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12/10/2017 | FRANCE | N°16-12550

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 12 octobre 2017, 16-12550


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué statuant en référé (Paris, 15 décembre 2015), que le Syndicat des pilotes d'Air France et deux autres syndicats de pilotes ont déposé un préavis de grève pour un mouvement ayant lieu du 15 au 30 septembre 2014 ; que la société Air France a utilisé, pendant la période précédant la grève, les déclarations individuelles d'intention de grève du personnel afin de procéder à une réorganisation anticipée du service par la reconstitution d'équipa

ges pour les vols prévus le 15 septembre et les jours suivants ; que le 15 septembre...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué statuant en référé (Paris, 15 décembre 2015), que le Syndicat des pilotes d'Air France et deux autres syndicats de pilotes ont déposé un préavis de grève pour un mouvement ayant lieu du 15 au 30 septembre 2014 ; que la société Air France a utilisé, pendant la période précédant la grève, les déclarations individuelles d'intention de grève du personnel afin de procéder à une réorganisation anticipée du service par la reconstitution d'équipages pour les vols prévus le 15 septembre et les jours suivants ; que le 15 septembre 2014, le Syndicat des pilotes d'Air France a fait citer la société Air France devant le juge des référés afin de lui enjoindre de faire cesser toute utilisation des informations recueillies grâce aux déclarations individuelles des grévistes à d'autres fins que celles autorisées par la loi ;

Attendu que la société Air France fait grief à l'arrêt de dire que l'utilisation des déclarations individuelles aux fins de reconstituer les équipages avant la grève est constitutive d'un trouble manifestement illicite, et de la condamner à verser au Syndicat des pilotes d'Air France une somme provisionnelle en réparation du préjudice qu'il aurait subi et d'ordonner la publication de cette décision sur le site « Intraligne » d'information de la société dans le délai de trente jours à compter de sa signification et pour une durée d'un mois, sous astreinte, alors, selon le moyen :

1°/ que l'article L. 1114-3 du code des transports prévoit qu'en cas de grève dans une entreprise de transport aérien de passagers les salariés dont l'absence est de nature à affecter directement la réalisation des vols informent, au plus tard quarante huit heures avant de participer à la grève, le chef d'entreprise de leur intention ; que ce texte précise encore que les informations issues de ces déclarations individuelles ne peuvent être utilisées que « pour l'organisation de l'activité durant la grève en vue d'en informer les passagers » ; qu'il est ainsi expressément prévu que l'obligation d'information imposée au salarié gréviste puisse être utilisée par la compagnie aérienne pour organiser son activité ; qu'en retenant néanmoins que l'article L. 1114-3 du code des transports n'autorisait que la seule information des passagers et ne permettait pas à la société de transport aérien un aménagement du trafic avant le début du mouvement par la recomposition des équipes en fonction des salariés déclarés ou non-grévistes, la cour d'appel a violé la lettre comme l'esprit de cette disposition légale en même temps que l'article 809 du code de procédure civile ;

2°/ que, le droit de grève est un principe de valeur constitutionnelle qui a, cependant, des limites, lesquelles sont tracées en opérant la conciliation nécessaire entre la défense des intérêts professionnels, dont la grève est un moyen, et la sauvegarde de l'intérêt général, auquel la grève peut être de nature à porter atteinte ; qu'il appartient aux juges du fond, sous le contrôle de la Cour de cassation, d'apprécier la proportionnalité de cette atteinte à l'intérêt général qui la justifie ; qu'en l'espèce, si la société Air France a procédé, avant le début d'une grève de son personnel navigant, à une adaptation de ses effectifs c'était, ainsi qu'elle le faisait valoir, pour tenter d'assurer et de promouvoir la continuité du service rendu à ses usagers, le respect de leurs droits, leur protection en qualité de consommateurs, la prévention des dommages causés à son activité économique, la prévention des troubles qui résulteraient de l'introduction de trop nombreuses réclamations, la limitation de l'ampleur des conséquences financières résultant de la grève et des risques de blocage qu'elle engendrait, la protection des deniers publics, ainsi que le renforcement et l'enrichissement de l'attractivité touristique nationale ; qu'en considérant que la compagnie aérienne avait porté une atteinte illicite au principe constitutionnel du droit de grève, la cour d'appel, qui a ignoré les motifs d'intérêt général ainsi poursuivis par l'entreprise, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1114-3 du code des transports ensemble l'alinéa 7 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ;

