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22/01/2020 | FRANCE | N°18-17030

France | France, Cour de cassation, Chambre commerciale, 22 janvier 2020, 18-17030


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

COMM.

CM

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 22 janvier 2020

Rejet

Mme MOUILLARD, président

Arrêt n° 50 F-P+B

Pourvoi n° G 18-17.030

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 22 JANVIER 2020

M. T... S..., domicilié [...], a formé le pourvo

i n° G 18-17.030 contre l'arrêt rendu le 22 mars 2018 par la cour d'appel d'Amiens (chambre économique), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. Y...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

COMM.

CM

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 22 janvier 2020

Rejet

Mme MOUILLARD, président

Arrêt n° 50 F-P+B

Pourvoi n° G 18-17.030

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 22 JANVIER 2020

M. T... S..., domicilié [...], a formé le pourvoi n° G 18-17.030 contre l'arrêt rendu le 22 mars 2018 par la cour d'appel d'Amiens (chambre économique), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. Y... Q..., domicilié [...], membre de la société [...], mandataire judiciaires, pris en qualité de liquidateur judiciaire de la société Phone,

2°/ au procureur général près de la cour d'appel d'Amiens, en son parquet général [...],

défendeurs à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Vaissette, conseiller, les observations de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat de M. S..., de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin, avocat de M. Q..., ès qualités, l'avis de Mme Guinamant, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 26 novembre 2019 où étaient présents Mme Mouillard, président, Mme Vaissette, conseiller rapporteur, M. Rémery, conseiller doyen, et Mme Labat, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi a rendu le présent arrêt ;

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Amiens, 22 mars 2018), que la société Phone, dirigée par M. S..., a été mise en redressement judiciaire le 23 juin 2010 ; que son plan de redressement a été arrêté le 20 avril 2011 ; qu'un jugement du 3 juillet 2013 a prononcé la résolution du plan et a ouvert la liquidation judiciaire de la société Phone, la SCP [...] étant désignée liquidateur ; que le 31 mai 2016, le liquidateur a assigné M. S... en responsabilité pour insuffisance d'actif ;

Attendu que M. S... fait grief à l'arrêt de le condamner à payer au liquidateur, ès qualités, la somme de 240 000 euros à titre de contribution à l'insuffisance d'actif alors, selon le moyen, que lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supportée, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion ; que seules des fautes de gestion antérieures à l'ouverture de la procédure collective peuvent être prises en compte ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que le tribunal de commerce de Compiègne a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Phone par un jugement du 23 juin 2010 et désigné M. Q... en qualité de mandataire judiciaire ; que par jugement du 20 avril 2011, le même tribunal a arrêté le plan de redressement de la société Phone, avant de convertir la procédure en liquidation judiciaire par jugement du 3 juillet 2013 ; qu'en se fondant, pour condamner M. S... à payer à M. Q..., ès qualités, la somme de 240 000 euros au titre de l'insuffisance d'actif de la société Phone, sur l'absence de comptabilité pour l'exercice clos le 31 décembre 2012 et l'absence d'approbation des comptes qui s'en est suivie à la date du 30 juin 2013 et la poursuite de l'activité déficitaire de la société Phone à compter de l'ouverture du redressement judiciaire, et plus particulièrement à compter de 2011, autant de fautes de gestion qui étaient toutes postérieures à l'ouverture de la procédure collective intervenue le 23 juin 2010, la cour d'appel a violé l'article L. 651-2 du code de commerce ;

Mais attendu que la faute de gestion visée par l'article L. 651-2 du code de commerce doit avoir été commise avant l'ouverture de la liquidation judiciaire qui autorise l'exercice de l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif ; qu'après avoir relevé qu'un jugement du 3 juillet 2013 avait constaté un nouvel état de cessation des paiements de la société Phone, prononcé la résolution de son plan de redressement et ouvert sa liquidation judiciaire, l'arrêt retient exactement que ni le jugement ouvrant le redressement judiciaire, ni celui arrêtant le plan de redressement n'exonèrent le dirigeant social de sa responsabilité et que les fautes de gestion commises pendant la période d'observation du redressement judiciaire, comme pendant l'exécution du plan, peuvent être prises en considération pour fonder l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif dès lors qu'elles sont antérieures au jugement de liquidation judiciaire ; que le moyen n'est pas fondé ;

Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. S... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et le condamne à payer à la SCP [...], en qualité de liquidateur de la société Phone, la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux janvier deux mille vingt.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat aux Conseils, pour M. S...

