CASSATION PARTIELLE sur le pourvoi formé par :
- l'administration des Douanes et des Droits Indirects, partie poursuivante,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Dijon, chambre correctionnelle, en date du 10 janvier 2001, qui l'a déboutée pour partie de ses demandes après relaxe de Jean X... des chefs de livraison sans titre de sucre par quantités supérieures à 25 kg et tenue irrégulière du registre de réception et de livraison des sucres et relaxe de la société Copavit de la première de ces infractions.
LA COUR,
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 425, 1791, 1791 bis, 1794, 1800, 1805 du Code général des impôts, 18 de la loi de finances rectificative pour 1994 n° 94-1163 du 29 décembre 1994, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs :
" en ce que l'arrêt attaqué a relaxé les prévenus Jean X... et la Copavit des fins de la poursuite en tant qu'elle était fondée sur l'article 426 du Code général des impôts ;
" aux motifs adoptés que la loi n° 70-576 du 3 juillet 1970 a abrogé l'article 426 du Code général des impôts en précisant que l'abrogation entrerait en vigueur après publication d'un décret devant intervenir avant le 1er juillet 1971, que le décret n'a jamais été publié ; qu'en l'absence de publication du décret, l'abrogation est devenue effective au 1er juillet 1971 ; que si, selon l'Administration, la loi n° 94-1163 du 29 décembre 1994 a modifié le texte de l'article 426 du Code général des impôts, ce qui sous-entend implicitement mais nécessairement que celui-ci a été remis en vigueur, rien dans le texte voté ni dans les motifs du projet de loi ne vient établir que le législateur a voulu rétablir le texte abrogé ;
" et aux motifs propres que si, même comme le soutient l'Administration, l'article 426 du Code général des impôts a été mis en vigueur par la loi du 29 décembre 1994, son contenu reste incertain puisque, en substance, cette loi se borne à dire qu'aux mots "sucre et glucose" il faut ajouter "isoglucose et sirop d'inuline" et que, dès lors, le texte ne peut fonder les poursuites ;
" alors que, premièrement, dès lors que l'article 18 de la loi n° 94-1163 du 29 décembre 1994 a complété l'article 426 du Code général des impôts qui ne concernait originairement que les expéditions de sucre ou de glucose en étendant son champ d'application à l'isoglucose et au sirop d'inuline, le législateur a nécessairement exprimé la volonté, claire et non équivoque, de réinsérer dans l'ordre juridique, au moins à compter de l'entrée en vigueur de la loi, les dispositions figurant à l'article 426 du Code général des impôts ; qu'en décidant le contraire, les juges du fond ont violé les textes susvisés ;
" et alors que, deuxièmement, le contenu de l'article 426 du Code général des impôts ne pouvait être regardé comme incertain dans la mesure où, d'une part, il demeure un texte de droit positif, au moins pour la période antérieure au 1er juillet 1971, et dans la mesure où, d'autre part et en tout cas, le législateur pouvant se référer à un texte abrogé pour le remettre en vigueur, le texte doit être considéré comme clair et certain dans son contenu dès lors que la rédaction du texte, comme c'est le cas en l'espèce, ne laisse place à aucune équivoque ; qu'à cet égard également, les juges du fond ont violé les textes susvisés " ;
Attendu que, pour juger que l'article 426 du Code général des impôts, sur lequel est fondée une partie des poursuites, n'est plus en vigueur, la cour d'appel énonce, par motifs adoptés, que la loi n° 576, du 3 juillet 1970, a abrogé ledit article et précisé que cette abrogation prendrait effet après publication d'un décret, lequel devait intervenir avant le 1er juillet 1971 ; qu'en l'absence de publication de ce décret dans le délai prévu par la loi, l'abrogation est devenue effective à l'expiration dudit délai ;
Qu'elle relève que si, comme le soutient l'Administration, l'article 426 du Code général des impôts a été rétabli par l'article 18 de la loi n° 94-1163 du 29 décembre 1994, son contenu reste incertain, les dispositions précitées se bornant à énoncer que les mots "de sucre et de glucose" seront remplacés par les mots "de sucre, de glucose, inoglucose et sirop d'insuline" " ;
Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision, dès lors que toute infraction doit être définie en termes clairs et non équivoques permettant au prévenu de connaître exactement la nature et la cause de l'accusation portée contre lui ; qu'en raison de leur imprécision, les textes invoqués ne peuvent servir de fondement à une poursuite du chef d'infraction à la législation sur les contributions indirectes ;
Qu'il s'ensuit que le moyen ne peut être accueilli ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 425, 1791, 1791 bis, 1794, 1800, 1805 du Code général des impôts, L. 238 du Livre des procédures fiscales, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs :
" en ce que l'arrêt attaqué a fixé à 363 024 francs le montant de la pénalité proportionnelle ;
" aux motifs que pour calculer la pénalité proportionnelle telle que prévue à l'article 1794 du Code général des impôts, l'Administration a pris comme base la totalité des ventes au comptant pour lesquelles le paiement a eu lieu en espèces, en extrapolant à partir d'un sondage dont elle reconnaît que ses résultats sont pour partie discutables ; que la prévenue donne des exemples qui démontrent que les déductions de l'Administration sont pour partie erronées et que, dans son enquête qui figure parmi les pièces de la procédure, la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la répression des Fraudes aboutit à des chiffres qui sont inférieurs à ceux de la partie poursuivante ; qu'en raison de l'ancienneté des faits, une expertise n'est pas susceptible d'apporter des éléments d'information supplémentaires ; que pour éviter tout risque d'erreur au détriment de la prévenue, il ne sera retenu que 50 % de la quantité avancée par l'Administration, soit 363 024 kilos divisés par 2 = 181 512 kilos ; que la valeur du quintal de sucre sera 600 francs, soit 1 089 072 francs pour 181 512 kilos ; qu'eu égard aux circonstances de la cause et par application de l'article 1800 du Code général des impôts il y a lieu de fixer à 363 024 francs le montant de la pénalité fiscale ;
" alors que les constatations du procès-verbal établi par les agents de l'administration des Douanes en matière de contributions indirectes font foi jusqu'à preuve contraire, notamment en ce qui concerne les quantités de marchandises irrégulièrement vendues ; que les juges du fond ne peuvent s'écarter des constatations du procès-verbal que pour autant que, et dans la seule mesure où, le prévenu rapporte la preuve du caractère erroné des constatations figurant au procès-verbal ; qu'en se déterminant comme ils l'ont fait "pour éviter tout risque d'erreur au détriment de la prévenue", sans faire apparaître que les prévenus avaient établi que les constatations de l'Administration, à concurrence de 181 512 kilos de sucre, étaient inexactes, les juges du fond ont violé les textes susvisés " ;
Attendu que, pour retenir, comme base de la pénalité prévue à l'article 1794 du Code général des impôts, une quantité de sucre égale à la moitié de celle qu'avait prise en compte l'administration fiscale et qui résultait du procès-verbal établi par cette dernière, la cour d'appel relève notamment que ce procès-verbal se réfère à la totalité des ventes au comptant pour lesquelles le paiement a eu lieu en espèces, en extrapolant à partir d'un sondage dont l'Administration reconnaît elle-même que ses résultats sont pour partie discutables ;
Attendu que les juges ajoutent que la société Copavit donne des exemples qui démontrent que les déductions de l'Administration sont pour partie erronées et qu'aux termes de son enquête, la direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la répression des Fraudes a abouti à des chiffres qui sont inférieurs à ceux de la partie poursuivante ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs, qui procèdent d'une appréciation souveraine des faits et circonstances de la cause et des éléments de preuve soumis aux débats, la cour d'appel a justifié sa décision ;
Qu'en effet, si, en matière de contributions indirectes, les constatations matérielles qui sont consignées dans les procès-verbaux font foi jusqu'à preuve du contraire, il n'en va pas de même des reconstitutions et déductions auxquelles elles donnent lieu et qui ne valent qu'à titre de renseignements, laissés à l'appréciation des juges du fond ;
