R. c. Molodowic, [2000] 1 R.C.S. 420
Aaron Joseph Molodowic Appelant
c.
Sa Majesté la Reine Intimée
et
Le procureur général du Canada,
le procureur général de l’Ontario,
le procureur général du Québec,
la Criminal Lawyers’ Association (Ontario),
l’Innocence Project, l’Association in Defence
of the Wrongly Convicted et
la Criminal Trial Lawyers Association of Alberta Intervenants
Répertorié: R. c. Molodowic
Référence neutre: 2000 CSC 16.
No du greffe: 26645.
1999: 5, 6 octobre; 2000: 13 avril.
Présents: Le juge en chef Lamer* et les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier, McLachlin, Iacobucci, Major, Bastarache, Binnie et Arbour.
en appel de la cour d’appel du manitoba
Droit criminel -- Appels -- Cour suprême -- Question de droit -- Le caractère raisonnable d’un verdict soulève-t-il une question de droit au sens des art. 691(1) et 693(1) du Code criminel? -- Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 691(1), 693(1).
Droit criminel -- Caractère raisonnable du verdict -- Norme de contrôle -- Norme de contrôle applicable par le tribunal qui procède à l’examen du caractère raisonnable d’un verdict -- L’arrêt Yebes devrait-il être confirmé de nouveau? -- Le verdict était-il déraisonnable? -- Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 686(1)a)(i).
L’accusé est atteint de graves troubles mentaux: on a diagnostiqué chez lui une schizophrénie paranoïde. Après avoir tué d’un coup de feu son grand-père, l’accusé s’est rendu chez une amie et a dit au père de cette dernière qu’il venait d’abattre son grand‑père et qu’il fallait alerter la police. L’accusé a été arrêté et, après avoir été dûment informé de ses droits, il a fait une déclaration à la police. Il a subi son procès pour meurtre au deuxième degré devant un juge et un jury. L’accusé a principalement invoqué comme moyen de défense le fait qu’il était atteint de troubles mentaux. Avant le procès, il a subi deux évaluations psychiatriques; les deux médecins ont témoigné que l’acte accompli par l’accusé en abattant son grand‑père cadrait avec les troubles mentaux qui l’avaient amené à croire qu’il s’agissait pour lui de la seule façon de mettre fin à ses tourments. En outre, les deux médecins étaient d’accord pour dire que l’accusé était incapable, à l’époque pertinente, de se rendre compte que ses actes étaient moralement répréhensibles. Le ministère public n’a fait témoigner aucun expert pour réfuter leur témoignage, mais en contre‑interrogatoire, il a contesté la preuve d’expert et a réussi à obtenir un certain nombre d’aveux et de concessions. L’accusé a été déclaré coupable de meurtre au deuxième degré. La Cour d’appel à la majorité a rejeté son appel. La seule question qui a été soulevée dans le présent pourvoi était de savoir si le verdict était déraisonnable relativement à l’incidence de la maladie de l’accusé sur sa responsabilité criminelle.
Arrêt: Le pourvoi est accueilli.
Les principes juridiques et le critère qu’il convient d’appliquer pour apprécier le caractère raisonnable d’un verdict ont été énoncés dans R. c. Biniaris, [2000] 1 R.C.S. 381, 2000 CSC 15.
Compte tenu de son expérience concernant les effets des troubles mentaux sur la responsabilité criminelle, du genre de preuve disponible pour en établir l’existence et du scepticisme injustifié dont on peut faire preuve à l’égard d’un accusé qui invoque des troubles mentaux comme moyen de défense, la Cour d’appel aurait dû craindre que le verdict prononcé, en l’espèce, par le jury ne soit déraisonnable et ne repose pas sur la preuve. Un examen minutieux et approfondi du dossier confirme qu’une telle crainte était justifiée. Outre la preuve psychiatrique, les déclarations que l’accusé a faites à la police et, auparavant, au père de son amie, qu’il avait informé du meurtre et à qui il avait demandé d’alerter la police, ne sont pas incompatibles avec les conclusions des experts, pas plus que ne l’est le comportement de l’accusé au moment où il a commis l’infraction. Il n’est pas nécessairement facile pour un jury d’accepter tout bonnement qu’un accusé qui sait ce qu’il fait et qui sait qu’il est en train de commettre un crime puisse néanmoins croire sincèrement que sa conduite ne suscitera pas la réprobation morale de membres raisonnables de la société. La défense a établi que c’est ce qui s’est produit et, compte tenu de la preuve soumise au procès, il était déraisonnable de conclure le contraire.
Jurisprudence
Arrêts suivis: R. c. Biniaris, [2000] 1 R.C.S. 381, 2000 CSC 15; R. c. Yebes, [1987] 2 R.C.S. 168; arrêts mentionnés: R. c. A.G., [2000] 1 R.C.S. 439, 2000 CSC 17; R. c. Ratti, [1991] 1 R.C.S. 68; R. c. Lavallee, [1990] 1 R.C.S. 852; R. c. Mailloux (1985), 25 C.C.C. (3d) 171, conf. par [1988] 2 R.C.S. 1029; R. c. Kelly (1971), 6 C.C.C. (2d) 186; Addington c. Texas, 441 U.S. 418 (1979); Re Robinson and Hislop (1980), 114 D.L.R. (3d) 620; Re Hoskins and Hislop (1981), 121 D.L.R. (3d) 337; R. c. Carleton (1981), 32 A.R. 181.