3°/ qu'ensuite, l'organisation des plannings et la recomposition des équipages par l'entreprise de transport aérien afin d'assurer le maintien de vols en cas de perturbations, notamment au profit de passagers en transit, ont pour objet et pour effet d'éviter la concentration d'un nombre excessif de passagers en attente d'un vol dans des aéroports qui ne disposent pas des infrastructures, notamment hôtelières, nécessaires pour les accueillir dans des conditions d'hygiène et de sécurité satisfaisantes et permettent ainsi de prévenir une situation qui est source de troubles à l'ordre public et qui rend plus difficile l'exercice d'un certain nombre de missions de police administrative liées à l'activité aéroportuaire ; que, dès lors, en refusant à la société Air France la faculté d'utiliser les informations recueillies grâce aux déclarations individuelles des salariés grévistes pour procéder à de tels aménagements de plannings et recompositions d'équipages, la cour d'appel a méconnu la nécessaire conciliation entre le principe constitutionnel du droit de grève et l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde et de préservation de l'ordre public en violation de l'article L. 1114-3 du code des transports ensemble l'alinéa 7 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ;

4°/ que la liberté, qui consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui, ne saurait être préservée si des restrictions arbitraires ou abusives étaient apportées à la liberté d'entreprendre ; qu'en empêchant, concrètement, la société Air France de reconstituer les effectifs et de recomposer les équipages de vols en cas de grève de ses pilotes, la cour d'appel à empiété sur sa marge nécessaire d'autonomie, l'a privée de la possibilité de procéder à des choix économiques et stratégiques judicieux et, surtout, de prendre les décisions qui lui semblaient les plus adaptées en vue, sinon de réaliser des profits, du moins de réduire et d'anticiper ses difficultés économiques, portant ainsi une atteinte disproportionnée au principe constitutionnel de la liberté d'entreprendre par l'imposition à l'exploitant de compagnie aérienne de restrictions arbitraires et abusives, en violation de l'article L. 1114-3 du code des transports ensemble l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ;

5°/ que s'il ne peut recourir à la conclusion de contrats à durée déterminée, au recrutement de travailleurs intérimaires, à un prêt de main d'oeuvre à but lucratif ou à une modification unilatérale des contrats de travail en cours pour pallier les perturbations engendrées par la grève, l'employeur peut, toutefois et sous ces réserves, procéder, en vertu du pouvoir de direction dont il est investi, à des remplacements de grévistes par des non-grévistes afin de limiter les effets néfastes de la grève, et ce, notamment, dans l'intérêt de l'entreprise, de ses clients et de ses salariés ; qu'en refusant à la société Air France le droit de recomposer les équipages de vols en cas de grève de ses pilotes, la cour d'appel en neutralisant ce pouvoir de remplacement, inhérent à l'employeur, a violé, de ce fait, l'article L. 1114-3 du code des transports ensemble les articles L. 1221-1 et L. 2511-1 du code du travail, combinés ;

6°/ que l' « exercice normal du droit de grève » n'implique nullement que l'employeur soit pénalisé, perturbé et subisse un préjudice ; qu'en justifiant sa décision par le fait que la « la perturbation de l'activité est précisément la finalité de l'exercice du droit de grève » la cour d'appel a derechef violé les articles L. 1114-3 du code des transports et L. 1221-1 et L. 2511-1 du code du travail ;

7°/ que si les dispositions relatives à la grève dans les services publics ne sont pas applicables à une compagnie aérienne privée, il résulte,

cependant, de la règlementation de l'aviation civile le principe essentiel de l'obligation d'assurer la continuité des vols, ce dont il suit la nécessité d'observer dans le déclenchement et la poursuite des arrêts de travail des modalités compatibles avec ces contraintes exceptionnelles ; qu'en déniant à la société Air France le droit de reconstituer les effectifs et de recomposer les équipages de vols en cas de grève de ses pilotes, la cour d'appel a porté atteinte à ce principe et a violé, de ce fait, les dispositions des articles L. 1114-3, L. 6523-1, L. 6523-13 du code des transports, L. 2131-2 et L. 2511-1 du code du travail, ainsi que des articles L. 1111-1 et L. 1111-2 du code des transports, ensemble celles de la loi n° 2012-375 du 19 mars 2012 relative à l'organisation du service et à l'information des passagers dans les entreprises de transport aérien de passagers et à diverses dispositions dans le domaine des transports, combinées ;

