AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le deux février deux mille cinq, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire CARON, les observations de la société civile professionnelle LYON-CAEN, FABIANI et THIRIEZ, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DI GUARDIA ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... Mustapha,
contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de PARIS, 4ème section, en date du 28 octobre 2004, qui, dans l'information suivie contre lui pour viol et séquestration, a dit n'y avoir lieu à annulation d'actes de la procédure ;
Vu l'ordonnance du président de la chambre criminelle, en date du 6 décembre 2004, prescrivant l'examen immédiat du pourvoi ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 5, paragraphes 3 et 4, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 151, 154, 171, 174, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a rejeté la demande de nullité d'actes de la procédure dans laquelle Mustapha X... a été mis en examen ;
"aux motifs que, "les services de police de Juvisy ayant, en exécution d'une réquisition du procureur de la République d'Evry, en date du 26 juillet 2004, - D. 105 -, contrôlé le 31 juillet 2004 à 21 heures 50 l'identité de Mustapha X... inscrit au fichier des personnes recherchées pour l'exécution d'une commission rogatoire du juge d'instruction de Paris, procédaient, comme indiqué sous la rubrique "conduite à tenir" de la fiche de l'intéressé D. 104-2, à son interpellation et à son placement en garde à vue, à compter du 30 juillet 2004 à 22 heures, sans l'interroger au fond ; que, faute de pouvoir joindre le juge mandant dont le numéro de téléphone n'était pas précisé et compte tenu de l'heure tardive, l'officier de police judiciaire avisait de la garde à vue le substitut et le juge d'instruction du tribunal d'Evry, lieu de l'interpellation ; qu'après notification de ses droits, le gardé à vue faisait l'objet d'un examen médical mais ne pouvait rencontrer un avocat, celui-ci bien qu'avisé régulièrement, ne s'étant pas présenté ;
que la mesure de garde à vue, prise sans qu'aucun acte n'ait été effectué, était levée à la demande du juge d'instruction mandant, lequel avait par conséquent et jusqu'à preuve contraire été avisé, le 31 juillet 2004 à 9 heures 30 - D. 108-1- heure à laquelle Mustapha X... était remis à la première DPJ ; que, de retour au service à Paris à 10 heures 30, cette division prenait immédiatement contact avec le juge d'instruction de Paris, lequel indiquait délivrer mandat d'amener, mandat notifié à l'intéressé le 31 juillet 2004 à 12 heures 20 ; qu' aucun acte de procédure n'ayant été effectué durant la garde à vue, l'annulation de cette mesure qui, prise par un service de police que l'extension nationale de compétence donnée par la commission rogatoire autorisait à agir en exécution des instructions figurant à ce fichier des personnes recherchées et exécutée conformément aux prescriptions légales - notification des droits, avis au magistrat instructeur - n'a pas été de nature à léser les intérêts du requérant et n'a été le support d'aucun acte subséquent, serait sans utilité pour la suite de la procédure ; qu'à la supposer arbitraire, la retenue de Mustapha X... par les services de police de la 1ère DPJ ne relève pas du contentieux de l'annulation ; que la régularité de la notification du mandat d'amener, lequel peut s'exécuter en tout lieu où la personne est trouvée, reste en l'occurrence sans conséquence sur celle de la mise en examen du requérant laquelle trouve sa justification dans les constatations médicales faites sur la victime, les témoignages recueillis et la brusque disparition de l'intéressé, par ailleurs connu pour des faits de violences" ;
"alors que, d'une part, en application de l'article 151 du Code de procédure pénale, le juge d'instruction peut donner une commission rogatoire à tout officier de police judiciaire qui ne peut agir que dans les lieux où il est territorialement compétent ;
