AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, DEUXIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Donne acte à Mme Gisèle X..., veuve Y..., à M. Sébastien Y... et à Mme Céline Y... de leur reprise d'instance, en qualité d'héritiers de Gilbert Y..., décédé le 19 décembre 2005 ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Gilbert Y... a exercé la profession de soudeur au cours de laquelle il a été exposé à l'inhalation de poussières d'amiante ; qu'il a été reconnu atteint d'un mésothéliome pleural malin dont le caractère de maladie professionnelle a été admis ; qu'il a demandé la réparation de ses préjudices au fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (FIVA) qui lui a notifié une offre partielle d'indemnisation de son préjudice extrapatrimonial en indiquant qu'il ne pouvait lui faire d'offre pour ses préjudices patrimoniaux car l'organisme social compétent ne lui avait pas fait connaître le montant des indemnités qui doivent être déduites de celles allouées par le FIVA ; que Gilbert Y... ayant saisi la cour d'appel d'un recours contre cette décision du FIVA, son épouse est intervenue volontairement devant cette juridiction pour demander l'indemnisation de son préjudice économique résultant de la diminution de ses revenus professionnels du fait qu'elle a dû restreindre son activité pour s'occuper de son mari ;
Sur le moyen unique du pourvoi principal du FIVA :
Attendu que le FIVA fait grief à l'arrêt d'avoir déclaré recevable l'action de Mme Y... et d'avoir dit qu'il devra lui verser une certaine somme en réparation de son préjudice alors, selon le moyen, qu'aux termes de l'article 53, pris en ses paragraphes III, IV, et V, de la loi du 23 décembre 2000, le demandeur pour obtenir la réparation intégrale de son préjudice auprès du FIVA justifie de l'exposition à l'amiante et de l'atteinte à l'état de santé de la victime ; que, dans les six mois à compter de la réception d'une demande d'indemnisation, le FIVA présente au demandeur une offre d'indemnisation ; que le demandeur ne dispose du droit d'action en justice contre le FIVA que si sa demande d'indemnisation a été rejetée, si aucune offre ne lui a été présentée dans le délai mentionné au premier alinéa du IV ou s'il n'a pas accepté l'offre qui lui a été faite, l'action devant être intentée devant la cour d'appel dans le ressort de laquelle se trouve le domicile du demandeur ; qu'aux termes de l'article 15 du décret du 23 octobre 2001, la demande d'indemnisation est présentée au FIVA au moyen d'un formulaire conforme au modèle approuvé par le conseil d'administration ; qu'il s'ensuit que, lorsque l'offre formulée par le FIVA dans les conditions de l'article 53-IV de la loi du 23 décembre 2000 et de l'article 15 du décret du 23 octobre 2001 n'a pas été acceptée si la victime ou ses ayants droit sont recevables à saisir la cour d'appel de toute demande d'indemnisation d'un chef de préjudice trouvant sa source dans la contamination par l'amiante, la recevabilité d'une telle demande compétente suppose nécessairement que le FIVA a été au préalable saisi d'une demande d'indemnisation dans les conditions de l'article 15 du décret du 23 octobre 2001 ; que la victime de l'amiante n'est donc pas recevable à saisir directement la cour d'appel d'une demande d'indemnisation, sans avoir au préalable présenté au FIVA une demande d'indemnisation au moyen d'un formulaire conforme au modèle approuvé par le conseil d'administration ; que, pour déclarer recevable la demande d'indemnisation formulée par Mme Y... au titre de son préjudice économique par ricochet, intervenue volontairement à l'instance, la cour d'appel a retenu que le formulaire de demande d'indemnisation délivré par le FIVA en application de l'article 15 du décret du 23 octobre 2001, ne permettait pas d'indiquer le montant de l'indemnité sollicitée par Mme Y... au titre du préjudice par ricochet et que le FIVA n'était donc pas fondé à se prévaloir d'une absence de demande ;
qu'en statuant ainsi, sans rechercher, comme l'y invitaient les conclusions du FIVA, si la circonstance que Mme Y... n'avait présenté au FIVA aucune demande d'indemnisation ne rendait pas sa demande d'indemnisation irrecevable, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes précités ;