Mais attendu d'une part, qu'il résulte des dispositions de l'article L. 1114-3 du code des transports issues de la loi n° 2012-375 du 19 mars 2012 qu'en cas de grève et pendant toute la durée du mouvement, les salariés dont l'absence est de nature à affecter directement la réalisation des vols informent, au plus tard quarante-huit heures avant de participer à la grève, le chef d'entreprise ou la personne désignée par lui de leur intention d'y participer et que les informations issues des déclarations individuelles des salariés ne peuvent être utilisées que pour l'organisation de l'activité durant la grève en vue d'en informer les passagers ;

Qu'il résulte d'autre part de l'article L. 1114-7 du code des transports qu'en cas de perturbation du trafic aérien liée à une grève dans une entreprise ou un établissement chargé d'une activité de transport aérien de passagers, tout passager a le droit de disposer d'une information gratuite, précise et fiable sur l'activité assurée, cette information devant être délivrée aux passagers par l'entreprise de transport aérien au plus tard vingt-quatre heures avant le début de la perturbation ;

Et attendu qu'ayant exactement retenu que ces dispositions, dont la finalité est l'information des usagers vingt-quatre heures à l'avance sur l'état du trafic afin d'éviter tout déplacement et encombrement des aéroports et préserver l'ordre public, n'autorisaient pas l'employeur, en l'absence de service minimum imposé, à utiliser les informations issues des déclarations individuelles des salariés afin de recomposer les équipages et réaménager le trafic avant le début du mouvement, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;

Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les deuxième, troisième et quatrième branches du moyen qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Air France aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Air France à payer au Syndicat des pilotes d'Air France la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du douze octobre deux mille dix-sept.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Spinosi et Sureau, avocat aux Conseils, pour la société Air France.

Il est reproché à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit que l'utilisation des déclarations individuelles aux fins de reconstituer les équipages avant la grève était constitutive d'un trouble manifestement illicite, d'avoir condamné la société AIR FRANCE à verser au SYNDICAT DES PILOTES D'AIR FRANCE (SPAF) la somme provisionnelle de 27.000,00 € en réparation du préjudice qu'il aurait subi et d'avoir ordonné la publication de cette décision sur le site « Intraligne » d'information de la société AIR FRANCE dans le délai de trente jours à compter de sa signification et pour une durée d'un mois, sous astreinte de 500,00 € par jour de retard passé ce délai pendant deux mois, à l'issue duquel il y serait à nouveau fait droit ;

Aux motifs que : « aux termes de l'article 809 du code de procédure civile, le président peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ;

[
] que le trouble manifestement illicite désigne toute perturbation résultant d'un fait matériel ou juridique qui, directement ou non, constitue une violation évidente de la règle de droit ; que l'atteinte au droit de propriété constitue par elle-même une voie de fait causant un trouble manifestement illicite qu'il appartient au juge des référés de faire cesser ;

[
] que la loi du 19 mars 2012 vise à « concilier de façon équilibrée, dans les entreprises de transport aérien de passagers, le principe constitutionnel du droit de grève d'une part, et d'autre part l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public, notamment la protection de la santé et de la sécurité des personnes (passagers en attente dans les aéroports) ainsi que le principe de continuité du service dans les aéroports lié à l'exploitation des aérodromes et l'exécution, sous l'autorité des titulaires du pouvoir de police, des missions de police administrative » ; que son article 2 6 complète le titre 1er du livre 1er de la première partie du code des transports, d'un chapitre IV intitulé : « Dispositions relatives au droit à l'information des passagers du transport aérien » ; que la section 3 de ce chapitre est relative à l'exercice du droit de grève, et la section 4 à l'information des passagers ;

[
] que l'article L. 1114-7 du code des transports impose aux entreprises et établissements entrant dans le champ d'application de la loi d'informer gratuitement les passagers du service qui sera assuré en cas de perturbation, c'est-à-dire de refus d'embarquement, de retard ou d'annulation liés à une grève, et cela au plus tard 24 heures avant le début de la perturbation ; que ce faisant il permet aux voyageurs aériens un service pendant la perturbation, sans pour autant imposer un service minimum dans le cadre du transport aérien ;

[
] que l'article L. 1114-3 du code des transports dispose : « En cas de grève et pendant toute la durée du mouvement, les salariés dont l'absence est de nature à affecter directement la réalisation des vols informent, au plus tard quarante-huit heures avant de participer à la grève, le chef d'entreprise ou la personne désignée par lui de leur intention d'y participer.