que, seul l'officier de police judiciaire territorialement compétent visé dans la commission rogatoire peut décider de placer une personne en garde à vue en application de l'article 154 dudit code ; que le décret n° 96-417 du 15 mai 1996 et l'arrêté du 15 mai 1996 relatif au fichier des personnes recherchées géré par le ministère de l'Intérieur et le ministère de la Défense n'impliquent pas que l'inscription du nom d'une personne sur ce fichier entraîne une extension de compétence donnée par une commission rogatoire ; que la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 sur la sécurité intérieure qui est venue modifier les règles en la matière ne prévoit pas non plus une telle extension de compétence territoriale ; qu'en l'espèce, la chambre de l'instruction qui admettait implicitement que la commission rogatoire n'avait été accordée qu'aux officiers de police judiciaire de la 1ère DPJ de Paris ne pouvait considérer que l'inscription du nom de Mustapha X... au fichier des personnes recherchées avait entraîné une extension de compétence des officiers de police judiciaire habilités à exécuter la commission rogatoire sans violer les dispositions précitées ;
"alors que, d'autre part, en vertu de l'article 154, alinéa 1er, du Code de procédure pénale, les officiers de police judiciaire plaçant une personne en garde à vue dans le cadre de l'exécution d'une commission rogatoire sont tenus d'en informer le juge d'instruction mandant ; que tout retard non justifié par une circonstance insurmontable dans l'information donnée au juge d'instruction du placement en garde à vue fait nécessairement grief aux intérêts de la personne concernée ; que dès lors que la chambre de l'instruction n'a pas constaté que l'officier de police judiciaire avait été confronté à une impossibilité insurmontable d'informer le juge d'instruction mandant du placement en garde à vue de Mustapha X..., l'absence de numéro de téléphone du magistrat mandant et l'heure tardive du placement en garde à vue n'étant pas des circonstances insurmontables, elle a violé l'article précité ;
"alors que, de troisième part, en vertu de l'article 174, alinéa 2, du Code de procédure pénale, la nullité d'un acte de procédure entraîne celle de tout ce qui en est la suite nécessaire ; qu'en vertu de l'article 116 du Code de procédure pénale, une personne ne peut être mise en examen qu'après avoir été entendue par le juge d'instruction ; que, de même, en vertu de l'article 145 du Code de procédure pénale, une personne ne peut être placée en détention provisoire qu'après avoir comparu, assistée de son avocat, devant le juge des libertés et de la détention ; que dès lors, que la garde à vue était irrégulière et que la personne aurait dû être remise en liberté, son annulation devait nécessairement entraîner celle de la mise en examen et de la détention provisoire ; que, dès lors, la chambre de l'instruction qui, pour rejeter la demande d'annulation d'actes de la procédure subséquente à la garde à vue irrégulière, considère implicitement que seuls les actes accomplis pendant cette garde à vue pouvaient être annulés, a violé l'article 174, alinéa 2, du Code de procédure pénale ;
"alors, par ailleurs, qu'à l'issue de la garde à vue, la personne gardée à vue doit être soit libérée, soit déférée au juge d'instruction lorsque celui-ci le demande ; que le non-respect de cette obligation constitue une violation de l'article 5, paragraphes 3 et 4, de la Convention européenne des droits de l'homme ; qu'en refusant de considérer qu'était une cause de nullité le caractère illégal de la détention invoqué par le mis en examen, résultant du fait qu'alors qu'il avait été mis fin à sa garde à vue, à charge pour lui de se présenter à toute convocation, il avait été retenu par les officiers de police judiciaire plusieurs heures avant que lui soit notifié un mandat d'amener du juge d'instruction saisi du dossier le concernant, la chambre de l'instruction a violé ensemble l'article 5, paragraphes 3 et 4, précité et l'article 171 du Code de procédure pénale ;
"alors qu'en tout état de cause, l'article 803-2 du Code de procédure pénale prévoit un déferrement à l'issue de la garde à vue, ce qui implique nécessairement que le juge d'instruction a demandé le déferrement à l'issue de la garde à vue, avant que soit dressé le procès-verbal le constatant ;
qu'en l'espèce, dès lors que la personne placée en garde à vue s'était vue notifier la fin de la garde à vue à charge pour elle de se présenter à toutes convocations du juge d'instruction, elle ne pouvait être retenue dans les locaux de la police jusqu'à la notification d'un mandat d'amener du juge d'instruction ayant conduit à son déferrement plusieurs heures après l'expiration de la garde à vue, et alors même que le juge d'instruction aurait eu connaissance de cette rétention sans titre, sans que soit violé l'article précité et l'article 5, paragraphes 3 et 4, de la Convention européenne des droits de l'homme";
