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17/06/2020 | FRANCE | N°18-23620

France | France, Cour de cassation, Chambre commerciale, 17 juin 2020, 18-23620


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

COMM.

JT

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 17 juin 2020

Cassation partielle

M. RÉMERY, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 375 F-P+B

Pourvoi n° W 18-23.620

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 17 JUIN 2020

1°/

M. J... H...,

2°/ Mme O... U..., épouse H...,

domiciliés [...] ,

ont formé le pourvoi n° W 18-23.620 contre l'arrêt rendu le 5 septembre 2018 p...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

COMM.

JT

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 17 juin 2020

Cassation partielle

M. RÉMERY, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 375 F-P+B

Pourvoi n° W 18-23.620

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 17 JUIN 2020

1°/ M. J... H...,

2°/ Mme O... U..., épouse H...,

domiciliés [...] ,

ont formé le pourvoi n° W 18-23.620 contre l'arrêt rendu le 5 septembre 2018 par la cour d'appel de Rouen (1re chambre civile), dans le litige les opposant à M. V... Q..., domicilié [...] , défendeur à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Kass-Danno, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. et Mme H..., de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. Q..., après débats en l'audience publique du 19 mai 2020 où étaient présents M. Rémery, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Kass-Danno, conseiller référendaire rapporteur, Mme Vaissette, conseiller, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rouen, 5 septembre 2018), par un acte du 21 juin 2016, M. Q... a vendu à M. H... le navire [...], de type chalutier / coquillard au prix de 280 000 euros. M. Q... se prévalant de la caducité de la promesse de vente eu égard à l'expiration du délai de validité, M. et Mme H... l'ont assigné afin de voir constater que la vente était parfaite et ont demandé le paiement de dommages-intérêts.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

2. M. et Mme H... font grief à l'arrêt de rejeter leur demande tendant à ce que le navire soit livré avec son permis de mise en exploitation, alors « que la mise en exploitation d'un navire est soumise à une autorisation préalable dite permis de mise en exploitation des navires de pêche professionnelle ; qu'une fois ce permis délivré, il ne peut en aucun cas donner lieu à une cession et demeure donc attaché au navire, dont il constitue l'accessoire ; qu'il s'ensuit que la vente d'un navire emporte nécessairement, par l'effet de la loi, transfert de propriété du permis de mise en exploitation qui lui est attaché ; qu'en considérant en l'espèce que seul le navire pouvait faire l'objet de la vente, à l'exclusion du permis de mise en exploitation, faute pour les acquéreurs de rapporter la preuve que les parties avaient entendu inclure ce permis dans le périmètre de la cession, alors que la vente du navire emportait nécessairement, par l'effet de la loi, transfert aux acquéreurs du permis de mise en exploitation qui lui est attaché, la cour d'appel a violé les articles L. 921-7 et R. 921-9 du code rural et de la pêche maritime. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1615 du code civil :

3. Aux termes de ce texte, l'obligation de délivrer la chose comprend ses accessoires et tout ce qui est destiné à son usage perpétuel.

4. Pour rejeter la demande de M. et Mme H... tendant à ce que le navire soit livré avec son permis de mise en exploitation, l'arrêt retient qu'ils ne produisent pas l'annexe à laquelle renvoie la promesse pour déterminer les accessoires vendus avec le navire et que leur demande ne peut se fonder sur l'annexe produite par M. Q... qui n'est signée que de lui et qui se réfère en outre au délai de validité de deux mois dont ils contestent l'application.

5. En statuant ainsi, alors que le permis de mise en exploitation d'un navire de pêche professionnelle maritime, dont l'obtention a permis l'entrée en flotte de celui-ci et dont la présentation est requise pour la délivrance du rôle d'équipage, remplacé désormais par le permis d'armement, est un document indispensable à l'utilisation normale d'un tel navire, et en constitue l'accessoire, de sorte que manque à son obligation de délivrer la chose vendue le vendeur qui ne le remet pas à l'acquéreur, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Et sur le premier moyen, pris en sa seconde branche, qui est recevable
Enoncé du moyen

6. M. et Mme H... font grief à l'arrêt de rejeter leur demande tendant à ce que le navire soit livré avec ses appareils et apparaux, alors « que constitue un commencement de preuve par écrit tout écrit qui, émanant de celui qui conteste un acte ou de celui qu'il représente, rend vraisemblable ce qui est allégué ; qu'il en est notamment ainsi d'une attestation qui, émanant de la partie qui conteste la teneur de la convention alléguée par le demandeur, rappelle le contenu de celle-ci ; que pour débouter M. et Mme H... de leur demande tendant à ce que le navire soit livré avec ses appareils, apparaux et permis d'exploitation, la cour d'appel a considéré que cette demande « ne peut se fonder sur l'annexe produite par M. Q... qui n'est signée que de lui et qui se réfère en outre au délai de validité de deux mois dont ils contestent précisément, à juste titre, l'application » ; qu'en statuant ainsi, alors que l'attestation signée de la main de M. Q... constituait un commencement de preuve par écrit, sur lequel M. et Mme H... pouvaient parfaitement se fonder aux fins d'établir l'existence de la convention alléguée, la cour d'appel a violé l'article 1347 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

