LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 1er juillet 2021
Cassation
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 675 F-D
Pourvoi n° Y 19-24.316
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 1ER JUILLET 2021
1°/ Mme [O] [X], domiciliée [Adresse 1] (Polynésie française),
2°/ Mme [U] [L], épouse [C], domiciliée [Adresse 2] (Polynésie française),
toutes deux agissant en qualité de légataires universelles d'[T] [W], décédé le [Date décès 1] 2017,
ont formé le pourvoi n° Y 19-24.316 contre l'arrêt rendu le 11 juillet 2019 par la cour d'appel de Papeete (chambre civile), dans le litige les opposant :
1°/ à Mme [V] [G] [H] [L], épouse [X], domiciliée chez M. [N] [J], [Adresse 3] (Polynésie française),
2°/ à Mme [E] [K] [V], épouse [X], domiciliée [Adresse 3] (Polynésie française),
prises toutes deux en leur nom personnel et en qualité d'ayants droit de [M] [W],
3°/ à Mme [C] [P] [L], domiciliée [Adresse 4] (Polynésie française), prise en son nom personnel et en qualité d'ayant droit d'[Q] [L], lui-même venant aux droits de [M] [W],
4°/ à M. [R] [F] [W]-[L], domicilié [Adresse 5] (Polynésie française),
5°/ à Mme [L] [W], épouse [F], domiciliée [Adresse 6] (Polynésie française),
prises toutes deux en leur nom personnel et en qualité d'ayants droit de [M] [W],
6°/ à [M] [W], ayant été domicilié [Adresse 7] (Polynésie française), décédé le [Date décès 2] 2002,
7°/ à M. [A] [B] [X] [L], domicilié [Adresse 8] (Polynésie française), pris en son nom personnel et en qualité d'ayant droit de [M] [W],
8°/ à Mme [Z] [G], épouse [K], domiciliée [Adresse 9] (Polynésie française),
9°/ à M. [D] [I], domicilié [Adresse 10] (Polynésie française), pris en qualité de liquidateur judiciaire de M. [A] [B] [X] [L],
10°/ à Mme [Y] [W], domiciliée [Adresse 3] (Polynésie française), venant aux droits d'[T] [W],
11°/ à la société [Q]-[U], société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 11] (Polynésie française),
défendeurs à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Kermina, conseiller, les observations de la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat de Mme [O] [X] et Mme [L] épouse [C], de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société [Q]-[U], de la SAS Cabinet Colin - Stoclet, avocat de Mme [L] épouse [X], Mme [V] épouse [X], Mme [C] [L], M. [W]-[L], Mme [W] épouse [F] et Mme [Y] [W], et l'avis de M. Aparisi, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 26 mai 2021 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Kermina, conseiller rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Reprise d'instance
1. Il est donné acte à Mme [X] et à Mme [C] de ce qu'elles reprennent l'instance devant la Cour de cassation contre les ayants droit de [M] [W], décédé, soit Mme [V] [G] [H] [L] épouse [X], Mme [E] [K] [V] épouse [X], M. [R] [F] [W]-[L], Mme [L] [W], M. [A] [B] [X] [L] et Mme [C] [P] [L].
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Papeete, 11 juillet 2019), Mme [X] et Mme [C], agissant en qualité de légataires universelles d'[T] [W], ont repris l'instance en révision, diligentée en 2014 par le de cujus, à l'encontre d'un arrêt rendu le 4 avril 2011 par la cour d'appel de Papeete, qui a ordonné le partage des terres dépendant de la succession de [G] [W] et a ordonné une expertise en vue de constituer les huit lots dévolus aux héritiers.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
3. Mme [X] et Mme [C] font grief à l'arrêt de juger irrecevable le recours en révision et de les condamner au paiement d'une amende civile, alors « que le recours en révision doit faire l'objet d'une communication au ministère public, laquelle est faite à la diligence du juge ; qu'il ne s'infère pourtant, ni des mentions de l'arrêt, ni des pièces de la procédure, que le représentant du ministère public ait eu communication du recours en révision initialement formé par feu [T] [W] et poursuivi par les exposantes ; que la cour d'appel a donc statué au prix d'une violation des articles 255 et 376 du code de procédure civile de Polynésie française. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 251-3°, 255 et 376 du code de procédure civile de Polynésie française :
4. Il résulte de la combinaison de ces textes que la communication du recours en révision au ministère public, partie jointe à l'instance, est d'ordre public, cette communication étant laissée à la diligence du juge.