Qu'il s'ensuit que le moyen doit être écarté ;
Mais sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 425, 1791, 1791 bis, 1794, 1800, 1805 du Code général des impôts, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs :
" en ce que l'arrêt attaqué, après avoir déclaré la Copavit coupable de l'infraction prévue à l'article 425 du Code général des impôts, a relaxé Jean X..., son dirigeant, des fins de la poursuite ;
" aux motifs adoptés que les irrégularités affectant le registre, dont la tenue était imposée à la Copavit, sont fait d'employés parfaitement au courant de la législation ; que, cependant, la responsabilité du président de la Copavit, Jean X..., ne peut être établie que s'il a participé aux faits, les a initiés ou les a laissés se produire en toute connaissance de cause, qu'aucun élément ne permet d'imputer au prévenu une intervention directe dans les ventes irrégulières ; que compte tenu de la structure de la coopérative et de la dissémination de ses points de vente, un défaut de surveillance constitutif d'une négligence ne peut être imputé à Jean X... ;
" alors que, premièrement, le dirigeant de l'entité qui exerce l'activité réglementée est également réputé avoir participé aux faits imputables à l'entité, à raison des fonctions qui sont les siennes et des obligations qu'elles imposent, dès lors que l'infraction peut être retenue à l'encontre de l'entité qu'il dirige ; qu'en décidant le contraire, les juges du fond ont violé les textes susvisés ;
" alors que, deuxièmement, à supposer qu'elles puissent justifier une relaxe, la prudence et la diligence doivent être appréciées, s'agissant des poursuites dirigées contre le dirigeant, en la personne de l'entité qu'il dirige ; qu'ayant constaté que la Copavit devait être condamnée, les membres de son personnel ayant enfreint les règles applicables en toute connaissance de cause, les juges du fond ne pouvaient relaxer Jean X..., dirigeant de la Copavit, et qu'en décidant le contraire, ils ont violé les textes susvisés ;
" et alors que, troisièmement et en tout état de cause, à supposer qu'elles puissent justifier une relaxe, c'est au prévenu, qui entend échapper à une condamnation, d'établir qu'il a fait preuve de diligence et de prudence ; qu'en s'abstenant de rechercher si, indépendamment de la surveillance qu'il pouvait exercer a posteriori, Jean X... établissait qu'il avait fait preuve de prudence et de diligence, a priori et au stade de l'organisation de la coopérative, les juges du fond ont en tout état de cause privé leur décision de base légale au regard des textes susvisés " ;
Vu l'article 121-1 du Code pénal, ensemble l'article 425 du Code général des impôts et l'article 593 du Code de procédure pénale ;
Attendu que, sauf si la loi en dispose autrement, le chef d'entreprise qui n'a pas personnellement pris part à la réalisation de l'infraction peut s'exonérer de sa responsabilité pénale s'il rapporte la preuve qu'il a délégué ses pouvoirs à une personne pourvue de la compétence, de l'autorité et des moyens nécessaires ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu que, pour relaxer Jean X..., directeur de la société coopérative Copavit, du chef de l'infraction de tenue irrégulière du registre de réception et de livraison des sucres, dont cette société a été déclarée coupable, les juges relèvent qu'aucun élément ne permet d'imputer au prévenu une intervention directe dans les ventes irrégulières et que, compte tenu de la structure de la coopérative et de la dissémination de ses points de vente, on ne peut retenir, à l'égard de Jean X..., un défaut de surveillance constitutif d'une négligence caractérisant l'élément intentionnel de l'infraction ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, sans rechercher si Jean X... avait délégué ses pouvoirs relatifs au respect de la réglementation fiscale, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée des textes sus-visés et des principes ci-dessus rappelés ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE l'arrêt de la cour d'appel de Dijon, en date du 10 janvier 2001, mais en ses seules dispositions ayant relaxé Jean X... du chef de l'infraction prévue à l'article 425 du Code général des impôts, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Lyon.