Lois et règlements cités
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 16 [abr. & rempl. 1991, ch. 43, art. 2], 672.45 [aj. idem, art. 4], 686(1)a) [mod. 1991, ch. 43, art. 9 (ann., art. 8)], 691 [mod. ch. 34 (3e suppl.), art. 10; mod. 1997, ch. 18, art. 99], 693 [mod. ch. 27 (1er suppl.), art. 146; ch. 34 (3e suppl.), art. 12].
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Manitoba (1998), 126 Man. R. (2d) 241, 167 W.A.C. 241, [1998] M.J. No. 247 (QL), qui a rejeté l’appel de l’accusé contre sa déclaration de culpabilité de meurtre au deuxième degré. Pourvoi accueilli.
G. Greg Brodsky, c.r., pour l’appelant.
Sheilla Leinburd, pour l’intimée.
Robert J. Frater et Morris Pistyner, pour l’intervenant le procureur général du Canada.
Robert Kelly, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.
Carole Lebeuf et Maurice Galarneau, pour l’intervenant le procureur général du Québec.
Frank R. Addario, pour l’intervenante la Criminal Lawyers’ Association (Ontario).
Marlys A. Edwardh, pour l’intervenant l’Innocence Project.
Melvyn Green, pour l’intervenante l’Association in Defence of the Wrongly Convicted.
Argumentation écrite seulement par Marvin R. Bloos, pour l’intervenante la Criminal Trial Lawyers Association of Alberta.
Version française du jugement de la Cour rendu par
Le juge Arbour —
I. Introduction
1 Le présent pourvoi a été entendu en même temps que les pourvois R. c. Biniaris, [2000] 1 R.C.S. 381, 2000 CSC 15, et R. c. A.G., [2000] 1 R.C.S. 439, 2000 CSC 17. Dans cette trilogie, la Cour était invitée à revenir sur son arrêt R. c. Yebes, [1987] 2 R.C.S. 168, et, en particulier, à trancher deux questions d’application générale. Il s’agissait, premièrement, de savoir si le caractère raisonnable d’un verdict soulève une question de droit au sens des art. 691 et 693 du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, de manière à autoriser un pourvoi devant notre Cour contre une décision d’une cour d’appel provinciale, et deuxièmement, de savoir quelle norme de contrôle doit être appliquée par le tribunal qui procède à l’examen du caractère raisonnable d’un verdict. J’ai conclu dans l’arrêt Biniaris que l’arrêt Yebes devait être confirmé de nouveau. Une dissidence sur la question de savoir si le verdict était raisonnable est une dissidence sur une question de droit, peu importe qu’elle repose sur la formulation du critère applicable ou sur l’application de ce critère aux circonstances particulières de l’affaire. Le critère qui doit être appliqué est celui de savoir «si le verdict est l’un de ceux qu’un jury qui a reçu les directives appropriées et qui agit d’une manière judiciaire aurait pu raisonnablement rendre» (Yebes, précité, à la p. 185). En se livrant à l’exercice prescrit pas le sous‑al. 686(1)a)(i) du Code criminel, le tribunal d’examen doit réexaminer la preuve en profondeur et mettre à profit toute son expérience pour déterminer si, compte tenu de l’ensemble de la preuve, le verdict était raisonnable. Le verdict sera inévitablement un verdict que le jury pouvait rendre, en ce sens que le juge du procès n’a commis aucune erreur de droit en le laissant à l’appréciation du jury. En outre, il ne suffit pas que le juge qui procède à l’examen ait simplement une perception de la preuve différente de celle du jury. La cour d’appel doit, pour écarter le verdict, expliquer ce qui l’incite à conclure qu’il n’est pas conforme aux exigences d’une appréciation judiciaire de la preuve. C’est ce qui doit être fait dans la présente affaire.
II. Les faits
2 Les faits ne sont pas contestés. Le 29 août 1995, l’appelant Molodowic a tué son grand‑père. En pleine nuit, il a quitté sa demeure à MacGregor (Manitoba) pour se rendre à la ferme de son grand‑père, huit milles plus loin. Chemin faisant, il a garé son véhicule pour charger sa carabine semi‑automatique de calibre 7.62. À son arrivée, il a fait feu en direction de son grand‑père, l’atteignant deux fois à la poitrine. Il est ensuite retourné à MacGregor, s’est rendu chez une amie et a dit au père de cette dernière qu’il venait d’abattre son grand‑père et qu’il fallait alerter la police. Moins d’une heure après le meurtre, l’appelant a été arrêté et, après avoir été dûment informé de ses droits, il a fait une déclaration à la police.
3 L’appelant est atteint de graves troubles mentaux. Il avait bu la nuit du meurtre. L’appelant a subi son procès pour meurtre au deuxième degré devant le juge Menzies et un jury. Il a soutenu, en invoquant le témoignage d’expert de deux psychiatres, qu’il était non responsable criminellement pour cause de troubles mentaux. Il a invoqué l’ivresse comme moyen de défense subsidiaire.
