AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le premier mars deux mille six, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire CARON, les observations de Me SPINOSI, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DAVENAS, l'avocat du demandeur ayant eu la parole en dernier ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... Michel,
contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'ORLEANS, en date du 13 octobre 2005, qui, dans l'information suivie contre lui pour blanchiment de produits provenant du trafic de stupéfiants, blanchiment aggravé, révélations d'informations issues d'une enquête ou dune instruction en cours, a rejeté sa requête en annulation d'actes de la procédure ;
Vu l'ordonnance du président de la chambre criminelle, en date du 2 janvier 2006, prescrivant l'examen immédiat du pourvoi ;
Vu le mémoire produit ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que le juge d'instruction d'Orléans, informant sur des faits de blanchiment de produits provenant du trafic de stupéfiants, a ordonné, par commission rogatoire, la mise en place d'un dispositif de captation et d'enregistrement des conversations tenues au parloir de la maison d'arrêt par Catherine Y..., mise en examen pour recel de blanchiment et placée en détention provisoire ; que les propos échangés avec ses visiteurs, intéressant les faits, objet de l'information, ont été interceptés, enregistrés puis transcrits dans trois procès-verbaux versés à la procédure ; que Michel X... a déposé une requête en annulation, dans laquelle il a invoqué, notamment, l'irrégularité de ces opérations au regard de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme et a fait également valoir qu'elles avaient constitué un procédé déloyal d'obtention des preuves et violé ses droits de la défense ;
En cet état ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6.1 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, 591, 593, 706-96 à 706-102 du Code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a refusé de prononcer la nullité des actes de la procédure tirée de l'irrégularité de la sonorisation du parloir de Catherine Y... ;
"aux motifs que, "par commission rogatoire du 12 mai 2005, les magistrats instructeurs ordonnaient la mise en place d'un dispositif de sonorisation des parloirs de Catherine Y... avec les personnes habilitées à lui rendre visite ; ce procédé avait déjà été utilisé lors des premiers mois de détention provisoire de Georges Z... ; que les conseils de Michel X... considèrent qu'il s'agit à la fois d'une atteinte à la vie privée, d'une provocation de juges visant à se procurer des éléments de preuve contre leur client et donc d'une atteinte aux droits de la défense ; que les trois procès-verbaux ont été établis, qui ne font apparaître dans la retranscription des conversations tenues aucun élément déterminant ou nouveau à l'encontre des personnes mises en examen ou en cause ; que Catherine Y... a été mise supplétivement en examen le 13 avril 2005 pour recel de blanchiment de produits d'un trafic de stupéfiant, recel de blanchiment aggravé, il était donc possible aux magistrats instructeurs de faire application des dispositions de l'article 706-96 du Code de procédure pénale, lesquelles renvoient à celles de l'article 706-73, 4 , du même Code s'agissant de faits de recel ; que cette disposition de la loi du 9 mars 2004, qui précise que la mise en place du dispositif technique se fait sans le consentement des intéressés en des lieux publics ou privés déterminés par le juge d'instruction et permet l'enregistrement de paroles prononcées par une ou plusieurs personnes à titre privé ou confidentiel, a fait l'objet, avant d'être votée et promulguée, -après avis du conseil constitutionnel-, de débats qui ont démontré la volonté du législateur de choisir entre l'éventuelle atteinte à la vie privée et la nécessaire adaptation des moyens policiers et judiciaires d'investigations pour contrer la délinquance organisée ; qu'en conséquence, la mise en place d'un dispositif d'écoutes et la transcription des paroles entendues ne peuvent porter atteinte aux droits de la défense, puisque réalisées conformément à une disposition législative et sous le contrôle d'un juge, d'autant que la retranscription de ces écoutes, ainsi qu'il ressort du contenu des procès-verbaux contestés, ne comportent que les propos relatifs à la procédure en cours et ne fait nullement état de faits concernant la vie privée et l'intimité des intéressés ; qu'issue de la loi du 9 mars 2004, organisée sous le contrôle du juge, dans le cadre des articles 706-96 à 706-102 du Code susvisé, la décision de recourir à ce procédé ne peut constituer une fraude aux droits de la défense, ni constituer un moyen déloyal d'obtention de preuve, alors qu'elle résulte de l'utilisation régulière d'un dispositif légal d'investigations, mis à la disposition du juge, que les procès-verbaux de transcription figurent en procédure et peuvent être critiqués par les conseils des mis en examen, et qu'il ne peut