7. M. Q... soulève l'irrecevabilité du moyen en ce qu'il serait nouveau et contraire à ce que M. et Mme H... ont soutenu devant la cour d'appel.

8. Toutefois, M. et Mme H... ayant soutenu que la règle posée par l'article 1341 du code civil interdit aux parties de prouver par témoins ou présomptions les obligations portant sur une somme supérieure à 1 500 euros, le moyen n'est pas contraire à leurs conclusions. Et né de la décision attaquée, le moyen est recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu les articles 1341 et 1347 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :

9. Il résulte de la combinaison de ces textes qu'il peut être prouvé contre et outre le contenu d'un acte lorsqu'il existe un commencement de preuve par écrit, c'est-à-dire un écrit émané de celui contre lequel la demande est formée et qui rend vraisemblable le fait allégué.

10. Pour rejeter la demande de M. et Mme H... tendant à ce que le navire soit livré avec ses appareils et apparaux, l'arrêt retient qu'ils ne produisent pas l'annexe à laquelle renvoie la promesse pour déterminer les accessoires vendus avec le navire et que leur demande ne peut se fonder sur l'annexe produite par M. Q... qui n'est signée que de lui et qui se réfère en outre au délai de validité de deux mois dont ils contestent l'application.

11. En se déterminant ainsi, après avoir constaté que l'annexe mentionnant les accessoires vendus avec le navire émanait de M. Q... auquel elle était opposée, sans rechercher, dès lors, si cet écrit rendait vraisemblable le fait allégué par M. et Mme H..., la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

Portée et conséquences de la cassation

Vu l'article 624 du code de procédure civile :

12. La cassation prononcée sur le premier moyen du chef du rejet de la demande tendant à la délivrance des accessoires entraîne, par voie de conséquence, la cassation de la disposition critiquée par le second qui, limitant à une certaine somme le montant du préjudice résultant de la perte de chance subie par M. et Mme H... au motif que seul le navire avait été vendu et qu'il convenait de procéder à des démarches en vue d'obtenir la licence et procéder à l'acquisition de matériel complémentaire, s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. et Mme H... de leur demande tendant à ce que le navire soit livré avec ses appareils, apparaux et permis de mise en exploitation et condamne M. Q... à payer à M. et Mme H... la somme de 44 000 euros à titre de dommages-intérêts pour perte de chance d'exploitation du navire, l'arrêt rendu le 5 septembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Caen ;

Condamne M. Q... aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et le condamne à payer à M. et Mme H... la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept juin deux mille vingt.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour M. et Mme H...

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

LE MOYEN FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué D'AVOIR débouté M. et Mme H... de leur demande tendant à ce que le navire soit livré avec ses appareils, apparaux et permis d'exploitation,

AUX MOTIFS QUE « Les époux H... demandent en outre à la cour de dire que le bateau devra être délivré avec ses appareils, apparaux et permis d'exploitation (P.M.E.), mais ils ne produisent pas l'annexe à laquelle renvoie le compromis pour les accessoires vendus avec le navire. Leur demande ne peut se fonder sur l'annexe produite par M. Q... qui n'est signée que de lui et qui se réfère en outre au délai de validité de deux mois dont ils contestent précisément, à juste titre, l'application. Dans ces conditions, comme cela ressort des motifs du jugement, seul le navire peut faire l'objet de la vente » ;

ALORS D'UNE PART QUE la mise en exploitation d'un navire est soumise à une autorisation préalable dite permis de mise en exploitation des navires de pêche professionnelle ; qu'une fois ce permis délivré, il ne peut en aucun cas donner lieu à une cession et demeure donc attaché au navire, dont il constitue l'accessoire ; qu'il s'ensuit que la vente d'un navire emporte nécessairement, par l'effet de la loi, transfert de propriété du permis de mise en exploitation qui lui est attaché ; qu'en considérant en l'espèce que seul le navire pouvait faire l'objet de la vente, à l'exclusion du permis de mise en exploitation, faute pour les acquéreurs de rapporter la preuve que les parties avaient entendu inclure ce permis dans le périmètre de la cession, alors que la vente du navire emportait nécessairement, par l'effet de la loi, transfert aux acquéreurs du permis d'exploitation qui lui est attaché, la cour d'appel a violé les articles L.921-7 et R.921-9 du code rural et de la pêche maritime ;

