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12/04/2005 | FRANCE | N°04-85637

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 12 avril 2005, 04-85637


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le douze avril deux mille cinq, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller GUIRIMAND, les observations de la société civile professionnelle LYON-CAEN, FABIANI et THIRIEZ, avocat en la Cour, et les conclusions de Mme l'avocat général COMMARET ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

- X...
Y... Mohamed, partie civile,

contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 11ème chambre, en date du 14 septembre 2004,

qui l'a débouté de ses demandes après relaxe de Fabrice Z..., Jacques A... et Christian B...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le douze avril deux mille cinq, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller GUIRIMAND, les observations de la société civile professionnelle LYON-CAEN, FABIANI et THIRIEZ, avocat en la Cour, et les conclusions de Mme l'avocat général COMMARET ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

- X...
Y... Mohamed, partie civile,

contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 11ème chambre, en date du 14 septembre 2004, qui l'a débouté de ses demandes après relaxe de Fabrice Z..., Jacques A... et Christian B... du chef d'atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui et mise hors de cause de la société ANGELI, civilement responsable ;

Vu le mémoire produit ;

Attendu qu'il ressort de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que Mohamed X...
Y..., père d'Emad X...
Y... décédé à l'occasion d'un accident de la circulation survenu au cours de la nuit du 30 au 31 août 1997 à Paris sous le tunnel du pont de l'Alma, a porté plainte et s'est constitué partie civile devant le juge d'instruction sur le fondement de l'article 226-1 du Code pénal en reprochant à Fabrice Z..., Jacques A... et Christian B..., photographes de presse, d'avoir pris irrégulièrement des clichés de son fils aux côtés de Diana C..., alors que ceux-ci, passagers d'un véhicule, quittaient l'hôtel Ritz, puis quelques instants plus tard, au moment où ils venaient d'être grièvement blessés ;

Attendu que, sur les appels du ministère public et de Mohamed X...
Y..., l'arrêt a confirmé le jugement ayant relaxé les prévenus, mis hors de cause la société Angeli, civilement responsable, et débouté la partie civile de ses demandes ;

En cet état ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 226-1 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a considéré que le délit d'atteinte à la vie privée n'était pas caractérisé concernant la première série de photographies réalisée à la sortie de l'hôtel Ritz par Fabrice Z... et Jacques A... sur laquelle apparaît Emad X...
Y... à l'intérieur du véhicule Mercédès ;

"aux motifs que les premiers juges ont relevé, d'une part, qu'aucun des trois clichés incriminés, auraient-il été pris alors qu'Emad X...
Y... se trouvait à l'intérieur du lieu privé que constituerait son véhicule, n'était venu surprendre un geste, une attitude ou un comportement susceptible d'être attaché à la sphère intime de sa vie privée ; que, d'autre part, pas un des clichés en cause, ne venait dévoiler la réalité d'une liaison secrète puisqu'au contraire la relation existant entre Emad X...
Y... et Diana C... avait été très largement médiatisée au cours de l'été 1997 ; qu'eu égard enfin au contexte dans lequel le couple avait pris, en connaissance de cause, la décision de quitter l'hôtel, les photographies litigieuses ne revêtaient aucun caractère clandestin ;

qu'il résulte de telles énonciations, issues d'un examen attentif des photographies visées aux poursuites et du contexte de la réalisation, que les allégations du plaignant tendant à attribuer à ces dernières une portée délictuelle ne résiste pas à l'examen ; qu'en décidant qu'en photographiant Emad X...
Y... dans les circonstances ci-dessus évoquées, Fabrice Z... et Jacques A... n'ont pas commis d'atteinte à l'intimité de la vie privée, les premiers juges ont fait une exacte application de la loi pénale ;

"alors que, d'une part, le délit incriminé par l'article 226- 1, premièrement, se trouve constitué du seul fait de la fixation sans son consentement de l'image d'une personne se trouvant dans un lieu privé quel que soit le caractère anodin de la scène ainsi captée comme le fait qu'elle illustre des faits connus et n'apporte ainsi aucune révélation, de sorte que la Cour, qui, pour considérer que les photos prises d'Emad X...
Y... à l'intérieur de son véhicule ne constituaient pas une atteinte à l'intimité de sa vie privée, s'est fondée sur le caractère banal de l'objet de ces photos qui ne révélaient aucun secret puisque la relation d'Emad X...
Y... avec Diana C... avait été largement médiatisée, a, en ajoutant ainsi au texte susvisé des conditions pour sa mise en oeuvre, entaché sa décision d'un manque de base légale ;