Mais attendu qu'il résulte de la combinaison des articles 554 du nouveau code de procédure civile et 53-V de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 que, lorsque l'offre formulée par le FIVA dans les conditions de l'article 53-IV de la loi précitée et de l'article 15 du décret du 23 octobre 2001 n'a pas été acceptée et que la victime ou ses ayants droit sont recevables à saisir la cour d'appel de toute demande d'indemnisation d'un chef de préjudice trouvant sa source dans la contamination par l'amiante, l'intervention volontaire d'une personne non présente devant le FIVA est recevable dès lors qu'elle ne soumet pas à la cour d'appel un litige nouveau ;
Que par ce motif de pur droit substitué à ceux critiqués par le moyen, l'arrêt se trouve légalement justifié ;
Sur le troisième moyen du pourvoi incident de Gilbert Y... :
Attendu que Gilbert Y... fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande d'indemnisation de son préjudice esthétique alors, selon le moyen, qu'il avait produit une lettre datée du 13 mai 2004 adressée par son médecin du département de cancérologie et d'hématologie du centre hospitalier universitaire de Grenoble à son médecin pneumologue précisant qu'une thoracoscopie avec talcage avait été réalisée sur lui le 26 avril 2004 ; qu'en déclarant qu'il ne produit aucun élément médical permettant de justifier cette demande, la cour d'appel a dénaturé par omission ladite lettre et par suite violé l'article 1134 du code civil ;
Mais attendu que c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation de la valeur et de la portée des éléments de preuve qui lui étaient soumis que la cour d'appel a jugé, sans dénaturation, que Gilbert Y... ne produisait aucun élément médical permettant de justifier de sa demande ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le premier moyen du pourvoi incident de Gilbert Y... :
Vu les articles 4 et 1382 du code civil ;
Attendu que pour débouter Gilbert Y... de sa demande en indemnisation de son préjudice économique résultant de la perte d'une de ses activités, l'arrêt retient que le FIVA a fait valoir qu'il ne pouvait évaluer ce préjudice tant que l'organisme social de la victime ne lui aurait pas fait connaître le montant de sa créance et que la détermination de ce préjudice est en cours d'examen ;
Qu'en refusant ainsi d'évaluer le montant d'un dommage dont elle constatait l'existence dans son principe, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Et sur le deuxième moyen du pourvoi incident de Gilbert Y... :
Vu les articles 53-I et 53-II de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000, ensemble les articles 1382 du code civil et 53-VI de la même loi ;
Attendu qu'il résulte des deux premiers de ces textes que le FIVA a pour mission de réparer intégralement les préjudices des personnes qui ont été victimes de l'amiante ;
Attendu que pour débouter Gilbert Y... de sa demande d'indemnisation résultant de la nécessité d'une assistance par une tierce personne, l'arrêt retient que le FIVA intervient à titre subsidiaire et que le demandeur ne justifie pas avoir présenté une demande préalable à son organisme social ;
Qu'en statuant ainsi, alors que le FIVA, légalement subrogé, à hauteur des sommes versées, dans les droits de la victime contre toute personne ou organisme tenus à un titre quelconque d'assurer la réparation du dommage, n'intervient pas à titre subsidiaire, et que Gilbert Y... n'était dès lors pas obligé de présenter préalablement une demande à son organisme social, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a débouté Gilbert Y... de ses demandes au titre du préjudice économique et de l'assistance par une tierce personne, l'arrêt rendu le 9 juin 2005, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;
Condamne le FIVA aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau code de procédure civile, condamne le FIVA à payer aux consorts Y... la somme globale de 2 000 euros au titre de leur première demande et la même somme au titre de leur seconde demande ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre mai deux mille six.