4 Dans son exposé, le juge Menzies a dit aux jurés qu’ils étaient en droit d’accepter ou de rejeter, en totalité ou en partie, la preuve d’expert. L’appelant a été déclaré coupable de meurtre au deuxième degré et condamné à une peine d’emprisonnement à perpétuité, sans possibilité de bénéficier de la libération conditionnelle avant 10 ans. La Cour d’appel a rejeté l’appel, le juge Huband étant dissident. La seule question que la Cour d’appel a examinée, et la seule dont notre Cour a été saisie, était de savoir si le verdict était déraisonnable relativement à l’incidence de la maladie de l’appelant sur sa responsabilité criminelle.
III. Les dispositions législatives pertinentes
5 Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46
16. (1) La responsabilité criminelle d’une personne n’est pas engagée à l’égard d’un acte ou d’une omission de sa part survenu alors qu’elle était atteinte de troubles mentaux qui la rendaient incapable de juger de la nature et de la qualité de l’acte ou de l’omission, ou de savoir que l’acte ou l’omission était mauvais.
(2) Chacun est présumé ne pas avoir été atteint de troubles mentaux de nature à ne pas engager sa responsabilité criminelle sous le régime du paragraphe (1); cette présomption peut toutefois être renversée, la preuve des troubles mentaux se faisant par prépondérance des probabilités.
(3) La partie qui entend démontrer que l’accusé était affecté de troubles mentaux de nature à ne pas engager sa responsabilité criminelle a la charge de le prouver.
. . .
686. (1) Lors de l’audition d’un appel d’une déclaration de culpabilité ou d’un verdict d’inaptitude à subir son procès ou de non‑responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux, la cour d’appel:
a) peut admettre l’appel, si elle est d’avis, selon le cas:
(i) que le verdict devrait être rejeté pour le motif qu’il est déraisonnable ou ne peut pas s’appuyer sur la preuve,
(ii) que le jugement du tribunal de première instance devrait être écarté pour le motif qu’il constitue une décision erronée sur une question de droit,
(iii) que, pour un motif quelconque, il y a eu erreur judiciaire;
IV. Les principes généraux
6 Au procès, on a reconnu que l’appelant était conscient de la nature et de la qualité de ses actes, en ce sens qu’il comprenait qu’il était en train de causer le décès de son grand‑père, et qu’il savait que cela était contraire à la loi. Cependant, aux termes de l’art. 16 du Code criminel, l’appelant avait le droit d’être jugé non responsable criminellement du meurtre s’il pouvait établir, selon la prépondérance des probabilités, que ses troubles mentaux le rendaient incapable de savoir que l’acte accompli était moralement répréhensible. L’avocat de la défense s’est fondé sur le témoignage de deux psychiatres, les Drs Harold Shane et Stanley Yaren, pour établir que l’appelant ignorait que ce qu’il faisait était moralement répréhensible lorsqu’il a tué son grand‑père. Telle est la question précise dont le jury était saisi.
7 Dans l’arrêt R. c. Ratti, [1991] 1 R.C.S. 68, à la p. 80, notre Cour a conclu qu’un acte ou une omission est «mauvais», au sens de l’art. 16, lorsque cet acte ou cette omission «dans les circonstances particulières aurait été moralement réprouvé par des membres raisonnables de la société» (souligné dans l’original). Pour décider si l’accusé était conscient ou non que ses actes étaient moralement répréhensibles, le jury n’est pas «lié par les témoignages des psychiatres et [. . .] leur valeur probante [doit] être appréciée de la même manière que tout autre témoignage» (Ratti, précité, à la p. 81). En outre, lorsqu’il apprécie une preuve d’expert, le jury a le droit d’examiner les fondements factuels de l’opinion exprimée et d’accorder moins d’importance à cette opinion si elle ne repose pas sur des faits établis au procès ou si elle est fondée sur des hypothèses factuelles auxquelles il ne souscrit pas, ou les deux à la fois. Voir R. c. Lavallee, [1990] 1 R.C.S. 852, aux pp. 896 et 897, et Ratti, précité, à la p. 81.
8 Le jury peut donc rejeter l’opinion d’experts, même lorsque leur témoignage est unanime et n’est pas contredit par celui d’autres experts. Par exemple, dans l’arrêt R. c. Mailloux (1985), 25 C.C.C. (3d) 171, la Cour d’appel de l’Ontario était saisie d’un verdict qui rejetait une preuve d’expert apparemment non contredite. Le juge Lacourcière a affirmé, au nom de la cour, à la p. 177:
[traduction] Notre cour n’a pas le loisir de tirer sa propre conclusion sur la question de l’aliénation mentale et, par le fait même, de ne pas tenir compte du verdict prononcé par le jury. Pour ce qui est de la présomption légale que chacun est sain d’esprit, nous ne devrions annuler le verdict d’un jury que si, après avoir examiné l’ensemble de la preuve, nous sommes convaincus qu’un jury agissant judiciairement et ayant reçu des directives appropriées ne l’aurait pas rendu . . .
