courte durée. Je souligne d’ailleurs à ce propos que, dans la lettre du 21 novembre 1989 susmentionnée, le Conseil de la santé et des services sociaux de la région de Montréal métropolitain informe le Centre que les bénéficiaires de soins palliatifs ne peuvent pas se voir attribuer des lits destinés aux soins de longue durée et qu’ils doivent être comptés comme des patients occupant des lits de courte durée. Dans la lettre du 3 décembre 1991, le ministre écrit que « le remplacement de ces lits a été assuré par l’Hôpital Mont-Sinaï ». Cette confirmation que le Centre exploitera des lits de courte durée suit le refus du ministre de modifier le permis du Centre. À mon avis, cela montre que le comportement du ministre ne permet pas de considérer qu’il a infirmé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire de modifier le permis du Centre. Le ministre semble, en effet, agir conformément à l’exercice initial de son pouvoir discrétionnaire en ce sens que le Centre possède des lits de courte durée pouvant être occupés par des patients qui nécessitent des soins palliatifs. La seule déduction logique qui peut être faite est que cette situation est celle que le ministre estime être dans l’intérêt public.
111 Étant donné que le refus du ministre de respecter la promesse de modifier le permis n’est pas fondé et que le comportement qu’il a adopté par la suite est incompatible avec la prétendue infirmation de l’exercice initial de son pouvoir discrétionnaire, je ne peux pas considérer que, dans sa lettre du 3 octobre 1991, le ministre a infirmé validement l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en promettant au Centre de modifier son permis pour qu’il soit conforme à la réalité, une fois qu’il aurait déménagé à Montréal.
112 Dans l’arrêt Comeau’s Sea Foods Ltd. c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), [1997] 1 R.C.S. 12, notre Cour a reconnu le caractère constant du pouvoir discrétionnaire d’un ministre, statuant que le fait que la Loi sur les pêches prévoyait que le ministre pouvait « à discrétion » délivrer ou autoriser la délivrance d’un permis de pêche signifiait également qu’il pouvait révoquer cette autorisation avant la délivrance réelle du permis. Dans cet arrêt, le juge Major affirme, au par. 43 :
Le pouvoir de délivrer un permis, une fois exercé dans une affaire, est épuisé et la délivrance ne peut être révisée ou révoquée qu’aux conditions particulières énoncées à l’art. 9. Toutefois, le pouvoir d’autoriser est un pouvoir constant [. . .] Je ne pense pas que l’autorisation de délivrer un permis ait conféré à l’appelante un droit irrévocable à un permis. Jusqu’à ce que le permis soit délivré, il n’y a pas de permis et, par conséquent, aucune permission de faire ce qui est par ailleurs interdit, à savoir pêcher le homard en haute mer. Tant et aussi longtemps que le permis n’est pas délivré, le Ministre peut, aux fins d’appliquer la politique du gouvernement, réévaluer sa décision initiale d’autoriser le permis et revenir sur celle‑ci. Jusqu’à ce qu’il ait effectivement délivré le permis, le Ministre avait le pouvoir constant soit de revenir sur sa décision antérieure d’autoriser, soit de délivrer le permis . . .
J’estime que cette affaire — et la conclusion qui y est tirée — peut facilement être distinguée de la présente affaire.
113 La Loi sur les pêches, L.R.C. 1985, ch. F-14, établissait un processus en deux étapes consistant d’abord à autoriser et ensuite à délivrer les permis. Dans Comeau’s Sea Foods, le ministère avait envoyé par télex à la requérante une copie de la décision d’autoriser la délivrance des permis. Les faits de cette affaire indiquent cependant que la requérante n’avait pas demandé que les permis autorisés soient délivrés, et la preuve révèle qu’ils l’auraient été si elle en avait fait la demande avant que le ministère change sa politique en exigeant désormais que la délivrance des permis soit assujettie à l’autorisation expresse du sous-ministre adjoint en raison des pressions politiques entourant la pêche du homard. Comme l’a précisé le juge Major, au par. 50 : « Dans la plupart des cas, on s’attendrait à ce que la délivrance d’un permis suive de près son autorisation. Toutefois, l’intervalle qui sépare les deux permet au Ministre d’évaluer son autorisation en fonction de la politique du gouvernement ou d’un changement de circonstances. » Dans cette affaire, un changement légitime de politique gouvernementale avait amené le ministre à réévaluer la délivrance des permis, et il avait ainsi exercé son pouvoir discrétionnaire dans le délai prescrit à cette fin par la loi en cause.
