Vu, enregistrée à son secrétariat le 3 mars 2025, l'expédition du jugement du 25 février 2025 par lequel le tribunal administratif de Lyon, saisi par Mme H... I... d'une demande tendant, d'une part, à ce qu'il soit enjoint à la commune de Saint-Laurent sur Saône (Ain) de procéder, à ses frais, à la fourniture et à la pose sur la sépulture de la famille G... d'une dalle identique à celle détruite par erreur et, d'autre part, à ce que cette commune soit condamnée à lui verser une somme de 10 000 euros en réparation du préjudice moral qu'elle estime avoir subi du fait de la destruction des ouvrages funéraires édifiés sur les concessions des familles G... et C... dans le cimetière communal, a renvoyé au Tribunal, par application de l'article 32 du décret du 27 février 2015, le soin de décider sur la question de compétence ;
Vu l'ordonnance du 21 mars 2023 par laquelle le juge de la mise en état de la quatrième chambre du tribunal judiciaire de Lyon a déclaré ce tribunal incompétent pour connaître de ce litige ;
Vu les pièces desquelles il résulte que la saisine du Tribunal a été notifiée à Mme I..., à la commune de Saint-Laurent sur Saône et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, qui n'ont pas produit de mémoire
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;
Vu la loi du 24 mai 1872 ;
Vu le décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Pierre Collin, membre du Tribunal,
- les conclusions de M. Paul Chaumont, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. Mme I..., ayant-droit des familles C... et G..., chacune titulaire depuis le XIXème siècle d'une concession perpétuelle dans le cimetière de Saint-Laurent sur Saône (Ain), a constaté le 3 juin 2021 que les monuments funéraires et les dalles des deux tombes familiales avaient été supprimés. La commune lui a indiqué que ces destructions étaient intervenues à la suite d'une erreur commise dans la mise en œuvre d'une procédure de reprise de concessions en état d'abandon, laquelle visait d'autres sépultures que celles des familles G... et C..., et qu'aucune exhumation des restes des défunts présents dans ces sépultures n'était intervenue. Mme J... C... a demandé à la commune de rétablir les dalles et monuments funéraires tels qu'ils existaient préalablement à son intervention ainsi que de l'indemniser du préjudice qu'elle estimait avoir subi du fait de leur destruction.
2. La commune n'ayant pas fait droit à ses demandes, Mme I... l'a assignée devant le tribunal judiciaire de Lyon aux fins qu'elle soit condamnée à l'indemniser des préjudices financier et moral résultant de son comportement fautif. Par une ordonnance du 21 mars 2023, devenue définitive, le juge de la mise en état de la quatrième chambre de ce tribunal l'a déclaré incompétent pour connaître du litige.
3. Mme I... a alors saisi le tribunal administratif de Lyon de conclusions tendant, dans le dernier état de ses écritures et compte tenu des travaux effectués par la commune, à ce qu'il soit enjoint à celle-ci de reconstituer la dalle de la sépulture de la famille G... et à ce qu'elle soit condamnée à lui verser une somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral.
4. Par un jugement du 25 février 2025, ce dernier tribunal, estimant que le litige ne relevait pas de la compétence de la juridiction administrative, a renvoyé au Tribunal des conflits, sur le fondement de l'article 32 du décret du 27 février 2015, le soin de décider sur la question de compétence.
5. Sauf dispositions législatives contraires, la responsabilité qui peut incomber à l'Etat ou aux autres personnes morales de droit public en raison des dommages imputés à leurs services publics administratifs est soumise à un régime de droit public et relève en conséquence de la juridiction administrative. Cette compétence, qui découle du principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires posé par l'article 13 de la loi des 16-24 août 1790 et par le décret du 16 fructidor an III, ne vaut toutefois que sous réserve des matières dévolues à l'autorité judiciaire par des règles ou principes de valeur constitutionnelle. Dans le cas d'une décision administrative portant atteinte à la propriété privée, le juge administratif, compétent pour statuer sur le recours en annulation d'une telle décision et, le cas échéant, pour adresser des injonctions à l'administration, l'est également pour connaître de conclusions tendant à la réparation des conséquences dommageables de cette décision administrative, hormis le cas où elle aurait pour effet l'extinction du droit de propriété.
6. Aux termes de l'article L. 2223-13 du code général des collectivités territoriales : " Lorsque l'étendue des cimetières le permet, il peut être concédé des terrains aux personnes qui désirent y fonder leur sépulture et celle de leurs enfants ou successeurs. Les bénéficiaires de la concession peuvent construire sur ces terrains des caveaux, monuments et tombeaux (...) ". Aux termes de l'article L. 2223-14 du même code : " Les communes peuvent, sans toutefois être tenues d'instituer l'ensemble des catégories ci-après énumérées, accorder dans leurs cimetières : 1° Des concessions temporaires pour quinze ans au plus ; 2° Des concessions trentenaires ; 3° Des concessions cinquantenaires ; 4° Des concessions perpétuelles ". En cas d'expiration d'une concession sans renouvellement ou en cas de reprise d'une concession en état d'abandon, les monuments et emblèmes funéraires qui ont pu être édifiés ou apposés sur le terrain par les titulaires de cette concession, et qui n'ont pas été repris par ces derniers, sont intégrés au domaine privé de la commune.
7. Eu égard au caractère accessoire des monuments funéraires par rapport à la concession, seule l'extinction du droit réel immobilier tiré de la concession emporte compétence du juge judiciaire pour connaître de conclusions tendant à la réparation des dommages causés à une sépulture
8. La destruction des dalles et monuments funéraires à laquelle il a été procédé par erreur pour le compte de la commune, sans réattribution des emplacements correspondants à de nouveaux concessionnaires, si elle a porté atteinte à la propriété des constructions érigées sur ces sépultures, n'a pas eu pour conséquence l'extinction du droit réel immobilier que Mme I... et les autres ayants-droits des familles G... et C... tiraient des concessions funéraires accordées à titre perpétuel à ces familles aux XIXème siècle. Il appartient par suite à la juridiction administrative de connaître de la demande de Mme I... tendant à la condamnation de la commune à réparer les conséquences de cette destruction.
D E C I D E :
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Article 1er : La juridiction administrative est compétente pour connaître du litige opposant Mme I... à la commune de Saint-Laurent sur Saône.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Lyon du 25 février 2025 est déclaré nul et non avenu. La cause et les parties sont renvoyées devant ce tribunal.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme I..., à la commune de Saint-Laurent sur Saône et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Délibéré à l'issue de la séance du 5 mai 2025 où siégeaient :
M. Mollard, conseiller à la Cour de cassation, président du Tribunal des conflits ; M. Stahl, M. Collin, Mme de Silva, M. Boulouis, conseillers d'Etat ; Mme Agostini, M. Ancel, M. Flores, conseillers à la Cour de cassation.
Lu en séance publique le 2 juin 2025.
Le président :
Le rapporteur :
La secrétaire :