Cependant, il doit y avoir un fondement rationnel dans la preuve pour que le jury puisse raisonnablement rejeter l’opinion des experts. Dans l’arrêt Mailloux, deux éminents psychiatres légistes s’étaient dit d’avis que l’appelant était atteint de paranoïa bien avant la fusillade. Le juge Lacourcière a résumé de façon plus précise le contenu de leur témoignage, à la p. 173:
[traduction] Les deux psychiatres ont témoigné que, parce qu’à l’époque pertinente il était en proie à des hallucinations psychotiques, l’[accusé] ne pouvait pas juger de la nature et de la qualité de ses actes ni savoir qu’ils étaient mauvais. Ils étaient également d’accord pour dire que l’[accusé] était incapable de former l’intention spécifique requise pour commettre un meurtre. Cependant, les opinions qu’ils ont exprimées au cours de leur interrogatoire principal ont grandement été nuancées et diluées par le témoignage qu’ils ont fait en contre‑interrogatoire et que le jury a manifestement retenu, voulant que l’[accusé] ait su qu’en appuyant sur la gâchette il y aurait un coup de feu, et qu’il ait également été en mesure de juger de la nature et de la qualité de cet acte et de comprendre les conséquences physiques immédiates qui en découleraient, c’est‑à‑dire qu’une personne serait tuée. En particulier, le Dr Orchard a reconnu en contre‑interrogatoire que l’[accusé] était d’abord capable de savoir qu’il s’agissait d’un acte mauvais, et qu’il était aussi capable de former l’intention spécifique de tuer.
9 L’appelant a soutenu que le verdict de meurtre était déraisonnable compte tenu à la fois des opinions non contredites des psychiatres et de la preuve de toxicomanie, de l’absence de mobile et de la nature étrange de son comportement avant et après la fusillade. La Cour d’appel n’a pas retenu cet argument et a conclu, à la p. 177:
[traduction] Pour ce qui est d’abord du pouvoir de substituer un verdict que nous confère l’al. 613(1)d), il y avait certainement assez d’éléments de preuve pour permettre au jury de prononcer régulièrement un verdict de non‑culpabilité pour cause d’aliénation mentale. Nous sommes cependant convaincus que la preuve pouvait aussi raisonnablement appuyer la conclusion du jury, étant donné l’opinion qu’il s’en était faite, que l’accusé n’avait pas réussi à démontrer, selon la prépondérance des probabilités, l’existence de l’aliénation mentale invoquée comme moyen de défense.
L’arrêt Mailloux, précité, a été confirmé par notre Cour (voir R. c. Mailloux, [1988] 2 R.C.S. 1029). Le juge Lamer (plus tard Juge en chef) a dit, à la p. 1044:
Techniquement parlant, le jury a conclu que l’accusé n’avait pas réfuté par la prépondérance de la preuve la présomption qu’il était sain d’esprit au moment de commettre les meurtres. Compte tenu de la preuve soumise, je partage la décision de la Cour d’appel portant qu’il existait des éléments de preuve appuyant la conclusion du jury et qu’à cet égard le verdict n’était pas déraisonnable.
10 Une bonne compréhension et appréciation d’une opinion d’expert joue souvent un rôle crucial pour ce qui est de déterminer s’il y a lieu de déclarer l’accusé non coupable pour cause de troubles mentaux. Le fait que le ministère public ne fasse pas réfuter par un expert la preuve psychiatrique d’un accusé n’est pas suffisant en soi pour conclure qu’un verdict de culpabilité est déraisonnable si le jury pouvait raisonnablement tirer cette conclusion d’après l’ensemble de la preuve. Cependant, il peut être déraisonnable qu’un jury ne tienne pas compte de la preuve d’expert qui lui est soumise, particulièrement lorsque les experts appelés à témoigner étaient tous du même avis, que leur témoignage n’a pas été [traduction] «contredit ni sérieusement contesté» (R. c. Kelly (1971), 6 C.C.C. (2d) 186 (C.A. Ont.), à la p. 186) et que [traduction] «la façon dont le crime a été commis ne met pas sérieusement en doute la validité de la conclusion des psychiatres» (Kelly, à la p. 186). De plus, l’examen en appel du caractère raisonnable des conclusions du jury doit être fait en fonction de la norme énoncée dans l’arrêt Biniaris, précité.
V. Analyse et application au présent pourvoi
11 Comme nous l’avons vu, tous s’accordent pour dire que la question litigieuse est très circonscrite. Il est évident que l’appelant est atteint de graves troubles mentaux; on a diagnostiqué chez lui une schizophrénie paranoïde. Il a avoué que, lorsqu’il a tué son grand‑père, il savait que ce qu’il faisait était légalement répréhensible et qu’il serait puni pour son geste, ce qui concorde avec l’opinion des experts. La seule question que devait trancher le jury, sur laquelle les juges de la Cour d’appel étaient divisés, était de savoir s’il pouvait raisonnablement conclure, d’après l’ensemble de la preuve, que l’appelant comprenait également que ce qu’il faisait était moralement répréhensible, de sorte que sa responsabilité criminelle était pleinement engagée. Cette question doit être résolue en grande partie, mais non exclusivement, en fonction de la preuve d’expert des deux psychiatres qui ont témoigné au procès.