Le salarié qui a déclaré son intention de participer à la grève et qui renonce à y participer en informe son employeur au plus tard vingt quatre heures avant l'heure prévue de sa participation à la grève afin que celui-ci puisse l'affecter. Cette information n'est pas requise lorsque la grève n'a pas lieu ou lorsque la prise du service est consécutive à la fin de la grève.

Le salarié qui participe à la grève et qui décide de reprendre son service en informe son employeur au plus tard vingt-quatre heures avant l'heure de sa reprise afin que ce dernier puisse l'affecter. Cette information n'est pas requise lorsque la reprise du service est consécutive à la fin de la grève.

Les informations issues des déclarations individuelles des salariés ne peuvent être utilisées que pour l'organisation de l'activité durant la grève en vue d'en informer les passagers. Elles sont couvertes par le secret professionnel. »

[
] que ces dispositions sont destinées à assurer aux usagers le service garanti prévu à l'article L 1114-7 précité par la soumission de l'exercice individuel du droit de grève à des préavis de 48 h pour entrer dans la grève, et de 24 h pour y renoncer ;

[
] que le conseil constitutionnel a, dans sa décision du 15 mars 2012, pour retenir que l'article 2 de la loi était conforme à la Constitution, rappelé qu'il ressortait des travaux parlementaires qu'en imposant aux salariés des entreprises entrant dans le champ d'application de la loi d'informer leur employeur de leur intention de participer à un mouvement de grève, le législateur avait entendu mettre en place un dispositif permettant l'information des entreprises de transport aérien ainsi que de leurs passagers afin, notamment, d'assurer le bon ordre et la sécurité des personnes dans les aérodromes et, par suite, la préservation de l'ordre public qui est un objectif de valeur constitutionnelle ;

[
] que, s'il n'est pas interdit à l'employeur d'organiser l'entreprise pendant la grève, l'utilisation par celui-ci des informations issues des déclarations individuelles des salariés avant le début du mouvement doit avoir pour finalité celle prévue par la loi, à savoir l'information des usagers au moins 24 heures à l'avance des vols qui décollent ou atterrissent, afin d'éviter leur déplacement et l'encombrement des aéroports, ce qui répond à un objectif de préservation de l'ordre public ; que cette disposition n'est en effet pas destinée à permettre à la société de transport aérien un aménagement du trafic avant le début du mouvement par la recomposition des équipes en fonction des salariés déclarés ou non grévistes, en l'absence de service minimum imposé, et alors même que la perturbation de l'activité est précisément la finalité de l'exercice du droit de grève ;

[
] qu'une telle utilisation constitue un trouble manifestement illicite ; que toutefois, dès lors qu'il n'est pas en débat que la grève a cessé, les demandes tendant à le faire cesser sont sans objet ;

[
] que cette utilisation a causé au SPAF un préjudice, établi avec l'évidence requise en référé dès lors qu'il a affecté la perturbation sus visée que poursuivait la grève ;

Qu'il convient de réparer ce préjudice en allouant au SPAF la somme provisionnelle de 27 000 euros à valoir sur son indemnisation ;

Qu'il convient également d'ordonner la publication de la présente décision infirmative sur le site « intraligne » d'information de la société Air France dans les conditions fixées au dispositif » ;

1. Alors que, d'une part, l'article L. 1114-3 du code des transports prévoit qu'en cas de grève dans une entreprise de transport aérien de passagers les salariés dont l'absence est de nature à affecter directement la réalisation des vols informent, au plus tard quarante-huit heures avant de participer à la grève, le chef d'entreprise de leur intention ; que ce texte précise encore que les informations issues de ces déclarations individuelles ne peuvent être utilisées que « pour l'organisation de l'activité durant la grève en vue d'en informer les passagers » ; qu'il est ainsi expressément prévu que l'obligation d'information imposée au salarié gréviste puisse être utilisée par la compagnie aérienne pour organiser son activité ; qu'en retenant néanmoins que l'article L. 1114-3 du code des transports n'autorisait que la seule information des passagers et ne permettait pas à la société de transport aérien un aménagement du trafic avant le début du mouvement par la recomposition des équipes en fonction des salariés déclarés ou non-grévistes, la cour d'appel a violé la lettre comme l'esprit de cette disposition légale en même temps que l'article 809 du code de procédure civile.

