AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le dix mai deux mille six, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire MENOTTI, les observations de Me CARBONNIER, de la société civile professionnelle Le GRIEL, de la société civile professionnelle ROGER et SEVAUX, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général FINIELZ ;
Statuant sur les pourvois formés par :
- LE X... Jean-Marie,
- L'ASSOCIATION LIGUE INTERNATIONALE CONTRE LE RACISME ET L'ANTISEMITISME (LICRA), partie civile,
contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 11e chambre, en date du 24 février 2005, qui, dans la procédure suivie contre le premier, du chef de provocation à la discrimination raciale, l'a condamné à 10 000 euros d'amende, a déclaré irrecevable la constitution de partie civile de la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (LICRA), et a prononcé sur les intérêts civils ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
I - Sur la recevabilité du pourvoi formé par Jean-Marie Le X... :
Attendu que le pourvoi, formé le 1er mars 2005, plus de trois jours après le prononcé de l'arrêt contradictoire, est irrecevable comme tardif en application de l'article 59 de la loi du 29 juillet 1881 ;
II - Sur la recevabilité du mémoire en association de la Ligue des droits de l'homme :
Attendu que, n'étant pas partie à la procédure, la Ligue des droits de l'homme ne tire d'aucune disposition légale la faculté de déposer un mémoire ;
Que, dès lors, le mémoire produit par cette association est irrecevable ;
III - Sur le pourvoi formé par la LICRA :
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 2, 3, 7, 8, 10, 485, 591 et suivants du code de procédure pénale, articles 24, 48-1, 50 et 53 de la loi du 29 juillet 1881, article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme, défaut de motifs, contradiction de motifs et manque de base légale ;
"en ce que, sur l'action civile, l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré irrecevable la constitution de partie civile de la LICRA et l'a déboutée en conséquence de ses demandes ;
"au seul motif que l'acte initial de poursuite fixe définitivement et irrévocablement la nature, l'étendue et l'objet de la poursuite ; que, dès lors, la LICRA n'est pas admise à intervenir en qualité de partie civile dans une procédure engagée sur citation directe de la Ligue des droits de l'homme" (arrêt, page 7, 1er) ;
"alors, d'une part, que, si l'action civile ne peut plus être exercée devant la juridiction répressive après le délai d'expiration de l'action publique, tout acte de poursuite et d'instruction accompli dans ce délai interrompt la prescription des actions tant publique que civile non seulement à l'égard de tous les participants à l'infraction, mais encore à l'égard de toutes les victimes de celle-ci ;
qu'en l'espèce, il est constant que, le 29 avril 2003, la Ligue des droits de l'homme et du citoyen a engagé des poursuites à l'encontre de Jean-Marie Le X... à raison des propos tenus par celui-ci le 19 avril 2003 dans le quotidien Le Monde, par citation directe devant le tribunal correctionnel de Paris, pour y répondre du délit de provocation à la discrimination, à la haine et à la violence envers un groupe de personnes en raison de leur religion ; que cette citation directe a interrompu la prescription ; que, lors de l'audience du 13 février 2004, la LICRA est intervenue aux débats et s'est constituée partie civile ; qu'en déclarant irrecevable la LICRA en sa constitution de partie civile, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
"alors, d'autre part, qu'est recevable, par voie d'intervention, la constitution de partie civile d'une association se proposant par ses statuts de combattre le racisme ou d'assister les victimes de discrimination fondée sur leur origine nationale, ethnique, raciale ou religieuse, pour exercer les droits reconnus à la partie civile s'agissant de l'infraction prévue par l'article 24, alinéa 6, de la loi du 29 juillet 1881 ; qu'en l'espèce, la LICRA, dont il n'est pas contesté qu'elle a pour objet statutaire de combattre le racisme ou d'assister les victimes de discrimination fondée sur leur origine nationale, ethnique, raciale ou religieuse, s'est constituée partie civile, par voie d'intervention sur la citation directe de la Ligue des droits de l'homme et du citoyen, pour voir déclarer Jean-Marie Le X... coupable du délit de provocation à la discrimination, à la haine et à la violence envers un groupe de personnes en raison de leur religion à raison des propos tenus dans le journal Le Monde daté du 19 avril 2003 ; que, pour infirmer le jugement ayant déclaré recevable cette constitution de partie civile, la cour d'appel a considéré que "l'acte initial de poursuite fixe définitivement et irrévocablement la nature, l'étendue et l'objet de la poursuite" ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que, cité directement devant le tribunal correctionnel à la requête de la Ligue des droits de l'homme pour provocation à la discrimination raciale, Jean-Marie Le X... a été déclaré coupable de ce délit et condamné à payer des dommages-intérêts à cette association, ainsi qu'à la Ligue contre le racisme et l'antisémitisme (LICRA), intervenue en cours d'instance ;
Attendu que, pour infirmer le jugement sur ce dernier point et déclarer irrecevable la constitution de partie civile de la LICRA, l'arrêt énonce que cette association n'est pas admise à intervenir en qualité de partie civile dans une procédure engagée sur la citation directe de la Ligue des droits de l'homme ;
Attendu qu'en statuant ainsi, les juges ont justifié leur décision au regard des articles 50, 53, 48-1 de la loi du 29 juillet 1881, 2 et 3 du Code de procédure pénale ;
Qu'en effet, en matière de presse, l'acte initial de poursuite fixe irrévocablement la nature, l'étendue et l'objet de celle-ci, ainsi que les points sur lesquels le prévenu aura à se défendre ; qu'il s'ensuit qu'aucune personne ne saurait être admise à intervenir comme partie civile dans la procédure déjà engagée à l'initiative d'une autre partie civile ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
Par ces motifs,
I - Sur le pourvoi formé par Jean-Marie Le X... :
Le DECLARE IRRECEVABLE ;
II - Sur le pourvoi formé par la LICRA :
Le REJETTE ;
DIT n'y avoir lieu à application, au profit de la LICRA et de la Ligue des droits de l'homme, de l'article 618-1 du Code de procédure pénale ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Cotte président, Mme Ménotti conseiller rapporteur, M. Joly, Mme Anzani, MM. Beyer, Pometan, Mmes Palisse, Guirimand, M. Beauvais, Mme Radenne conseillers de la chambre, M. Valat conseiller référendaire ;
Avocat général : M. Finielz ;
Greffier de chambre : M. Souchon ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;