12 Le juge du procès a eu raison de dire au jury qu’il n’était pas tenu d’accepter ces témoignages, mais qu’il devait les apprécier en fonction de l’ensemble de la preuve produite et qu’il avait le droit de tirer sa propre conclusion, même si elle était contraire à celle des experts. Les juges majoritaires de la Cour d’appel ont conclu qu’il n’était pas déraisonnable que le jury prononce une déclaration de culpabilité, étant donné qu’il [traduction] «avait le droit de rendre le verdict qu’il a rendu» ((1998), 126 Man. R. (2d) 241, à la p. 244), que l’on soit d’accord ou non avec ce verdict. Le juge Huband, dissident, a examiné tous les éléments de preuve portant sur la question centrale de savoir si l’appelant était conscient que tuer son grand‑père était moralement répréhensible. Il a approuvé les directives du juge du procès, selon lesquelles le jury n’était pas tenu d’accepter l’opinion incontestée des experts, mais il a ajouté (à la p. 252):
[traduction] . . . il faut examiner [l]es directives du [juge du procès] dans le contexte de la preuve soumise au jury. Il n’est pas nécessaire d’accepter les opinions d’expert des Drs Yaren et Shane s’il y a une raison de les rejeter, du fait qu’on peut discerner une lacune dans leur raisonnement, que leur opinion repose sur un fondement factuel trop fragile ou qu’elle contredit les déductions qui pourraient logiquement être faites d’autres éléments de preuve.
On pourrait émettre des réserves légitimes au sujet de l’opinion même du Dr Shane, mais je ne vois aucune raison de rejeter celle du Dr Yaren. Le Dr Yaren a, au départ, la crédibilité d’un témoin véritablement indépendant. Il a acquis une expérience considérable dans ce domaine. Il est entouré d’associés qualifiés qui peuvent l’aider à poser un diagnostic et à formuler une opinion sur la culpabilité ou l’innocence de l’accusé. Son opinion concorde parfaitement avec la preuve du comportement de l’accusé au cours des mois et des semaines qui ont précédé la fusillade. Elle concorde aussi avec le comportement de l’accusé, la nuit du meurtre, selon la description qu’en ont donnée d’autres personnes et l’accusé lui‑même dans sa déclaration à la police.
Le rejet de tous ces éléments de preuve était, à mon avis, déraisonnable et ouvre la porte à une intervention en appel. Je suis d’avis d’annuler le verdict pour le motif qu’il est déraisonnable et ne peut pas s’appuyer sur la preuve, et d’y substituer un verdict de non-responsabilité criminelle de l’accusé pour cause de troubles mentaux.
Je suis d’accord avec les conclusions qui précèdent, et il me suffit de traiter brièvement les motifs du juge Huband.
13 Il s’agit, à mon avis, d’un cas où la cour doit appliquer toute son expérience pour évaluer le caractère raisonnable, sur le plan juridique, de la conclusion à laquelle le jury est parvenu. Il y a un danger réel, qui s’est concrétisé dans la présente affaire, qu’un jury soit trop sceptique sur un «moyen de défense» qui est souvent perçu comme facile à fabriquer et difficile à réfuter. Cela est particulièrement vrai lorsque les actes de l’accusé comportent une large mesure de rationalité, comme c’est le cas dans une affaire comme celle dont nous sommes saisis, où l’on reconnaît que l’appelant savait ce qu’il faisait et se rendait compte que ses actes étaient illégaux. Le danger est d’autant plus grand que les déclarations de l’appelant peu après le meurtre et, en particulier, ses réponses aux questions de la police le présentent sous un jour des plus défavorables. Les innombrables obscénités qu’elles contiennent font qu’il est difficile de ne pas avoir l’impression que l’accusé est un tueur impitoyable, cruel et sans remords. En outre, elles confirment que l’appelant comprenait que tuer son grand‑père était légalement répréhensible. Elles peuvent également être perçues comme un signe que l’appelant éprouvait une haine profonde pour son grand‑père, et comme une explication sensée et rationnelle de la raison pour laquelle il avait voulu tuer cet homme qu’il décrit comme son bourreau. Cependant, ces déclarations révèlent aussi un esprit très troublé. Voici ce qu’en dit le juge Huband (aux pp. 245 et 246):
[traduction] On exagère à peine en disant que chaque phrase de la déclaration de l’accusé est truffée de paroles grossières. [. . .] Toutefois, au‑delà de toutes les obscénités qu’elle contient, la déclaration de l’appelant révèle une personnalité profondément troublée. Au départ, il était très agressif — interrompant le policier en lui lançant des obscénités au moment où ce dernier tentait de l’informer de ses droits en vertu de la Charte. Mais, quand il a été informé de son droit à un avocat, il a fondu en larmes et a demandé que l’on communique avec sa sœur. Les policiers l’ont alors assuré qu’ils allaient tenter de communiquer avec elle.
On demande à l’accusé:
“Q. Pouvez‑vous nous dire ce qui est arrivé ce matin?