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR condamné M. S... à verser à Me Q..., ès-qualités de liquidateur de la société Phone, la somme de 240.000 €, d'AVOIR dit que les sommes versées par M. S... entreront dans le patrimoine de la société Phone, qu'elles seront réparties au marc le franc entre tous les créanciers et que M. S... ne pourra pas participer aux répartitions à concurrence des sommes au versement desquelles il a été condamné, conformément à l'article L. 651-2 alinéa 4 du code de commerce ;

AUX MOTIFS PROPRES QU'en application de l'article L. 651-2 du code de commerce, lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux ; qu'en cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables ; que cette action se prescrit par trois ans à compter du jugement qui prononce la liquidation judiciaire et est introduite par le liquidateur ou le Ministère Public, ou dans l'intérêt collectif des créanciers par les créanciers nommés contrôleurs après mise en demeure adressée au liquidateur restée infructueuse ; que l'accueil de cette action suppose l'existence d'une insuffisance d'actif et de fautes de gestion y ayant contribué ; que l'insuffisance d'actif se détermine en fonction du montant du passif existant au jour de l'ouverture de la liquidation judiciaire duquel est soustrait le montant résultant de la réalisation des actifs ; qu'il résulte de la lecture du texte de l'article L. 651-2 ci-dessus rappelé que le passif à prendre en considération est celui de la liquidation judiciaire et non de la procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire qui l'a précédée, même si en l'occurrence le passif de la liquidation judiciaire se trouve également composé des créances impayées du fait de la résolution du plan de continuation ; que M. T... S... ne saurait donc valablement prétendre voir cantonner le passif aux seules créances nées pendant la période d'exécution du plan ; que de plus, il doit s'agir du passif qui existe au jour de l'ouverture de la liquidation judiciaire et qui a été admis dans le cadre de la vérification du passif ; qu'il ressort de l'état des créances établi par le liquidateur judiciaire que le montant du passif né à la date du jugement de liquidation judiciaire qui a été admis s'élève à hauteur de la somme de 991.968,82 € ; que la vente du fonds de commerce et les opérations de recouvrement au bénéfice de la société Phone ont permis de recouvrer la somme de 248.932 € (recouvrement de créances : 38.558,21 € ; solde des comptes en banque : 166.374,63 € ; vente du fonds de commerce : 50.000 €) ; que de la différence entre le montant du passif à prendre en considération pour l'action en responsabilité sur le fondement de l'article L. 651-2 du code de commerce et de l'actif, il ressort une insuffisance d'actif à hauteur de 743.036,28 € ; que l'antériorité par rapport au jugement de liquidation judiciaire des créances composant le passif pris en compte pour déterminer l'insuffisance d'actif a pour corolaire l'antériorité de la faute de gestion ayant contribué à sa création ; que le jugement d'ouverture du redressement judiciaire et le jugement arrêtant le plan de continuation n'ayant aucun caractère amnistiant, il peut être retenu, contrairement à ce que soutient l'appelant, que des faits postérieurs aux deux jugements prononcés lors de la procédure de redressement judiciaire puissent être constitutifs de fautes de gestion de nature à engager la responsabilité pour insuffisance d'actif dès lors qu'ils sont antérieurs au jugement de liquidation judiciaire ; qu'il est produit un certificat du greffe du tribunal de commerce de Compiègne en date du 7 avril 2016, duquel il résulte que la société Phone n'avait pas déposé ses comptes et bilans de l'exercice clos le 31 décembre 2012, s'agissant des comptes de l'exercice clos antérieurement au jugement de liquidation judiciaire ; que le défaut de tenue d'une comptabilité constitue une faute de gestion de nature à engager la responsabilité du dirigeant d'une personne morale sur le fondement de l'insuffisance d'actif puisqu'outre le fait qu'il s'agit de sa part d'un manquement à une obligation légale, il se prive ainsi délibérément d'un outil lui permettant d'avoir une vision de la situation économique et financière de la personne morale qu'il dirige, se complaisant ainsi dans une attitude qui s'apparente à ce que le langage familier appelle « politique de l'autruche », espérant ainsi vainement éviter de prendre les mesures qui s'imposent et éludant ainsi sciemment ses responsabilités de chef d'entreprise ; que ce manquement est d'autant