AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le six décembre deux mille cinq, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller ANZANI, les observations de la société civile professionnelle BORE et SALVE de BRUNETON, et de la société civile professionnelle VIER, BARTHELEMY et MATUCHANSKY , avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DI GUARDIA ;
Statuant sur les pourvois formés par :
- X... Raphaelle,
- Y... Anne-Marie,
- Z... Emmanuel,
- Z... Françoise,
- Z... Marie, épouse A...,
- Z... Marie Pasquine,
- Z... Christine,
- Z... Marie-Frédérique, parties civiles,
contre l'arrêt de la cour d'appel d'AGEN, chambre correctionnelle, en date du 16 septembre 2004, qui, dans la procédure suivie contre Werner B... du chef de recel, a constaté l'extinction de l'action publique et déclaré irrecevables les constitutions de parties civiles ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation de l'article 54 de la Convention de Schengen du 19 juin 1990 d'application de l'Accord de Schengen du 14 juin 1985, de l'article 170, alinéa 2, du Code de procédure pénale allemand, des articles 113-7, 113-9, 321-1, 311-1, 311-4, 311-14, 321-3, 321-9 et 321-10 du Code pénal, des articles 6, 7, 8, 188, 591, 593 et 692 du Code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt a constaté l'extinction de l'action publique à l'encontre de Werner B... ;
"aux motifs qu' "aux termes de l'article 6 du Code de procédure pénale, l'action publique pour l'application de la peine s'éteint notamment par la chose jugée ; que, de même, les articles 113-9 du Code pénal et 692 du Code de procédure pénale prévoient dans des situations correspondant au cas précis qu'aucune poursuite ne peut être exercée contre une personne justifiant qu'elle a été jugée définitivement à l'étranger pour les mêmes faits et, en cas de condamnation, que la peine a été subie ou prescrite ; que l'article 54 de la Convention d'application de l'Accord de Schengen déclare qu'une personne qui a été définitivement jugée par une partie contractante ne peut, pour les mêmes raisons, être poursuivie par une autre partie contractante, à condition que, en cas de condamnation, la sanction ait été subie ou soit actuellement en cours d'exécution ou ne puisse plus être exécutée selon les lois de la partie contractante de condamnation ; que si certains Etats, dont la France, donnent une définition restrictive de l'expression "définitivement jugée", la Cour de justice des communautés européennes, saisie de deux questions préjudicielles portant sur l'interprétation de ce texte, a, par arrêt du 11 février 2003 (affaires C... et D...), dit pour droit que le principe non bis in idem, consacré à l'article 54 de la Convention d'application de l'Accord de Schengen, du 14 juin 1985 s'applique également à des procédures d'extinction de l'action publique, telles que celles en cause dans les affaires au principal, par lesquelles le ministère public d'un Etat met fin, sans l'intervention d'une juridiction, à la procédure pénale engagée dans cet Etat, après que le prévenu ait satisfait à certaines obligations et, notamment, ait acquitté une certaine somme d'argent fixée par le ministère public ; et ce, aux motifs notamment (d'une part) qu'aucune disposition du titre IV du Traité sur l'Union européenne, relatif à la coopération policière et judiciaire en matière pénale, dont les articles 34 et 31 ont été désignés comme constituant les bases juridiques des articles 54 à 58 de la Convention d'application de l'Accord de Schengen ou de la Convention elle-même, ne subordonne l'application de l'article 54 à l'harmonisation ou, à tout le moins, au rapprochement des législations pénales des Etats membres dans le domaine des procédures d'extinction de l'action publique (32), (d'autre part) que le principe non bis in idem, consacré à l'article 54 de la Convention, qu'il soit appliqué à des procédures d'extinction de l'action publique comportant ou non l'intervention d'une juridiction ou à des jugements, implique qu'il existe nécessairement une confiance mutuelle des Etats membres dans leurs systèmes respectifs de justice pénale et que chacun de ceux-ci acceptent l'application du droit pénal en vigueur dans les autres Etats membres, quand bien même la mise en oeuvre de son propre droit national conduirait à une solution différente (33) et (enfin) que s'agissant du libellé de l'article 54, compte tenu de l'objet et de la finalité de cette disposition, l'utilisation des termes "définitivement jugée", ne s'oppose pas à ce que celle-ci soit interprétée en ce sens qu'elle
est également susceptible de s'appliquer à des procédures d'extinction de l'action publique, telles que celles en cause dans les affaires au principal, ne comportant l'intervention d'aucune juridiction (42) ;