R. Crisse, je suis allé le tirer parce qu’il me tourmentait en ostie.
Q. Tirer qui?
R. Personne ne peut rien me dire de toute façon, alors, je suis allé tirer mon grand‑père. L’enfant de chienne, il n’arrêtait pas de me tourmenter, crisse. Il vous le dirait s’il était en vie, câlice. Mais comme il est mort, il ne vous dira rien du tout, point final. De toute façon, qu’est‑ce que vous pouvez dire, crisse?”
14 Après avoir décrit comment il avait tué d’un coup de feu son grand‑père, l’appelant a expliqué que l’arme dont il s’était servi était une carabine que son grand‑père avait donnée à son frère, qui s’était suicidé environ une année auparavant. Cela aurait également pu être perçu comme un motif raisonnable de commettre le meurtre, mais là encore, comme l’a souligné le juge Huband, outre les déclarations dans lesquelles l’appelant accuse son grand‑père de l’avoir tourmenté, rien dans la preuve n’indique que ces tourments étaient autre chose que le fruit de son imagination. Lorsque la police lui a demandé directement pourquoi il détestait tant son grand‑père, l’accusé a donné une réponse plutôt incohérente: [traduction] «[I]l ne me tape pas vraiment sur les nerfs. Il dit des choses, crisse, tu vois ce que je veux dire. Câlice -- je sais pas moi».
15 L’appréciation de l’importance du témoignage des psychiatres doit être réaliste et raisonnable. Le témoignage d’expert, que ce soit dans le domaine de la psychiatrie ou dans un autre domaine, n’apporte pas toujours une réponse décisive aux questions de fait soulevées dans le cadre d’une action en justice. Dans l’arrêt Addington c. Texas, 441 U.S. 418 (1979), la Cour suprême des États-Unis a affirmé ce qui suit, en décidant qu’il ne convenait pas d’appliquer la norme «hors de tout doute raisonnable» dans des procédures civiles d’internement (à la p. 430):
[traduction] Les subtilités et les nuances du diagnostic d’un psychiatre rendent les certitudes quasiment impossibles dans la plupart des cas. L’efficacité de la norme du doute raisonnable en droit criminel découle du fait qu’elle vise des faits précis et connaissables. Par contre, le diagnostic d’un psychiatre repose, dans une large mesure, sur des «impressions» médicales émanant d’une analyse subjective et passées au crible de l’expérience de l’auteur du diagnostic. Ce processus fait souvent en sorte qu’il est très difficile pour le médecin expert de tirer des conclusions précises au sujet d’un patient donné.
Voir Re Robinson and Hislop (1980), 114 D.L.R. (3d) 620 (C.S.C.-B.), à la p. 629; Re Hoskins and Hislop (1981), 121 D.L.R. (3d) 337 (C.S.C.-B.), à la p. 342; R. c. Carleton (1981), 32 A.R. 181 (C.A.), à la p. 199. Il faut garder à l’esprit la nature et les limites de la compétence d’un psychiatre en décidant si l’appelant s’est acquitté de son obligation d’établir, selon la prépondérance des probabilités et essentiellement par une preuve d’expert, l’existence de troubles mentaux comme moyen de défense.
16 L’appelant a subi deux évaluations psychiatriques. Onze jours après le meurtre, le Dr Shane, un psychiatre de secteur privé dont les services avaient été retenus par l’avocat de la défense, s’est entretenu avec l’appelant pendant trois à cinq heures. Environ neuf mois plus tard, l’appelant a été confié pour une période indéterminée aux soins du Dr Yaren, le directeur des Services de psychiatrie légale du Centre des sciences de la santé de Winnipeg, afin de subir une évaluation ordonnée par la cour. À la lumière principalement de son entretien avec l’appelant, des renseignements fournis par des membres de la famille de l’appelant au sujet de son comportement au cours des mois ayant précédé la fusillade, et de la déclaration de l’appelant à la police, le Dr Shane s’est dit d’avis que l’appelant avait été en proie à des hallucinations psychotiques du genre «idées délirantes de persécution» pendant au moins deux mois avant le meurtre. À son avis, il était possible, quoique fort improbable, que l’appelant ait été en mesure de juger de la qualité morale de ses actes quand il a tué son grand‑père.
17 De même, le Dr Yaren était d’avis qu’il était [traduction] «fort probable» que l’appelant ait été incapable de se rendre compte que ses actes étaient mauvais. Compte tenu de ses entretiens avec l’appelant, des résultats des tests psychologiques effectuées au Centre des sciences de la santé, des dossiers relatifs aux trois jours que l’appelant avait passés au Centre de santé mentale de Brandon en août 1995, des entretiens qu’il avait eus avec des membres de la famille de l’appelant, et de la déclaration que ce dernier avait faite à la police, il a déterminé que l’appelant souffrait de schizophrénie paranoïde caractérisée, un grave trouble mental, environ deux mois avant la fusillade. Même si leurs diagnostics précis différaient, les Drs Shane et Yaren s’entendaient pour dire qu’ils étaient très compatibles. Les maladies mentales diagnostiquées avaient en commun des symptômes clés, dont des hallucinations visuelles et auditives qui, jointes à des idées délirantes de persécution, affaiblissent considérablement la perception de la réalité qu’a la personne qui en est atteinte. En outre, les deux médecins étaient d’avis que l’acte accompli par l’appelant en abattant son grand‑père cadrait avec les troubles mentaux qui l’avaient amené à croire qu’il s’agissait pour lui de la seule façon de mettre fin à ses tourments.
