AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le sept avril deux mille quatre, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller référendaire SAMUEL, les observations de la société civile professionnelle ANCEL et COUTURIER HELLER, la société civile professionnelle GATINEAU, avocats en la Cour, et les conclusions de Mme l'avocat général COMMARET ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... Jean-Louis,
contre l'arrêt de la cour d'appel de LYON, 7ème chambre, en date du 11 septembre 2003, qui, sur renvoi après cassation, dans la procédure suivie contre lui pour abus de confiance, a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 408 de l'ancien Code pénal, 314- 1 du Code pénal, des articles 1382 et 1384 alinéa 5 du Code civil et des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale, défaut de réponse aux conclusions ;
"en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a, sur l'action civile, condamné Jean-Louis X... à payer à la CPAM de Montpellier Lodeve la somme de 6 533 871,98 francs ;
"aux motifs sur l'élément moral, que Jean-Louis X... ne peut utilement imputer le défaut de versement des fonds à des difficultés financières croissantes ; qu'en effet, loin de constituer le fonds de roulement normal de la mutuelle, ces crédits ont en fait été utilisés, pour en combler la trésorerie déficitaire ; que ces agissements dépassent très largement les conséquences d'une mauvaise gestion, et révèlent, par leur ampleur, le caractère intentionnel de la non-représentation des fonds ; que le défaut d'enrichissement personnel est indifférent quant à la constitution de l'infraction ; que membre du conseil d'administration et trésorier de la Mutuelle des Professions de Santé, Jean-Louis X..., qui bénéficiait d'une large autonomie dans l'accomplissement de sa mission, connaissait parfaitement la situation financière alarmante de la Mutuelle et a sciemment "joué sur la trésorerie" par le décalage volontaire et systématique des remboursements destinés aux établissements de soins ; que cosignataire des chèques correspondants, il a, loin d'exécuter servilement les ordres du président du conseil d'administration, participé personnellement à la commission de l'infraction d'abus de confiance ; que ces agissements sont constitutifs d'une faute personnelle dont Jean-Louis X... doit réparation à la caisse primaire d'assurance maladie de Montpellier Lodève ; que cette dernière a été, à bon droit, déclarée recevable en sa constitution de partie civile ; qu'en effet, le préposé, auteur d'une faute pénale intentionnellement commise et ayant porté préjudice à un tiers, engage sa responsabilité civile à l'égard de celui-ci ; que ce préjudice ne trouve pas son origine, même partiellement, dans une imprudence consciente et délibérée de la victime, circonstance non démontrée en l'espèce ; qu'en tout état de cause, aucune disposition de loi ne permet de réduire, en raison d'une négligence de la victime, le montant des réparations dues à celle- ci par l'auteur d'une infraction intentionnelle contre les biens ;
"alors que, d'une part, le seul retard à restituer une somme d'argent ne constitue pas l'abus de confiance ; que la cour d'appel qui a jugé que les éléments du délit étaient réunis, sans rechercher, malgré les conclusions qui l'y invitaient, si Jean-Louis X..., trésorier bénévole non professionnel de la mutuelle, avait eu conscience d'effectuer un détournement en affectant les fonds à la gestion de la mutuelle ou s'il n'entendait pas seulement faire face à une situation provisoire, dans la croyance que la MSP finirait par obtenir une augmentation des remises de gestion qui lui permettrait de revenir à une situation financière normale et s'il avait eu conscience de l'impossibilité où il se trouverait de redonner aux fonds leur finalité, n'a pas donné de base légale à sa décision ;
"alors que, d'autre part, le préposé qui n'a pas été condamné pénalement n'engage pas sa responsabilité civile à l'égard des tiers lorsqu'il agit sans excéder les limites de la mission qui lui a été impartie par son commettant ; qu'en condamnant à des réparations civiles Jean-Louis X..., simple trésorier bénévole de la mutuelle dénué de pouvoir de décision, qui n'avait fait qu'appliquer le mode de fonctionnement mis en place avant son entrée en fonction, la cour d'appel a violé les textes susvisés" ;
Sur le moyen pris en sa première branche :
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de Cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu'intentionnel, le délit d'abus de confiance reproché au prévenu ;
Sur le moyen pris en sa seconde branche :
Attendu que, pour condamner Jean-Louis X..., trésorier de la mutuelle du personnel de santé, définitivement relaxé, à indemniser la Caisse primaire d'assurance maladie de Montpellier, partie civile, du préjudice découlant de l'abus de confiance qui lui était reproché, l'arrêt, après avoir déclaré réunis à son encontre les éléments constitutifs de ce délit, prononce par les motifs repris au moyen ;
Attendu qu'en cet état, la cour d'appel a justifié sa décision ;
Qu'en effet, le préposé qui a intentionnellement commis une infraction ayant porté préjudice à un tiers engage sa responsabilité civile à l'égard de celui-ci, alors même que la juridiction répressive qui, saisie de la seule action civile, a déclaré l'infraction constituée en tous ses éléments, n'a prononcé contre lui aucune condamnation pénale ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être admis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
CONDAMNE Jean-Louis X... à payer à la Caisse primaire d'assurance maladie de Montpellier la somme de 2 000 euros au titre de l'article 618-1 du Code de procédure pénale ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Cotte président, M. Samuel conseiller rapporteur, MM. Challe, Roger, Dulin, Mme Thin, MM. Rognon, Chanut conseillers de la chambre, Mme de la Lance, M. Soulard, Mme Salmeron conseillers référendaires ;
Avocat général : Mme Commaret ;
Greffier de chambre : M. Souchon ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;