qu'en l'espèce, la staatsanwaltschaft d'Heidelberg, saisie sur commission rogatoire, a elle-même ouvert une procédure d'instruction pour recel le 6 juin 2000, procédant à la même date à l'audition de Werner B... et menant une enquête intéressant l'origine et les conditions d'acquisition et de paiement des objets provenant des vols commis à Larnagol et découverts en Allemagne, en se livrant notamment à l'examen des documents comptables et des registres de la galerie comme des comptes bancaires du couple B... - l'épouse du prévenu ayant elle-même été mise en cause - et à l'audition de divers témoins dont Anton Winter ; qu'ont été ainsi vérifiées les origines des sommes ayant servi à régler André E... comme les modalités d'enregistrement des objets acquis, l'enquête concluant à l'absence de pratiques douteuses et illégales ;
que les déclarations faites par Werner B... ont ainsi été confirmées par sa fille Silke qui indique avoir elle-même consigné les trois premières pièces apportées par André E... le 22 septembre 2003 et ajoute que les mentions suivantes sont de la main de M. F..., employé de la galerie B..., ce que ce dernier, entendu à son tour, a effectivement confirmé ; que si l'ordonnance rendue le 26 juin 2002 dispose que la procédure est "classée sans suite" conformément au 170, alinéa 2, du StPO, c'est après avoir retenu qu'il "résulte de l'instruction qu'il n'existe pas de charges suffisantes contre les inculpés (Werner B... et son épouse) d'avoir commis ces faits pour les renvoyer devant le tribunal" ; que l'exception tirée de la chose jugée ne peut être valablement invoquée que lorsqu'il existe une identité de cause, d'objet et de parties entre les deux poursuites ; que la réunion de ces conditions résulte du rappel qui précède dès lors que l'étendue de la saisine de l'autorité allemande découle de la commission rogatoire délivrée par le magistrat instructeur français et que la poursuite exercée en Allemagne l'a été du chef de recel, infraction définie d'une manière identique par chacun des droits nationaux ;
que le principe non bis in idem qui veut qu'une même personne ne puisse être poursuivie, jugée ou punie deux fois pour les mêmes faits, qu'elle ait été acquittée ou condamnée dans la première procédure, constitue une garantie fondamentale des citoyens ; que s'il découle sans ambiguïté de la jurisprudence nouvelle de la CJCE que l'utilisation des termes "définitivement jugée" ne s'oppose pas à ce que celle-ci soit interprétée en ce sens, qu'elle est également susceptible de s'appliquer à des procédures d'extinction de l'action publique, la question de la portée de l'effet attaché à la décision rendue le 26 juin 2002 ne peut se résumer au choix dualiste opposant en droit français les notions d'ordonnance de non-lieu dont la portée et les effets sont notamment fixés par l'article 188 du Code de procédure pénale à celle de classement sans suite, laquelle constitue une simple mesure administrative ; que doit être relevé à cet égard, le fait que le juge d'instruction est une spécificité française qui n'existe pas dans de nombreuses autres législations, en particulier en Allemagne dont le droit répressif reconnaît en revanche au ministère public une compétence étendue à l'enregistrement des plaintes, au déclenchement des poursuites dont il a le monopole et à la direction de l'enquête de police ; qu'il convient, en effet, de considérer, à la fois, la fragmentation du droit pénal au sein de l'Union européenne en autant d'ordres juridiques différents et l'objectif affiché par l'Accord de Schengen et par la Convention d'application de l'Accord de Schengen de parvenir à une intégration plus étroite dans le cadre du troisième pilier intégrant la justice, l'acquis de Schengen visant, ainsi qu'il ressort du préambule du protocole, à "renforcer l'intégration européenne et en particulier, à permettre à l'Union européenne de devenir plus rapidement un espace de liberté, de sécurité et de justice" ; qu'il s'ensuit cette conséquence, que la CJCE a dû, afin d'apporter la réponse à la question préjudicielle qui lui était posée, faire abstraction des particularités de chacun des systèmes juridiques en cause en écartant une interprétation qui était fondée sur chacun de ces ordres nationaux et rechercher dans le fonds commun européen une interprétation autonome de l'article 54 de la Convention ; qu'il convient de conserver à l'esprit le principe de confiance mutuelle des Etats membres dans leurs systèmes respectifs de justice pénale devant conduire chacun d'eux à accepter l'application du droit pénal en vigueur dans les autres Etats membres, à reconnaître les décisions étrangères et à en garantir l'efficacité ; que certes, dans le cadre ayant conduit à l'arrêt examiné par la CJCE (affaires C... et D...) chacun des intéressés avait reconnu sa culpabilité et accepté la transaction proposée par l'autorité chargée des poursuites ; que, refuser de faire bénéficier du principe dégagé par la Cour, celui dont la non-implication dans les faits reprochés a été admise par l'organe chargé de l'instruction à l'issue de l'enquête dont il a le monopole dans le système juridique considéré, reviendrait à lui reconnaître un sort moins favorable qu'à celui qui, reconnu coupable des faits ayant donné lieu à la poursuite, a bénéficié d'un règlement amiable ; qu'au cas précis, la décision prise le 26 juin 2002 par le