114 Dans la présente affaire, l’ancienne loi n’est pas conçue de la même manière. Comme le juge Major l’a reconnu dans l’arrêt Comeau’s Sea Foods, la question de savoir si le pouvoir peut être exercé une seule ou plusieurs fois est une question d’interprétation (précité, par. 44, où il cite S.T.C. c. Canada (Procureur général), [1989] 1 C.F. 643 (1re inst.), p. 652). La mesure législative dont il est question en l’espèce ne fait pas appel aux étapes de l’autorisation et de la délivrance. L’article 138 concerne la délivrance des permis ou les modifications apportées aux permis existants, alors que l’art. 139.1 porte sur le renouvellement des permis. Par conséquent, contrairement à ce qui se produit sous le régime de la Loi sur les pêches, le ministre ne dispose d’aucun délai pour changer d’idée. De plus, même si le ministre avait disposé d’un tel pouvoir sur la base de pouvoirs discrétionnaires généraux, il reste que le refus qu’il a prononcé en l’espèce ne constituait pas un exercice valide de son pouvoir discrétionnaire. La préoccupation d’intérêt général invoquée dans le refus du 3 octobre 1991 n’était ni équitable ni appropriée étant donné que le ministre continuait de financer les services de courte durée offerts par le Centre et que, dans ses rapports avec les autres, il considérait le Centre comme un établissement de soins de longue et de courte durée. Une préoccupation d’intérêt général invoquée dans de tels cas doit être légitime. Elle doit à tout le moins être conforme à la réalité. Le ministre ne peut pas promettre au Centre de délivrer le permis modifié après le déménagement à Montréal, refuser de délivrer le permis et ensuite continuer à traiter le Centre comme si le permis avait effectivement été délivré. Vu qu’il a décidé qu’il était dans l’intérêt public que le Centre offre des soins de longue et de courte durée et qu’il a continué d’avoir cette perception même après le déménagement, le ministre doit délivrer le permis pour la période 1991-1993.
D. Quelles sont les obligations subséquentes du ministre?
115 Comme je l’ai dit précédemment, le ministre doit reconnaître la vocation du Centre en tant qu’établissement de soins de longue et de courte durée en délivrant le permis modifié pour la période 1991-1993. Le Centre sera ainsi considéré, en vertu de l’art. 126 de la nouvelle loi, comme « un établissement qui exploite à la fois un centre d’hébergement et de soins de longue durée et un centre hospitalier de soins généraux et spécialisés de 50 lits ou plus ». À ce titre, il aura droit à son propre conseil d’administration. L’élection du conseil d’administration unifié antérieur doit donc être annulée.
116 Si le ministre veut modifier la catégorie, la classe, le type ou la capacité indiqués au permis (de manière notamment à faire de l’établissement en cause un centre d’hébergement et de soins de longue durée seulement), cela devra effectivement se refléter dans les activités autorisées du Centre et dans le financement de ces activités par le gouvernement. Si le ministre choisit d’agir ainsi, il devra :
a. consulter le Centre et lui donner l’occasion de faire des représentations, conformément à l’art. 442.1 de la nouvelle loi;
b. veiller à ce que son examen de ce que « l’intérêt public [. . .] justifie » aux termes de l’art. 442.1 de la nouvelle loi soit fondé sur des préoccupations d’intérêt général valides et légitimes qui soient invoquées équitablement et qui soient conformes à la réalité.
En d’autres termes, le gouvernement ne peut pas invoquer une vague préoccupation relative au financement pour changer le permis en permis de soins de longue durée et pour ensuite continuer à traiter le Centre comme un établissement de soins mixtes. Toute modification de la nature du permis du Centre ainsi que tout effet subséquent sur sa capacité de posséder son propre conseil d’administration doivent être justifiés par un changement réel de politique gouvernementale faisant suite à une décision que ces soins de courte durée ne servent plus ni leurs fins particulières ni l’intérêt public.
117 Je suis d’avis que, lorsque le ministre n’agit pas conformément à l’exercice antérieur de son pouvoir discrétionnaire, les conditions de délivrance d’une ordonnance de mandamus sont remplies; voir Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 C.F. 742 (C.A.), conf. par [1994] 3 R.C.S. 1100. Même si l’art. 100 du Code de procédure civile, L.R.Q., ch. C-25, prévoit qu’en général il n’y a lieu à aucun recours extraordinaire contre l’État, cette règle ne s’applique pas dans les cas où un ministre outrepasse les limites de sa compétence comme c’est le cas en l’espèce; voir D. Ferland et B. Emery, Précis de procédure civile du Québec (3e éd. 1997), vol. 1, p. 162-163; P. A. Gendreau et autres, L’injonction (1998), par. 194-195; Morin c. Driscoll College Inc., [1979] R.P. 198 (C.A.); Procureur général de la province de Québec c. Laurendeau, [1985] R.D.J. 513 (C.A.); Charles Bentley Nursing Home Inc. c. Ministre des Affaires sociales, [1978] C.S. 30.
V. Dispositif
118 Pour ces motifs, je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens et d’ordonner au ministre de délivrer le permis sollicité, conformément à l’art. 844 du Code de procédure civile.
Pourvoi rejeté avec dépens.
Procureurs de l’appelant : Bernard, Roy & Associés, Montréal.
Procureurs des intimés le Centre hospitalier Mont‑Sinaï et Elliot L. Bier et autres : Adessky, Poulin, Montréal.