Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Unither Industries a demandé au tribunal administratif d'Amiens de prononcer la décharge de l'obligation de payer la somme de 819 339 euros laissée à sa charge par le directeur régional des finances publiques de Picardie et du département de la Somme au titre de la récupération d'une aide d'Etat incompatible avec le marché commun.
Par un jugement n° 1203069 du 19 mai 2015, le tribunal administratif d'Amiens a prononcé la décharge de l'obligation de payer la somme de 275 732 euros correspondant au montant des intérêts communautaires.
Procédure devant la cour :
I. Par un recours et un mémoire, enregistrés sous le n° 15DA01017 le 19 juin 2015 et le 14 septembre 2015, le ministre des finances et des comptes publics demande à la cour :
1°) d'annuler l'article 1er du jugement du 19 mai 2015 du tribunal administratif d'Amiens ;
2°) de remettre à la charge de la société Unither Industries l'obligation de payer la somme de 275 732 euros correspondant au montant des intérêts communautaires.
Il soutient que :
- le titre de perception du 26 janvier 2012 est suffisamment motivé au regard des dispositions de l'article 81 du décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 ;
- aucun des autres moyens présentés par la société Unither Industries en première instance à l'encontre de l'obligation de payer la somme correspondant aux intérêts communautaires n'est fondé.
Par un mémoire, enregistré le 18 août 2015, la société Unither Industries, représentée par Me B...A..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 10 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative lui soit versée.
Elle soutient que :
- le titre de perception du 26 janvier 2012 est insuffisamment motivé ;
- les intérêts de retard qui lui ont été appliqués ont le caractère d'une sanction illégale ;
- ce titre est entaché d'une erreur de droit quant au calcul des intérêts.
II. Par une requête et un mémoire, enregistrés sous le n° 15DA01189 le 16 juillet 2015 et le 3 mai 2017, la société Unither Industries, représentée par Me B...A..., demande à la cour :
1°) d'annuler, à titre principal, l'article 3 du jugement du 19 mai 2015 du tribunal administratif d'Amiens ;
2°) de prononcer la décharge de l'obligation de payer la somme de 543 607 euros ;
3°) de surseoir à statuer, à titre subsidiaire, jusqu'à ce que la Cour de Justice de l'Union Européenne se soit prononcée sur la validité de la décision 2004/343/CE du 16 décembre 2003 de la Commission européenne ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 20 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le titre de perception du 26 janvier 2012 mettant la somme de 543 607 euros à sa charge est insuffisamment motivé ;
- les droits de la défense, droits fondamentaux de l'Union européenne, n'ont pas été respectés ;
- la décision du 16 décembre 2003 par laquelle la Commission a demandé aux autorités françaises de procéder à la récupération de l'aide résultant du régime d'exonération institué par les dispositions de l'article 44 septies du code général des impôts est insuffisamment motivée ;
- cette décision a inexactement qualifié ce dispositif d'exonération fiscale d'aide d'Etat incompatible avec le marché commun ;
- cette décision aurait dû au moins constater qu'il s'agissait d'une aide existante qui ne peut donner lieu à récupération ;
- cette décision repose sur des motifs erronés, en ce qui concerne la désignation des bénéficiaires de l'aide et la détermination de son montant ;
- cette décision a, ainsi, demandé aux autorités françaises de procéder à la récupération de l'aide en cause dans des conditions contraires aux principes de concurrence et de proportionnalité ;
- en procédant auprès d'elle à cette récupération, l'administration fiscale a méconnu les principes de sécurité juridique et de confiance légitime et le droit au respect des biens garanti par l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- c'est à tort que l'administration fiscale a estimé qu'elle était bénéficiaire de l'aide et redevable des sommes récupérées ;
- c'est à tort que l'administration fiscale s'est estimée en situation de compétence liée lorsque la Commission l'a mise en demeure de réémettre un titre de perception à son encontre ;
- l'administration fiscale a commis une erreur dans la détermination du montant de l'aide à récupérer ;
- elle a commis une erreur de droit en estimant que les intérêts de retard continuaient à courir au-delà de la date d'émission du titre de perception initial.
Par des mémoires, enregistrés le 14 septembre 2015 et le 18 avril 2017, le ministre de l'économie et des finances conclut au rejet de la requête.
Il soutient que si les moyens tenant à la régularité de la procédure d'émission du titre de perception du 26 janvier 2012 sont fondés, les irrégularités commises n'entraînent pas la restitution des sommes en litige et qu'aucun des autres moyens n'est fondé.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 et son premier protocole additionnel ;
- le traité instituant la Communauté européenne, devenu traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- le règlement (CE) n° 659/1999 du Conseil du 22 mars 1999 ;
- le règlement (CE) de la Commission du 21 avril 2004 ;
- la décision 2004/343/CE de la Commission du 16 décembre 2003 ;
- le code général des impôts ;
- le décret 62-1369 du 29 décembre 1962 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Rodolphe Féral, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Jean-Marc Guyau, rapporteur public.