18 Le ministère public n’a fait témoigner aucun expert pour réfuter le témoignage des Drs Shane et Yaren. Cependant, en contre‑interrogatoire, il a contesté la preuve d’expert et a réussi à obtenir un certain nombre d’aveux et de concessions. Les juges majoritaires de la Cour d’appel se sont grandement fondés sur ces aveux et concessions pour conclure que le verdict du jury était raisonnable. À mon avis, ils ont fait fausse route. Avant d’apprécier la valeur et notamment la crédibilité d’une preuve d’expert, il importe d’en qualifier correctement l’essentiel.
19 Le témoignage du Dr Shane était particulièrement problématique et n’aurait peut‑être pas été suffisant pour convaincre, selon la prépondérance des probabilités, un jury raisonnable, ayant reçu des directives appropriées, que l’appelant ignorait, à l’époque pertinente, que tuer son grand-père était mauvais. Le Dr Shane a reconnu que, comme l’appelant n’avait tout au plus qu’un vague souvenir de ce qui s’était passé, il était très difficile de déterminer quel était son état d’esprit à ce moment-là. Il a également parlé, de façon quelque peu embrouillée, du lien qui existait entre la psychose de l’appelant et le fait qu’il était en état d’ébriété au moment où il a fait feu sur son grand‑père, laissant entendre que la consommation d’alcool pouvait l’avoir [traduction] «désinhibé [. . .] [et] accentué certains aspects de [sa] psychose», et qu’elle pouvait avoir «provoqué» la perception paranoïaque qu’il avait de son grand‑père et l’avoir amené à «céder à des impulsions meurtrières troublantes et destructrices». Qui plus est, aux yeux des juges majoritaires de la Cour d’appel (à la p. 243),
[traduction] [l]e Dr Shane a témoigné que l’accusé savait, lors de l’entretien du 9 septembre 1995, que le meurtre était moralement répréhensible. Il a décrit cela comme «un intervalle de lucidité» et reconnu que des intervalles de lucidité «pouvaient être également survenus les 29, 30, 31 août et ainsi de suite, comme cela avait été le cas [. . .] le 9 septembre».
Le Dr Shane a également reconnu qu’un événement traumatisant pouvait déclencher une détérioration psychotique. Cependant, tous ces aveux et concessions sont conciliables avec le fait que les experts ont évidemment eux aussi reconnu, en l’espèce, qu’ils ne pouvaient pas dire avec une certitude absolue quel était vraiment l’état d’esprit de l’appelant au moment où il a commis l’infraction. Qui plus est, les diverses possibilités, soulignées tant par le ministère public que par les juges majoritaires de la Cour d’appel, n’ont pas amené les médecins à modifier leur conclusion générale et professionnelle que l’appelant n’avait pas, au moment pertinent, le jugement moral requis pour engager sa responsabilité criminelle. Cela est particulièrement vrai dans le cas du Dr Yaren, qui, bien qu’il ait reconnu franchement qu’il avait changé d’avis avec le temps, a exprimé clairement une opinion professionnelle étayant l’absence de jugement moral.
20 À mon avis, la Cour d’appel a mal saisi l’importance de la preuve relative à la possibilité que l’appelant ait pu tuer son grand‑père pendant un moment ou une période de lucidité, en considérant que l’expression «intervalles de lucidité», le concept utilisé par le Dr Shane, renvoyait à des moments ou à des périodes de normalité psychologique que connaissent des individus par ailleurs psychotiques. En contre‑interrogatoire, le Dr Yaren a expliqué pourquoi cette interprétation est erronée:
[traduction] R . . . Je sais que j’ai qualifié cela d’«états variables de psychose». Le Dr Shane utilise une autre expression, celle d’«intervalles de lucidité» ou de périodes de pensée lucide. Je rencontre souvent des personnes décidément psychotiques qui me parlent, par exemple, de démons qui habitent leur abdomen et de créatures qui sortent des murs, et qui, soudain, s’adressent au travailleur social qui se trouve également dans la pièce et lui disent: «En passant, pourrais‑tu te rendre à mon appartement à telle ou telle adresse pour y cueillir mon chèque d’aide sociale, qui doit arriver lundi?». Tout cela du même souffle, et ce n’est donc pas rare.
. . .
Q . . . Je vous dit qu’il est fort possible que, le 29 août 1995, Aaron, en supposant qu’il était atteint de troubles mentaux, ait connu des périodes de lucidité.
R Ouais, je suppose que l’expression «périodes de lucidité» ne me plaît pas autant du fait qu’elle laisse entendre qu’il y a des périodes de pensée complètement normale. À mon avis, il est plus juste de dire que certains aspects de la pensée d’un individu peuvent être normaux ou presque normaux, même si l’individu est décidément psychotique; par exemple, un individu peut simultanément croire qu’il a des idées délirantes et réfléchir clairement à une question banale de la vie quotidienne. Cela ne revient donc pas à laisser entendre que la pensée de l’individu devient complètement normale. Bien que ce soit aussi possible, c’est moins probable.