5. L'arrêt juge recevable l'intervention volontaire de Mmes [X] et [C], dit que l'instance est valablement reprise par elles, juge irrecevable leur recours en révision, condamne in solidum Mmes [X] et [C] à une amende civile de 100 000 FCP et déboute Mme [L] [W], M. [R] [W], Mme [V] [L], Mme [C] [L] et Mme [E] [X] du surplus de leurs demandes.
6. En statuant ainsi, alors que la communication de l'affaire incombait à la cour d'appel et qu'il ne résulte ni de l'arrêt ni des productions que le recours en révision a été communiqué au ministère public, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 11 juillet 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Papeete ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Papeete autrement composée ;
Condamne Mme [V] [X], Mme [E] [X], Mme [C] [L], M. [R] [W]-[L], Mme [F], M. [B] [L], M. [I], en qualité de liquidateur judiciaire de M. [L], Mme [Y] [W], Mme [K] et la société [Q]-[U] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé par le président en son audience publique du premier juillet deux mille vingt et un et signé par lui et Mme Martinel, conseiller doyen, en remplacement du conseiller rapporteur empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat aux Conseils, pour Mme [O] [X] et Mme [U] [L] épouse [C]
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir jugé irrecevable le recours en révision formé par Mmes [O] [X] et [U] [L], épouse [C], à l'encontre de l'arrêt de la cour d'appel de Papeete du 14 avril 2011 et condamné celles-ci au paiement d'une amende civile de 100.000 francs pacifiques (FCP);
AUX MOTIFS QU'aux termes de l'article 369 du code de procedure civile de la Polynesie francaise, le recours en revision n'est ouvert que pour l'une des causes suivantes : « s'il se revele, apres le jugement, que la decision a ete surprise par la fraude de la partie au profit de laquelle elle a ete rendue ; si, depuis le jugement, il a ete recouvre des pieces decisives qui avaient ete retenues par le fait d'une autre partie ; s'il a ete juge sur des pieces reconnues ou judiciairement declarees fausses depuis le jugement ; s'il a ete juge sur des attestations, temoignages ou serments judiciairement declares faux depuis le jugement ; s'il y a eu violation d'une forme de procedure prescrite a peine de nullite, non couverte par les parties, resultant de la decision elle- même, et prejudiciant a la partie ; s'il y a contrariete ou incompatibilite de jugement rendu en dernier ressort entre les mêmes parties et sur les mêmes moyens ; s'il y a dans un même jugement des dispositions contraires » ; que le caractere exceptionnel de ce recours, comme portant atteinte a l'autorite de la chose jugee, impose d'en apprecier les conditions de maniere tres restrictive ; c'est d'ailleurs la raison pour laquelle l'article 370 du même code precise que : « le recours n'est recevable que si son auteur n'a pu, sans faute de sa part, faire valoir la cause qu'il invoque avant que la decision ne soit passee en force de chose jugee » ; qu'à l'appui de leurs recours, Mmes [O] [X] et [U] [L], epouse [C], soutiennent que le premier juge, confirme par la cour d'appel, a considere a tort que Mme [E] [V], Mme [V] [L], et M. [Q] [L], en percevant des loyers provenant de l'une des terres (le domaine [Localité 1]) dependant de la succession de leur mere, avaient accepte tacitement celle-ci, de sorte qu'ils ne pouvaient plus valablement y renoncer, cependant que depuis l'arrêt critique du 14 avril 2011, il est apparu qu'en realite les sommes perçues par Mme [V] [L], prétendument pour le compte des ayants-droit de sa mere, [G] [V], veuve [W], ne constituaient nullement de tels loyers mais le remboursement de sommes qui lui etaient dues par celle-ci pour les lui avoir prêtees de son vivant ou pour s'être portee caution solidaire de ses engagements ; que toutefois, les pieces justificatives produites au soutien de cet argumentaire ne demontrent aucunement que les sommes recues par Maitre [J] [Q], notaire, objet de ses attestations des 6 novembre 1990 et 28 juin 2007, auraient en realite pour cause le remboursement d'une dette contractee personnellement par Madame [G] [V], veuve [W], aupres de sa fille, Madame [V] [L] ; qu'en effet, les differents actes produits aux debats, mentionnant l'existence de cautionnements solidaires et hypothecaires de feue Mme [V], veuve [W], ne permettent pas d'infirmer les attestations susvisees de Maitre [Q], avec le degre evident de certitude qu'impose la voie exceptionnelle de la revision ; que de surcroît, les requerantes n'expliquent en rien pourquoi elles n'auraient pas ete en mesure, ni surtout Monsieur [T] [W], de faire valoir ces