substitut Bergmann, à la suite du rappel d'une longue enquête menée de manière précise et rigoureuse, rappelle les circonstances de fait, contient une discussion des charges et expose l'argumentation en vertu de laquelle la culpabilité de Werner B... est finalement exclue ; que le contrôle ainsi opéré par ce magistrat ne peut être assimilé à une simple mesure administrative mais correspond, à l'issue de la recherche des éléments constitutifs de l'infraction reprochée, à l'examen préalable à la décision devant décider du renvoi ou non devant la juridiction de jugement ; qu'en l'occurrence, celui-ci a conclu à l'absence de charges suffisantes ; qu'il n'est allégué dans aucune des deux procédures nationales de faits nouveaux postérieurs au 26 juin 2002, susceptibles d'autoriser la réouverture des poursuites, étant au demeurant observé que l'ordonnance de soit-communiqué aux fins de règlement a été rendue par le juge d'instruction français dès le 5 février 2002 ; qu'il s'ensuit au résultat de l'ensemble que l'article 54 de la Convention d'application de l'Accord de Schengen doit s'entendre comme visant la décision, qu'elle soit rendue par un juge d'instruction ou un procureur dans l'exercice de la poursuite, adoptée dans le cadre judiciaire par laquelle l'Etat se prononce définitivement sur les faits délictueux et la culpabilité de l'auteur de l'infraction, telle celle actuellement en cause ; qu'il convient, en conséquence, de constater l'extinction de l'action publique à l'encontre de Werner B..." ;
"alors que la décision de classement sans suite prise par le parquet allemand, sur le fondement de l'article 170, alinéa 2, du Code de procédure pénale allemand, après une enquête approfondie, n'a aucune autorité de la chose jugée, n'éteint pas l'action publique et ne fait pas obstacle à l'engagement de poursuites nouvelles pour les mêmes faits ; qu'en jugeant, cependant, que cette décision constituait, au regard de l'article 54 de la Convention d'application de l'Accord de Schengen, une décision de justice définitive mettant fin à l'action publique, la cour d'appel a violé les textes susvisés" :
Vu les articles 113-9 du Code pénal et 54 de la Convention d'application de l'Accord de Schengen ;
Attendu qu'il résulte des textes précités que, lorsque la victime est de nationalité française au moment de l'infraction, un étranger ayant commis, hors du territoire de la République, un crime ou un délit puni d'emprisonnement, ne peut échapper à toute poursuite en France que s'il justifie avoir été définitivement jugé à l'étranger pour les mêmes faits ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que Werner B..., ressortissant allemand, est poursuivi en France pour avoir recelé en Allemagne des objets d'art en provenance de vols aggravés commis au préjudice de ressortissants français ; que, devant le tribunal correctionnel, il a soulevé l'exception de chose jugée en alléguant qu'il avait déjà été poursuivi et jugé pour les mêmes faits en Allemagne ;
Attendu que, pour infirmer le jugement qui avait écarté cette exception et déclarer l'action publique éteinte, l'arrêt relève que Werner B... a fait l'objet d'une décision de classement sans suite, rendue conformément à l'article 170, alinéa 2, du Code de procédure pénale allemand, par le ministère public du Bade-Wurtemberg qui avait retenu qu'il n'existait pas de charges suffisantes pour renvoyer les inculpés devant le tribunal ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi alors qu'une telle décision n'a pas valeur de jugement définitif, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus énoncé ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le second moyen de cassation proposé,
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel d'Agen, en date du 16 septembre 2004, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Toulouse, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel d'Agen, sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Cotte président, Mme Anzani conseiller rapporteur, MM. Joly, Beyer, Pometan, Mmes Palisse, Guirimand, M. Beauvais conseillers de la chambre, M. Valat conseiller référendaire ;
Avocat général : M. Di Guardia ;
Greffier de chambre : Mme Daudé ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;