"et alors que, d'autre part, en l'état des conclusions de la partie civile rappelant que tout au long de la journée du 30 août 1997 mais également les semaines précédentes Emad X...
Y... n'avait de cesse de se soustraire à la traque des photographes et que c'est dans cette optique qu'ils avaient mis au point un stratagème pour tenter de quitter clandestinement l'hôtel du Ritz afin de rejoindre leur domicile privé, la Cour, qui, sans aucunement répondre à cette argumentation péremptoire, a ainsi considéré que la décision prise par le couple de quitter l'hôtel dans ces conditions ôtait tout caractère clandestin aux photographies litigieuses, n'a pas légalement justifié sa décision" ;

Vu les articles 226-1 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;

Attendu que, d'une part, l'article 226-1 du Code pénal réprime des peines qu'il prévoit, le fait, au moyen d'un procédé quelconque, de porter volontairement atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui, notamment, en fixant, sans son consentement, l'image d'une personne se trouvant en un lieu privé ; que, selon ce texte, lorsque l'acte est accompli au vu et au su de la personne intéressée, son consentement est présumé si elle ne s'y est pas opposée, alors qu'elle était en mesure de le faire ;

Attendu que, d'autre part, les juges sont tenus de répondre aux chefs péremptoires des conclusions dont ils sont régulièrement saisis ;

Attendu que, pour dire la prévention non établie, l'arrêt, après avoir relevé que les photographies réalisées dans la voiture, à la sortie de l'hôtel Ritz, montraient le visage d'Emad X...
Y... de face et de profil, parfois partiellement caché par la tête de sa compagne, retient que, bien que pris à l'intérieur du lieu privé que constitue le véhicule, ces clichés n'ont surpris ni gestes ni attitudes ni comportements susceptibles d'être rattachés à la sphère intime de la vie privée ; que les juges ajoutent que les photographies n'ont pas dévoilé l'existence d'une liaison, déjà largement médiatisée, et qu'elles n'ont revêtu aucun caractère clandestin, compte tenu du contexte dans lequel le couple a, en pleine connaissance de cause, pris la décision de quitter l'hôtel ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que l'article 226- 1 du Code pénal a pour objet de sanctionner l'atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui du fait de la fixation, sans son consentement, de l'image d'une personne se trouvant, comme en l'espèce, dans un lieu privé, la cour d'appel, qui a insuffisamment répondu aux chefs péremptoires des conclusions de la partie civile énumérant les diverses raisons démontrant, selon elle, l'absence de consentement de la victime, n'a pas justifié sa décision ;

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

Et sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 226-1 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a déclaré non constitué le délit d'atteinte à l'intimité de la vie privée pour ce qui est de la seconde série de photographies, en l'occurrence celle effectuée sur les lieux de l'accident par Fabrice Z... et par Christian B... ;

"aux motifs que, s'agissant de cette série de photographies constituée de clichés effectués alors qu'était ouverte la porte de la Mercédès et que les secours s'activaient auprès des blessés, elle n'entre pas plus que la précédente dans le cadre de la prévention de l'article 226-1 du Code pénal ; qu'il suffira de souligner qu'ayant, en toute hypothèse, perdu son caractère privé du fait de l'accident et de la nécessaire intervention des secours, l'intérieur du véhicule et, partant ses occupants, était devenu dès cet instant accessible au regard de tous et en particulier des prévenus auxquels aucune interdiction d'approcher le véhicule et de prendre des photographies n'avait été signifiée ; que la captation, dans de telles conditions, des images incriminées, visant par ailleurs à rendre compte d'un événement dramatique concernant de surcroît des personnalités particulièrement en vue, n'a en aucune manière enfreint les règles protectrices édictées par l'article 226-1, deuxièmement, du Code pénal ; que le jugement déféré sera donc également confirmé sur ce point ;