être raisonnablement avancé, sans suspecter l'impartialité des juges et porter atteinte à leur honneur, que les magistrats instructeurs, en autorisant Catherine Y... à rencontrer des membres de sa famille et ses amies, dont plusieurs avaient déjà été entendues comme témoins ou le seraient postérieurement à la date de la commission rogatoire, n'ont visé qu'une à obtenir de nouveaux éléments à charge contre Michel X... ; que, sur cet argument spécifique, outre la nécessité de vérifier l'adéquation des déclarations de Catherine Y... faites le 11 mai 2005 et des propos qu'elle pourrait tenir avec sa famille, la mesure d'investigation ordonnée le 12 mai 2005 doit aussi s'analyser comme une recherche de la vérité, s'inscrivant dans le cadre des dispositions générales de l'article préliminaire du Code de procédure pénale -dont il est constant qu'il n'est pas contraire à l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme- et commandée par une réserve certaine à l'égard des révélations faites par Catherine Y... à l'encontre de l'avocat de Georges Z..., et ce, préalablement à son éventuelle interpellation ; qu'enfin, la mise en oeuvre de ce dispositif s'inscrit dans les autres actes d'enquête effectués par les magistrats instructeurs et notamment le recueil de déclarations de Gilles Soubirous et d'autres mis en examen, venant conforter les déclarations de Catherine Y..." ;
"alors que, d'une part, les "mesures de sauvegardes", prévues par les dispositions des articles 706-96 à 706-102 du Code de procédure pénale issus de la loi du 9 mars 2004, ne sont pas suffisantes pour justifier que l'ingérence dans la vie privée du détenu et de ses proches que constitue la sonorisation d'un parloir est désormais "prévue par la loi" ;
"alors qu'en tout état de cause, les dispositions qui encadrent la procédure de sonorisation ne permettent pas pour autant l'exercice d'un "contrôle efficace" pour un justiciable qui, comme en l'espèce, du fait d'une écoute incidente se voit mis en cause dans une procédure à laquelle il était étranger ;
"alors qu'en outre, il résulte des mentions mêmes de la chambre de l'instruction que la sonorisation du parloir de Catherine Y... avait pour objet de "vérifier l'adéquation des déclarations faites par celle-ci lors d'un interrogatoire et des propos qu'elle pouvait tenir avec sa famille", sachant que cette mesure d'investigation devait aussi s'analyser comme "une recherche de la vérité" ; qu'en l'état de ces seuls motifs, la chambre de l'instruction n'a pas caractérisé que l'ingérence dans la vie privée de Catherine Y... et de ses proches était "nécessaire" pour atteindre l'un des buts "légitimes" prévus par l'alinéa 2 de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
"alors qu'enfin, la sonorisation d'un parloir qui aboutit en pratique à ce que le juge d'instruction puisse enregistrer à leur insu des personnes qu'il a d'ores et déjà entendues en qualité de témoin et auxquelles il a, en toute connaissance de cause, délivré un permis de visite, constitue un détournement de procédure et un procédé déloyal de d'obtention de la preuve pénale" ;
Sur le moyen, pris en ses première et troisième branches :
Attendu qu'en écartant, par les motifs reproduits au moyen, le grief pris d'une violation de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, la chambre de l'instruction a justifié sa décision ;
Que, d'une part, l'interception des conversations de Catherine Y... et de ses visiteurs au parloir de la maison d'arrêt a eu lieu dans les conditions et formes prévues par les articles 706-96 à 706- 102 du Code de procédure pénale ;
Que, d'autre part, les opérations, ordonnées par le juge d'instruction, pour une durée limitée, ont été placées en permanence sous son autorité et son contrôle et ont été justifiées par la nécessité de rechercher la manifestation de la vérité, relativement à des infractions portant gravement atteinte à l'ordre public, telles celles prévues et définies par l'article 706-73, alinéa 14, du Code de procédure pénale ;
Qu'enfin, la Cour de cassation est en mesure de s'assurer que les garanties légales et conventionnelles reconnues aux personnes concernées par cette mesure ont été respectées, celles-ci ayant tout pouvoir d'en contrôler efficacement l'exécution ;
Sur le moyen, pris en ses deuxième et quatrième branches :
Attendu que, pour écarter le moyen de nullité, proposé par Michel X..., pris de l'emploi d'un procédé déloyal d'obtention de la preuve d'une infraction et d'une atteinte aux droits de la défense, l'arrêt attaqué relève que le juge d'instruction, aux fins de rechercher la manifestation de la vérité, a eu recours à un dispositif de sonorisation prévu par la loi ; que les juges ajoutent qu'en l'espèce la sonorisation du parloir de Catherine Y... était commandée par la réserve qu'appelaient les accusations qu'elle avait portées contre Michel X... à l'occasion d'un interrogatoire ; qu'enfin, la chambre de l'instruction retient que l'intéressé a été en mesure d'exercer son droit à contester le contenu des procès-verbaux de transcription des conversations enregistrées, régulièrement versés dans la procédure ;
Attendu qu'en statuant ainsi, la chambre de l'instruction a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Cotte président, Mme Caron conseiller rapporteur, M. Le Gall, Mme Chanet, M. Pelletier, Mme Ponroy, M. Arnould, Mme Koering-Joulin, M. Corneloup, Mme Ract-Madoux conseillers de la chambre, M. Sassoust conseiller référendaire ;
Avocat général : M. Davenas ;
Greffier de chambre : M. Souchon ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;