La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

19/11/2013 | CEDH | N°001-138667

CEDH | CEDH, AFFAIRE EL KASHIF c. POLOGNE, 2013, 001-138667


QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE EL KASHIF c. POLOGNE

(Requête no 69398/11)

ARRÊT

STRASBOURG

19 novembre 2013

DÉFINITIF

14/04/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire El Kashif c. Pologne,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

Ineta Ziemele, présidente,
Päivi Hirvelä,
George Nicolaou,
Ledi Bianku,
Zdravka Kalaydjieva,


Krzysztof Wojtyczek,
Faris Vehabović, juges,
et de Françoise Elens-Passos, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 22...

QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE EL KASHIF c. POLOGNE

(Requête no 69398/11)

ARRÊT

STRASBOURG

19 novembre 2013

DÉFINITIF

14/04/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire El Kashif c. Pologne,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

Ineta Ziemele, présidente,
Päivi Hirvelä,
George Nicolaou,
Ledi Bianku,
Zdravka Kalaydjieva,
Krzysztof Wojtyczek,
Faris Vehabović, juges,
et de Françoise Elens-Passos, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 22 octobre 2013,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 69398/11) dirigée contre la République de Pologne et dont un ressortissant de cet Etat, M. Karol El Kashif (« le requérant »), a saisi la Cour le 21 octobre 2011 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Me B. Zygmont, avocat à Varsovie. Le gouvernement polonais (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. J. Wołąsiewicz, puis par Mme J. Chrzanowska, du ministère des Affaires étrangères.

3. Le requérant allègue que sa détention provisoire et sa non-traduction immédiate devant un juge en vue de l’examen de la régularité de sa privation de liberté consécutive à cette détention ont emporté violation de l’article 5 §§ 1 c) et 3 de la Convention.

4. Le 1er octobre 2012, la requête a été communiquée au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et sur le fond de l’affaire.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant, né en 1975, réside à Varsovie.

6. En 2009, une procédure pénale simplifiée (postępowanie uproszczone) fut ouverte contre le requérant. Elle donna lieu à sa condamnation, par un jugement du tribunal de district de Varsovie du 28 mai 2010, à une peine d’amende d’environ 500 euros pour exploitation irrégulière de jeux de hasard sur Internet, en l’occurrence des loteries, infraction punie par l’article 108 § 1 du code applicable aux infractions à la loi fiscale (Kodeks karny skarbowy).

7. Un recours formé par le requérant contre le jugement du 28 mai 2010 en application de l’article 506 § 1 du CPP (voir, le droit interne ci-dessous, paragraphe 35) entraîna l’invalidation dudit jugement. L’affaire fut renvoyée en audience devant le tribunal de district de Varsovie fixée au 11 mars 2011. Ce jour-là, ni le requérant ni son avocat ne comparurent devant le tribunal. D’après le procès-verbal de l’audience, le requérant n’avait pas accusé réception de la citation à comparaître, expédiée à deux reprises à son domicile ; une autre convocation, expédiée à l’adresse indiquée par le requérant aux fins des notifications judiciaires, n’avait pas été notifiée régulièrement. Compte tenu de ces circonstances, le tribunal reporta l’audience au 17 mai 2011 et ordonna que la citation à comparaître fût notifiée au requérant par la police.

8. Le procès-verbal de l’audience du 17 mai 2011 fait apparaître que le requérant n’a pas comparu ce jour-là mais que son avocat était présent. Il en ressort également que la police n’avait pas été en mesure de notifier la convocation à l’intéressé au motif que celui-ci, depuis octobre 2010, ne résidait plus à son domicile et avait cessé son activité professionnelle exercée à l’endroit indiqué aux autorités aux fins des notifications judiciaires. Par une ordonnance prononcée à l’issue de l’audience, en se basant sur les articles 249 § 1, 258 § 1 alinéa 1 et 279 § 1 du CPP, le tribunal émit un avis de recherche contre le requérant, ordonna son placement en détention provisoire pour une durée de trois mois et suspendit la procédure dans l’attente de son arrestation. Il nota que, au vu des éléments réunis par les autorités, le requérant pouvait être soupçonné d’avoir commis les agissements litigieux. Il indiqua que la détention provisoire était nécessaire pour préserver le bon déroulement de la procédure pénale à son encontre. En effet, dans la mesure où le requérant n’était domicilié à aucune des adresses qu’il avait indiquées aux autorités, il pouvait être soupçonné de vouloir se soustraire à la justice.