"alors que le fait qu'un lieu privé puisse être plus au moins temporairement accessible à la vue du public ne saurait pour autant lui ôter ce caractère lequel résulte uniquement de la circonstance qu'il s'agit d'un endroit qui n'est ouvert à personne sauf autorisation de celui qui l'occupe, de sorte qu'en considérant que parce que la portière de la Mercédès avait été ouverte par les services de secours et qu'en conséquence l'intérieur du véhicule était accessible au regard des personnes présentes, ce véhicule ne constituait plus un lieu privé, la Cour a entaché sa décision d'insuffisance de motifs" ;

Vu les articles 226-1 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;

Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;

Attendu que, pour dire la prévention pareillement non établie, en ce qui concerne les clichés pris sous le pont de l'Alma, l'arrêt attaqué relève qu'en raison de l'accident et de la nécessaire intervention des secours auprès des blessés, le véhicule a perdu son caractère privé, et que ses occupants sont devenus accessibles aux regards des photographes de presse, auxquels aucune interdiction d'approcher l'automobile et de prendre des clichés n'a été signifiée ;

Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors que ni l'intervention des services de secours ni l'exposition involontaire aux regards d'autrui d'une victime gravement atteinte lors d'un accident ne font perdre au véhicule la transportant son caractère de lieu privé au sens de l'article 226-1 du Code pénal, et qu'est prohibée par ce texte la fixation en un tel lieu, sans autorisation de la personne concernée, de toute image portant atteinte à l'intimité de sa vie privée, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;

D'où il suit que la cassation est encore encourue de ce chef ;

Par ces motifs,

CASSE et ANNULE, en ses seules dispositions civiles, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 14 septembre 2004, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Cotte président, Mme Guirimand conseiller rapporteur, M. Joly, Mmes Chanet, Anzani, MM. Beyer, Pometan, Mme Palisse conseillers de la chambre, M. Valat, Mme Ménotti conseillers référendaires ;

Avocat général : Mme Commaret ;

Greffier de chambre : Mme Krawiec ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 04-85637
Date de la décision : 12/04/2005
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

ATTEINTE A LA VIE PRIVEE - Eléments constitutifs - Elément légal - Lieu privé - Définition - Véhicule automobile circulant sur la voie publique.

ATTEINTE A LA VIE PRIVEE - Eléments constitutifs - Elément légal - Fixation sans son consentement de l'image d'une personne se trouvant dans un lieu privé - Cas

ATTEINTE A LA VIE PRIVEE - Eléments constitutifs - Elément légal - Fixation sans son consentement de l'image d'une personne se trouvant dans un lieu privé - Absence de consentement - Manifestation de l'absence de consentement - Portée

JUGEMENTS ET ARRETS - Conclusions - Défaut de réponse - Chefs péremptoires

Caractérise le délit prévu par l'article 226-1 du Code pénal le fait, au moyen d'un procédé quelconque, de porter volontairement atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui, notamment en fixant l'image d'une personne se trouvant dans un lieu privé, sans le consentement de celle-ci. Un véhicule automobile circulant sur la voie publique est un lieu privé au sens de ce texte. La captation de l'image d'un couple transporté dans un tel véhicule est susceptible de caractériser le délit d'atteinte à l'intimité de la vie privée lorsque les personnes concernées, voyant qu'elles allaient être photographiées, ont manifesté leur opposition, et les juges du fond sont tenus, à cet égard, de répondre aux chefs péremptoires des conclusions tendant à établir leur absence de consentement. Ni l'intervention des services de secours, ni l'exposition involontaire aux regards d'autrui de personnes gravement atteintes lors d'un accident de la circulation ne font perdre au véhicule les transportant son caractère de lieu privé, au sens de l'article 226-1 du Code pénal. Est prohibée par ce texte la fixation en un lieu de cette nature, sans autorisation, de toute image portant atteinte à l'intimité de la vie privée.


Références :

Code de procédure pénale 591, 593
Code pénal 226-1

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 14 septembre 2004

A rapprocher : Chambre criminelle, 1989-04-25, Bulletin criminel 1989, n° 165, p. 428 (rejet) ; Chambre criminelle, 1998-10-20, Bulletin criminel 1998, n° 264 (1), p. 765 (rejet)

arrêt cité.


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 12 avr. 2005, pourvoi n°04-85637, Bull. crim. criminel 2005 N° 122 p. 421
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 2005 N° 122 p. 421

Composition du Tribunal
Président : M. Cotte
Avocat général : Mme Commaret.
Rapporteur ?: Mme Guirimand.
Avocat(s) : la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2005:04.85637
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