Vu les articles préliminaire et 154 du Code de procédure pénale ;
Attendu que, selon le premier de ces textes, les mesures de contrainte dont une personne peut faire l'objet sont prises sur décision ou sous le contrôle de l'autorité judiciaire ; que, selon le second de ces textes, l'officier de police judiciaire qui est amené, pour les besoins de l'exécution d'une commission rogatoire, à garder une personne à sa disposition, a le devoir d'en informer le juge d'instruction saisi des faits dès le début de cette mesure ; que tout retard, non justifié par une circonstance insurmontable, dans l'information donnée au juge d'instruction du placement en garde à vue fait nécessairement grief aux intérêts de la personne concernée ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure qu'à la suite d'une plainte pour viol déposée contre Mustapha X..., le juge d'instruction de Paris a délivré une commission rogatoire à la 1ère division de police judiciaire en étendant sa compétence à l'ensemble du territoire national ; que les recherches entreprises pour retrouver l'intéressé étant demeurées vaines, ce service a procédé à son inscription au fichier des personnes recherchées ; que, le 30 juillet 2004, Mustapha X... a été identifié au cours d'un contrôle d'identité, régulièrement effectué en gare de Juvisy (91), par les policiers du commissariat local qui l'ont placé en garde à vue à 22 heures 55, conformément aux instructions figurant sur la fiche de recherche, ses droits lui étant immédiatement notifiés ; qu'à défaut de joindre le magistrat mandant, l'officier de police judiciaire a avisé le procureur de la République et le juge d'instruction de permanence au tribunal d'Evry en début de mesure ; qu'il résulte du procès-verbal de notification de fin de garde à vue établi le 31 juillet à 9 heures 25 que les policiers de Juvisy auraient reçu du magistrat saisi de l'information l'instruction de lever la mesure et de laisser libre l'intéressé à charge pour lui de déférer à toute convocation ; que, néanmoins, il résulte des pièces du dossier que Mustapha X... a été directement transféré dans les locaux de la 1ère division de police judiciaire où un mandat d'amener du juge d'instruction de Paris lui a été notifié à 12 heures 20 ; qu'il a ensuite été conduit, sans jamais avoir été interrogé, auprès de ce magistrat qui l'a mis en examen ;
Attendu que, pour dire n'y avoir lieu à annulation d'aucun acte de la procédure, l'arrêt attaqué prononce par les motifs reproduits au moyen ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors que les formalités prévues par l'article 154 du Code de procédure pénale avaient été méconnues, à défaut pour l'officier de police judiciaire d'avoir avisé le juge d'instruction saisi des faits dès le début de la garde à vue et que Mustapha X... avait été, contrairement aux instructions données ultérieurement par ce magistrat, irrégulièrement maintenu à la disposition d'un officier de police judiciaire après la levée de sa garde à vue qui lui a été notifiée le 31 juillet à 9 heures 25, la chambre de l'instruction a méconnu le principe ci-dessus rappelé et les textes suvisés ;
D'où il suit que l'arrêt attaqué encourt la censure ;
Et attendu que, conformément à l'article L. 131-5 du Code de l'organisation judiciaire, la Cour de cassation est en mesure d'appliquer la règle de droit appropriée ;
Par ces motifs,
CASSE et ANNULE l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 28 octobre 2004, en ce qu'il a refusé de constater l'irrégularité de la garde à vue subie par Mustapha X... ;
ANNULE les actes de la procédure relatifs à la garde à vue, cotés D. 106 à D. 108 ;
ORDONNE la cancellation sur le procès-verbal coté D102 du passage commençant par : "notre collègue chargé de la surveillance" et se terminant par : "mesure de garde à vue" ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Cotte président, Mme Caron conseiller rapporteur, MM. Le Gall, Pelletier, Arnould, Mme Koering-Joulin, M. Corneloup conseillers de la chambre, MM. Sassoust, Lemoine, Mme Labrousse conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Di Guardia ;
Greffier de chambre : Mme Daudé ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;