plus grave en l'occurrence, que la société Phone s'était vue accorder sur la foi de ses perspectives d'activité qu'elle avait su présenter sous un jour favorable et de ses engagements, un plan de continuation dont une des finalités est l'apurement du passif ; que la confiance que lui avait ainsi accordée le tribunal supposait en retour de la part de son dirigeant une gestion rigoureuse de l'entreprise, en particulier par la tenue d'une comptabilité régulière ; que cette absence de comptabilité constitue en l'occurrence de façon indubitable une faute de gestion ; que la société Phone se présente comme ayant une activité spécialisée dans le marketing téléphonique à destination pour l'essentiel d'une clientèle des concessions automobiles ; que son activité consistant notamment auprès des clients ou prospects de ces concessions à diffuser des messages préenregistrés par téléphone ou Sms les informant d'opérations spéciales, de remises, de soldes
; qu'il est versé aux débats le contrat qui a été conclu le 2 février 2009 3 entre la société Etoile Communication, société également dirigée par M. T... S... et dont il est l'associé majoritaire et la société Phone visant à fournir à cette société les bases de données recueillies et déjà rendues opérationnelles par des outils de tri et de ciblage par les soins de la société Etoile Communication, ainsi que diverses prestations informatiques ; qu'il y est prévu que le tarif d'une mise à disposition d'une adresse à usage unique sera de 0,033 € par enregistrement complet (nom, adresse, téléphone) ; que le liquidateur expose que ce contrat a abouti à vider de sa substance le fonds de commerce de la société Phone dont la cession a été autorisée par le juge-commissaire puisqu'elle n'était pas propriétaire des données et que l'existence de ce contrat ne lui a été révélée qu'à l'occasion de l'action engagée par la société Etoile Communication à l'encontre de la société Chardon et compagnie, cessionnaire du fonds de commerce de la société Phone, en vue d'obtenir le paiement de la somme de 754.528,60 € en exécution de ce contrat et dans laquelle il a été appelé en intervention forcée par la société cessionnaire du fonds de commerce ; que de deux choses l'une, soit ce contrat n'est pas opposable au cessionnaire et la société Etoile Communication sera déboutée de sa demande en paiement, soit ce contrat lui est opposable, ce qui permettra le cas échéant de faire droit à la demande en paiement ; que dans le cadre de cette instance, contrairement à ce que soutient M. S..., Me Q... ne conteste pas la réalité du contrat, mais soutient que son existence lui a été dissimulée ; qu'il est produit dans le cadre de la présente instance aux fins de sanction le grand livre global définitif qui fait état des facturations au titre de ce contrat par la société Etoile Communication à la société Phone à hauteur de 628.313,02 € pour l'exercice clos le 31 décembre 2010, et à hauteur de 607.177,60 € pour l'exercice clos le 31 décembre 2011, les factures correspondantes étant annexées à ce document ; qu'en l'occurrence, les facturations en vertu de ce contrat par la société Etoile Communication à la société Phone de sommes importantes sont antérieures à la reprise par la société Chardon et compagnie du fonds de commerce de la société Phone ; que ces facturations ne sont pas discutées, de même que l'acquittement des factures ; que du fait de cette antériorité, l'issue du litige pendant devant le tribunal de commerce qui ne porte que sur la facturation postérieure à la cession n'est pas susceptible d'avoir une incidence sur celui dont est saisi la cour ; que la demande de sursis à statuer de M. S... sera en conséquence rejetée ; qu'il résulte des écritures prises par la société Etoile Communication dans l'instance l'opposant à la société Chardon et compagnie et produites par la société Phone que c'est seulement depuis 2009 que la société Etoile Communication lui a donné en location les bases de données ; que M. S..., qui est le dirigeant de ces deux personnes morales, ne conteste pas ce fait ; qu'or, avant la conclusion de ce contrat, la société Phone avait réalisé un chiffre d'affaires de 1.570.919 € selon ce qu'indique M. S... dans ses écritures devant la cour (page 8) ; que la réalisation de ce chiffre d'affaires supposait nécessairement qu'elle disposait alors des données pour les besoins de son activité ; que la conclusion de ce contrat apparaît donc être une réponse à l'intervention de la Cnil qui l'avait mise en demeure de cesser toute prospection commerciale par voie d'automate d'appels auprès de