9. Le 22 mai 2011, l’avocat du requérant demanda l’annulation de l’ordonnance du 17 mai. Il arguait du caractère disproportionné de la mesure prise contre son client, compte tenu du caractère vierge du casier judiciaire de celui-ci et du caractère mineur à ses yeux de l’infraction qui lui était reprochée, punie par une peine non privative de liberté. Il soutenait que, selon l’article 75 § 2 du code de procédure pénale (CPP), la comparution du requérant à l’audience aurait pu être assurée au moyen d’une mesure autre que la privation de liberté, telle que la conduite au tribunal sous contrainte.

10. Le 26 mai 2011, le tribunal de district décida de ne pas accueillir le recours et transmit le dossier au tribunal régional de Varsovie.

11. Le 30 mai 2011, l’avocat du requérant demanda au tribunal régional de surseoir à l’application de l’ordonnance du 17 mai 2011 et de procéder sans délai à l’examen de son recours contre cette dernière. Outre les arguments invoqués dans son recours antérieur, il souleva un motif de santé, à savoir la nécessité pour son client de poursuivre une thérapie antirétrovirale hors d’un milieu carcéral.

12. Le même jour, le requérant fut arrêté et incarcéré à la maison d’arrêt de Varsovie.

13. Dans un recours du 2 juin 2011, complétant celui du 22 mai 2011, l’avocat du requérant soutenait que la détention de son client était irrégulière au regard de l’article 259 § 2 du CPP. Il indiquait que la crainte des autorités de voir celui-ci se soustraire à la justice n’était pas étayée, assurant qu’il avait comparu régulièrement devant ce même tribunal dans le cadre d’autres procédures conduites contre lui parallèlement à la présente, notamment lors d’une audience tenue le 20 mai 2011, soit trois jours après l’adoption de l’ordonnance relative à sa détention provisoire. Il ajouta que la détention de son client n’était pas nécessaire, soutenant que sa domiciliation actuelle aurait pu être établie sans aucune difficulté sur la base des éléments dont les autorités disposaient d’office. Il affirma en particulier que le courrier officiel relatif à d’autres procédures menées devant cette même juridiction avait été notifié à l’adresse concernée, et que celle-ci était de plus répertoriée dans un registre des sociétés de la mairie, qui serait disponible sur Internet.

14. Le 7 juin 2011, le tribunal régional rejeta le recours, estimant que la détention provisoire du requérant était l’unique moyen de préserver la bonne marche de la procédure, au motif que l’intéressé risquait de tenter de se soustraire à la justice et d’entraver le déroulement des poursuites. Il nota que l’adresse indiquée par son avocat dans le recours contre l’ordonnance du 17 mai 2011 ne correspondait pas à l’adresse du domicile du requérant mais à celle de l’endroit où il exerçait son activité professionnelle. Or, selon le tribunal, la loi exigeait de l’accusé qu’il révélât aux autorités l’adresse de son domicile, obligation à laquelle le requérant n’aurait pas satisfait en l’espèce.

15. Le 9 juin 2011, l’avocat du requérant demanda au tribunal de reprendre la procédure pénale contre son client et d’annuler la détention provisoire de celui-ci. Il produisit un certificat établi par la mairie de Varsovie, faisant apparaître l’adresse à laquelle le requérant était domicilié (zameldowanie na pobyt stały) depuis le mois de mars 2010 et qui était identique à celle citée dans ses recours contre l’application de la détention provisoire.

16. Le 10 juin 2011, le tribunal de district de Varsovie décida de rouvrir la procédure pénale contre le requérant.

17. Le 14 juin 2011, à l’issue d’une séance tenue en présence de l’avocat du requérant, le tribunal ordonna la remise en liberté de ce dernier et remplaça sa détention provisoire par une mesure de surveillance lui imposant de se présenter au poste de police tous les sept jours. Pour ce faire, il prit en compte le motif de santé avancé par la défense et l’attestation de la mairie produite par l’avocat.

18. Le requérant ne se présenta pas au poste de police aux dates fixées, soit les 20 et 27 juillet, le 3 août et les 21 et 28 septembre 2011. Il n’accusa pas non plus réception des lettres expédiées par les autorités à son domicile.

19. Le 19 août 2011, le requérant réceptionna au siège du tribunal la citation à comparaître à l’audience du 6 octobre 2011. Il fut présent à cette audience ainsi qu’aux audiences suivantes du 25 janvier et du 21 mars 2012.

20. Le 6 octobre 2011, la mesure de surveillance appliquée au requérant fut levée.

21. Le 21 mars 2012, le tribunal de district de Varsovie prononça une ordonnance de non-lieu mettant fin aux poursuites contre le requérant eu égard à la faible gravité des faits (znikoma szkodliwość społeczna czynu) qui lui étaient reprochés.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

A. Dispositions relatives à la détention provisoire

22. Le code de procédure pénale (CPP) classe la détention provisoire parmi les « mesures préventives » (środki zapobiegawcze), avec la remise en liberté sous caution (poręczenie majątkowe), le contrôle judiciaire (dozór policji), la garantie fournie par une personne digne de foi (poręczenie osoby godnej zaufania), la garantie fournie par un organisme social (poręczenie społeczne), l’interdiction temporaire de se livrer à une activité donnée (zawieszenie oskarżonego w określonej działalności) et l’interdiction de quitter le territoire (zakaz opuszczania kraju).