2. Alors que, d'autre part, le droit de grève est un principe de valeur constitutionnelle qui a, cependant, des limites, lesquelles sont tracées en opérant la conciliation nécessaire entre la défense des intérêts professionnels, dont la grève est un moyen, et la sauvegarde de l'intérêt général, auquel la grève peut être de nature à porter atteinte ; qu'il appartient aux juges du fond, sous le contrôle de la Cour de cassation, d'apprécier la proportionnalité de cette atteinte à l'intérêt général qui la justifie ; qu'en l'espèce, si la société AIR FRANCE a procédé, avant le début d'une grève de son personnel navigant, à une adaptation de ses effectifs c'était, ainsi qu'elle le faisait valoir, pour tenter d'assurer et de promouvoir la continuité du service rendu à ses usagers, le respect de leurs droits, leur protection en qualité de consommateurs, la prévention des dommages causés à son activité économique, la prévention des troubles qui résulteraient de l'introduction de trop nombreuses réclamations, la limitation de l'ampleur des conséquences financières résultant de la grève et des risques de blocage qu'elle engendrait, la protection des deniers publics, ainsi que le renforcement et l'enrichissement de l'attractivité touristique nationale ; qu'en considérant que la compagnie aérienne avait porté une atteinte illicite au principe constitutionnel du droit de grève, la cour d'appel, qui a ignoré les motifs d'intérêt général ainsi poursuivis par l'entreprise, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1114-3 du code des transports ensemble l'alinéa 7 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ;

3. Alors qu'ensuite, l'organisation des plannings et la recomposition des équipages par l'entreprise de transport aérien afin d'assurer le maintien de vols en cas de perturbations, notamment au profit de passagers en transit, ont pour objet et pour effet d'éviter la concentration d'un nombre excessif de passagers en attente d'un vol dans des aéroports qui ne disposent pas des infrastructures, notamment hôtelières, nécessaires pour les accueillir dans des conditions d'hygiène et de sécurité satisfaisantes et permettent ainsi de prévenir une situation qui est source de troubles à l'ordre public et qui rend plus difficile l'exercice d'un certain nombre de missions de police administrative liées à l'activité aéroportuaire ; que, dès lors, en refusant à la société AIR FRANCE la faculté d'utiliser les informations recueillies grâce aux déclarations individuelles des salariés grévistes pour procéder à de tels aménagements de plannings et recompositions d'équipages, la cour d'appel a méconnu la nécessaire conciliation entre le principe constitutionnel du droit de grève et l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde et de préservation de l'ordre public en violation de l'article L. 1114-3 du code des transports ensemble l'alinéa 7 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ;

4. Alors qu'en outre, la liberté, qui consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui, ne saurait être préservée si des restrictions arbitraires ou abusives étaient apportées à la liberté d'entreprendre ; qu'en l'espèce, en empêchant, concrètement, la société AIR FRANCE de reconstituer les effectifs et de recomposer les équipages de vols en cas de grève de ses pilotes, la cour d'appel à empiété sur sa marge nécessaire d'autonomie, l'a privée de la possibilité de procéder à des choix économiques et stratégiques judicieux et, surtout, de prendre les décisions qui lui semblaient les plus adaptées en vue, sinon de réaliser des profits, du moins de réduire et d'anticiper ses difficultés économiques, portant ainsi une atteinte disproportionnée au principe constitutionnel de la liberté d'entreprendre par l'imposition à l'exploitant de compagnie aérienne de restrictions arbitraires et abusives, en violation de l'article L. 1114-3 du code des transports ensemble l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du Citoyen du 26 août 1789 ;

5. Alors qu'au surplus, s'il ne peut recourir à la conclusion de contrats à durée déterminée, au recrutement de travailleurs intérimaires, à un prêt de main d'oeuvre à but lucratif ou à une modification unilatérale des contrats de travail en cours pour pallier les perturbations engendrées par la grève, l'employeur peut, toutefois et sous ces réserves, procéder, en vertu du pouvoir de direction dont il est investi, à des remplacements de grévistes par des non-grévistes afin de limiter les effets néfastes de la grève, et ce, notamment, dans l'intérêt de l'entreprise, de ses clients et de ses salariés ; qu'en refusant à la société AIR FRANCE le droit de recomposer les équipages de vols en cas de grève de ses pilotes, la cour d'appel en neutralisant ce pouvoir de remplacement, inhérent à l'employeur, a violé, de ce fait, l'article L. 1114-3 du code des transports ensemble les articles L. 1221-1 et L. 2511-1 du code du travail, combinés ;

6. Alors qu'encore, l'« exercice normal du droit de grève » n'implique nullement que l'employeur soit pénalisé, perturbé et subisse un préjudice ; qu'en justifiant sa décision par le fait que la « la perturbation de l'activité est précisément la finalité de l'exercice du droit de grève » la cour d'appel a derechef violé les articles l'article L. 1114-3 du code des transports et L. 1221-1 et L. 2511-1 du code du travail.