elements de preuve, consistants en des actes authentiques respectivement dates des 11 juillet 1985, 9 septembre 1985, 8 avril 1987 et 30 decembre 1987, au cours de la precedente procedure initiee par une requete enregistree le 25 septembre 2000 et, en outre, ayant donne lieu a une mesure d'expertise judiciaire, au cours de laquelle tous les dires auraient ete examines ; que cette preuve n'est pas davantage rapportee par le pretendu decompte etabli par Maitre [Q] (piece n° 15 du dossier des requerantes), totalement inexploitable et ne comportant, ni date, ni même la signature ou le tampon du notaire ; que dans ces conditions, les requerantes ne demontrent l'existence d'aucune des circonstances limitativement prevues par l'article 369 precite et ne justifient pas avoir ete dans l'impossibilite de faire valoir la cause qu'elles invoquent aujourd'hui au soutien de leur recours en revision, avant que l'arret du 14 avril 2011 ne soit passe en force de chose jugee ; que leur recours sera donc juge irrecevable ;
AUX MOTIFS ENCORE QUE Mmes [O] [X] et [U] [L], epouse [C], ayant souhaite intervenir volontairement a l'instance aux fins de reprise de celle-ci, cependant que Madame [Y] [W], heritiere de l'appelant, avait declare vouloir se desister de l'action engagee par son pere, ne pouvaient ignorer le caractere exceptionnel de leur recours et la necessite subsequente de produire des elements de preuve incontestables, ce d'autant moins qu'elles entendaient ainsi remettre en cause l'autorite de la chose jugee attachee à un arrêt rendu il y a plus de huit ans, faisant suite lui-même a une procedure engagee depuis plusieurs annees ; que force est de constater que leur argumentation et les justificatifs allegues conferent a leur recours un caractere si temeraire qu'il materialise un abus de leur droit ; que dans ces conditions, il convient de faire application des dispositions imperatives de l'article 378 du code de procedure civile de la Polynesie francaise, ainsi libellees : «si le recours en revision est rejete, le demandeur sera condamne a une amende de 10 000 a 200 000 francs, sans prejudice de tous dommages-interêts», en allouant a ce titre aux demandeurs reconventionnels une amende de 100 000 FCP ;
ALORS QUE le recours en révision doit faire l'objet d'une communication au ministère public, laquelle est faite à la diligence du juge ; qu'il ne s'infère pourtant, ni des mentions de l'arrêt, ni des pièces de la procédure, que le représentant du ministère public ait eu communication du recours en révision initialement formé par feu [T] [W] et poursuivi par les exposantes ; que la Cour d'appel a donc statué au prix d'une violation des articles 255 et 376 du code de procédure civile de Polynésie française.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
(SUBSIDIAIRE)Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir condamné Mmes [O] [X] et [U] [L], épouse [C], au paiement d'une amende civile de 100.000 francs pacifiques (FCP) ;
AUX MOTIFS QUE Mmes [O] [X] et [U] [L], epouse [C], ayant souhaite intervenir volontairement a l'instance aux fins de reprise de celle-ci, cependant que Madame [Y] [W], heritiere de l'appelant, avait declare vouloir se desister de l'action engagee par son pere, ne pouvaient ignorer le caractere exceptionnel de leur recours et la necessite subsequente de produire des elements de preuve incontestables, ce d'autant moins qu'elles entendaient ainsi remettre en cause l'autorite de la chose jugee attachee à un arrêt rendu il y a plus de huit ans, faisant suite lui-même a une procedure engagee depuis plusieurs annees ; que force est de constater que leur argumentation et les justificatifs allegues conferent a leur recours un caractere si temeraire qu'il materialise un abus de leur droit ; que dans ces conditions, il convient de faire application des dispositions imperatives de l'article 378 du code de procedure civile de la Polynesie francaise, ainsi libellees : «si le recours en revision est rejete, le demandeur sera condamne a une amende de 10 000 a 200 000 francs, sans prejudice de tous dommages-interêts», en allouant a ce titre aux demandeurs reconventionnels une amende de 100 000 FCP ;
ALORS QUE si le recours en révision est rejeté, le demandeur sera condamné à une amende de 10.000 à 200.000 francs, sans préjudice de tous dommages-intérêts ; qu'en condamnant sur le fondement de cette règle Mmes [O] [X] et [U] [L], epouse [C], au paiement d'une amende civile, après avoir déclaré irrecevable, et non point rejeté, le recours en révision dont elle était saisie, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article 378 du code de procédure civile de Polynésie française.