Q . . . Je vous dis donc que, dans ce contexte, il se peut fort bien qu’il ait compris, pendant une période de lucidité, le 29 août 1995, que tuer son grand‑père était mauvais, avant même de le faire, voire au moment où il l’a fait, mais qu’il assouvissait quelque autre haine qu’il éprouvait depuis longtemps pour son grand‑père.
R À mon avis, c’est aller très loin. Je conviens certainement qu’il a pu, avant, pendant et après, se rendre compte que cet acte était moralement répréhensible, mais cela ne laisse pas entendre, à mon avis, qu’il est effectivement passé aux actes. Je ne pense pas que quelqu’un puisse jamais dire avec certitude quel était exactement son état d’esprit à l’instant même où il a appuyé sur la gachette, ce à quoi vous voulez vraiment en venir. Je ne pense vraiment pas qu’on puisse le savoir.
. . .
Q . . . Je pense que vous me demandez de croire que, quatre heures plus tard lorsqu’il a fait sa déclaration, il se pourrait vraiment qu’il n’ait pas, qu’il ait alors compris, mais qu’il n’ait pas compris au moment où il a fait feu sur son grand‑père.
R Exactement.
Q Ne me demandez‑vous pas de faire un grand bond et de sauter une étape logique?
R Pour connaître la pensée d’une personne psychotique, il faut faire un grand bond et sauter une étape logique.
Q D’accord. Cela implique beaucoup d’hypothèses et de suppositions.
R Cela implique jusqu’à un certain point des hypothèses et des suppositions; il faut également une expérience considérable de travail auprès d’individus psychotiques et en être arrivé à comprendre comment ils réfléchissent, mais il est vrai qu’il y a parfois une part de devinettes. [Je souligne.]
21 Je conviens avec le juge Huband que la preuve, notamment le témoignage du Dr Yaren, n’étaye pas raisonnablement la conclusion qu’au moment de la fusillade l’appelant était lucide au point de savoir que ses actes étaient moralement répréhensibles. J’estime que, d’après l’ensemble de la preuve psychiatrique, il n’y avait aucune possibilité raisonnable que l’appelant, qui, au moment de commettre un homicide, souffrait de troubles mentaux ayant pour effet d’affaiblir son jugement moral, ait cessé temporairement, au moment crucial, de ressentir les effets de sa maladie de manière à être assez lucide pour que sa responsabilité criminelle soit engagée.
22 Outre la preuve psychiatrique, les déclarations que l’appelant a faites à la police et, auparavant, au père de son amie, qu’il avait informé du meurtre et à qui il avait demandé d’alerter la police, ne sont pas incompatibles avec les conclusions des experts, pas plus que ne l’est le comportement de l’appelant au moment où il a commis l’infraction.
VI. Conclusion et dispositif
23 En toute déférence, j’estime que, compte tenu de son expérience concernant les effets des troubles mentaux sur la responsabilité criminelle, du genre de preuve disponible pour en établir l’existence et du scepticisme injustifié dont on peut faire preuve à l’égard d’un accusé qui invoque des troubles mentaux comme moyen de défense, la Cour d’appel aurait dû craindre que le verdict prononcé, en l’espèce, par le jury ne soit déraisonnable et ne repose pas sur la preuve. Un examen minutieux et approfondi du dossier confirme qu’une telle crainte était justifiée. Il n’est pas nécessairement facile pour un jury d’accepter tout bonnement qu’un accusé qui sait ce qu’il fait et qui sait qu’il est en train de commettre un crime puisse néanmoins croire sincèrement que sa conduite ne suscitera pas la réprobation morale de membres raisonnables de la société. À mon avis, la défense a établi que c’est ce qui s’est produit et, compte tenu de la preuve soumise au procès, il était déraisonnable de conclure le contraire.
24 Pour ces motifs, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’annuler l’arrêt de la Cour d’appel et de substituer au verdict inscrit au procès un verdict de non‑responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux. Je suis d’avis de renvoyer l’affaire à la cour de première instance pour qu’elle tienne une audition visant à déterminer la décision à rendre conformément à l’art. 672.45 du Code criminel.
Pourvoi accueilli.
Procureurs de l’appelant: Walsh, Micay & Co., Winnipeg.
Procureur de l’intimée: Justice Manitoba, Winnipeg.
Procureur de l’intervenant le procureur général du Canada: Le procureur général du Canada, Ottawa.
Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario: Le ministère du Procureur général, Toronto.
Procureur de l’intervenant le procureur général du Québec: Le substitut du Procureur général, Montréal.
Procureurs de l’intervenante la Criminal Lawyers’ Association (Ontario): Gold & Fuerst, Toronto.
Procureurs de l’intervenant l’Innocence Project: Ruby & Edwardh, Toronto.
Procureurs de l’intervenante l’Association in Defence of the Wrongly Convicted: Sack Goldblatt Mitchell, Toronto.
Procureurs de l’intervenante la Criminal Trial Lawyers Association of Alberta: Beresh DePoe Cunningham, Edmonton.
*Le juge en chef Lamer n’a pas pris part au jugement.