personnes qui n'auraient pas donné leur accord pour être préalablement démarchées, même si finalement cette autorité a décidé par son courrier du 11 septembre 2008 de ne pas prononcer de sanction à l'égard de la société Phone, considérant que n'avait pas été établi que cette société n'avait pas respecté les termes de la mise en demeure par l'abandon progressif de cette base de données ; qu'il s'évince ainsi que M. S... a décidé de scinder l'activité de la société Phone avant de mettre à l'abri les bases de données qui constituaient le seul actif de cette société réellement pourvu d'une valeur patrimoniale ; que si cette décision n'était pas sérieusement critiquable tant que la société était in bonis, cette scission le devient lorsque la société Phone a continué de s'acquitter scrupuleusement des facturations émises par la société Etoile Communication, privilégiant ainsi de façon délibérée ce créancier qui a toujours été payé comme en témoigne son absence de déclaration au passif et n'a plus honoré ses autres créanciers, laissant ainsi se constituer un passif de plus de 990.000 €, en augmentation de 240.000 € par rapport à celui du redressement judiciaire et constitué notamment de dettes sociales, fiscales, des loyers du bail commercial, des dettes bancaires
qu'il apparaît à la lecture du bilan de l'exercice 2012 – les comptes seront finalement déposés postérieurement au 8 avril 2016 – que le poste « autres achats et charges externes » s'élève à hauteur de 1.407.159 € et représente 89 % du chiffre d'affaires ; que ce chiffre en augmentation par rapport à l'exercice 2011 où il s'élevait à hauteur de 1.119.366 € permet de déduire que le montant des facturations de la société Etoile Communication n'a nullement diminué malgré le caractère très nettement déficitaire de l'activité ; que la poursuite de l'activité de la société Phone devenue déficitaire permettait ainsi à la société Etoile Communication dans laquelle M. S... était directement intéressé pour en être le dirigeant et associé majoritaire de continuer à valoriser les données alors que pendant la même période, celui-ci laissait délibérément filer le déficit de la société Phone au détriment des autres créanciers ; que ce comportement est d'autant plus répréhensible que la société Phone avait obtenu un plan de continuation dont l'une des finalités est l'apurement du passif, il constitue une faute de gestion de nature à engager sa responsabilité sur le fondement de l'article L. 651-2 du code de commerce ; que le défaut de comptabilité et la poursuite d'une activité déficitaire au seul bénéfice d'une société dans laquelle M. S... était directement intéressé ont ainsi, comme il a été démontré, contribué directement à l'insuffisance d'actif ; que les conditions pour voir engager la responsabilité de M. S... sur le fondement de l'article L. 651-2 du code de commerce étant réunies, c'est à juste titre que les premiers juges ont accueilli en son principe l'action du liquidateur ; qu'il y a donc lieu de condamner M. S... à supporter dans les proportions qui seront dites ci-après tout ou partie de cette insuffisance d'actif, l'article L. 651-2 du code de commerce laissant une grande latitude au juge pour fixer le montant de la condamnation ; que M. S... ne peut sérieusement imputer aux opérations de contrôle de la Cnil en 2008 l'insuffisance d'actif puisque de son aveu même, l'activité de la société Phone a continué à être bénéficiaire en 2008 et 2009, même si elle était venue à modifier quelque peu ses pratiques ; que M. S... ne peut valablement prétendre que son activité est devenue déficitaire du fait du coût que représentait l'acquisition ou la location des bases de données alors qu'en tant que dirigeant des sociétés Phone et Etoile Communication, il est à l'origine du transfert de ces bases de données au profit de cette dernière société dans laquelle il était intéressé ; que s'agissant de la situation personnelle et actuelle de M. S..., il ne justifie aucunement de sa situation professionnelle ni du montant de ses revenus ; qu'il résulte des informations recueillies de la note en délibéré qu'il a été autorisé à adresser à la cour que sa résidence principale qu'il détenait dans le cadre d'une SCI avec son épouse dont il est désormais divorcé a été vendue au prix de 600.000 € ; qu'au vu des fautes de gestion imputables à M. S..., de l'insuffisance d'actif qu'elles ont générée et de sa situation personnelle, il y a lieu en réformant le jugement, de le condamner à payer à la SCP [...] , ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Phone, la somme de 240.000 € ;

ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE, l'insuffisance d'actif n'est pas contestée ; que les comptes désormais versés aux débats exposent dès 2011 des pertes significatives de 72K€, puis de 232 K€ pour 2012 ; qu'ainsi, force est de constater que M. T... S..., en sa qualité de président de la société Phone s'est abstenu de demander la liquidation judiciaire de la société en sollicitant un plan qu'il ne pouvait que savoir non réaliste compte-tenu de la baisse des prix de vente déjà constatée à cette époque, tout comme il s'est abstenu de le faire dès les comptes 2011 connus ; que la poursuite du contrat avec la société Etoile Communication et les règlements en faveur de celle-ci n'ont eu comme effet positif à son seul égard que de lui permettre de toucher deux salaires annuels de 60.000 € ; qu'ainsi, ces graves manquements sont en grande part à l'origine de la nouvelle insuffisance d'actif constatée ;

1) ALORS QUE lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supportée, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion ; que seules des fautes de gestion antérieures à l'ouverture de la procédure collective peuvent être prises en compte ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que le tribunal de commerce de Compiègne a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Phone par un jugement du 23 juin 2010 et désigné Me Q... en qualité de mandataire judiciaire ; que par jugement du 20 avril 2011, le même tribunal a arrêté le plan de redressement de la société Phone, avant de convertir la procédure en liquidation judiciaire par jugement du 3 juillet 2013 (cf. arrêt, p. 2) ; qu'en se fondant, pour condamner M. S... à payer à Me Q..., ès-qualités, la somme de 240.000 € au titre de l'insuffisance d'actif de la société Phone, sur l'absence de comptabilité pour l'exercice clos le 31 décembre 2012 et l'absence d'approbation des comptes qui s'en est suivie à la date du 30 juin 2013 et la poursuite de l'activité déficitaire de la société Phone à compter de l'ouverture du redressement judiciaire, et plus particulièrement à compter de 2011, autant de fautes de gestion qui étaient toutes postérieures à l'ouverture de la procédure collective intervenue le 23 juin 2010, la cour d'appel a violé l'article L. 651-2 du code de commerce ;

2) ALORS QU'un dirigeant social ne peut être condamné à combler les dettes sociales de la société en liquidation judiciaire que s'il est établi un lien de causalité entre la faute de gestion retenue et l'insuffisance d'actif constatée ; qu'en se bornant à relever que l'absence de tenue d'une comptabilité régulière constituait « de façon indubitable une faute de gestion » (cf. arrêt, p. 8 § 2) qui avait « contribué directement à l'insuffisance d'actif » (cf. arrêt, p. 10 § 3), la cour d'appel, qui s'est prononcée par des motifs impropres à caractériser un lien de causalité entre l'absence de comptabilité pour l'année 2012 et l'insuffisance d'actif de la société Phone, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 652-1 du code de commerce ;

3)ALORS QUE lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supportée, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion ; que lorsque plusieurs fautes de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif sont retenues, il importe que chacune d'entre elles soit légalement justifiée ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a expressément retenu que la conclusion du contrat du 2 février 2009 avec la société Etoile Communication était « une réponse à l'intervention de la Cnil qui l'avait mise en demeure de cesser toute prospection commerciale par voie d'automate d'appels auprès de personnes qui n'auraient pas donné leur accord pour être préalablement démarchées, même si finalement cette autorité a décidé par son courrier du 11 septembre 2008 de ne pas prononcer de sanction à l'égard de la société Phone », de sorte que la décision de M. S... « de scinder l'activité de la société Phone avant de mettre à l'abri les bases de données qui constituaient le seul actif de cette société réellement pourvu d'une valeur patrimoniale (...) n'était pas sérieusement critiquable tant que la société était in bonis » (cf. arrêt, p. 9 § 5 et 6) ; qu'en retenant néanmoins l'existence d'une faute de gestion de M. S... résultant de la poursuite d'une activité déficitaire, aux motifs que cette scission de l'activité était devenue critiquable « lorsque la société Phone a(vait) continué de s'acquitter scrupuleusement des facturations émises par la société Etoile Communication », la cour d'appel a violé l'article L. 651-2 du code de commerce.


Synthèse
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 18-17030
Date de la décision : 22/01/2020
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Commerciale

Analyses

ENTREPRISE EN DIFFICULTE (loi du 26 juillet 2005) - Responsabilités et sanctions - Responsabilité pour insuffisance d'actif - Conditions - Faute de gestion - Faute antérieure à la liquidation judiciaire - Applications diverses - Fautes commises pendant la période d'observation du redressement judiciaire ou pendant l'exécution du plan

La faute de gestion visée par l'article L. 651-2 du code de commerce doit avoir été commise avant l'ouverture de la liquidation judiciaire qui autorise l'exercice de l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif. Le jugement ouvrant le redressement judiciaire et celui arrêtant le plan de redressement n'exonérant pas le dirigeant social de sa responsabilité, les fautes de gestion commises pendant la période d'observation du redressement judiciaire comme pendant l'exécution du plan peuvent être prises en considération pour fonder l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif dès lors qu'elles sont antérieures à la liquidation judiciaire


Références :

article L. 651-2 du code de commerce

Décision attaquée : Cour d'appel d'Amiens, 22 mars 2018


Publications
Proposition de citation : Cass. Com., 22 jan. 2020, pourvoi n°18-17030, Bull. civ.
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles

Composition du Tribunal
Président : Mme Mouillard
Avocat(s) : SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin

Origine de la décision
Date de l'import : 09/06/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2020:18.17030
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