1. Considérant que la société E-Pharma, ensuite devenue Creapharm Gannat, a bénéficié, au titre des années 1999 et 2000, de l'exonération d'impôt sur les sociétés instituée par l'article 44 septies du code général des impôts ; que par décision 2004/343/CE du 16 décembre 2003, la Commission européenne, estimant que, sous réserve de l'application des dispositions dérogatoires concernant les aides " de minimis ", les aides à finalité régionale et les aides en faveur des petites et moyennes entreprises, l'exonération prévue par l'article 44 septies du code général des impôts, dans sa rédaction alors en vigueur, constituait un régime d'aide d'Etat, irrégulièrement mis en oeuvre sans la notification préalable prévue au paragraphe 3 de l'article 88 du Traité instituant la Communauté économique européenne et incompatible avec le marché commun, a demandé à l'Etat français de prendre toutes les mesures nécessaires pour récupérer ces aides auprès de leurs bénéficiaires ; qu'à la suite de l'arrêt n° C-214/07 du 13 novembre 2008, par lequel la Cour de justice des communautés européennes a déclaré que la France avait manqué aux obligations de récupération qui lui incombaient en vertu de la décision de la Commission, l'administration fiscale a entrepris de récupérer l'aide accordée à la société E-Pharma auprès de la société Unither Industries qui, ayant acquis Creapharm Gannat, venait aux droits et obligations de cette dernière ; que l'administration fiscale a, à cet effet, émis à l'encontre de la société Unither Industries, le 27 novembre 2009, un titre de perception d'un montant total de 2 862 511 euros, dont 1 892 269 euros en principal et 970 242 euros d'intérêts ; que la société Unither Industries a présenté une réclamation contre ce titre ; que, retenant, après avoir consulté sur ce point la Commission, l'argument de la société selon lequel la cession de Creapharm Gannat, intervenue au prix du marché, n'avait pu transmettre au cessionnaire le bénéfice de l'aide, l'administration fiscale a émis, le 11 mai 2010, un titre d'annulation de même montant ; que, toutefois, la Commission ayant porté à la connaissance des autorités françaises sa nouvelle analyse des règles selon lesquelles la société Unither Industries devait être identifiée comme le bénéficiaire de l'aide octroyée à E-Pharma, l'administration fiscale a, par un courrier du 13 janvier 2012, informé la société Unither de la mise en recouvrement prochaine de la somme de 1 892 269 euros en principal, assortie de 1 069 064 euros d'intérêts, et émis à cet effet, le 26 janvier 2012, un titre de recettes d'un montant total de 2 961 333 euros ; qu'à la suite d'une nouvelle réclamation formée le 22 mars 2012 par la société Unither Industries, l'administration, par une décision du 28 mars 2012, a procédé à un nouveau calcul du montant de l'aide à récupérer et, tenant compte des exceptions possibles à la qualification d'aide d'Etat, a ramené la somme due à 543 607 euros en principal, assortie de 275 732 euros d'intérêts ; qu'un titre d'annulation partielle a été émis le 5 juin 2012 ; que la société Unither Industries, sous le n° 15DA01189 relève appel du jugement n° 1203069 du 19 mai 2015 en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à la décharge de l'obligation de payer la créance en principal d'un montant de 543 607 euros et n'a prononcé la décharge de l'obligation de payer qu'en ce qui concerne les intérêts communautaires pour un montant de 275 732 euros ; que le ministre de l'économie et des finances, sous le n° 15DA01017 relève appel du jugement en tant qu'il a prononcé la décharge de l'obligation de payer les intérêts communautaires ;
2. Considérant que le recours n° 15DA01017 présenté par le ministre des finances et des compte publics et la requête n° 15DA01189 présentée par la société Unither Industries qui sont dirigés contre le même jugement, présentent à juger des questions semblables et ont fait l'objet d'une instruction commune ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt ;
3. Considérant qu'aux termes de l'article 14 du règlement n° 659/1999/CE du 22 mars 1999 portant modalités d'application de l'article 93 du traité CE, devenu l'article 108 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " 1. En cas de décision négative concernant une aide illégale, la Commission décide que l'Etat membre concerné prend toutes les mesures nécessaires pour récupérer l'aide auprès de son bénéficiaire (ci-après dénommée " décision de récupération "). La Commission n'exige pas la récupération de l'aide si, ce faisant, elle allait à l'encontre d'un principe général du droit communautaire. / (...) /3. (...) la récupération s'effectue sans délai et conformément aux procédures prévues par le droit national de l'Etat membre concerné, pour autant que ces dernières permettent l'exécution immédiate et effective de la décision de la Commission. A cette fin et en cas de procédure devant les tribunaux nationaux, les Etats membres concernés prennent toutes les mesures prévues par leurs systèmes juridiques respectifs, y compris les mesures provisoires, sans préjudice du droit communautaire " ;
4. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 81 du décret du 29 décembre 1962 alors en vigueur : " Le titre de perception mentionne les bases de liquidation " ; qu'ainsi, l'Etat ne peut mettre en recouvrement une créance sans indiquer, soit dans le titre de perception lui-même, soit par une référence précise à un document joint à ce titre ou précédemment adressé au débiteur, les bases et les éléments de calcul sur lesquels il s'est fondé pour déterminer le montant de la créance ;