ALORS D'AUTRE PART et en tout état de cause QUE constitue un commencement de preuve par écrit tout écrit qui, émanant de celui qui conteste un acte ou de celui qu'il représente, rend vraisemblable ce qui est allégué ; qu'il en est notamment ainsi d'une attestation qui, émanant de la partie qui conteste la teneur de la convention alléguée par le demandeur, rappelle le contenu de celle-ci ; que pour débouter les époux H... de leur demande tendant à ce que le navire soit livré avec ses appareils, apparaux et permis d'exploitation, la cour d'appel a considéré que cette demande « ne peut se fonder sur l'annexe produite par M. Q... qui n'est signée que de lui et qui se réfère en outre au délai de validité de deux mois dont ils contestent précisément, à juste titre, l'application » (arrêt attaqué p.12) ; qu'en statuant ainsi, alors que l'attestation signée de la main de M. Q... constituait un commencement de preuve par écrit, sur lequel les époux H... pouvaient parfaitement se fonder aux fins d'établir l'existence de la convention alléguée, la cour d'appel a violé l'article 1347 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016.

SECOND MOYEN DE CASSATION :

LE MOYEN FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué D'AVOIR condamné M. Q... à payer à M. et Mme H... la somme de 44.000 € à titre de dommages intérêts pour perte de chance d'exploitation du navire,

AUX MOTIFS QU' « Les époux H... sollicitent quant à eux la somme de 264.000 € (88.000 x 3), correspondant à trois mois d'exploitation du navire qu'ils avaient mis en demeure de leur livrer. Toutefois, leur préjudice ne peut être apprécié qu'au regard de la perte de chance de l'exploiter. Contrairement à ce que soutient M. Q..., le contrat de travail liant M. H... à une société de remorquage a été expressément suspendu le 15 septembre 2016 en vue de lui permettre une telle exploitation du navire. Il n'en demeure pas moins que la mise en demeure a eu lieu à une date (9 septembre) à laquelle le prêt n'était pas encore débloqué puisque ce n'est que le 21 septembre que Mme H... a indiqué dans un sms que le prêt avait été obtenu. En outre, il n'est pas établi que l'exploitation aurait pu reprendre aussitôt après, alors que seul le navire était vendu et qu'il convenait de procéder aux démarches en vue d'obtenir la licence et procéder à l'acquisition du matériel complémentaire. Dans ces conditions, le préjudice doit être évalué à une perte de chance de seulement 20 % d'exploiter le navire au cours de la période revendiquée, ce qui correspond à la somme de 44.000 € à laquelle sera condamné M. Q... » ;

ALORS QU' en vertu de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation s'étend à l'ensemble des dispositions du jugement cassé ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire ; que la cassation à intervenir sur le premier moyen, en ce que l'arrêt attaqué a considéré à tort que seul le navire était vendu, s'étendra nécessairement au chef de l'arrêt qui, pour limiter à 20 %, soit 44.000 €, la perte de chance subie par les époux H... d'exploiter le navire durant la période revendiquée, a considéré que « seul le navire était vendu et qu'il convenait de procéder à des démarches en vue d'obtenir la licence et procéder à l'acquisition de matériel complémentaire » (arrêt attaqué, p.13).


Synthèse
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 18-23620
Date de la décision : 17/06/2020
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Commerciale

Analyses

DROIT MARITIME - Navire - Vente - Permis de mise en exploitation d'un navire de pêche professionnelle - Accessoire

VENTE - Obligations - Délivrance - Accessoire de l'obligation - Navire - Permis de mise en exploitation d'un navire de pêche professionnelle

Le permis de mise en exploitation d'un navire de pêche professionnelle maritime, dont l'obtention a permis l'entrée en flotte de celui-ci et dont la présentation est requise pour la délivrance du rôle d'équipage, remplacé désormais par le permis d'armement, est un document indispensable à l'utilisation normale d'un tel navire, et en constitue l'accessoire, de sorte que manque à son obligation de délivrer le navire de pêche vendu le vendeur qui ne le remet pas à l'acquéreur


Références :

article 1615 du code civil.

Décision attaquée : Cour d'appel de Rouen, 05 septembre 2018


Publications
Proposition de citation : Cass. Com., 17 jui. 2020, pourvoi n°18-23620, Bull. civ.
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles

Composition du Tribunal
Président : M. Rémery (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan, SCP Thouvenin, Coudray et Grévy

Origine de la décision
Date de l'import : 16/02/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2020:18.23620
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