23. L’article 249 § 1 du CPP énonce les motifs généraux d’imposition de mesures préventives :

« 1. Des mesures préventives peuvent être imposées pour assurer le bon déroulement de la procédure et, exceptionnellement, pour empêcher un accusé de commettre une autre infraction grave. Elles ne peuvent être imposées que si les éléments disponibles font apparaître une forte probabilité que l’accusé ait commis une infraction. »

24. L’article 258 du CPP énumère les motifs de placement en détention provisoire. Il est ainsi libellé :

« 1. La détention provisoire peut être imposée :

1) s’il y a un risque raisonnable que l’accusé s’enfuie ou se cache, en particulier lorsque son identité ne peut être établie ou qu’il n’a pas de domicile fixe [en Pologne] ;

2) s’il y a un risque raisonnable que l’accusé tente d’inciter [des témoins ou des coaccusés] à produire un faux témoignage ou à faire obstruction au bon déroulement de la procédure par tout autre moyen illégal ;

2. Si les charges qui pèsent sur l’accusé concernent une infraction grave ou une infraction pour laquelle il encourt une peine dont le maximum légal est d’au moins huit années d’emprisonnement, ou si un tribunal de première instance a condamné l’intéressé à une peine d’au moins trois années d’emprisonnement, la nécessité de maintenir la détention afin d’assurer le bon déroulement de la procédure peut découler de la probabilité qu’une peine sévère soit prononcée. »

25. Le CPP prévoit les limites dans lesquelles le tribunal peut prolonger chaque type de mesure préventive. L’article 257 du CPP dispose notamment :

« 1. Le placement en détention provisoire ne peut être ordonné si une autre mesure préventive est suffisante. »

26. L’article 259 § 1 du CPP dispose :

« 1. En l’absence de raisons particulières l’interdisant, il est mis fin à la détention provisoire, en particulier si le fait de priver l’accusé de sa liberté :

1) mettrait sérieusement en danger sa vie ou sa santé ; ou

2) emporterait des conséquences excessivement graves pour lui-même ou pour sa famille. »

27. L’article 259 § 3 du CPP est ainsi libellé :

« La détention provisoire n’est pas imposée lorsque l’infraction est passible d’une peine d’emprisonnement ne dépassant pas un an, sauf si l’auteur de l’infraction en cause a été arrêté en flagrant délit ou juste après la commission de celle-ci. »

28. L’article 259 § 4 du CPP précise que la règle énoncée à l’article 259 § 3 n’est pas applicable lorsque l’accusé se soustrait à la justice, persiste à ne pas répondre aux convocations ou entrave irrégulièrement la procédure d’une autre manière, ou lorsque son identité ne peut être établie.

B. Obligations de l’accusé

29. L’article 75 du CPP dispose que l’accusé qui n’a pas été privé de sa liberté est tenu de se présenter lorsqu’il reçoit une convocation relative à une affaire pénale. Il doit également informer l’autorité menant la procédure de tout changement de domicile et de toute absence de plus de sept jours. Il doit être avisé de ces obligations au moment du premier interrogatoire.

30. Selon le paragraphe 2 de cet article, en cas de non-comparution injustifiée, l’accusé peut être arrêté et conduit au tribunal sous contrainte.

C. L’indemnisation en cas de détention injustifiée

31. Le chapitre 58 du CPP, intitulé « Indemnisation en cas de condamnation, de détention provisoire ou d’arrestation injustifiées », dispose que la responsabilité de l’Etat est engagée en cas de condamnation ou de mesure privative de liberté injustifiées prononcées dans le cadre d’une procédure pénale.

32. Enfin, l’article 552 du CPP énonce :

« 1. Lorsque, à l’issue de la réouverture de la procédure pénale dirigée contre lui ou d’un pourvoi en cassation, l’accusé est soit acquitté soit à nouveau condamné en vertu d’une disposition de fond plus clémente, il peut prétendre à une indemnisation du Trésor public pour le dommage matériel et moral que lui a causé l’exécution de tout ou partie de la peine qui lui avait été imposée à l’origine.

(...)