5. Considérant que le titre de perception du 26 janvier 2012 indique que le montant réclamé à la société Unither Industries correspond à l'aide que la société Creapharm Gannat a perçue en 1999 et 2000 au titre de l'article 44 septies du code général des impôts et que la Commission européenne a déclarée incompatible avec le marché commun par sa décision 2004/343/CE du 16 décembre 2003, ainsi qu'à des intérêts calculés conformément au règlement n° 794/2004/CE de la Commission du 21 avril 2004 ; qu'un courrier du 13 janvier 2012 adressé préalablement à la société indique le montant brut de l'aide réclamée ainsi que la déduction de ce montant d'une somme de 100 000 euros au titre des aides de minimis et de 1 414 000 euros au titre des aides à finalité régionale ; que, toutefois, ces éléments ne permettaient pas à la société Unither Industries, d'une part, de connaître les modalités de calcul de la créance de l'Etat alors que ce calcul faisait notamment intervenir les règles relatives aux aides de minimis et aux aides à finalité régionale et, d'autre part, s'agissant des intérêts, ne permettait pas à la société requérante de connaître les modalités de leur calcul et notamment le point de départ du calcul des intérêts ainsi que le taux appliqué ; que, dans ces conditions, le titre de perception du 26 janvier 2012 est insuffisamment motivé tant en ce qui concerne les bases de liquidation de la créance en principal qu'en ce qui concerne les bases de liquidation des intérêts ;
6. Considérant, en second lieu, que si la société Unither Industries a pu présenter des observations dans le cadre de la procédure relative à l'émission du titre de perception du 27 novembre 2009 et lors de la réclamation qu'elle a présentée contre ce titre, l'administration fiscale a toutefois procédé, le 11 mai 2010 à l'annulation de ce titre au motif que la société requérante n'était pas le redevable de l'aide ; que l'administration fiscale est revenue sur cette position à la suite d'une mise en demeure de la Commission du 29 septembre 2011 et a adressé à la société requérante le 13 janvier 2012 un courrier l'informant qu'un nouveau titre de perception serait en conséquence émis ; qu'eu égard à ce revirement de position de l'administration fiscale, la société Unither Industries aurait dû être mise à même de présenter ses observations, conformément au principe général du droit de la défense, avant l'émission du nouveau titre de perception, dès lors que cette procédure n'empêchait pas l'exécution effective et immédiate de la décision de la Commission du 21 avril 2004 ;
7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le titre de perception du 26 janvier 2012 ne satisfaisait pas aux exigences de motivation de l'article 81 du décret du 29 décembre 1962 et a été pris en méconnaissance des droits de la défense ; que, toutefois, alors que la société Unither Industries ne présente pas de conclusions aux fins d'injonction de restitution des sommes en litige, ces vices peuvent être régularisés par l'émission d'un nouveau titre de perception ; qu'ainsi, les dispositions de l'article 14, paragraphe 3, du règlement (CE) du 22 mars 1999, qui impliquent de concilier le respect des procédures prévues par le droit national avec l'exigence de permettre l'exécution effective et immédiate de la décision de la Commission, ne font pas obstacle à l'annulation du titre de perception litigieux ; que, par suite, d'une part, la société Unither Industries est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande en tant qu'elle portait sur la décharge de l'obligation de payer la créance en principal d'un montant de 543 607 euros et, d'autre part, le recours du ministre des finances et des comptes publics contre le jugement attaqué en tant qu'il a déchargé la société requérante de l'obligation de payer les intérêts communautaires doit être rejeté ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
8. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros, à verser à la société Unither Industries, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
DÉCIDE :
Article 1er : L'article 3 du jugement n° 1203069 du tribunal administratif d'Amiens du 19 mai 2015 est annulé.
Article 2 : La société Unither Industries est déchargée de l'obligation de payer la somme de 543 607 euros.
Article 3 : L'Etat versera à la société Unither Industries une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le recours du ministre des finances et des comptes publics est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Unither Industries et au ministre de l'action et des comptes publics.
Délibéré après l'audience publique du 9 mai 2017 à laquelle siégeaient :
- Mme Odile Desticourt, présidente de chambre,
- M. Marc Lavail Dellaporta, président-assesseur,
- M. Rodolphe Féral, premier conseiller.
Lu en audience publique le 1er juin 2017.
Le rapporteur,
Signé : R. FERALLa présidente de chambre,
Signé : O. DESTICOURT
Le greffier,
Signé : M.T. LEVEQUE
La République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Le greffier
Marie-Thérèse Lévèque
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N°15DA01017,15DA01189