7. Alors qu'enfin, si les dispositions relatives à la grève dans les services publics ne sont pas applicables à une compagnie aérienne privée, il résulte, cependant, de la règlementation de l'aviation civile le principe essentiel de l'obligation d'assurer la continuité des vols, ce dont il suit la nécessité d'observer dans le déclenchement et la poursuite des arrêts de travail des modalités compatibles avec ces contraintes exceptionnelles ; qu'en déniant à la société AIR FRANCE le droit de reconstituer les effectifs et de recomposer les équipages de vols en cas de grève de ses pilotes, la cour d'appel a porté atteinte à ce principe et a violé, de ce fait, les dispositions des articles L. 1114-3 L. 6523-1, L. 6523-13 du code des transports, L. 2131-2 et L. 2511-1 du code du travail, ainsi que des articles L. 1111-1 et L. 1111-2 du code des transports, ensemble celles de la loi n° 2012-375 du 19 mars 2012 relative à l'organisation du service et à l'information des passagers dans les entreprises de transport aérien de passagers et à diverses dispositions dans le domaine des transports, combinées.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 16-12550
Date de la décision : 12/10/2017
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Sociale

Analyses

CONFLIT COLLECTIF DU TRAVAIL - Grève - Grève dans les entreprises de transport aérien de passagers - Droit de grève - Exercice - Déclaration individuelle d'intention de grève - Effets - Information des usagers - Etendue - Détermination - Portée

TRANSPORTS AERIENS - Transport de personnes - Entreprises de transport aérien de passagers - Grève - Droit de grève - Exercice - Déclaration individuelle d'intention de grève - Effets - Organisation de l'activité - Recomposition des équipages - Exclusion - Détermination - Portée CONTRAT DE TRAVAIL, EXECUTION - Employeur - Pouvoir de direction - Etendue - Organisation de l'entreprise - Grève - Transport aérien - Déclaration individuelle d'intention de grève - Utilisation des déclarations des salariés - Limites - Détermination - Portée

Il résulte d'une part des dispositions de l'article L. 1114-3 du code des transports issues de la loi n° 2012-375 du 19 mars 2012 qu'en cas de grève et pendant toute la durée du mouvement, les salariés dont l'absence est de nature à affecter directement la réalisation des vols informent, au plus tard quarante-huit heures avant de participer à la grève, le chef d'entreprise ou la personne désignée par lui de leur intention d'y participer et que les informations issues des déclarations individuelles des salariés ne peuvent être utilisées que pour l'organisation de l'activité durant la grève en vue d'en informer les passagers. D'autre part, l'article L. 1114-7 du code des transports énonce qu'en cas de perturbation du trafic aérien liée à une grève dans une entreprise ou un établissement chargé d'une activité de transport aérien de passagers, tout passager a le droit de disposer d'une information gratuite, précise et fiable sur l'activité assurée, cette information devant être délivrée aux passagers par l'entreprise de transport aérien au plus tard vingt-quatre heures avant le début de la perturbation. Doit être approuvé l'arrêt qui a retenu que ces dispositions, dont la finalité est l'information des usagers vingt-quatre heures à l'avance sur l'état du trafic afin d'éviter tout déplacement et encombrement des aéroports et préserver l'ordre public, n'autorisaient pas l'employeur, en l'absence de service minimum imposé, à utiliser les informations issues des déclarations individuelles des salariés afin de recomposer les équipages et réaménager le trafic avant le début du mouvement


Références :

articles L. 1114-3 et L. 1114-7 du code des transports

loi n° 2012-375 du 19 mars 2012 relative à l'organisation du service et à l'information des passagers dans les entreprises de transport aérien de passagers et à diverses dispositions dans le domaine
des transports

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 15 décembre 2015


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 12 oct. 2017, pourvoi n°16-12550, Bull. civ.
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles

Composition du Tribunal
Président : M. Frouin
Avocat(s) : SCP Spinosi et Sureau, SCP Capron

Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2017:16.12550
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