4. Peuvent également prétendre à une indemnisation pour dommage matériel et pour dommage moral les victimes d’une arrestation ou d’une détention provisoire manifestement injustifiées. »

D. Les dispositions relatives à la procédure pénale simplifiée (postępowanie uproszczone)

33. Le chapitre X du CPP règlemente les différents types de procédure simplifiée. L’une de ces procédures s’applique aux infractions punies au maximum par des mesures portant restriction à la liberté ou par une amende pouvant s’élever jusqu’à cent unité journalières (postepowanie nakazowe).

34. L’article 500 § 1 du CPP prévoit qu’en présence d’infractions examinées dans le cadre de la procédure simplifiée, pouvant donner lieu à une peine portant restriction à la liberté ou à une amende, le tribunal peut rendre un jugement (wyrok nakazowy) sans tenir d’audience lorsqu’il estime que, compte tenu des éléments réunis durant l’instruction, la tenue de l’audience serait superflue.

35. Selon l’article 506 §§ 1 et 3 du CPP, en cas d’adoption d’un jugement prévu à l’article 500 § 1 du CPP, tant le parquet que l’accusé peuvent faire recours auprès du tribunal l’ayant rendu dans le délai de sept jours suivant sa notification ; l’introduction du recours implique l’invalidation du jugement attaqué (utrata mocy prawnej) et l’examen de l’affaire selon les principes généraux applicables à l’ensemble des procès pénaux (na zasadach ogólnych).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 1 c) DE LA CONVENTION

36. Le requérant allègue que son placement en détention provisoire était contraire à l’article 5 § 1 c) de la Convention, ainsi libellé en ses parties pertinentes en l’espèce :

« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

(...)

c) s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci ;

(...) »

A. Sur la recevabilité

37. Le Gouvernement considère que ce grief devrait être déclaré irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes. Selon lui, le requérant aurait dû, préalablement à la saisine de la Cour, déposer une demande en réparation d’une détention manifestement injustifiée en vertu de l’article 552 § 4 du CPP (paragraphe 32 ci-dessus). Selon lui, l’exercice d’un tel recours aurait permis l’examen par les juridictions nationales de la question de savoir si la détention du requérant avait été « manifestement injustifiée » et, en cas de réponse affirmative, l’octroi au requérant de la réparation pour le préjudice subi de ce fait. Le Gouvernement soutient que la Cour, dans des affaires polonaises antérieures (notamment Ryckie c. Pologne, no 19583/05, § 54, 30 janvier 2007, Bruczynski c. Pologne no 19206/03 , § 67, 4 novembre 2008 et Włoch c. Pologne (no2), no 33475/08, § 28, 10 mai 2011), a préconisé l’exercice du recours prévu par l’article 552 § 4 du CPP, préalablement à l’introduction d’une requête par une personne se plaignant d’une violation de l’article 5 de la Convention.

38. Le requérant soutient avoir épuisé tous les recours adéquats au moyen desquels une personne privée de sa liberté pouvait faire valoir sur le terrain du droit polonais le caractère irrégulier de sa détention et demander sa remise en liberté.

39. La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 35 § 1 de la Convention, elle ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes. La finalité de cette règle est de ménager aux Etats contractants l’occasion de prévenir ou de redresser les violations alléguées contre eux avant que la Cour n’en soit saisie (voir, parmi d’autres Mifsud c. France (déc.) [GC], no 57220/00, § 15, CEDH 2002-VIII, et plus récemment, Simons c. Belgique (déc.), no 71407/10, § 23, 28 août 2012).

40. L’article 35 § 1 de la Convention doit s’appliquer « avec une certaine souplesse et sans formalisme excessif », et il suffit que l’intéressé ait soulevé devant les juridictions nationales, « au moins en substance et dans les conditions et délais prescrits par le droit interne », les griefs qu’il entend par la suite formuler devant la Cour (voir, entre autres, Castells c. Espagne, 23 avril 1992, § 27, série A no 236, et Bielec c. Pologne, no 40082/02, § 50, 27 juin 2006).

41. Toutefois, la Cour se doit de rappeler ici que les dispositions de l’article 35 de la Convention ne prescrivent l’épuisement que des recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats. Ils doivent exister à un degré suffisant de certitude non seulement en théorie mais aussi en pratique, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues (voir, parmi beaucoup d’autres, Mifsud ci-dessus, § 15).

42. Elle rappelle également qu’en matière d’épuisement des voies de recours internes la charge de la preuve est repartie. Il convient au Gouvernement excipant du non-épuisement de convaincre la Cour que le recours visé était effectif et disponible, tant en théorie qu’en pratique, à l’époque des faits, qu’il était accessible et susceptible d’offrir au requérant des perspectives raisonnables de succès (arrêt Akdivar et autres c. Turquie du 16 septembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-IV, p. 1211, § 68).

43. Or, en l’espèce, le Gouvernement est resté en défaut d’établir l’effectivité de l’action prévue par l’article 552 § 4 du CPP. En particulier, il n’a produit aucun exemple de décision relative à l’octroi d’une indemnité, sur le fondement de cette disposition, à une personne ayant subi une détention provisoire contraire à l’article 5 de la Convention. La Cour estime que, tant que le Gouvernement n’aura pas démontré que l’article 522 § 4 du CPP peut être invoqué avec succès dans une situation comparable à celle du requérant, elle ne sera pas en mesure de dire que l’action prévue par cette disposition constitue un recours efficace à épuiser préalablement à sa saisine (voir, par analogie Malasiewicz c. Pologne, no 22072/02, § 32, 14 octobre 2003).

44. Il n’a donc pas été établi – pour l’instant – que l’action prévue par l’article 552 § 4 du CPP est effective en ce qui concerne l’article 5 de la Convention. Par conséquent, la Cour estime que dans les circonstances de l’espèce, le requérant n’était pas tenu de saisir les juridictions internes d’une demande fondée sur l’article 522 § 4 du CPP.

45. Cette conclusion ne préjuge en rien d’un éventuel réexamen de la question de l’effectivité du recours en question dans l’hypothèse où le Gouvernement serait en mesure d’étayer, par des décisions de justice, la réalité de celle-ci.

46. La Cour observe que le requérant a contesté par le truchement de son avocat l’ordonnance du 17 mai 2011, par laquelle son placement en détention provisoire avait été décidé, et que son recours a été rejeté le 7 juin 2011 (paragraphes 9 et 13-14 ci-dessus). L’intéressé a intenté en outre deux recours par lesquels il demandait aux autorités de surseoir à l’application de l’ordonnance susvisée et de procéder à sa remise en liberté (paragraphes 11 et 13 ci-dessus). Dans chacun des recours susvisés, le requérant dénonçait le caractère irrégulier de sa privation de liberté et priait les autorités de procéder à son élargissement.

47. Ainsi, compte tenu de ce qui précède, la Cour estime qu’en l’espèce, les voies de recours internes ont été épuisées et qu’il y a lieu de rejeter l’exception du Gouvernement.

48. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

49. Le Gouvernement s’est abstenu de prendre position sur le bien-fondé du grief.

50. Le requérant a maintenu ses allégations.

51. Compte tenu des circonstances de la présente affaire, la Cour estime opportun d’examiner d’abord la question de savoir si la privation de liberté du requérant relevait de l’article 5 § 1 c) de la Convention. Elle rappelle dans ce contexte que l’applicabilité de l’alinéa c) de l’article 5 § 1 enclenche la protection de l’article 5 § 3, disposition qui est une importante garantie supplémentaire pour la personne arrêtée (Harkmann c. Estonie, no 2192/03, § 32, 11 juillet 2006).

52. En l’espèce, la Cour note que le requérant a été détenu pendant seize jours dans le cadre d’une procédure pénale engagée contre lui à la suite de son inculpation pour infraction à la loi fiscale. Cette privation de liberté a été prononcée en application des articles 249 § 1 et 259 § 4 du CPP dans le but de préserver le bon déroulement de la procédure pénale et de garantir la comparution de l’intéressé aux audiences tenues par le tribunal de district de Varsovie dans la procédure en question. La Cour note que la détention du requérant a été également motivée par des craintes des autorités de le voir tenter de se soustraire à la justice, compte tenu du fait qu’il a été établi que l’intéressé, bien qu’ayant été cité à comparaître, ne s’était pas présenté aux audiences et que ces convocations n’avaient pu lui être notifiées car il ne résidait plus aux endroits indiqués aux autorités aux fins des notifications officielles.

53. La Cour observe également que le recours du requérant contre le jugement rendu à son encontre le 28 mai 2010 par le tribunal de district de Varsovie a conduit à l’annulation de sa condamnation à une peine d’amende (paragraphes 7 et 34-35 ci-dessus). Ainsi, la Cour estime que les faits de la présente affaire font apparaître que la détention du requérant a été appliquée dans le cadre d’une procédure pénale pendante à son encontre, au motif qu’il était soupçonné d’avoir commis une infraction, en vue de sa conduite devant une autorité judiciaire compétente. Il en résulte que la privation de liberté du requérant relevait de l’article 5 § 1 c) de la Convention (Harkmann ci-dessus, §§ 33-34).

54. La Cour rappelle que l’article 5 § 1 de la Convention renferme une liste exhaustive des motifs autorisant la privation de liberté et qu’une privation de liberté n’est pas régulière si elle ne relève pas de l’un des motifs énoncés aux alinéas a) à f) de l’article 5 (Witold Litwa c. Pologne, no 26629/95, § 49, CEDH 2000-III).

55. La Cour souligne que, en vertu de l’article 5 § 1 de la Convention, toute privation de liberté doit être « régulière », ce qui implique qu’elle doit être effectuée selon les « voies légales ». Sur ce point, la Convention renvoie pour l’essentiel à la législation nationale et énonce l’obligation d’en respecter les dispositions de fond et de procédure (Witold Litwa, précité, § 72).

56. Cependant, si la « régularité » de la détention au regard du droit interne est un élément essentiel, elle n’est pas décisive. La Cour doit en outre être convaincue que la détention pendant la période en jeu est conforme au but de l’article 5 § 1, à savoir protéger l’individu contre l’arbitraire (voir, parmi beaucoup d’autres, Amuur c. France, 25 juin 1996, § 50, Recueil 1996-III ; Ilaşcu et autres c. Moldova et Russie [GC], no 48787/99, § 461, CEDH 2004-VII ; Assanidzé c. Géorgie [GC], no 71503/01, § 171, CEDH 2004-II ; McKay c. Royaume-Uni [GC], no 543/03, § 30, CEDH 2006-X ; Mooren c. Allemagne [GC], no 11364/03, § 76, 9 juillet 2009, et Medvedyev et autres c. France [GC], no 3394/03, § 79, 29 mars 2010).

57. En l’espèce, la Cour considère, compte tenu du libellé des articles 249 § 1 et 259 § 4 du CPP (paragraphe 28 ci-dessus), que la détention du requérant avait une base en droit interne.

58. Reste à savoir si la privation de liberté en cause était compatible avec l’esprit de l’article 5 § 1 de la Convention, aux termes duquel une telle mesure doit constituer une ultima ratio, autrement dit la liberté personnelle doit être la règle et la privation de liberté avant jugement une stricte exception.

59. La Cour relève dans ce contexte que, pour motiver leur décision de placer le requérant en détention provisoire, les autorités ont fait valoir le besoin de garantir le bon déroulement de la procédure pénale, compte tenu de leurs craintes de voir l’intéressé se soustraire à la justice. Il ne prête pas à controverse que, dans certaines circonstances exceptionnelles, la privation de liberté peut constituer l’unique moyen de garantir la comparution d’un accusé, compte tenu notamment de sa personnalité, de la nature de l’infraction qui lui est imputée ou encore de la gravité de la peine qu’il encourt. Il n’en reste pas moins que les raisons invoquées par les autorités pour justifier l’application d’une mesure privative de liberté doivent être étayées par des éléments factuels concrets concernant le suspect pour apparaître comme convaincantes et pertinentes dans les circonstances de la cause (Ambruszkiewicz c. Pologne, no 38797/03, § 29, 4 mai 2006).

60. Or, en l’espèce, la Cour relève plusieurs facteurs qui l’amènent à s’interroger sur le caractère proportionné et nécessaire de la mesure appliquée par les autorités au requérant. Elle note que celui-ci était dépourvu d’antécédents criminels et qu’il avait une domiciliation permanente en Pologne (paragraphes 9 et 15 ci-dessus). Elle observe ensuite que, en principe, le droit interne interdit le recours à la détention provisoire en cas de commission d’infractions passibles d’une peine inférieure à un an d’emprisonnement (paragraphe 27 ci-dessus) ; or les infractions qui étaient imputées au requérant étaient passibles d’une peine non privative de liberté, soit tout au plus d’une amende.

61. Il est vrai que, au cours de la procédure dirigée contre lui, le requérant a changé de domiciliation sans en informer les autorités, ce qu’il aurait dû faire selon le droit interne. Cela étant, il n’a pas été démontré que sa détention provisoire durant seize jours constituait dans les circonstances de l’espèce une mesure nécessaire à l’établissement de sa domiciliation ou à la réalisation d’actes de procédure susceptibles de requérir sa comparution en personne devant les autorités.

62. La Cour réaffirme que la privation de la liberté est une mesure si grave qu’elle ne se justifie que lorsque d’autres mesures moins sévères ont été considérées et jugées insuffisantes pour sauvegarder l’intérêt personnel ou public exigeant la détention (Witold Litwa, précité, § 78).

63. Or, bien que cela leur eût été demandé par l’avocat du requérant (paragraphes 7 et 9 ci-dessus), les autorités ne semblent pas avoir sérieusement envisagé l’application de mesures moins sévères que la privation de liberté de l’intéressé. La Cour note en particulier que, aux termes de l’article 75 § 2 du CPP, il leur était loisible d’ordonner la conduite du requérant à l’audience par la police. En outre, l’article 257 du CPP (paragraphe 25 ci-dessus) imposait au juge l’obligation d’envisager d’abord l’application de mesures moins sévères que la privation de liberté et, dans le cas où il opterait quand même pour cette dernière, d’expliciter les raisons justifiant la détention.

64. Compte tenu de ce qui précède, la Cour considère que la détention du requérant ne peut passer pour avoir été régulière au sens de l’article 5 § 1 c) de la Convention. Il y a donc eu violation de cette disposition.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 3 DE LA CONVENTION

65. Le requérant allègue que, en méconnaissance selon lui de l’article 5 § 3 de la Convention, il n’a pas été traduit « aussitôt » devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires. La disposition qu’il invoque est ainsi libellée :

(...)

3. Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience.

(...)

A. Sur la recevabilité

66. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

67. La Cour rappelle que l’article 5 § 3 de la Convention fournit aux personnes arrêtées ou détenues au motif qu’on les soupçonne d’avoir commis une infraction pénale des garanties contre la privation arbitraire ou injustifiée de liberté (voir, entre autres, Assenov et autres c. Bulgarie, 28 octobre 1998, § 146, Recueil 1998-VIII).

68. Cette disposition, qui forme un tout avec l’article 5 § 1 c), vise à assurer un contrôle judiciaire rapide et automatique d’une détention ordonnée par la police ou l’administration dans les conditions du paragraphe 1 c) de l’article 5 (De Jong, Baljet et Van den Brink c. Pays-Bas, 22 mai 1984, § 51, série A no 77).

69. La Cour rappelle également que l’article 5 § 3 comporte à la fois une exigence de procédure et de fond. A la charge du "magistrat", la première comporte l’obligation d’entendre personnellement l’individu traduit devant lui; la seconde, celle d’examiner les circonstances qui militent pour ou contre la détention, de se prononcer selon des critères juridiques sur l’existence de raisons la justifiant et, en leur absence, d’ordonner l’élargissement (Schiesser c. Suisse, 4 décembre 1979, § 31, série A no 34).

70. La Cour rappelle que l’article 5 § 3 exige qu’une personne soit traduite devant un magistrat « aussitôt » après avoir été arrêtée ou détenue ; il n’autorise aucune exception à cette règle, même lorsque la détention intervient en application d’une décision judiciaire (Harkmann, précité, §§ 37-38).

71. L’article 5 § 3 requiert que le juge entende lui-même la personne détenue avant de prendre la décision appropriée (Aquilina c. Malte [GC], no 25642/94, § 50, CEDH 1999-III).

72. Cette disposition commande en outre que le contrôle juridictionnel intervienne rapidement, la célérité de pareille procédure devant s’apprécier dans chaque cas suivant les circonstances de la cause (De Jong, Baljet et Van den Brink, précité, §§ 51 et 52). La stricte limite de temps imposée par cette exigence ne laisse que peu de souplesse dans l’interprétation de la notion de promptitude (voir, Brogan et autres c. Royaume-Uni, 29 novembre 1988, § 62, série A no 145-B, où la détention du requérant pendant quatre jours, sans qu’il eût été traduit devant un magistrat, a été jugée contraire à l’article 5 § 3, malgré que l’affaire portait sur les infractions terroristes).

73. Par ailleurs, le contrôle judiciaire de la légalité de la détention doit non seulement avoir lieu rapidement, mais encore être automatique. Il ne peut être rendu tributaire d’une demande formée au préalable par la personne détenue (De Jong, Baljet et Van den Brink, précité, § 57).

74. En l’espèce, la Cour relève qu’il a été procédé à l’arrestation et au placement en détention du requérant en application de l’ordonnance du tribunal de district de Varsovie rendue le 17 mai 2011. A l’audience à l’issue de laquelle cette ordonnance a été prononcée, le requérant était absent, mais représenté par son avocat. Après son arrestation effectuée le 30 mai 2011 par les agents de police, l’intéressé a été conduit à la maison d’arrêt de Varsovie. Il a été remis en liberté seize jours plus tard en application de l’ordonnance rendue le 14 juin 2011 par le tribunal de district de Varsovie.

75. La Cour observe que le 7 juin 2011, le tribunal régional a statué sur la régularité de la privation de la liberté du requérant suite au recours exercé par son avocat à l’encontre de l’ordonnance du 17 mai 2011. Toutefois, il n’apparaît pas que le requérant eût été traduit et entendu par les juges avant le rejet de son recours par le tribunal régional. Il n’apparaît pas non plus – et le Gouvernement n’a pas affirmé le contraire – que, durant la période de seize jours qui s’est écoulée entre son arrestation et sa remise en liberté, le requérant eût été présenté à un magistrat et entendu en vue du contrôle de la régularité de sa détention provisoire.

76. Compte tenu de ce qui précède, la Cour constate que, dans les circonstances de l’espèce, le délai de seize jours qui s’est écoulé sans que le requérant eût été présenté à une autorité judiciaire n’est pas conciliable avec la notion d’« aussitôt traduit » énoncée à l’article 5 § 3 de la Convention.

77. Partant, elle conclut à la violation de cette disposition.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

78. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

79. Le requérant réclame 74 000 euros (EUR) pour les préjudices matériel et moral qu’il aurait subis en raison de sa privation de liberté contraire selon lui à la Convention.

80. Le Gouvernement estime exorbitante la somme réclamée par le requérant.

81. La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. En revanche, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 5 000 EUR au titre du préjudice moral.

B. Frais et dépens

82. Le requérant demande également 6 150 zlotys polonais (environ 1 500 EUR) pour les frais et dépens engagés dans le cadre de la procédure devant la Cour. A l’appui de ses prétentions il produit une note d’honoraires établie par son avocat.

83. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 1 500 EUR pour la procédure devant la Cour et l’accorde au requérant.

C. Intérêts moratoires

84. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

1. Déclare, à l’unanimité, la requête recevable ;

2. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 5 § 1 c) de la Convention ;

3. Dit, par six voix contre une, qu’il y a eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention ;

4. Dit, à l’unanimité,

a) que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir en zlotys au taux applicable à la date du règlement :

i. 5 000 EUR (cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral,

ii. 1 500 EUR (mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 19 novembre 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Françoise Elens-PassosIneta Ziemele
GreffièrePrésidente

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée de la juge Z. Kalaydjieva.

I.Z.
F.E.P.

OPINION SÉPARÉE DE LA JUGE KALAYDJIEVA

(Traduction)

Les motifs pour lesquels j’ai conclu à la violation de l’article 5 de la Convention en l’espèce diffèrent de ceux adoptés par la majorité, qui a considéré que la privation de liberté litigieuse relevait de l’article 5 §1 c) en ce qu’elle avait été infligée au requérant « au motif qu’il était soupçonné d’avoir commis une infraction » et « en vue de sa conduite devant une autorité judiciaire compétente ».

Toutefois, il est constant que, au regard du droit interne, la comparution du requérant devant le tribunal n’était pas requise ‑ celui‑ci ayant le pouvoir d’examiner l’affaire de l’intéressé et de statuer en son absence sur les accusations portées contre lui – et que la détention ne figurait pas au nombre des mesures restrictives que les autorités pouvaient légalement prendre pour le type d’infraction dont elles avaient des raisons plausibles de le croire coupable. C’est pourquoi je ne puis approuver la majorité d’avoir conclu que la détention litigieuse relevait de l’article 5 § 1 c) et qu’elle poursuivait le but légitime énoncé par cette disposition.

L’article 5 § 1 de la Convention garantit aux individus le droit à la liberté et à la sûreté, excepté dans les cas limitativement énumérés par ses alinéas a) à f). Il ressort clairement de la jurisprudence de la Cour que toute privation de liberté visant des fins autres que celles énoncées dans les alinéas en question doit être qualifiée d’arbitraire.

Il n’a pas été avancé que la mesure litigieuse visait à atteindre un autre des buts limitativement énumérés par les alinéas de l’article 5 § 1. Cela constitue à mes yeux une raison suffisante pour conclure que la privation de liberté infligée au requérant a été arbitraire d’un bout à l’autre, sans qu’il soit besoin de rechercher si cette mesure était « proportionnée » dans les circonstances de l’espèce. Dès lors qu’une privation de liberté ne relève d’aucun des buts énumérés dans l’article 5, elle ne peut passer pour « proportionnée ».

Dans ces conditions, je ne suis pas certaine que la majorité ait eu raison de conclure à l’applicabilité de l’article 5 § 3 à la situation du requérant. Le droit d’être « libéré pendant la procédure » au sens de l’article 5 § 3 de la Convention ne trouve à s’appliquer que lorsque la privation de liberté poursuit l’un des buts énumérés par l’article 5 § 1 c). En cas de détention arbitraire, la Convention garantit au détenu le droit « d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale », à tout moment et quelle que soit la durée de la détention (article 5 § 4).

Le fait que le tribunal avait compétence au regard du droit interne pour ordonner la détention du requérant ne me semble pas suffisant pour justifier la privation de celui-ci aux fins de l’article 5 de la Convention.


Synthèse
Formation : Cour (quatriÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-138667
Date de la décision : 19/11/2013
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 5 - Droit à la liberté et à la sûreté (Article 5-1-c - Conduire devant l'autorité judiciaire compétente);Violation de l'article 5 - Droit à la liberté et à la sûreté (Article 5-3 - Aussitôt traduite devant un juge ou autre magistrat)

Parties
Demandeurs : EL KASHIF
Défendeurs : POLOGNE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : ZYGMONT B.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award