Sur le premier moyen du pourvoi principal :
Attendu qu'ayant relevé que la société locataire avait sciemment produit, au cours des opérations d'expertise destinées à évaluer l'indemnité d'éviction, deux documents qu'elle savait entachés d'une très grave inexactitude aux fins de bénéficier d'une augmentation indue du montant de cette indemnité, la cour d'appel en a déduit que cette fraude constituait un motif grave et légitime justifiant la rétractation de l'offre de paiement de l'indemnité d'éviction ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le second moyen du pourvoi principal :
Vu l'article 33, alinéa 1er, du décret du 30 septembre 1953 devenu l'article L. 145-60 du Code de commerce, ensemble l'article 2244 du Code civil ;
Attendu que toutes les actions exercées en vertu du chapitre V du titre IV du livre premier du Code de commerce se prescrivent par deux ans ; qu'une citation en justice, même en référé, un commandement ou une saisie, signifiés à celui que l'on veut empêcher de prescrire, interrompent la prescription ainsi que les délais pour agir ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 février 2000), que les époux X..., propriétaires de locaux à usage commercial donnés à bail à la société La Terrasse de l'Ecole Militaire, usant de leur droit d'option, ont notifié à leur locataire le 5 mars 1990 un refus de renouvellement du bail expiré le 31 juillet 1985 avec offre d'indemnité d'éviction ; qu'à la demande du bailleur, une ordonnance de référé du 15 novembre 1990 a commis trois experts pour évaluer les indemnités d'éviction et d'occupation ; que par acte du 14 février 1992, la société La Terrasse de l'Ecole Militaire a assigné les époux X... en paiement de l'indemnité d'éviction ; que ces derniers ont sollicité par voie de conclusions datées du 24 octobre 1996 une indemnité d'occupation en application de l'article 20 du décret du 30 septembre 1953 ;
Attendu que pour dire recevable cette demande et non fondée la fin de non-recevoir tirée de la prescription soulevée par la locataire, l'arrêt retient que l'effet interruptif de l'assignation en référé du 6 novembre 1990 s'est prolongé jusqu'au dépôt du rapport d'expertise le 18 mars 1996 ;
Qu'en statuant ainsi, alors que l'assignation en référé n'avait interrompu le délai de prescription que pendant la durée de l'instance à laquelle il avait été mis fin par l'ordonnance désignant un expert, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Et sur le moyen unique du pourvoi incident :
Vu l'article 9 du décret du 30 septembre 1953 devenu l'article L. 145-17 du Code de commerce ;
Attendu que le bailleur peut refuser le renouvellement du bail sans être tenu au paiement d'aucune indemnité s'il justifie d'un motif grave et légitime à l'encontre du locataire sortant ;
Attendu que pour dire que la déchéance du droit à indemnité d'éviction de la société La Terrasse de l'Ecole Militaire ne sera pas totale et emportera seulement diminution du tiers du droit à cette indemnité, l'arrêt retient que la déchéance totale ne pourrait que sanctionner des agissements frauduleux de la part de la société locataire ayant eu pour fin de fausser toutes les données et, partant, le montant total de l'indemnité d'éviction qui en serait la conséquence ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait relevé que les bailleurs pouvaient estimer à juste titre avoir un motif grave et légitime de rétracter leur offre de paiement d'une indemnité d'éviction, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a posé le principe de la déchéance du droit de la société La Terrasse de l'Ecole Militaire à indemnité d'éviction et en ce qu'il l'a condamnée à verser aux époux X... la somme de 583 206 francs par an à compter du 20 juin 1995 jusqu'à son départ des lieux, l'arrêt rendu le 16 février 2000, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles.