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24/01/2017 | CEDH | N°001-170664

CEDH | CEDH, AFFAIRE KHAMTOKHU ET AKSENCHIK c. RUSSIE, 2017, 001-170664


GRANDE CHAMBRE

AFFAIRE KHAMTOKHU ET AKSENCHIK c. RUSSIE

(Requêtes nos 60367/08 et 961/11)

ARRÊT

STRASBOURG

24 janvier 2017

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Khamtokhu et Aksenchik c. Russie,

La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :

Guido Raimondi, président,

András Sajó,

Işıl Karakaş,

Luis López Guerra,

Mirjana Lazarova Trajkovska,

Angelika Nußberger,

Khanlar Hajiyev,


Paulo Pinto de Albuquerque,

Linos-Alexandre Sicilianos,

Erik Møse,

André Potocki,

Ksenija Turković,

Dmitry Dedov,

Branko Lubarda,

Mārtiņš Mits,

Stéphanie Mouro...

GRANDE CHAMBRE

AFFAIRE KHAMTOKHU ET AKSENCHIK c. RUSSIE

(Requêtes nos 60367/08 et 961/11)

ARRÊT

STRASBOURG

24 janvier 2017

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Khamtokhu et Aksenchik c. Russie,

La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :

Guido Raimondi, président,

András Sajó,

Işıl Karakaş,

Luis López Guerra,

Mirjana Lazarova Trajkovska,

Angelika Nußberger,

Khanlar Hajiyev,

Paulo Pinto de Albuquerque,

Linos-Alexandre Sicilianos,

Erik Møse,

André Potocki,

Ksenija Turković,

Dmitry Dedov,

Branko Lubarda,

Mārtiņš Mits,

Stéphanie Mourou-Vikström,

Gabriele Kucsko-Stadlmayer, juges,

et de Roderick Liddell, greffier,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 20 avril et 17 octobre 2016,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouvent deux requêtes (nos 60367/08 et 961/11) dirigées contre la Fédération de Russie et dont deux ressortissants de cet État, MM. Aslan Bachmizovich Khamtokhu et Artyom Aleksandrovich Aksenchik (« les requérants »), ont saisi la Cour le 22 octobre 2008 et le 11 février 2011 respectivement en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Les requérants ont été représentés par Mes N. Yermolayeva, A. Maralyan, E. Davidyan et K. Moskalenko, avocates à Moscou. Le gouvernement russe (« le Gouvernement ») a été représenté par M. G. Matyushkin, représentant de la Fédération de Russie auprès de la Cour européenne des droits de l’homme.

3. Les requérants, condamnés à la réclusion à perpétuité, se plaignaient d’avoir fait l’objet d’un traitement discriminatoire par rapport à d’autres catégories de personnes condamnées pour lesquelles la loi exclut la réclusion à perpétuité.

4. Les requêtes ont été attribuées à la première section de la Cour (article 52 § 1 du règlement de la Cour – « le règlement »). Le 27 septembre 2011, une chambre de ladite section a décidé de communiquer le grief exposé ci-dessus au gouvernement défendeur et de déclarer les requêtes irrecevables pour le surplus. Le 13 mai 2014, cette chambre composée de Isabelle Berro-Lefèvre, Khanlar Hajiyev, Julia Laffranque, Linos-Alexandre Sicilianos, Erik Møse, Ksenija Turković et Dmitry Dedov, juges, ainsi que de Søren Nielsen, greffier de section, a décidé de joindre les requêtes (article 42 § 1 du règlement) et de les déclarer partiellement recevables. Le 1er décembre 2015, une chambre de l’ancienne première section composée de András Sajó, Khanlar Hajiyev, Julia Laffranque, Linos-Alexandre Sicilianos, Erik Møse, Ksenija Turković et Dmitry Dedov, juges, ainsi que de André Wampach, greffier adjoint de section, s’est dessaisie au profit de la Grande Chambre, aucune des parties ne s’y étant opposée (articles 30 de la Convention et 72 du règlement).

5. La composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément aux articles 26 §§ 4 et 5 de la Convention et 24 du règlement. Lors des délibérations finales, André Potocki, juge suppléant, a remplacé Julia Laffranque, empêchée (article 24 § 3 du règlement).

6. Tant les requérants que le Gouvernement ont déposé des observations écrites complémentaires sur le fond (article 59 § 1 du règlement). Des observations ont également été reçues de Equal Rights Trust, une organisation non gouvernementale sise à Londres (Royaume-Uni), que le président avait autorisée à intervenir dans la procédure (articles 36 § 2 de la Convention et 44 § 3 du règlement).

7. Une audience s’est déroulée en public au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 20 avril 2016 (article 59 § 3 du règlement).

Ont comparu :

– pour le Gouvernement
M.G. Matyushkin, Représentant de la Fédération de Russie
auprès de la Cour européenne des droits de l’homme,
MmeO. Ocheretyanaya, conseillère ;

– pour les requérants
MmesA. Maralyan,
N. Yermolayeva,
E. Davidyan,conseils ;
K. Moskalenko,conseillère.

La Cour a entendu Mmes Maralyan, Yermolayeva et Davidyan ainsi que M. Matyushkin en leurs déclarations et en leurs réponses à des questions de juges.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

8. Les requérants, MM. Khamtokhu et Aksenchik, sont nés respectivement en 1970 et 1985. Ils purgent actuellement des peines de réclusion à perpétuité dans la région de Iamalo-Nénétsie (Russie).

A. La procédure pénale dirigée contre le premier requérant

9. Le 14 décembre 2000, la Cour suprême de la république d’Adyguée déclara le premier requérant coupable de diverses infractions, notamment d’évasion, de tentative de meurtre sur la personne de policiers et de fonctionnaires ainsi que de port illégal d’armes à feu, et le condamna à la réclusion à perpétuité.

10. Le 19 octobre 2001, la Cour suprême de la Fédération de Russie, statuant en appel, confirma la condamnation du premier requérant.

11. Le 26 mars 2008, le présidium de la Cour suprême de la Fédération de Russie annula dans le cadre d’une procédure de révision l’arrêt d’appel du 19 octobre 2001 et renvoya l’affaire pour un nouvel examen.

12. Le 30 juin 2008, la Cour suprême de la Fédération de Russie confirma la condamnation du premier requérant. Elle requalifia certaines des charges portées contre lui mais ne modifia pas la peine de réclusion à perpétuité.

B. La procédure pénale dirigée contre le second requérant

13. Le 28 avril 2010, la cour régionale de Tomsk déclara le second requérant coupable de trois chefs de meurtre et le condamna à la réclusion à perpétuité.

14. Le 12 août 2010, la Cour suprême de la Fédération de Russie confirma la condamnation en appel.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

A. Le droit pénal

15. D’après le code pénal de 1960 de la République socialiste fédérative soviétique de Russie (RSFSR), la peine capitale ne pouvait être infligée ni à une personne âgée de moins de 18 ans ni à une femme qui était enceinte soit au moment de la commission de l’infraction soit au moment du jugement (article 23). L’alternative à la peine capitale était une peine d’emprisonnement de quinze ans. La réclusion à perpétuité n’était pas prévue.

Le 29 avril 1993, le code pénal de la RSFSR fut modifié et l’exclusion de la peine de mort prévue à l’article 23 du code pénal fut étendue à toutes les femmes ainsi qu’aux délinquants juvéniles et aux délinquants âgés de 65 ans ou plus.

Le code pénal de la Fédération de Russie, qui a remplacé le code pénal de la RSFSR le 1er janvier 1997, prévoit une gamme de peines plus étoffée, comprenant une peine de vingt ans d’emprisonnement maximum (article 56), la réclusion à perpétuité (article 57) et la peine capitale (article 59). Les femmes ainsi que les délinquants de moins de 18 ans et de 65 ans ou plus sont exclus en des termes identiques tant de la réclusion à perpétuité que de la peine capitale (articles 57 § 2 et 59 § 2). Par le jeu de la grâce, la peine capitale peut être commuée en réclusion à perpétuité ou en une peine de vingt-cinq ans d’emprisonnement (article 59 § 3). En 2009, la Cour constitutionnelle imposa un moratoire à durée indéterminée sur la peine capitale en Russie (pour le texte de la décision, voir A.L. (X.W.) c. Russie, no 44095/14, § 51, 29 octobre 2015).

16. L’article 57 du code pénal (intitulé « Réclusion à perpétuité »), se lit ainsi :

« 1. La réclusion à perpétuité peut être infligée pour la commission d’infractions particulièrement graves portant atteinte à la vie ou (...) à la sécurité.

2. La réclusion à perpétuité ne peut être infligée ni aux femmes, ni aux hommes qui au moment de la commission de l’infraction avaient moins de 18 ans ou qui au moment du prononcé du verdict avaient 65 ans ou plus. »

17. Un tribunal peut admettre au bénéfice d’une libération anticipée un détenu condamné à la réclusion à perpétuité qui a purgé au moins vingt-cinq ans de sa peine, sous réserve que l’intéressé ait pleinement respecté les règles pénitentiaires pendant les trois années précédant la demande d’élargissement (article 79 § 5).

B. Jurisprudence de la Cour constitutionnelle

18. La Cour constitutionnelle a toujours déclaré irrecevables les griefs concernant l’incompatibilité alléguée de l’article 57 § 2 du code pénal avec l’interdiction constitutionnelle de la discrimination. L’arrêt le plus récent dans lequel elle réaffirme sa position établie à cet égard date du 25 février 2016 ; elle y formule les considérations suivantes :

« L’interdiction d’infliger une peine de réclusion à perpétuité ou la peine capitale à certaines catégories de délinquants ne saurait être considérée comme un manquement au principe d’égalité devant la loi et les tribunaux (article 19 de la Constitution) ou comme une violation des engagements juridiques internationaux de la Russie. Cette interdiction se justifie par la nécessité de prendre en compte l’âge et les caractéristiques sociales et physiologiques des personnes relevant de ces catégories sur la base des principes de justice et d’humanité en matière pénale en vue d’atteindre, de manière plus complète et efficace, les objectifs de la sanction pénale dans un État démocratique fondé sur l’état de droit. D’après la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, l’interdiction n’empêche pas [les tribunaux] d’infliger de justes sanctions à d’autres catégories de délinquants, en fonction de la gravité des crimes qu’ils ont commis, des circonstances de la commission et de la personnalité des intéressés ; cette interdiction ne porte pas atteinte à leurs droits et, en conséquence, n’est pas discriminatoire à leur égard (décisions nos 638-O-O du 21 octobre 2008, 898-O-O du 23 juin 2009, 1382-O-O du 19 octobre 2010, 1925-O du 18 octobre 2012, et 1428-O du 24 septembre 2013). »

III. DROIT COMPARÉ

19. Selon les informations dont la Cour dispose, il y a actuellement neuf États membres du Conseil de l’Europe où la réclusion à perpétuité n’est pas prévue : Andorre, la Bosnie-Herzégovine, la Croatie, l’Espagne, le Monténégro, la Norvège, le Portugal, Saint-Marin et la Serbie. Dans le reste du monde, de nombreux pays d’Amérique latine (la Bolivie, la Colombie, le Costa Rica, l’Équateur, le Honduras, le Mexique, le Nicaragua, le Panama, le Paraguay, la République dominicaine, le Salvador, l’Uruguay et le Venezuela) ont aboli la réclusion à perpétuité, sous réserve de certaines exceptions en temps de guerre.

20. Il ressort d’une étude comparant les principes directeurs en matière de fixation des peines dans trente-sept États membres du Conseil de l’Europe dans lesquels les délinquants peuvent être condamnés à la réclusion à perpétuité que tous ces pays établissent un régime spécial pour les mineurs ou les jeunes adultes, que ce soit par l’intégration de dispositions spéciales dans le code pénal ou par l’adoption d’une législation spécifique relative aux délinquants juvéniles. La condamnation à la réclusion à perpétuité des délinquants de moins de 18 ans est interdite dans trente-deux États membres ; l’Autriche, le Liechtenstein, l’ex-République yougoslave de Macédoine et la Suède étendent l’interdiction aux jeunes adultes de moins de 21 ans, et la Hongrie l’applique à ceux qui n’avaient pas encore 20 ans au moment de la commission de l’infraction.

21. Quatre États membres (en plus de la Russie) appliquent un régime spécifique de fixation des peines aux délinquants âgés : un délinquant ayant atteint l’âge de la retraite (Azerbaïdjan), l’âge de 60 ans (Géorgie) ou l’âge de 65 ans (Roumanie et Ukraine) ne peut pas être condamné à la réclusion à perpétuité. En droit roumain, la peine maximale en pareil cas ne peut excéder trente ans d’emprisonnement.

22. Quant aux différences liées au sexe, l’Albanie, l’Azerbaïdjan et la République de Moldova (en plus de la Russie) excluent de manière générale dans leur droit pénal la condamnation des femmes à la réclusion à perpétuité. En Arménie et en Ukraine, le droit pénal interdit aux tribunaux de condamner à l’emprisonnement à vie des femmes qui étaient enceintes au moment de la commission de l’infraction ou du prononcé de la peine. Une disposition similaire figure dans le code pénal bulgare, qui interdit de condamner les délinquantes enceintes à la réclusion à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle.

IV. INSTRUMENTS INTERNATIONAUX PERTINENTS

A. Délinquants juvéniles

23. L’article 6 § 5 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques se lit ainsi :

« Une sentence de mort ne peut être imposée pour des crimes commis par des personnes âgées de moins de 18 ans et ne peut être exécutée contre des femmes enceintes. »

24. L’article 37 a) de la Convention relative aux droits de l’enfant est ainsi libellé :

« Les États parties veillent à ce que :

a) Nul enfant ne soit soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Ni la peine capitale ni l’emprisonnement à vie sans possibilité de libération ne doivent être prononcés pour les infractions commises par des personnes âgées de moins de dix-huit ans ; (...) »

25. Le Comité des droits de l’enfant, dans son Observation générale no 10 de 2007, a formulé la recommandation suivante :

« Comme il est probable que l’imposition d’une peine d’emprisonnement à perpétuité à un enfant rende très difficile, voire empêche la réalisation des objectifs de la justice pour mineurs, en dépit même de la possibilité de libération, le Comité recommande instamment aux États parties d’abolir toutes les formes d’emprisonnement à vie pour des infractions commises par des personnes âgées de moins de 18 ans. »

26. Le 20 décembre 2012, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté la Résolution A/RES/67/166 sur les droits de l’homme dans l’administration de la justice, dans laquelle elle exhorte les États :

« (...) à faire en sorte que, dans leur législation comme dans leur pratique, ni la peine capitale, ni la réclusion à perpétuité sans possibilité de libération (...) ne soient infligés pour des infractions commises par des personnes de moins de 18 ans, et (...) à envisager d’abolir les autres formes de réclusion à perpétuité pour les crimes commis par des personnes de moins de 18 ans. »

B. Protection des femmes et de la maternité

27. Le libellé de l’article 6 § 5 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques est reproduit au paragraphe 23 ci-dessus.

28. Le passage pertinent en l’espèce de la Convention des Nations unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) se lit ainsi :

Article 4

« 1. L’adoption par les États parties de mesures temporaires spéciales visant à accélérer l’instauration d’une égalité de fait entre les hommes et les femmes n’est pas considéré comme un acte de discrimination tel qu’il est défini dans la présente Convention, mais ne doit en aucune façon avoir pour conséquence le maintien de normes inégales ou distinctes ; ces mesures doivent être abrogées dès que les objectifs en matière d’égalité de chances et de traitement ont été atteints.

2. L’adoption par les États parties de mesures spéciales, y compris de mesures prévues dans la présente Convention, qui visent à protéger la maternité n’est pas considérée comme un acte discriminatoire. »

29. Les dispositions pertinentes en l’espèce des Règles des Nations unies concernant le traitement des détenues et l’imposition de mesures non privatives de liberté aux délinquantes (Règles de Bangkok) sont les suivantes :

Préambule

« Considérant que les détenues constituent l’un des groupes vulnérables qui ont des nécessités et des besoins particuliers (...) »

Règle 5

« Les locaux hébergeant les détenues doivent comporter les installations et les fournitures nécessaires pour répondre aux besoins spécifiques des femmes en matière d’hygiène, (...) en particulier pour les femmes devant cuisiner, les femmes enceintes, les mères allaitantes ou les femmes ayant leurs menstruations. »

Règle 10

« 1. Des services de santé spécifiques aux femmes au moins équivalents à ceux offerts à l’extérieur doivent être assurés aux détenues. »

Règle 31

« Des politiques et réglementations claires sur la conduite du personnel pénitentiaire visant à procurer aux détenues une protection maximale contre toutes violences physiques ou verbales ou toutes exactions liées à leur sexe et contre tout harcèlement sexuel doivent être élaborées et mises en œuvre. »

Règle 48

« 1. Les détenues qui sont enceintes ou qui allaitent doivent recevoir des conseils sur leur santé et leur régime alimentaire (...) »

30. Le 11 janvier 2006, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe adopta la Recommandation Rec(2006)2 aux États membres sur les Règles pénitentiaires européennes, en remplacement de la Recommandation no R (87) 3 sur les Règles pénitentiaires, qui prenait en compte les évolutions en matière de politiques pénales, de fixation des peines et de gestion globale des prisons en Europe. Les passages pertinents des Règles pénitentiaires modifiées sont libellés comme suit :

« 13. Les présentes règles doivent être appliquées avec impartialité, sans discrimination aucune fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation.

(...)

34.3 Les détenues doivent être autorisées à accoucher hors de prison mais, si un enfant vient à naître dans l’établissement, les autorités doivent fournir l’assistance et les infrastructures nécessaires. »

31. Dans sa Résolution du 13 mars 2008 sur la situation particulière des femmes en prison, le Parlement européen recommande :

« 14. (...) que la détention des femmes enceintes et des mères ayant auprès d’elles leurs enfants en bas âge ne soit envisagée qu’en dernier ressort et que, dans ce cas extrême, elles puissent obtenir une cellule plus spacieuse, si possible individuelle, et se voient accorder une attention particulière, notamment en matière d’alimentation et d’hygiène ; considère, en outre, que les femmes enceintes doivent pouvoir bénéficier d’un suivi prénatal et postnatal ainsi que de cours d’éducation parentale de qualité équivalente à ceux prodigués en dehors du cadre pénitentiaire. »

EN DROIT

SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 14 DE LA CONVENTION COMBINÉ AVEC L’ARTICLE 5

32. Les requérants allèguent que leur condamnation à la réclusion à perpétuité les a exposés à un traitement discriminatoire fondé sur le sexe et l’âge, en violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 5. Les passages pertinents de ces dispositions se lisent ainsi :

Article 5

« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

a) s’il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent ; (...) »

Article 14

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

A. Thèses des parties

1. Les requérants

33. Les requérants soutiennent que le traitement différent et moins favorable qui est appliqué en vertu de l’article 57 du code pénal au groupe auquel ils appartiennent – les hommes âgés de 18 à 65 ans par opposition à l’ensemble des femmes et aux hommes ayant moins de 18 ans et plus de 65 ans – relativement aux peines de réclusion à perpétuité constitue une différence de traitement injustifiée, fondée sur le sexe et l’âge. Sans rechercher l’application universelle de la réclusion à perpétuité à tous les délinquants, y compris aux femmes ainsi qu’aux hommes âgés de moins de 18 ans et de plus de 65 ans, ils estiment que si les autorités russes ont décidé qu’il était injuste et inhumain d’infliger la réclusion à perpétuité à ces catégories de personnes, elles auraient dû également s’abstenir de prévoir cette peine pour les hommes âgés de 18 à 65 ans.

34. Quant à la différence de traitement liée au sexe, les requérants arguent que la différence dans les politiques de fixation des peines applicables aux hommes et aux femmes n’a pas de justification raisonnable ou objective. Ils considèrent que cette différence traduit une vision dépassée et traditionaliste du rôle social des femmes et ne repose ni sur des données scientifiques ou statistiques ni sur les principes juridiques généralement admis. Ils ajoutent que le rôle prétendument particulier des femmes dans la société, qui tiendrait avant tout à leur fonction reproductive et à leur responsabilité en matière d’éducation des enfants, ne constitue pas une raison suffisante pour traiter les délinquantes plus favorablement que les délinquants. Pour eux, quelles que soient les différences biologiques entre les deux sexes, hommes et femmes participent à la protection de leurs enfants, ainsi qu’aux soins et au soutien qu’il convient de leur assurer. Les lois nationales n’opèreraient aucune distinction entre les droits et obligations d’une mère et ceux d’un père quant à l’éducation des enfants. La Cour aurait dit que les stéréotypes liés au sexe, telle l’idée que ce sont plutôt les femmes qui s’occupent des enfants, ne peuvent en soi passer pour constituer une justification suffisante d’une différence de traitement – les requérants renvoient à cet égard à l’affaire Konstantin Markin c. Russie ([GC], no 30078/06, § 143, CEDH 2012 (extraits)). Quoi qu’il en soit, la différence de traitement en matière de fixation des peines ne permettrait pas d’atteindre le but affiché de la protection de la maternité, l’écart entre une peine d’emprisonnement de trente ans et la réclusion à perpétuité ne pouvant guère faire de différence pour la fonction reproductive d’une femme dès lors que, dans les deux cas, celle-ci passerait en prison toutes les années pendant lesquelles elle serait en mesure de procréer.

35. Les requérants estiment dénué de fondement l’argument du Gouvernement selon lequel les femmes sont psychologiquement plus vulnérables que les hommes et sont affectées dans une plus grande mesure par les épreuves de la détention. En l’absence de toute base scientifique à l’appui de cette généralisation, ils n’y voient qu’un autre stéréotype, celui de « l’endurance masculine ». Ils ne contestent pas que la détention est une épreuve, mais ils considèrent que c’en est une aussi bien pour les hommes que pour les femmes, et qu’il y a chez les deux sexes des individus présentant des degrés divers de vulnérabilité.

36. Les requérants reconnaissent que les caractéristiques physiologiques des femmes relevant de certaines catégories – et à des moments précis, par exemple, pendant la grossesse, l’allaitement ou la période à consacrer à l’éducation des enfants – peuvent servir de justification objective et raisonnable à une différence de traitement. Ils indiquent cependant que l’article 57 du code pénal part du principe qu’il existe des caractéristiques physiologiques universelles qui différencient les hommes et les femmes à tous les égards et à tout moment. Ils ajoutent que le caractère excessif de la différenciation opérée par le Gouvernement entre les femmes et les hommes est frappant lorsqu’on la compare aux normes internationales généralement admises, dans lesquelles seuls certains facteurs propres aux femmes seraient pris en considération. Ainsi, l’article 6 § 5 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (« le PIDCP ») interdirait d’imposer la peine capitale à une femme enceinte du fait de considérations relatives à l’enfant à naître. De même, l’article 76 § 3 du Protocole additionnel aux Conventions de Genève de 1949 (relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux) viserait à éviter que la peine de mort soit prononcée ou exécutée s’agissant de femmes enceintes ou de mères d’enfants en bas âge dépendant d’elles.

37. Les requérants ne voient aucun but légitime dans l’article 57 du code pénal, qui établirait entre les délinquants une distinction permanente et irrévocable fondée sur le sexe, même s’ils se trouvent dans une situation identique à tous les autres égards. Ils estiment que le fait d’inscrire cette distinction dans la législation au lieu, par exemple, d’autoriser le juge, dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation, à tenir compte du sexe du délinquant lors du prononcé de la peine ne permet pas de parvenir à un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but recherché. Ils soutiennent que, pour autant qu’il puisse être légitime de prendre en compte certaines circonstances particulières liées au sexe, nul n’est besoin d’une discrimination institutionnalisée à cet égard. En effet, selon les principes généraux de la politique de fixation des peines en droit russe, les tribunaux peuvent tenir compte de ces circonstances particulières – notamment de la situation familiale et des besoins et obligations relatifs aux enfants à charge – lorsqu’ils déterminent tant pour les hommes que pour les femmes la sanction qu’il convient d’appliquer.

38. Quant aux différences de traitement fondées sur l’âge en matière de fixation des peines, les requérants reconnaissent que certaines normes internationales dans le domaine des droits de l’homme interdisent de prononcer les sanctions pénales les plus lourdes contre les mineurs (ils évoquent en particulier l’article 6 § 5 du PIDCP et l’article 37 a) de la Convention relative aux droits de l’enfant). Ils estiment que, parmi ces dispositions, seul l’article 37 a) de la Convention relative aux droits de l’enfant s’applique directement en l’espèce, dès lors qu’il interdit de prononcer à l’égard de mineurs une peine d’emprisonnement à vie sans possibilité de libération. Ils considèrent cependant que cet article est hors de propos dans le contexte russe, où tous les détenus condamnés à la réclusion à perpétuité, quel que soit leur âge, pourraient bénéficier d’une libération conditionnelle après vingt-cinq ans d’emprisonnement.

39. Les requérants admettent qu’une différenciation liée à l’âge peut être nécessaire si l’on considère les individus de plus de 65 ans comme un groupe socialement vulnérable dont la capacité à contrôler leur conduite et à prévoir les conséquences de leurs actes est insuffisamment développée ou affaiblie. Cependant, aucune étude scientifique ne démontrerait qu’il faudrait reconnaître une responsabilité atténuée à l’ensemble des personnes de plus de 65 ans. Quant à l’hypothèse consistant à considérer toutes les personnes de plus de 65 ans comme irresponsables, les requérants indiquent que le droit national autorise les personnes âgées de plus de 65 ans à exercer certaines fonctions publiques importantes, notamment celle de juge à la Cour constitutionnelle de Russie jusqu’à l’âge de 75 ans, ce qui selon eux affaiblit la généralisation liée à l’âge. Ils ajoutent que, dès lors que l’espérance de vie moyenne en Russie est de 65 ans pour les hommes et que les statistiques en la matière ne tiennent pas compte des mauvaises conditions prévalant dans les établissements pénitentiaires en Russie, qui selon eux doivent encore réduire l’espérance de vie des détenus, une condamnation à perpétuité a un effet quasi identique pour un homme de 40 ans et pour un homme ayant atteint l’âge de 65 ans : les chances de libération anticipée sous conditions seraient illusoires aussi bien pour l’un que pour l’autre. Les requérants soutiennent en conséquence que la limite d’âge de 65 ans est arbitraire, considérant notamment que l’âge de la retraite est fixé à 55 ans pour les femmes et 60 ans pour les hommes.

40. Enfin, toujours sur la question des différences liées à l’âge, les requérants admettent que les mineurs forment un groupe socialement et psychologiquement vulnérable, qui aurait besoin de ce fait de mesures de protection spéciales dictées par des considérations d’humanité. Pour eux, il ne s’ensuit toutefois pas que d’autres catégories d’âge doivent faire l’objet d’une discrimination et se voir privées d’une telle protection. Quant aux délinquants âgés, les requérants soutiennent que l’âge peut être considéré dans certains cas comme une circonstance atténuante – comme le prévoit l’article 61 § 2 du code pénal –, et que, selon l’article 81 § 2 du code pénal, les personnes ayant contracté une maladie grave après avoir commis une infraction peuvent être dispensées de toute sanction.

41. En conclusion, les requérants déclarent qu’une tendance internationale vers l’abolition de la réclusion à perpétuité se dégage, indiquant que quelque vingt-cinq pays dans le monde ne prévoient ce type de peine pour aucune catégorie de personnes. Pour eux, à supposer même que la réclusion à perpétuité puisse constituer une forme de sanction appropriée dans certaines circonstances, elle ne doit pas être fondée sur des caractéristiques liées au sexe, à l’âge ou à un groupe d’âge, mais elle doit reposer uniquement sur les circonstances particulières de l’infraction et sur la personnalité de son auteur. Les requérants considèrent qu’une politique moderne de fixation des peines devrait se caractériser par un degré élevé d’individualisation des peines et que le principe général en la matière devrait être l’individualisation de la peine et non une discrimination institutionnalisée fondée sur l’âge et sur le sexe.

2. Le Gouvernement

42. Le Gouvernement soutient que les requérants ne peuvent pas se prétendre victimes d’une violation de la Convention, leurs condamnations ayant été « régulières » au sens de l’article 5 § 1 a). Il affirme que les intéressés aspirent à un changement du droit pénal russe qui permettrait d’infliger des peines plus sévères à d’autres personnes, notamment aux femmes, aux délinquants juvéniles ou aux personnes âgées de 65 ans ou plus, sans que leur situation personnelle en soit pour autant modifiée. Il argue qu’un constat de violation de l’article 14 n’entraînerait pas l’obligation de réviser des peines individuelles ou d’abolir totalement la réclusion à perpétuité en Russie.

43. Pour le Gouvernement, un examen de la jurisprudence de la Cour relative à la question de la réclusion à perpétuité au regard de l’article 3 de la Convention démontre la compatibilité avec celle-ci du droit pénal russe – qui prévoirait un droit à être libéré sous conditions également pour les personnes condamnées à une telle peine. La réclusion à perpétuité s’appliquerait dans une majorité d’États dans le monde et seuls six États membres du Conseil de l’Europe l’auraient abolie. En Russie, la réclusion à perpétuité serait une peine sanctionnant les crimes les plus graves mais serait toujours accompagnée de peines de remplacement et ne serait jamais imposée de manière automatique. Le Gouvernement estime que les États contractants devraient se voir octroyer une marge d’appréciation s’agissant de décider de la durée appropriée des peines d’emprisonnement pour des infractions données (il renvoie à cet égard à l’affaire László Magyar c. Hongrie, no 73593/10, § 46, 20 mai 2014).

44. Invoquant la jurisprudence constante de la Cour constitutionnelle russe, le Gouvernement soutient que l’article 57 du code pénal, lorsqu’il interdit de condamner les femmes, les jeunes âgés de moins de 18 ans et les personnes âgées de plus de 65 ans à la réclusion à perpétuité, est inspiré par les principes de justice et d’humanité voulant que la politique en matière de fixation des peines prenne en compte l’âge et les « caractéristiques physiologiques » de diverses catégories de délinquants. Les restrictions concernant ces catégories de délinquants n’auraient aucun effet sur la condamnation des autres délinquants, pour lesquels les peines infligées tiendraient compte de la nature de l’infraction en cause, de la dangerosité de celle-ci pour le public, des circonstances dans lesquelles elle a été commise et de la personnalité de son auteur. Le Gouvernement estime que la jurisprudence de la Cour constitutionnelle traduit les exigences du droit international relatives à une approche différenciée des sanctions en fonction du sexe et de l’âge du délinquant. En ce qui concerne les délinquants juvéniles, il mentionne l’article 37 de la Convention relative aux droits de l’enfant, la position du Comité des droits de l’enfant et celle du Comité des droits de l’homme, la Résolution de l’Assemblée générale des Nations unies du 9 novembre 2012[1] et d’autres instruments internationaux, ainsi que l’abolition par une grande majorité des États membres de la réclusion à perpétuité pour les mineurs. Il ajoute que les personnes âgées de plus de 65 ans, en cas de réclusion à perpétuité, ne pourraient bénéficier d’une libération anticipée qu’à l’âge de 90 ans, ce qui, eu égard à l’espérance de vie naturelle, donnerait à cette possibilité un caractère illusoire.

45. Le Gouvernement indique en outre que le droit international consacre une approche plus humaine envers les femmes, la Convention des Nations unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) énonçant en son article 4 § 2 que les mesures spéciales qui visent à protéger la maternité ne doivent pas être considérées comme discriminatoires. Il renvoie à certaines études scientifiques selon lesquelles les femmes constitueraient une minorité des personnes en détention dans le monde. Ce seraient souvent les femmes qui, avant l’incarcération, assureraient l’éducation des enfants, et 90 % des détenues auraient des antécédents de violence domestique, ce qui contribuerait à expliquer leur conduite criminelle et mettrait en exergue leur vulnérabilité. La Russie ne serait pas le seul État qui refuse de condamner les femmes à la réclusion à perpétuité ; l’Albanie, l’Arménie, l’Azerbaïdjan, le Belarus et l’Ouzbékistan feraient de même. Le Parlement ukrainien aurait adopté en première lecture un projet de loi excluant les femmes de la réclusion à perpétuité.

46. Le Gouvernement soutient que le droit russe établit la règle générale qu’une peine de réclusion à perpétuité peut être infligée pour des infractions particulièrement graves contre la vie et la sécurité publique et que l’interdiction de condamner les femmes, les mineurs et les personnes âgés de 65 ans ou plus à la réclusion à perpétuité constitue une exception à cette règle. Il estime que cette exception ne porte pas atteinte aux droits de la majorité des condamnés mais qu’elle traduit plutôt une approche plus favorable à certains groupes spécifiques d’individus en matière de fixation des peines. Pour lui, cette mesure pourrait être qualifiée d’« inégalité positive » conçue pour compenser, par des moyens légaux, la vulnérabilité naturelle de ces groupes sociaux. La notion de discrimination se réfèrerait seulement à des restrictions injustifiées. Dans ce sens, les affaires des requérants ne révéleraient aucune discrimination et les griefs de ceux-ci revêtiraient un caractère abstrait dès lors que leurs peines auraient été fixées en fonction de la gravité des infractions commises et ne les mettraient pas en position désavantageuse par rapport à des femmes, à des mineurs ou à des personnes âgées de 65 ans ou plus.

47. Quant à la question de savoir si la différence de traitement est raisonnablement proportionnée au but légitime poursuivi, le Gouvernement estime que les restrictions liées à l’âge sont nécessaires. Il soutient à cet égard que les mineurs et les personnes âgées constituent des groupes socialement vulnérables dont la capacité à comprendre les implications de leur conduite, à la contrôler et à prévoir les conséquences de leurs actes est insuffisamment développée ou affaiblie. Ces groupes seraient enclins à des comportements impulsifs et inconsidérés pouvant se traduire par une conduite pénalement répréhensible. Quant aux femmes, l’exception relative aux peines serait justifiée par leur rôle spécial dans la société lié, avant tout, à leur fonction reproductive. La Cour constitutionnelle russe aurait déclaré dans le passé qu’un âge de départ à la retraite différent pour les hommes et les femmes s’expliquerait non seulement par les différences physiologiques entre les sexes mais également par le rôle spécial de la maternité dans la société, et ne s’analyserait pas en une discrimination mais servirait plutôt à renforcer une égalité effective plutôt que formelle.

48. En somme, le Gouvernement estime que, eu égard aux caractéristiques, notamment biologiques, psychologiques et sociologiques, des femmes, des mineurs et des hommes âgés de 65 ou plus, la condamnation à la réclusion à perpétuité de ceux-ci et leur détention dans des conditions très dures compromettraient l’objectif pénologique de l’amendement des intéressés. Il indique par ailleurs que l’exception concerne en réalité un petit nombre de personnes condamnées. Au 1er novembre 2011, seuls 1 802 délinquants auraient été condamnés à la réclusion à perpétuité en Russie. Sur un total de 533 024 personnes en détention, 42 511 seulement seraient des femmes.

3. Le tiers intervenant

49. Le tiers intervenant, Equal Rights Trust, soutient que, à l’exception des dispositions relatives aux délinquants juvéniles, les règles générales excluant des groupes particuliers de la réclusion à perpétuité ne peuvent se justifier au regard de l’article 14. Pour fonder sa thèse, il renvoie au droit international des droits de l’homme ainsi qu’au droit et à la pratique en vigueur aux niveaux régional et national.

50. Le tiers intervenant estime que les références à la « discrimination positive » dans le cadre de la présente affaire sont hors de propos et incompatibles avec l’acception donnée à cette notion en droit international. Une action positive serait un élément nécessaire du droit à l’égalité et comprendrait toute une gamme de mesures permettant de surmonter un désavantage passé. Les mesures prises devraient être conçues pour remédier au désavantage constaté, et l’État devrait être capable de démontrer sur quelle base il a conclu que les mesures choisies permettraient d’atteindre cet objectif. Cependant, l’exclusion de l’ensemble des femmes d’une certaine catégorie de peines ne constituerait pas une mesure temporaire et ne poursuivrait pas un objectif en matière d’égalité des chances ou de traitement. L’article 4 § 2 de la CEDAW serait une disposition de portée restreinte visant le traitement à réserver aux femmes enceintes et aux jeunes mères, et ne pourrait être utilisé pour justifier une différence de traitement qui serait appliquée aux femmes sur la base de différences biologiques en dehors de ce contexte ou qui serait fondée sur le rôle social perçu des femmes en tant que mères. Les mesures spéciales destinées aux femmes enceintes et aux jeunes mères devraient être limitées au strict nécessaire (le tiers intervenant se réfère à cet égard à l’affaire Johnston v Chief Constable of the Royal Ulster Constabulary, CJCE, affaire C-222/84, 15 mai 1986, §§ 44-46). Les tribunaux rejetteraient toujours les arguments fondés sur le paternalisme et sur des perceptions que les femmes seraient plus « vulnérables » que les hommes et auraient besoin de « protection » (le tiers intervenant renvoie, à cet égard, à l’affaire Karlheinz Schmidt c. Allemagne, no 13580/88, 18 juillet 1994, § 28, série A no 291-B concernant l’exclusion des femmes d’un service obligatoire pour les hommes sur la base de leurs « particularités physiques et psychiques », et à l’affaire Emel Boyraz c. Turquie (no 61960/08, § 52, 2 décembre 2014), concernant un recrutement pour des postes d’agents de sécurité ouvert seulement aux hommes en raison des risques et du travail de nuit).

51. Quant aux délinquants ayant 65 ans ou plus, le tiers intervenant soutient que la discrimination fondée sur l’âge est interdite par tous les principaux traités internationaux. Selon lui, la création de distinctions entre les personnes ayant dépassé ou n’ayant pas encore atteint un âge donné est en soi problématique, et requiert un niveau élevé de preuve et de justification. De simples affirmations générales concernant l’aptitude d’une mesure déterminée à la réalisation d’un objectif légitime ne suffiraient pas (Age Concern England, CJCE, affaire C-388/07, 5 mars 2009, § 51). Pour le tiers intervenant, même s’il est démontré qu’une peine de réclusion à perpétuité est plus souvent jugée excessivement sévère dans les affaires mettant en jeu des personnes de plus de 65 ans que dans les affaires concernant des personnes n’ayant pas atteint cet âge, une exclusion générale ne constituerait pas nécessairement un moyen proportionné d’éviter des peines lourdes. L’âge ne serait pas une donnée binaire, et toute différence fondée sur cet élément impliquant la fixation d’une limite appellerait une analyse comparative des pratiques des États et des preuves scientifiques aux fins d’examiner si une mesure est justifiée.

52. Quant aux moyens de remédier à la situation existante, le tiers intervenant estime que dans les cas où un État, agissant dans le cadre de son pouvoir discrétionnaire, décide qu’une peine de réclusion à perpétuité est « inhumaine » si elle est infligée à certains groupes et que cette décision est jugée contraire à l’article 14, le principe interdisant un « nivellement par le bas » empêcherait l’État concerné de faire cesser cette discrimination par la suppression pure et simple du traitement le plus favorable appliqué aux groupes protégés. Il soutient que, conformément aux principes généraux du droit international et à la coutume internationale, la mise en œuvre des décisions de juridictions internationales ne devrait pas abolir, restreindre ou limiter des droits existants (il se réfère à cet égard à l’article 53 de la Convention). Selon lui, dès lors que l’État a allégé les restrictions au droit à la liberté d’un groupe de personnes, il ne peut justifier un retour en arrière en invoquant ses obligations au titre de la Convention. Le tiers intervenant estime que, pour respecter l’article 14, l’État devrait plutôt adopter une approche individualisée en matière de fixation des peines prenant en compte, notamment, les particularités du délinquant. À son avis, une approche individualisée permettrait un meilleur ajustement des peines aux vulnérabilités spécifiques de catégories d’individus limitativement définies, par opposition à des distinctions excessivement larges, et donc arbitraires, fondées sur le sexe ou l’âge.

B. Appréciation de la Cour

1. Applicabilité de l’article 14 combiné avec l’article 5

a) Sur le point de savoir si les faits tombent « sous l’empire » de l’article 5

53. La Cour rappelle que l’article 14 ne fait que compléter les autres clauses matérielles de la Convention et de ses Protocoles. Il n’a pas d’existence indépendante, puisqu’il vaut uniquement pour « la jouissance des droits et libertés » qu’elles garantissent. Son application ne présuppose pas nécessairement la violation de l’un des droits matériels garantis par la Convention et, dans cette mesure, il possède une portée autonome. Une mesure conforme en elle-même aux exigences de l’article consacrant le droit ou la liberté en question peut toutefois enfreindre cet article, combiné avec l’article 14, pour le motif qu’elle revêt un caractère discriminatoire. Pour que l’article 14 trouve à s’appliquer, il suffit donc que les faits du litige tombent « sous l’empire » de l’une au moins desdites clauses (Clift c. Royaume-Uni, no 7205/07, § 41, 13 juillet 2010, Kafkaris c. Chypre [GC], no 21906/04, § 159, CEDH 2008 ; et Affaire « relative à certains aspects du régime linguistique de l’enseignement en Belgique » (fond), 23 juillet 1968, pp. 33‑34, § 9, série A no 6).

54. La Cour observe que les requérants ne se plaignent pas de la sévérité de la sanction en tant que telle ou de la durée de leurs peines, ni n’allèguent une violation de leur droit matériel à la liberté. Ils se plaignent d’avoir été privés de leur liberté pour le restant de leurs jours du fait de leur condamnation et d’avoir été traités, en vertu de l’article 57 du code pénal, moins favorablement que les femmes ou que d’autres hommes âgés de moins de 18 ans ou de plus de 65 ans condamnés pour des infractions analogues ou comparables, en raison de leur sexe et de leur âge. Ils y voient une violation de l’article 14 combiné avec l’article 5 de la Convention.

55. Les deux requérants ont été privés de leur liberté après avoir été condamnés par un tribunal compétent, une situation qui est explicitement couverte par l’article 5 § 1 a) de la Convention. La Cour rappelle que les questions se rapportant au caractère approprié de la peine sortent en général du champ d’application de la Convention et qu’elle n’a pas à dire, par exemple, quelle doit être la durée de la détention qui convient pour telle ou telle infraction (Vinter et autres c. Royaume-Uni [GC], nos 66069/09, 130/10 et 3896/10, § 105, CEDH 2013 (extraits), Sawoniuk c. Royaume-Uni (déc.), no 63716/00, CEDH 2001‑VI, T. c. Royaume-Uni [GC], no 24724/94, § 117, 16 décembre 1999, et V. c. Royaume-Uni [GC], no 24888/94, § 118, CEDH 1999‑IX ; voir cependant, concernant une sanction manifestement disproportionnée pour mauvais traitements, Nikolova et Velitchkova c. Bulgarie, no 7888/03, § 61, 20 décembre 2007, Okkalı c. Turquie, no 52067/99, § 73, CEDH 2006‑XII (extraits), et Derman c. Turquie, no 21789/02, § 28, 31 mai 2011).

56. En parallèle, la Cour a aussi exprimé l’idée que des mesures relatives à l’exécution de la peine ou aux bénéfices pénitentiaires peuvent avoir une incidence sur le droit à la liberté garanti par l’article 5 § 1, puisque la durée effective de la privation de liberté d’un condamné dépend notamment de leur application (Del Río Prada c. Espagne [GC], no 42750/09, § 127, CEDH 2013, et Stafford c. Royaume-Uni [GC], no 46295/99, §§ 55-83, CEDH 2002‑IV). De même, toujours dans le contexte de l’exécution d’une peine pénale, dans une affaire portant sur le droit à la libération conditionnelle d’un détenu condamné à la réclusion à perpétuité, la Cour a estimé que « si l’article 5 § 1 a) de la Convention ne garantit pas le droit à la liberté conditionnelle, une question peut se poser sur le terrain de cette disposition combinée avec l’article 14 de la Convention lorsqu’une politique bien arrêtée en matière de fixation des peines est de nature à affecter des situations individuelles de manière discriminatoire » (Gerger c. Turquie [GC], no 24919/94, § 69, 8 juillet 1999 ; voir aussi, dans le même sens, Clift, précité, § 42).

57. Il convient également de noter que dans certains cas, contrairement à la situation dans les affaires susmentionnées mais à l’instar de celle examinée en l’espèce, c’était la sanction pénale elle-même – plus que son exécution – infligée en application des dispositions légales internes opérant une distinction entre les délinquants en fonction de l’âge et du sexe qui soulevait une question au regard de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 5 (Nelson c. Royaume-Uni, no 11077/84, décision de la Commission du 13 octobre 1986, Décisions et rapport 49, p. 175, qui portait sur des allégations de discrimination fondée sur l’âge, et A.P. c. Royaume‑Uni, no 15397/89, décision de la Commission du 8 janvier 1992 (radiation), qui concernait une différence en matière de fixation des peines entre les délinquants juvéniles de sexe féminin et ceux de sexe masculin).

58. L’article 5 de la Convention n’interdit pas l’imposition de la réclusion à perpétuité (Vinter et autres, précité, §§ 104 à 106) lorsque pareille peine est prévue par le droit national. Cependant, l’interdiction de la discrimination que consacre l’article 14 dépasse la jouissance des droits et libertés que la Convention et ses Protocoles imposent à chaque État de garantir. Elle s’applique également aux droits additionnels, relevant du champ d’application général de tout article de la Convention, que l’État a volontairement décidé de protéger. Ce principe est profondément ancré dans la jurisprudence de la Cour (E.B. c. France [GC], no 43546/02, § 48, 22 janvier 2008, Stec et autres c. Royaume-Uni (déc.) [GC], nos 65731/01 et 65900/01, § 40, CEDH 2005‑X, et Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni, 28 mai 1985, § 78, série A no 94).

59. Partant, les situations où la législation nationale exclut de la réclusion à perpétuité certaines catégories de détenus condamnés tombent sous l’empire de l’article 5 § 1, aux fins de l’applicabilité de l’article 14 combiné avec cette disposition.

60. Dès lors, pour autant que les requérants se plaignent de l’effet prétendument discriminatoire produit par les dispositions relatives à la fixation des peines figurant à l’article 57 du code pénal, la Cour estime que les faits de l’espèce tombent « sous l’empire » de l’article 5 de la Convention.

b) Sur le point de savoir si la différence de traitement alléguée est liée à l’un ou l’autre des motifs énoncés à l’article 14

61. L’article 14 ne prohibe pas toute différence de traitement, mais uniquement certaines distinctions fondées sur une caractéristique identifiable, objective ou personnelle (« situation »), par laquelle des personnes ou groupes de personnes se distinguent les uns des autres. Cette disposition énumère des éléments précis constitutifs d’une « situation », tels que le sexe ou la race. Toutefois, la liste que renferme l’article 14 revêt un caractère indicatif, et non limitatif, ce dont témoigne l’adverbe « notamment » (« any ground such as » dans la version anglaise) ainsi que la présence dans cette liste de l’expression « toute autre situation » (« any other status » dans la version anglaise). L’expression « toute autre situation » a généralement reçu une interprétation large ne se limitant pas aux caractéristiques qui présentent un caractère personnel en ce sens qu’elles sont innées ou inhérentes à la personne (Clift, précité, §§ 56-58, Carson et autres c. Royaume-Uni [GC], no 42184/05, §§ 61 et 70, CEDH 2010, et Kjeldsen, Busk Madsen et Pedersen c. Danemark, 7 décembre 1976, § 56, série A no 23).

62. Les requérants soutiennent que l’article 57 du code pénal russe établit une politique en matière de fixation des peines qui, en ce qui concerne la réclusion à perpétuité, opère une différence de traitement fondée sur le sexe et l’âge. La Cour observe que l’article 14 interdit explicitement toute discrimination fondée sur le « sexe », et qu’elle a déjà admis que l’« âge » est une notion également couverte par cette disposition (Schwizgebel c. Suisse, no 25762/07, § 85, CEDH 2010 (extraits), et Nelson, décision précitée).

c) Conclusion

63. Eu égard aux considérations ci-dessus, la Cour estime que l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 5 trouve à s’appliquer en l’espèce.

2. Observation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 5

a) Principes généraux

64. Selon la jurisprudence établie de la Cour, pour qu’un problème se pose au regard de cette disposition, il doit y avoir une différence dans le traitement de personnes placées dans des situations analogues ou comparables. Une telle différence est discriminatoire si elle ne repose pas sur une justification objective et raisonnable, c’est-à-dire si elle ne poursuit pas un but légitime ou s’il n’y a pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. Les États contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour déterminer si et dans quelle mesure des différences entre des situations à d’autres égards analogues justifient des distinctions de traitement. La notion de discrimination au sens de l’article 14 englobe également les cas dans lesquels un individu ou un groupe se voit, sans justification adéquate, moins bien traité qu’un autre, même si la Convention ne requiert pas le traitement plus favorable (Abdulaziz, Cabales et Balkandali, précité, § 82, Vallianatos et autres c. Grèce [GC], nos 29381/09 et 32684/09, § 76, CEDH 2013 (extraits), et Biao c. Danemark [GC], no 38590/10, § 90, CEDH 2016).

65. En ce qui concerne la charge de la preuve sur le terrain de l’article 14 de la Convention, la Cour a déjà dit que, lorsqu’un requérant a établi l’existence d’une différence de traitement, il incombe au Gouvernement de démontrer que cette différence de traitement était justifiée (Biao, précité, § 92, et D.H. et autres c. République tchèque [GC], no 57325/00, § 177, CEDH 2007‑IV).

b) Sur la question de savoir si les requérants se trouvaient dans une situation analogue ou comparable à celle d’autres délinquants

66. La Cour doit tout d’abord déterminer s’il y a eu en l’espèce une différence de traitement entre des personnes placées dans des situations analogues ou comparables.

67. Le grief des requérants se rapporte à la fixation des peines applicables aux délinquants ayant été reconnus coupables de crimes particulièrement graves passibles de l’emprisonnement à vie. Les requérants ont été condamnés à la réclusion à perpétuité, alors que des femmes, des mineurs ou des personnes âgées de 65 ans ou plus reconnus coupables des mêmes infractions ou d’infractions comparables n’auraient pas écopé de cette peine en raison de l’interdiction légale explicite figurant à l’article 57 § 2 du code pénal russe (paragraphe 16 ci-dessus).

68. Il s’ensuit que les requérants se trouvaient dans une situation analogue à tous les autres délinquants condamnés pour les mêmes infractions ou pour des infractions comparables. Par comparaison, l’affaire Gerger illustre un type différent de situation : dans cette affaire, dans laquelle des personnes condamnées pour actes terroristes n’avaient pas droit à une libération conditionnelle avant d’avoir purgé les trois quarts de leur peine, à la différence de détenus condamnés pour des infractions de droit commun, la Cour a déclaré que « la distinction litigieuse ne s’appliqu[ait] pas à différents groupes de personnes mais à différents types d’infractions, selon la gravité que leur reconnaît le législateur » (Gerger, précité, § 69 ; voir aussi, dans le même sens, l’affaire Kafkaris, précitée, § 165, dans laquelle la Cour a conclu qu’un détenu condamné à une peine de réclusion à perpétuité ne se trouvait pas dans une situation analogue ou comparable à celle d’autres détenus qui ne purgeaient pas une telle peine).

c) Sur la question de savoir si la différence de traitement était justifiée

69. La présente affaire concerne une politique de fixation des peines excluant les femmes, les mineurs et les personnes âgées de 65 ans ou plus de la réclusion à perpétuité. Il est incontestable que cette exclusion s’analyse en une différence de traitement fondée sur le sexe et l’âge. La Cour doit examiner si cette différence de traitement poursuivait un but légitime et s’il existait un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but recherché. Ce faisant, elle doit avoir égard à la marge d’appréciation dont jouit l’État défendeur en la matière.

70. Le Gouvernement soutient que la différence de traitement litigieuse visait à promouvoir des principes de justice et d’humanité voulant que la politique en matière de fixation des peines prenne en compte l’âge et les « caractéristiques physiologiques » de diverses catégories de délinquants (paragraphe 44 ci-dessus). La Cour estime que ce but peut être tenu pour légitime aux fins de la détermination des peines et de l’application de l’article 14 combiné avec l’article 5 § 1.

71. Quant à la proportionnalité des moyens employés, il convient tout d’abord de rappeler que la présente affaire porte sur un type spécifique de peine : la réclusion à perpétuité. Contrairement à diverses peines non privatives de liberté ou à durée déterminée, la réclusion à perpétuité est réservée, dans le code pénal russe, aux quelques infractions particulièrement graves pour lesquelles le tribunal du fond, après avoir pris en compte toutes les circonstances aggravantes et atténuantes, estime qu’une peine d’emprisonnement à vie constitue la seule sanction à la hauteur du crime. La réclusion à perpétuité n’est pas obligatoirement ou automatiquement infligée pour quelque infraction que ce soit, aussi grave soit-elle.

72. Le prononcé d’une peine d’emprisonnement à vie à l’égard d’adultes auteurs d’infractions particulièrement graves n’est pas en soi prohibé par l’article 3 ou une autre disposition de la Convention et ne se heurte pas à celle-ci (Murray c. Pays-Bas [GC], no 10511/10, § 99, CEDH 2016, Vinter et autres, précité, § 102, et Kafkaris, précité, § 97). C’est encore plus vrai dans le cas d’une peine non pas obligatoire mais prononcée par un juge indépendant qui aura considéré l’ensemble des circonstances atténuantes et aggravantes propres au cas d’espèce (Vinter et autres, précité, § 106).

73. La Cour a rappelé à maintes reprises que la Convention est un instrument vivant à interpréter à la lumière des conditions de vie actuelles et des conceptions prévalant de nos jours dans les États démocratiques (Tyrer c. Royaume-Uni, 25 avril 1978, § 31, série A no 26, Kress c. France [GC], no 39594/98, § 70, CEDH 2001-VI, et Austin et autres c. Royaume-Uni [GC], nos 39692/09, 40713/09 et 41008/09, § 53, CEDH 2012). Elle a également souligné que toute interprétation des droits et libertés qui s’y trouvent garantis doit se concilier avec l’esprit général de la Convention, qui vise à sauvegarder et promouvoir les idéaux et valeurs d’une société démocratique (Svinarenko et Slyadnev c. Russie [GC], nos 32541/08 et 43441/08, § 118, CEDH 2014 (extraits)). Ainsi, les notions de traitements et peines inhumains et dégradants ont considérablement évolué depuis l’entrée en vigueur de la Convention en 1953. Les progrès accomplis vers l’abolition complète de facto et de jure de la peine de mort dans les États membres du Conseil de l’Europe constitue une illustration de l’évolution en cours à cet égard. Les territoires relevant de leur juridiction forment à présent une zone exempte de la peine de mort, et la Cour a admis que l’exposition d’un requérant à un risque réel d’être condamné à mort et exécuté ailleurs pouvait soulever une question au regard de l’article 3 de la Convention (Soering c. Royaume-Uni, 7 juillet 1989, §§ 102-104, série A no 161, Al-Saadoon et Mufdhi c. Royaume-Uni, no 61498/08, §§ 115-118 et 140‑143, CEDH 2010, et A.L. (X.W.) c. Russie, no 44095/14, §§ 63‑66, 29 octobre 2015).

74. La situation est différente en ce qui concerne la réclusion à perpétuité. En l’état actuel des choses, la réclusion à perpétuité en tant que sanction pour des infractions particulièrement graves demeure compatible avec la Convention. L’idée que l’imposition d’une peine d’emprisonnement à vie à un adulte puisse soulever une question au regard de l’article 3 à raison de son caractère incompressible est relativement récente (Kafkaris, précité, § 97). Dans l’arrêt Vinter et autres (précité), la Cour est parvenue à la conclusion suivante :

« 119. (...) [L]a Cour considère qu’en ce qui concerne les peines perpétuelles l’article 3 doit être interprété comme exigeant qu’elles soient compressibles, c’est‑à‑dire soumises à un réexamen permettant aux autorités nationales de rechercher si, au cours de l’exécution de sa peine, le détenu a tellement évolué et progressé sur le chemin de l’amendement qu’aucun motif légitime d’ordre pénologique ne permet plus de justifier son maintien en détention.

120. La Cour tient toutefois à souligner que, compte tenu de la marge d’appréciation qu’il faut accorder aux États contractants en matière de justice criminelle et de détermination des peines (...), elle n’a pas pour tâche de dicter la forme (administrative ou judiciaire) que doit prendre un tel réexamen. Pour la même raison, elle n’a pas à dire à quel moment ce réexamen doit intervenir. Cela étant, elle constate aussi qu’il se dégage des éléments de droit comparé et de droit international produits devant elle une nette tendance en faveur de l’instauration d’un mécanisme spécial garantissant un premier réexamen dans un délai de vingt-cinq ans au plus après l’imposition de la peine perpétuelle, puis des réexamens périodiques par la suite (...)

121. Il s’ensuit que, là où le droit national ne prévoit pas la possibilité d’un tel réexamen, une peine de perpétuité réelle méconnaît les exigences découlant de l’article 3 de la Convention.

122. (...) Un détenu condamné à la perpétuité réelle a le droit de savoir, dès le début de sa peine, ce qu’il doit faire pour que sa libération soit envisagée et ce que sont les conditions applicables. Il a le droit, notamment, de connaître le moment où le réexamen de sa peine aura lieu ou pourra être sollicité. Dès lors, dans le cas où le droit national ne prévoit aucun mécanisme ni aucune possibilité de réexamen des peines de perpétuité réelle, l’incompatibilité avec l’article 3 en résultant prend naissance dès la date d’imposition de la peine perpétuelle et non à un stade ultérieur de la détention. »

75. Il ressort de ce qui précède que si les États contractants sont en principe libres de décider si la réclusion à perpétuité constitue une sanction appropriée pour des infractions particulièrement graves, leur latitude à cet égard n’est pas illimitée et est soumise à certaines exigences minimales. La Convention doit se lire comme un tout et s’interpréter de manière à promouvoir sa cohérence interne et l’harmonie entre ses diverses dispositions (Klass et autres c. Allemagne, 6 septembre 1978, § 68, série A no 28, voir aussi Maaouia c. France [GC], no 39652/98, § 36, CEDH 2000‑X, et Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 152, CEDH 2000‑XI). Il s’ensuit que lorsqu’un État, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, prend des mesures en vue de se conformer à de telles exigences minimales ou d’en promouvoir les objectifs, il convient d’y accorder un grand poids au moment d’apprécier la proportionnalité de la mesure en question dans le contexte de l’article 14 combiné avec l’article 5 de la Convention.

76. Les requérants ont été condamnés à la réclusion à perpétuité à l’issue d’un procès contradictoire au cours duquel ils ont pu soumettre des arguments à l’appui de leur défense et exprimer leurs vues sur la sanction appropriée à leur infliger. Même s’ils ont allégué au départ que la procédure pénale dirigée contre eux était entachée de lacunes procédurales, la Cour, après avoir minutieusement examiné leurs griefs à cet égard, les a rejetés pour défaut de fondement (voir les décisions du 27 septembre 2011 et du 13 mai 2014 évoquées au paragraphe 4 ci-dessus). Les décisions prises à l’issue des procès des requérants étaient fondées sur les faits propres à leurs affaires et la peine qui leur a été infligée résultait d’une application individualisée du droit pénal par le tribunal du fond, dont le pouvoir discrétionnaire quant au choix de la sentence appropriée n’était pas restreint par les dispositions de l’article 57 § 2 du code pénal. Dans ces conditions, et eu égard aux objectifs d’ordre pénologique de la protection de la société et de la dissuasion au niveau collectif et individuel, les peines de réclusion à perpétuité infligées aux requérants n’apparaissent ni arbitraires ni abusives. Par ailleurs, les intéressés pourront prétendre à une libération anticipée après avoir purgé les vingt-cinq premières années de leurs peines, sous réserve d’avoir pleinement respecté les règles pénitentiaires pendant les trois années précédant la demande d’élargissement (article 79 § 5 du code pénal). Partant, la présente espèce ne soulève aucune question comparable à celles qui se posaient dans les affaires Vinter et autres ou, plus récemment, Murray, précitées.

77. La Cour rappelle que les États contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour déterminer si et dans quelle mesure des différences entre des situations à d’autres égards analogues justifient des distinctions de traitement. L’étendue de la marge d’appréciation varie selon les circonstances, les domaines et le contexte, mais il appartient à la Cour de statuer en dernier ressort sur le respect des exigences de la Convention (Konstantin Markin c. Russie [GC], no 30078/06, § 126, CEDH 2012 (extraits), Stec et autres, précité, §§ 63-64, et Ünal Tekeli c. Turquie, no 29865/96, § 54, CEDH 2004‑X (extraits)).

78. D’une part, la Cour a dit à maintes reprises que les différences fondées sur le sexe doivent être justifiées par des raisons particulièrement sérieuses, et que des références aux traditions, présupposés d’ordre général ou attitudes sociales majoritaires ayant cours dans un pays donné ne peuvent en soi passer pour constituer une justification suffisante de la différence de traitement en cause, pas plus que ne le peuvent des stéréotypes du même ordre fondés sur la race, l’origine, la couleur ou l’orientation sexuelle (Konstantin Markin, précité, § 127, X et autres c. Autriche [GC], no 19010/07, § 99, CEDH 2013, Vallianatos et autres, précité, § 77, et Hämäläinen c. Finlande [GC], no 37359/09, § 109, CEDH 2014). D’autre part, la Cour a aussi déclaré qu’elle n’avait pas à dire quelle devait être la durée de l’incarcération pour telle ou telle infraction ni quelle devait être la durée de la peine, de prison ou autre, que purgera une personne après sa condamnation par un tribunal compétent (Vinter et autres, précité, § 105 ; voir également T. c. Royaume-Uni, précité, § 117, V. c. Royaume-Uni précité, § 118, et Sawoniuk, décision précitée).

79. Pour déterminer la portée de la marge d’appréciation à accorder à l’État défendeur, l’existence ou l’absence d’un consensus au niveau européen peut aussi constituer un facteur pertinent. La Convention étant avant tout un mécanisme de protection des droits de l’homme, la Cour doit tenir compte de l’évolution de la situation dans l’État défendeur et dans les États contractants en général et réagir, par exemple, au consensus susceptible d’apparaître quant aux buts à atteindre (voir, mutatis mutandis, Schwitzgebel, précité, §§ 79-80, Dickson c. Royaume-Uni [GC], no 44362/04, § 81, CEDH 2007‑V, Fretté c. France, no 36515/97, § 40, CEDH 2002‑I, et Petrovic c. Autriche, 27 mars 1998, § 38, Recueil des arrêts et décisions 1998‑II ; voir également Biao, précité, §§ 131-133).

80. Premièrement, la Cour ne voit aucune raison de mettre en question la différence de traitement appliquée au groupe de délinquants adultes auquel appartiennent les requérants, qui ne sont pas exclus de la réclusion à perpétuité, par rapport à celui des délinquants juvéniles qui, eux, en sont exclus. En réalité, cette exclusion se concilie avec l’approche commune aux systèmes juridiques de l’ensemble des États contractants sans exception, à savoir l’abolition de la réclusion à perpétuité pour les délinquants considérés comme juvéniles au regard des droits internes respectifs (paragraphe 20 ci‑dessus). Ladite exclusion est également conforme à la recommandation du Comité des droits de l’enfant d’abolir toutes les formes d’emprisonnement à vie pour des infractions commises par des personnes âgées de moins de 18 ans et avec la Résolution de l’Assemblée générale des Nations unies invitant les États à envisager d’abolir toutes les formes de réclusion à perpétuité pour cette catégorie de personnes (paragraphes 25 et 26 ci-dessus). À l’évidence, elle a pour but de faciliter l’amendement des délinquants juvéniles. La Cour estime que lorsque de jeunes délinquants sont appelés à répondre de leurs actes, quelle qu’en soit la gravité, cela doit être fait d’une manière qui prenne en compte leur immaturité mentale et émotionnelle présumée, ainsi que leur plus grande malléabilité et leur capacité d’amendement de de réinsertion.

81. Deuxièmement, pour autant que les requérants se plaignent d’être traités différemment des personnes âgées de 65 ans ou plus – l’autre groupe d’âge exclu de la réclusion à perpétuité –, il convient de noter que, conformément aux principes susmentionnés qui ont été dégagés dans l’arrêt Vinter, une peine de réclusion à perpétuité sera compatible avec l’article 3 uniquement si elle offre à la fois une perspective d’élargissement et une possibilité de réexamen (les deux éléments devant être présents dès le moment de l’imposition de la peine). Eu égard à cette exigence découlant de la Convention, la Cour ne voit aucune raison de considérer que la disposition pertinente du droit interne excluant les délinquants âgés de 65 ans ou plus de la réclusion à perpétuité est dépourvue de justification objective et raisonnable. Ainsi qu’il ressort des éléments dont la Cour dispose, le but de cette disposition coïncide en principe avec les intérêts sous-jacents à la possibilité de revendiquer une libération anticipée après les vingt-cinq premières années de détention pour les délinquants adultes de sexe masculin âgés de moins de 65 ans, tels que les requérants, décrite dans l’arrêt Vinter comme étant une approche commune dans les ordres juridiques nationaux où la réclusion à perpétuité peut être infligée (paragraphe 74 ci-dessus). La compressibilité d’une peine d’emprisonnement à vie revêt encore plus d’importance pour les délinquants âgés si l’on veut éviter que les perspectives de libération ne deviennent pas pour ceux-ci une simple possibilité illusoire. En limitant l’imposition des peines de réclusion à perpétuité par la fixation d’une limite d’âge maximale, le législateur russe a utilisé l’une des méthodes possibles à sa disposition pour assurer des perspectives de libération à un nombre raisonnable de détenus. Ce faisant, il a donc agi dans le cadre de sa marge d’appréciation conformément aux normes de la Convention.

82. Troisièmement, dans la mesure où les requérants se plaignent d’être traités différemment des femmes adultes relevant de la même catégorie d’âge qu’eux (18 à 65 ans), que le législateur a exclues de la réclusion à perpétuité en raison de leur sexe, la Cour prend note des divers instruments européens et internationaux qui traitent des besoins de protection des femmes contre les violences fondées sur le sexe, des abus et du harcèlement sexuel dans l’environnement pénitentiaire, ainsi que de la nécessité de protéger les femmes enceintes et les mères (paragraphes 27 à 30 ci-dessus). Le Gouvernement a présenté des données statistiques indiquant une différence considérable entre le nombre total d’hommes détenus et le nombre total de femmes détenues (paragraphe 48 ci-dessus), et a également souligné le nombre relativement réduit de détenus condamnés à la réclusion à perpétuité (ibidem). Il n’appartient pas à la Cour de revenir sur l’appréciation par les autorités nationales des données en leur possession ou du raisonnement pénologique que de telles données cherchent à appuyer. Dans les circonstances particulières de l’affaire, les données disponibles ainsi que les éléments ci-dessus fournissent à la Cour une base suffisante pour qu’elle conclue qu’il existe un intérêt général justifiant l’exclusion des femmes de la réclusion à perpétuité par une règle globale.

83. La Cour observe en outre que, au-delà du consensus qui se dégage en faveur de la non-infliction de la réclusion à perpétuité aux délinquants juvéniles et de la possibilité d’un réexamen ultérieur dans les ordres juridiques qui infligent de telles peines à des délinquants adultes (Vinter et autres, précité, § 120), il n’y a guère de dénominateur commun aux systèmes juridiques internes des États contractants en la matière. Alors que la réclusion à perpétuité n’existe pas dans neuf États contractants, soit parce qu’une telle peine n’est pas prévue soit parce qu’elle a été abolie à un moment donné (paragraphe 19 ci-dessus), une majorité d’États contractants ont choisi de conserver la possibilité de condamner des délinquants à l’emprisonnement à vie en cas d’infractions particulièrement graves. Ce dernier groupe ne présente aucune homogénéité quant à l’âge au-dessous duquel l’exclusion de la réclusion à perpétuité s’applique ; de nombreux États ont fixé cet âge à 18 ans, dans d’autres il varie entre 18 et 21 ans (paragraphe 20 ci-dessus).

84. La disparité des approches pour les autres groupes de délinquants que les États contractants ont choisi d’exclure de la réclusion à perpétuité est encore plus marquée. Certains États contractants ont établi un régime spécifique de fixation des peines pour les délinquants entre 60 et 65 ans (paragraphe 21 ci-dessus). D’autres États contractants ont décidé d’exclure de la réclusion à perpétuité les femmes qui étaient enceintes au moment de la commission de l’infraction ou du prononcé de la peine. Et un autre groupe d’États, dont la Russie, ont étendu cette approche à l’ensemble des femmes (paragraphe 22 ci-dessus).

85. La Cour estime normal que les autorités nationales, qui se doivent aussi de prendre en considération, dans les limites de leurs compétences, les intérêts de la société dans son ensemble, disposent d’une grande latitude lorsqu’elles sont appelées à se prononcer sur des questions sensibles telles que les politiques pénales. De plus, le domaine en cause doit toujours être considéré comme un secteur où les droits évoluent, sans consensus établi, et où les États doivent aussi bénéficier d’une marge d’appréciation pour choisir le rythme d’adoption des réformes législatives (comparer avec Schalk et Kopf c. Autriche, no 30141/04, § 105, CEDH 2010). Dès lors que les questions délicates soulevées en l’espèce touchent à des domaines où il n’y a guère de communauté de vues entre les États membres du Conseil de l’Europe et où, de manière générale, le droit paraît traverser une phase de transition, il y a lieu d’accorder une ample marge d’appréciation aux autorités de chaque État.

86. Il apparaît donc difficile de critiquer le législateur russe pour avoir décidé d’exclure, d’une manière qui reflète l’évolution de la société en la matière, certains groupes de délinquants de la réclusion à perpétuité. Pareille exclusion représente, tout bien pesé, un progrès social en matière pénologique (comparer avec Petrovic, précité, § 41). La situation en l’espèce est différente de celle qui prévalait dans les affaires où la Cour a pu constater un consensus large et évolutif entraînant des modifications dans le droit interne des États contractants sur un point donné (comparer avec Konstantin Markin, précité, § 140, Smith et Grady c. Royaume-Uni, nos 33985/96 et 33986/96, § 104, CEDH 1999‑VI, et Vallianatos et autres, précité, § 91). La Cour ne discerne aucune tendance internationale en faveur de l’abolition des formes d’emprisonnement à vie ou qui, au contraire, dénoterait un soutien positif à ce type de peines. Elle relève cependant que la réclusion à perpétuité est limitée en Europe par l’exigence de compressibilité de la peine (Vinter et autres, précité, § 119) qui pourrait à l’avenir engendrer d’autres obligations positives pour les États membres (Murray, précité, §§ 124–125). En l’absence de dénominateur commun concernant l’imposition de la réclusion à perpétuité, les autorités russes n’ont pas excédé leur marge d’appréciation. Malgré la situation plus favorable dans laquelle les auteurs d’infractions comparables à celles commises par les requérants se trouvent, la législation sur la base de laquelle les sanctions ont été infligées aux requérants et qu’ils contestent n’emporte pas violation du droit international applicable ni ne se démarque des solutions adoptées par d’autres États membres du Conseil de l’Europe en la matière (comparer avec Schwizgibel, précité, § 92).

87. En somme, même si l’État défendeur a manifestement la possibilité, dans le but de promouvoir les principes de justice et d’humanité, d’étendre l’exclusion de la réclusion à perpétuité à toutes les catégories de délinquants, il n’est pas tenu de le faire en vertu de la Convention, telle qu’elle est actuellement interprétée par la Cour. De plus, eu égard à l’application en pratique de la réclusion à perpétuité en Fédération de Russie, en ce qui concerne tant les modalités d’imposition que la possibilité d’un réexamen ultérieur, ainsi qu’aux intérêts de la société dans son ensemble pour autant qu’ils sont compatibles avec la Convention et à l’ample marge d’appréciation qu’elle reconnaît à l’État défendeur dans ce domaine, la Cour estime qu’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but légitime recherché. Elle conclut que les exclusions litigieuses ne constituent pas une différence de traitement prohibée aux fins de l’article 14 combiné avec l’article 5. Pour conclure ainsi, la Cour a tenu pleinement compte de la nécessité d’interpréter la Convention d’une manière harmonieuse et en conformité avec son esprit général.

88. À la lumière des considérations ci-dessus, la Cour estime qu’il n’y a pas eu violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 5, tant en ce qui concerne la différence de traitement fondée sur l’âge qu’en ce qui concerne la différence de traitement fondée sur le sexe.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

1. Dit, par seize voix contre une, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 5 en ce qui concerne la différence de traitement fondée sur l’âge ;

2. Dit, par dix voix contre sept, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 5 en ce qui concerne la différence de traitement fondée sur le sexe.

Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 24 janvier 2017.

Roderick LiddellGuido Raimondi
GreffierPrésident

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées suivantes :

– opinion concordante du juge Sajó ;

– opinion concordante de la juge Nußberger ;

– opinion concordante de la juge Turković ;

– opinion concordante du juge Mits ;

– opinion en partie dissidente commune aux juges Sicilianos, Møse, Lubarda, Mourou-Vikström et Kucsko-Stadtmayer ;

– opinion dissidente du juge Pinto de Albuquerque.

G.R.
R.L.

OPINION CONCORDANTE DU JUGE SAJÓ

1. Je suis d’accord avec la conclusion selon laquelle la différence de traitement fondée sur le sexe ou sur l’âge n’a pas emporté violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 5. Cependant, en ce qui concerne l’allégation de discrimination à raison du sexe, ce sont des considérations différentes de celles de la majorité qui m’amènent à cette conclusion.

2. Notre Cour, comme d’autres juridictions, a dit à maintes reprises que les différences fondées sur le sexe doivent être justifiées par des raisons particulièrement sérieuses et que des références aux traditions, présupposés d’ordre général ou attitudes sociales majoritaires ayant cours dans un pays donné ne suffisent pas à justifier une différence de traitement, pas plus que ne le peuvent des stéréotypes du même ordre fondés sur la race, l’origine, la couleur ou l’orientation sexuelle. Lorsque les hommes et les femmes sont traités différemment, la présomption est qu’il y a là un signe de discrimination fondée sur le sexe. Cette présomption est justifiée par un long passé de traitement inacceptable des femmes. De plus, même lorsqu’elles sont en faveur des femmes, les différences fondées sur le sexe reflètent souvent des préjugés profondément enracinés et des stéréotypes misogynes que l’on ne peut laisser sous-tendre une politique gouvernementale.

3. En droit russe, les peines de réclusion à perpétuité ne peuvent être infligées aux femmes reconnues coupables d’un crime, mais peuvent l’être aux hommes. Les requérants considèrent que cette différence de traitement est discriminatoire et emporte donc violation de la Convention.

4. Une manière d’envisager cette affaire consisterait à considérer qu’elle ne relève pas de la portée de l’article 5. Il est vrai que les requérants se trouvent en situation de détention régulière après condamnation par un tribunal compétent (article 5 § 1 a)) ; mais c’est précisément parce qu’ils sont dans cette situation qu’ils ne peuvent invoquer le droit protégé par l’article 5 : ayant été condamnés par un tribunal compétent, ils n’ont pas droit à la liberté. Ce qu’ils demandent est de ne pas être soumis à une peine de réclusion à perpétuité compressible. Or selon la jurisprudence Vinter, il ne s’agit pas là d’un droit protégé par la Convention. En l’espèce, la Cour estime que les requérants « ne se plaignent pas de la sévérité de la sanction en tant que telle ou de la durée de leurs peines » (voir le paragraphe 54 de l’arrêt), mais c’est au contraire exactement ce dont ils se plaignent. Quoi qu’il en soit, la Cour a jugé l’article 14 applicable, et c’est sur cette base que l’affaire doit être tranchée[2].

5. Les requérants ne sont pas victimes d’une discrimination car leur situation n’est pas rendue pire par le fait que les femmes reconnues coupables d’un crime ne peuvent se voir infliger une peine de réclusion à perpétuité. Rien dans l’imposition à un criminel d’une peine de réclusion à perpétuité compressible n’est de nature à emporter violation de la Convention. Le coupable reçoit la peine que le juge estime appropriée. Il n’est pas discriminé. Les femmes (une classe de personnes) ne reçoivent pas la même sanction. On pourrait arguer que les crimes les plus graves commis par les femmes sont différents de ceux commis par les hommes (voir par exemple le nombre élevé de cas de faits – généralement provoqués – de violence familiale ou de néonaticide)[3]. La criminalité féminine est bien moins courante que la criminalité masculine, et on peut donc considérer qu’elle nécessite moins de dissuasion. Il n’est pas déraisonnable pour le législateur d’établir une catégorie distincte aux fins de la sanction, en partant du principe que pour telle catégorie de personnes une sanction moins sévère sera suffisante. De plus, les femmes ayant commis un crime ne posent en général pas le même problème de sécurité que les hommes[4], et elles présentent un risque de récidive moindre. Il est vrai que les femmes peuvent commettre des crimes particulièrement odieux (par exemple, elles peuvent participer à la commission d’actes terroristes), mais la question n’est pas de savoir s’il y a de rares cas dans lesquels elles commettent les mêmes crimes que les hommes, mais de déterminer si l’État est fondé à créer différentes catégories aux fins de l’infliction de la sanction dans la perspective générale de la prévention et de la dissuasion. Il est regrettable que le gouvernement russe n’ait pas communiqué de données adéquates, mais cela ne signifie pas que l’on ne puisse pas prendre en compte certaines données publiques portant sur des éléments de base.

6. La Cour a toujours reconnu aux États au moins une ample marge d’appréciation en matière de politique et d’infliction de la peine. Je ne me rappelle pas une seule affaire où elle ait conclu à la violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 5 au seul motif que pour un crime supposément identique deux personnes avaient reçu deux peines différentes. Au contraire, on trouve dans l’arrêt Kafkaris c. Chypre ([GC], no 21906/04, § 161, CEDH 2008) le passage suivant :

« (...) l’article 14 n’empêche pas une distinction de traitement si elle repose sur une appréciation objective de circonstances de fait essentiellement différentes et si, s’inspirant de l’intérêt public, elle ménage un juste équilibre entre la sauvegarde des intérêts de la communauté et le respect des droits et libertés garantis par la Convention (voir, parmi d’autres, G.M.B. et K.M. c. Suisse (déc.), no 36797/97, 27 septembre 2001). Les États contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour déterminer si et dans quelle mesure des différences entre des situations à d’autres égards analogues justifient des distinctions de traitement (Gaygusuz c. Autriche, 16 septembre 1996, § 42, Recueil 1996-IV). L’étendue de la marge d’appréciation varie selon les circonstances, les domaines et le contexte (...) »

7. Par ailleurs, j’estime que pour la même durée d’emprisonnement, une femme souffrira plus qu’un homme, ne serait-ce, par exemple, que parce qu’elle ne pourra pas être mère. Cette considération peut paraître relever du simple stéréotype de genre, quoique d’aucuns diraient que le cerveau féminin présente des spécificités et des différences biologiques. Mais dans une société où on attend des femmes qu’elles aient des enfants et où les jeunes filles sont élevées dans un contexte social qui les conditionne à croire qu’elles ne pourront s’épanouir que dans la maternité, une femme souffrira de ne pas avoir réalisé cette attente imposée par la société. Quelles qu’en soient les raisons, le taux de suicide, qui est déjà élevé en détention, l’est plus encore chez les femmes (par rapport à la population générale)[5]. Ces chiffres sont révélateurs de la charge supplémentaire que supportent les femmes purgeant de très longues peines d’emprisonnement.

8. Ces remarques visent à démontrer qu’il y a des raisons supplémentaires de considérer que les détenus hommes et femmes ne se trouvent pas dans des situations analogues.

9. Cependant, la raison fondamentale pour laquelle je ne puis considérer comme discriminatoire la différence en cause n’est ni l’ample marge d’appréciation applicable en matière de catégories de peine et de sanctions ni le fait que l’un et l’autre sexes ne se trouvent pas dans une situation analogue face à la sanction infligée. La raison fondamentale est que cette différence n’empire pas la situation des détenus hommes. Il n’y a pas lieu d’invoquer la discrimination lorsque (malgré toutes les extensions juridiques) la situation désavantageuse n’a rien à voir avec la différence. Cette situation résulte d’une sanction méritée et non de l’exclusion d’un avantage accordé à d’autres (comme c’était le cas dans l’affaire Konstantin Markin c. Russie [GC], no 30078/06, CEDH 2012 (extraits)). Contrairement aux personnes exclues de l’accès à un service ou à un bénéfice, dans le cas desquelles l’exclusion peut être discriminatoire car fondée sur des motifs inadmissibles, les requérants de la présente affaire n’ont pas été privés d’un avantage. Ils n’ont pas non plus été sanctionnés plus sévèrement qu’ils ne le méritaient en raison de leur sexe ; ils n’ont subi aucun désavantage. L’élément de comparaison n’est pas la peine infligée à d’autres mais la peine méritée par les intéressés. On ne peut contester avec succès une amnistie ou une grâce au motif que certaines personnes n’en ont pas bénéficié (pareille mesure peut en revanche emporter violation de l’obligation pour l’État de protéger la vie, par exemple en cas d’impunité – voir Kafkaris, précité, § 154).

10. Si la logique ordinaire de l’analyse contemporaine de la discrimination permet la plupart du temps d’obtenir des résultats satisfaisants, elle ne peut être appliquée mécaniquement dans tous les cas. Nous nous trouvons ici en présence d’un cas où elle ne peut être appliquée, et où il nous faut revenir au sens premier du terme discrimination, à savoir le fait de mettre quelqu’un dans une situation pire, ou de l’empêcher d’accéder à une situation meilleure, pour des raisons inadmissibles. Or les requérants n’ont été ni mis dans une situation pire ni empêchés d’accéder à une situation meilleure ; ils ont simplement eu ce qu’ils méritaient : ils ont été sanctionnés. Envisagée sous cet angle, la requête frise l’abus du droit de recours.

OPINION CONCORDANTE DE LA JUGE NUSSBERGER

(Traduction)

1. Parfois, « le mieux est l’ennemi du bien » – ce proverbe de Voltaire est célèbre. Dans la présente affaire Khamtokhu et Aksenchik c. Russie, la meilleure solution aurait été, comme la minorité l’estime, de constater une violation de l’article 5 combiné avec l’article 14 de la Convention. Une telle solution pourrait aisément se justifier à la lumière de la jurisprudence de la Cour, qui se fonde sur l’idée que « seules des considérations très fortes peuvent amener la Cour à estimer compatible avec la Convention une différence de traitement exclusivement fondée sur le sexe » (Van Raalte c. Pays-Bas, 21 février 1997, § 39 in fine, Recueil des arrêts et décisions 1997‑I, Petrovic c. Autriche, 27 mars 1998, § 37, Recueil 1998‑II, et Stec et autres c. Royaume-Uni [GC], nos 65731/01 et 65900/01, § 52, CEDH 2006‑VI). Nos collègues, les juges Sicilianos, Møse, Lubarda, Mourou-Vikström et Kucsko-Stadlmayer soutiennent de manière convaincante dans leur opinion dissidente qu’il n’existe pas de telles « considérations très fortes » pour justifier que seuls les hommes puissent être condamnés à la réclusion à perpétuité.

2. Cependant, même si un constat de violation était la « meilleure solution », ce ne serait pas une « bonne solution ».

3. Isolément et non rattachée à la violation d’une autre disposition de la Convention, une violation de l’interdiction de la discrimination consacrée par l’article 14 diffère de toutes les autres violations possibles de la Convention. Deux options s’offrent aux États parties pour y remédier : ils peuvent mettre fin au traitement plus favorable dont bénéficie un groupe ou accorder ce traitement également aux autres groupes.

4. Il serait possible d’exiger de la Russie qu’elle abolisse totalement la réclusion à perpétuité s’il existait un consensus européen à cet égard (voir, parmi de nombreux autres précédents, Demir et Baykara c. Turquie [GC], no 34503/97, § 85, CEDH 2008, et Bayatyan c. Arménie [GC], no 23459/03, §§ 102-103, CEDH 2011). Néanmoins, comme le montre le rapport de recherche, il n’y a actuellement que neuf États membres du Conseil de l’Europe où la réclusion à perpétuité n’est pas prévue (paragraphe 19). Par conséquent, il n’y a de consensus ni sur la nécessité d’inclure ce type de peine dans la politique de fixation des peines ni sur son abolition. Cette deuxième approche a encore moins de partisans que la première. Dans un tel contexte, l’article 53 de la Convention ne peut pas être interprété comme réduisant à néant l’ample marge d’appréciation existante en matière de politique de fixation des peines, et ce uniquement pour les États qui ont une position plus protectrice de certaines personnes, mais non de toutes (sur ce point, voir aussi l’opinion concordante de la juge Turković). Une telle approche serait un obstacle à toute velléité de réforme.

5. Je partage le point de vue de la minorité selon lequel les arguments avancés dans l’arrêt pour justifier le traitement plus favorable réservé aux femmes ne sont pas vraiment convaincants. Selon moi, la Cour aurait plutôt dû suivre exclusivement le raisonnement retenu dans l’affaire Petrovic (précitée), qui présente de nombreuses similitudes avec la présente affaire. Premièrement, il n’est pas contesté qu’il y a une différence de traitement fondée sur le sexe. Deuxièmement, il est clair qu’il n’existe pas de norme commune dans les politiques des États membres du Conseil de l’Europe. Troisièmement, la mesure litigieuse (en l’espèce, l’abolition de la réclusion à perpétuité et, dans l’affaire Petrovic, l’octroi d’une allocation de congé parental) peut être vue comme une évolution récente positive. Il est vrai que, lorsque la Cour a statué sur l’affaire Petrovic, l’Autriche avait déjà modifié la législation en cause et versait une allocation de congé parental tant aux hommes qu’aux femmes, et elle allait donc dans la direction souhaitée. Il me semble toutefois que l’on peut en l’espèce tirer la même conclusion que dans l’arrêt Petrovic : il paraît difficile de reprocher à l’État défendeur d’avoir introduit de manière graduelle, et donc non immédiatement pour tous, une mesure faisant avancer la protection des droits de l’homme, ou même, comme le gouvernement russe la qualifie, une mesure fondée sur des principes « de justice et d’humanité » (paragraphe 70).

6. Certes on ne peut qu’espérer en l’espèce que la mesure prise par la Russie reflète l’évolution de la société en la matière et que, dans un avenir proche, les idéaux de justice et d’humanité trouvent aussi à s’appliquer à la politique de fixation des peines infligées aux hommes. Mais un État ne devrait pas être puni pour avoir fait un pas dans la bonne direction simplement parce qu’il n’a pas fait le pas suivant.

7. Le tiers intervenant ainsi que les juges dissidents ont clairement identifié le dilemme posé par la présente affaire et ils ont tenté de le résoudre en se référant à une « approche individualisée en matière de fixation des peines » (paragraphe 52 de l’arrêt) ou à un « réaménagement de la peine en question et des modalités de son exécution » (paragraphe 20 de l’opinion dissidente commune). Mais aucune de ces solutions n’est appropriée. La question qui se pose n’est pas celle des peines infligées dans des affaires spécifiques, mais celle bien plus générale concernant le point de savoir dans quelle mesure la réclusion à perpétuité peut être maintenue dans les textes de loi en tant que menace prévue à titre d’ultima ratio dans les cas de crimes atroces. En Russie, on pense que cela n’est nécessaire que pour les hommes. J’ai voté dans le sens de la non-violation, car je ne peux pas admettre que l’on introduise aussi une telle menace à titre d’ultima ratio pour les femmes. Ce serait déplorable si un tel recul était justifié par la nécessité d’exécuter un arrêt de la Cour, qui plus est sous la surveillance du Comité des Ministres. Ce risque est trop grand et trop réel pour moi. Malheureusement, dans cette affaire compliquée, je ne vois aucune solution intermédiaire qui permettrait d’adopter une approche avant-gardiste de l’égalité entre les sexes dans le cadre fixé par la Convention.

OPINION CONCORDANTE DE LA JUGE TURKOVIĆ

1. La Cour était saisie dans cette affaire d’une question inhabituelle et complexe. Il s’agissait de savoir si les peines de réclusion à perpétuité, qui actuellement ne sont pas considérées comme intrinsèquement contraires à la dignité humaine mais qui relativement récemment sont devenues limitées en ce qu’elles doivent pouvoir faire l’objet d’une réduction et qui à l’avenir pourraient être sources d’obligations positives supplémentaires pour les États membres (voir le paragraphe 86 de l’arrêt), pouvaient être abolies progressivement pour certaines catégories de personnes sans qu’il y ait violation de l’article 14 de la Convention. La Grande Chambre était presque unanime pour considérer que, dans le cas des criminels âgés de moins de 18 ans ou de plus de 65 ans, la différence de traitement était suffisamment justifiée au regard de l’article 14 de la Convention. En revanche, elle était relativement divisée sur la question de l’abolition de la peine de réclusion à perpétuité pour les femmes criminelles adultes mais non pour les hommes. Je ne traiterai donc que cette dernière question.

2. Lorsqu’elle a jugé la différence de traitement justifiée, la Cour a pris note, d’une part, des divers instruments européens et internationaux relatifs aux besoins de protection des femmes contre les violences fondées sur le sexe, les abus et le harcèlement sexuel dans l’environnement pénitentiaire et à la nécessité de protéger les femmes enceintes et les mères et, d’autre part, des données statistiques présentées par le Gouvernement, qui faisaient apparaître une différence considérable entre le nombre total d’hommes détenus et le nombre total de femmes détenues et selon lesquelles le nombre de détenus condamnés à la réclusion à perpétuité était relativement réduit (voir le paragraphe 82 de l’arrêt).

3. La minorité reproche à juste titre à la majorité d’avoir très insuffisamment analysé les questions d’égalité et de genre et d’avoir fait l’économie d’un débat sur les éventuels stéréotypes et leurs implications (voir les paragraphes 45 à 48 de l’arrêt). À mon avis, la Cour ne devrait pas renoncer à mettre un nom sur les différentes formes de stéréotypes, elle devrait toujours examiner l’injustice qu’ils constituent. Il est impossible de changer la réalité sans la nommer[6]. Il aurait donc fallu en l’espèce reconnaître que le raisonnement de l’État défendeur quant à la législation exemptant les femmes de la peine de réclusion à perpétuité les caractérise comme un groupe social naturellement vulnérable (Khamtokhu et Aksenchik c. Russie (déc.) no 60367/08, 961/11, § 22, 13 mai 2014) et est ainsi empreint de paternalisme judiciaire. Cela étant, j’ai voté avec la majorité. Je considère que la présente affaire est ce que l’on appelle un « cas difficile » (en anglais, hard case)[7], qui appelle une analyse contextuelle plus large reposant sur les principes consacrés dans la Convention envisagée comme un tout. J’estime que dans l’examen de cette affaire, il faut tenir compte de la littérature criminologique et pénologique sur le genre et la peine ainsi que de la façon dont il pourrait être remédié à la discrimination alléguée.

4. La littérature criminologique ignore pratiquement le cas des femmes condamnées à la réclusion à perpétuité, et il y a très peu d’études comparatives visant à comprendre les expériences respectives et relatives des femmes et des hommes condamnés à la réclusion à perpétuité[8]. Selon une étude criminologique récente, « les hommes et les femmes vivent différemment les peines d’emprisonnement de longue durée : si les uns et les autres ressentent la « souffrance liée à la privation de liberté », « le genre » est une variable clé de différentiation de cette expérience »[9]. Les femmes interrogées dans le cadre de cette étude ressentaient plus vivement que les hommes les problèmes liés à l’emprisonnement de longue durée pour toutes les « dimensions » analytiques mesurées. En ce qui concerne l’« équilibre mental », par exemple, le score de souffrance des femmes était près de deux fois plus élevé que celui des hommes[10]. Les femmes étaient aussi beaucoup plus sujettes à des problèmes de « confiance » et de perte de « contrôle » sur leur vie en détention[11], et le problème de la « perte de contact avec la famille et les amis » présentait également des scores supérieurs chez elles. Dans le système pénitentiaire russe, cette dernière dimension serait susceptible d’être exacerbée. Les recherches récentes sur la « géographie pénale héritée » en Russie, et en particulier sur l’impact de la géographie pénale propre à la Russie sur les relations familiales des détenus, démontrent que, combinée aux idées traditionnelles sur le rôle de la femme qui façonnent l’attitude des services pénitentiaires à l’égard des détenues en Russie, elle accroît la « souffrance liée à la privation de liberté » pour les femmes[12].

5. La consultation de la littérature criminologique et pénologique révèle qu’au vingt et unième siècle, alors que l’on s’efforce de rendre les peines infligées aux femmes moins dommageables pour elles et pour leur famille et plus propres à réduire le préjudice social subi, les questions relatives à ces peines sont toujours chargées de confusion et de contradictions[13]. Si certains partisans d’une réforme pénale plaident pour l’imposition de peines différenciées aux hommes et aux femmes en fonction de leur dangerosité, de la valeur de leur rôle dans la société et de la légitimité de la sanction, d’autres estiment qu’il est nécessaire d’assurer la parité dans ce domaine et d’associer aux dispositions concernées un régime tenant compte des spécificités sexuelles. Il découle de l’ensemble de cette littérature que l’égalité formelle dans l’imposition des peines n’est pas en elle-même une solution au problème auquel sont confrontées les sociétés contemporaines en ce qui concerne leurs systèmes pénaux relativement aux femmes détenues[14]. C’est bien plus qu’une égalité devant la peine qui est nécessaire pour parvenir à une égalité matérielle et transitive entre les criminels/les détenus des deux sexes – on ne peut pas se contenter de reproduire les mécanismes prévus pour les hommes en espérant qu’ils fonctionneront pour les femmes. Il est improbable que dans un futur proche le système pénitentiaire russe soit remodelé d’une manière telle qu’il s’approche d’une égalisation des effets des peines de prison à perpétuité entre les femmes et les hommes propre à éviter que les femmes condamnées à perpétuité ne souffrent de manière disproportionnée[15].

6. En l’espèce, la Cour était confrontée à un réel dilemme. Le Gouvernement a indiqué qu’en cas de constat de violation, le redressement envisagé serait un nivellement par le bas (voir le paragraphe 42 de l’arrêt). Lorsque la Cour constate une violation de l’interdiction de la discrimination consacrée à l’article 14 mais non du droit matériel correspondant (comme expliqué au paragraphe 53 de l’arrêt, la violation de l’article 14 ne présuppose pas une violation de l’un des droits matériels garantis par la Convention), il y a deux manières de redresser cette violation : on peut soit retirer à tous l’avantage précédemment accordé à certaines personnes seulement (nivellement par le bas) soit l’étendre à tous (nivellement par le haut)[16].

7. Contrairement à ce qu’affirme le tiers intervenant (voir le paragraphe 52 de l’arrêt), la Cour n’a jamais interprété l’article 53 de la Convention[17] dans ce type de situation comme obligeant les États membres à remédier à la violation de l’article 14 au moyen d’un nivellement par le haut plutôt que par le bas. En bref, elle n’a jamais déclaré illégitime le nivellement par le bas en pareil cas. Les États contractants sont en principe libres de choisir le moyen par lequel ils se conformeront à l’arrêt dans lequel la Cour a conclu à la violation. Ce pouvoir d’appréciation quant aux modalités d’exécution d’un arrêt traduit la liberté de choix dont est assortie l’obligation primordiale imposée par la Convention aux États contractants : assurer le respect des droits et libertés garantis (voir, entre autres, Papamichalopoulos et autres c. Grèce (article 50), 31 octobre 1995, § 34, Série A no 330‑B). En d’autres termes, il reflète le caractère subsidiaire du rôle de la Cour. Cela vaut a fortiori lorsqu’un État membre garantit de sa propre initiative un droit qui n’est pas en tant que tel protégé par la Convention, toute préférence dans le sens d’une extension des droits devant en principe relever de la compétence des autorités internes, lesquelles, comme la Cour l’a souvent souligné, sont mieux placées que le juge international pour déterminer ce qui relève de l’intérêt public (Khoroshenko c. Russie [GC], no 41418/04, § 120, CEDH 2015). Cela est particulièrement vrai lorsque le redressement d’une violation implique de modifier des règles de droit.

8. Exiger de la Russie qu’elle abolisse les peines de réclusion à perpétuité pour tous ne serait possible que si l’imposition de ces peines était en elle-même interdite par l’article 3 ou incompatible avec celui-ci ou avec un autre article de la Convention, ce qui n’est pas le cas actuellement (voir le paragraphe 72 de l’arrêt).

9. Les deux types de redressement possibles – nivellement par le haut ou nivellement par le bas – aboutiraient à une égalité formelle, mais ils ne produiraient pas nécessairement tous les deux des résultats souhaitables. En l’espèce, un nivellement par le bas serait problématique pour plusieurs raisons. Premièrement, il aggraverait la situation des femmes criminelles sans améliorer celle des hommes. Deuxièmement, une sanction identique n’est pas toujours une sanction égale, et l’application d’une simple égalité formelle ne permettrait toujours pas d’obtenir une égalité matérielle. Troisièmement, ce qui est en jeu en l’espèce n’est pas une question anodine : un nivellement par le bas renverserait la tendance consistant à restreindre l’imposition de peines de réclusion à perpétuité.

10. Lorsqu’un nivellement par le bas n’est pas souhaitable ou acceptable et qu’un nivellement par le haut est très probablement irréalisable, et que par ailleurs une égalité formelle n’aboutirait pas nécessairement à une égalité matérielle, il peut être préférable de conserver un statu quo où la situation des uns est meilleure et où celle des autres n’est pas pire que si l’on mettait en place la meilleure égalité possible. Cela est particulièrement vrai en l’espèce, où l’enjeu est d’une importance tout à fait fondamentale.

11. Même si la Cour n’a pas été en mesure de discerner une tendance internationale allant soit dans le sens de l’abolition des peines perpétuelles soit en sens contraire, elle a constaté une évolution sociale progressive en matière pénologique vers une exemption de l’emprisonnement à vie (voir le paragraphe 86 de l’arrêt). La peine de réclusion à perpétuité en tant que sanction ultime soulève bon nombre d’objections semblables à celles opposées à la peine de mort. Je suis donc totalement d’accord avec les juges Nuβberger et Mits pour dire qu’il était important que la Cour envisage cette affaire en adoptant une perspective large et en tenant compte de l’esprit de la Convention dans son ensemble en tant qu’instrument de promotion des droits de l’homme (voir les paragraphes 73 et 75 de l’arrêt). Le droit à la dignité humaine a déjà eu un impact en ce que la réclusion à perpétuité n’est aujourd’hui considérée comme acceptable en Europe qu’à certaines conditions (Vinter et autres c. Royaume-Uni [GC], nos 66069/09, 130/10 et [3896/10](http://hudoc.echr.coe.int/eng#%7B%22appno%22:%5B%223896/10%22%5D%7D), § 113, et Murray c. Pays-Bas [GC], no [10511/10](http://hudoc.echr.coe.int/eng#%7B%22appno%22:%5B%2210511/10%22%5D%7D), § 101). De sérieux arguments militent pour l’abolition de cette peine. Mieux vaut donc, dans la mesure où la différence de traitement ne fait pas subir un préjudice supplémentaire à ceux à qui la peine de perpétuité continue de s’appliquer, tolérer l’abolition progressive visant des groupes plus vulnérables à l’impact négatif des peines perpétuelles, en l’envisageant comme un pas vers l’abolition complète. Ne voyant pas d’autres raisons de principe que l’égalité formelle, que j’estime insuffisante pour conclure à la violation en l’espèce, j’ai voté avec la majorité.

12. La réclusion à perpétuité est symbolique de la peine infligée pour les crimes les plus graves. Malheureusement, comme nous le savons, les symboles ont la vie dure[18].

OPINION CONCORDANTE DU JUGE MITS

(Traduction)

Cette affaire est plus complexe qu’il n’y paraît à première vue. Si on l’envisage exclusivement sous l’angle étroit de la discrimination, on peut parvenir à une conclusion. Cependant, la question soulevée en l’espèce dépasse de loin les intérêts individuels des requérants. Si on aborde l’affaire sous l’angle plus large de l’objet et du but de la Convention (c’est-à-dire la sauvegarde et le développement des droits de l’homme évoqués dans le préambule), la réponse peut être différente. L’objet de la présente affaire exige d’adopter une approche plus large.

La Convention n’impose aux états membres aucune obligation d’abolir la réclusion à perpétuité (paragraphes 74 et 87 de l’arrêt). Le gouvernement russe a clairement indiqué qu’il entendait la maintenir (paragraphe 42). Si, au nom de l’égalité, l’État était obligé de traiter les groupes bénéficiant d’une approche plus favorable (les mineurs, les personnes âgées de plus de 65 ans et les femmes) de la même manière que le groupe des personnes pouvant être condamnées à la réclusion à perpétuité, cela conduirait à étendre l’application de cette peine à tous les groupes. Ainsi, sans aucune incidence pour les requérants, les autres groupes feraient l’objet d’une peine plus sévère. Ce serait un résultat absurde, contraire à l’idée de protection des droits de l’homme. Les groupes bénéficiant d’une approche plus favorable ne se plaignent pas d’être privés d’un droit à une peine plus sévère.

Les requérants soutenaient qu’une tendance internationale vers l’abolition de la réclusion à perpétuité se dégageait (paragraphe 41). La Cour ne discerne aucune tendance, que ce soit dans le sens d’une abolition ou dans celui d’une approbation, mais elle relève que ce type de peine est limité en Europe par l’exigence de compressibilité de la peine qui pourrait à l’avenir engendrer d’autres obligations positives pour les États membres (paragraphe 86). Par conséquent, à l’heure actuelle, les évolutions relatives à la réclusion à perpétuité ne peuvent pas être assimilées à celles qui ont conduit en définitive à l’abolition de la peine de mort. Toutefois, il y a lieu de ne pas freiner les évolutions allant dans le sens de la sauvegarde et du développement des droits de l’homme. Or le scénario décrit ci-dessus aurait certainement cet effet.

C’est pourquoi, lorsque l’on aborde l’importance de la question pour toute l’Europe et au-delà, la notion de discrimination doit être considérée au regard de l’objet et du but de la Convention, ou, comme la Cour l’a dit, il lui faut « interpréter la Convention d’une manière harmonieuse et en conformité avec son esprit général » (paragraphe 87). Après tout, la présente affaire soulève la question suivante : comment comprenons-nous la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales en Europe ?

OPINION EN PARTIE DISSIDENTE COMMUNE AUX JUGES SICILIANOS, MØSE, LUBARDA, MOUROU‑VIKSTRÖM ET KUCSKO-STADLMAYER

1. Nous souscrivons sans réserve au constat de non-violation de l’article 14 de la Convention, combiné avec l’article 5, pour ce qui est de la différence de traitement fondée sur l’âge. Nous pensons, en effet, que les raisons invoquées pour ne pas prévoir la peine de réclusion à perpétuité s’agissant des mineurs et des personnes âgées de plus de 65 ans constituent une justification objective et raisonnable de la différence de traitement entre ces catégories de personnes et les hommes âgés de 18 à 65 ans (voir, notamment, les paragraphes 69-81 de l’arrêt). En revanche, nous ne sommes pas en mesure de suivre la majorité lorsqu’elle constate qu’il n’y a pas eu violation de l’article 14, combiné avec l’article 5, pour ce qui est de la différence de traitement fondée sur le sexe (paragraphes 82 et suiv. de l’arrêt).

I. Le principe : seules des « considérations très fortes » justifient une différence de traitement fondée sur le sexe

2. Nous rappelons à cet égard que la Cour a maintes fois déclaré que les différences exclusivement fondées sur le sexe doivent être justifiées par des « considérations très fortes », des « motifs impérieux » ou, autre formule parfois utilisée, par des « raisons particulièrement solides et convaincantes » (voir, par exemple, Van Raalte c. Pays-Bas, 21 février 1997, § 39 in fine, Recueil des arrêts et décisions l997-I, Petrovic c. Autriche, 27 mars 1998, § 37, Recueil 1998‑II, Stec et autres c. Royaume‑Uni (déc.) [GC], nos 65731/01 et 65900/01, § 52, CEDH 2005‑X, Vallianatos et autres c. Grèce [GC], nos 29381/09 et 32684/09, § 77, CEDH 2013 (extraits), et les références citées dans cet arrêt). S’agissant de différences de traitement fondées sur le sexe, la marge d’appréciation des États est étroite (X et autres c. Autriche [GC], no 19010/07, § 99, CEDH 2013, Vallianatos et autres, précité, § 77). Dans cet ordre d’idées, la Grande Chambre a souligné plus particulièrement « que la progression vers l’égalité des sexes est aujourd’hui un but important des États membres du Conseil de l’Europe et que seules des considérations très fortes peuvent amener à estimer compatible avec la Convention une telle différence de traitement (Burghartz c. Suisse, 22 février 1994, § 27, série A no 280‑B, et Schuler‑Zgraggen c. Suisse, 24 juin 1993, § 67, série A no 263). En particulier, des références aux traditions, présupposés d’ordre général ou attitudes sociales majoritaires ayant cours dans un pays donné ne suffisent pas à justifier une différence de traitement fondée sur le sexe » (Konstantin Markin c. Russie [GC], no 30078/06, § 127, CEDH 2012 (extraits)). Et la Cour d’observer également que les sociétés européennes contemporaines ont évolué vers un partage plus égalitaire entre les hommes et les femmes des responsabilités en matière d´éducation des enfants, et que le rôle des pères auprès des jeunes enfants est mieux reconnu (ibidem, § 140). Elle en a déduit qu´une disposition générale et automatique, appliquée à un groupe de personnes en fonction de leur sexe, indépendamment de leur situation personnelle, sort « du cadre d´une marge d´appréciation, aussi large soit-elle », et est donc « incompatible avec l´article 14 » (ibidem, § 148).

3. Nous observons que ces idées importantes n´apparaissent pas dans les principes généraux du présent arrêt (paragraphes 64-65), mais figurent plus tard – dans une version abrégée – au paragraphe 78. L’arrêt fait aussi référence à un « esprit général » de la Convention, pas précisément défini (paragraphe 73), et à sa « cohérence interne » (paragraphe 75), qui semblent prévaloir sur le principe de l’interdiction de la discrimination fondée sur le sexe, tel que défini par cette jurisprudence.

II. L’application du principe au cas d’espèce : les motifs invoqués

4. Il importe, par conséquent, d’examiner de plus près les considérations avancées par le Gouvernement et entérinées par la majorité pour justifier la différence de traitement litigieuse. Ces considérations sont tirées : des instruments européens et internationaux pertinents (A), des données statistiques fournies par le Gouvernement (B) et des tendances qui semblent prévaloir en Europe (C). Nous envisagerons tour à tour ces considérations.

A) Les instruments internationaux et européens

5. La première considération tendant à justifier la différence de traitement litigieuse fondée sur le sexe est inspirée « des divers instruments européens et internationaux qui traitent des besoins de protection des femmes contre les violences sexuelles, des abus et du harcèlement sexuel dans l’environnement pénitentiaire, ainsi que de la nécessité de protéger les femmes enceintes et les mères » (paragraphe 82 de l’arrêt). Les dispositions pertinentes des instruments en question sont citées in extenso aux paragraphes 27 à 31 de l’arrêt. Il s’agit plus particulièrement de l’article 4 de la Convention des Nations unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW), des Règles des Nations unies concernant le traitement des détenues (Règles de Bangkok), de la Résolution du 13 mars 2008 du Parlement européen sur la situation particulière des femmes en prison, et de la Recommandation Rec(2006)2 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe aux États membres sur les Règles pénitentiaires européennes. L’article 4 de la CEDAW – seul texte contraignant sur lequel nous reviendrons – porte généralement sur les mesures spéciales. Les autres instruments ne sont pas contraignants.

1) Les textes non contraignants

6. Les textes non contraignants concernent essentiellement les conditions de détention des femmes, et tout particulièrement des femmes enceintes, des femmes allaitantes et des mères ayant auprès d’elles leurs enfants en bas âge. Nous souscrivons entièrement aux considérations d’humanisme qui animent ces instruments. Force est de constater, cependant, que les dispositions pertinentes des instruments en question ne touchent aucunement à l’imposition ou non aux femmes de la réclusion à perpétuité, voire plus généralement à des questions de politique pénale à l’égard des femmes. En revanche, les dispositions citées aux paragraphes 23 à 26 de l’arrêt sont focalisées sur l’interdiction d’imposer certaines peines – notamment la peine capitale et l’emprisonnement à vie sans possibilité de libération – aux personnes âgées de moins de dix-huit ans.

7. Autrement dit, alors que pour les mineurs les textes internationaux pertinents portent sur l’aspect particulier qui fait l’objet de la présente affaire, les dispositions citées sur les femmes concernent essentiellement un sujet distinct, à savoir les conditions de leur détention et notamment celles des catégories de femmes qui sont les plus vulnérables (femmes enceintes, allaitantes et mères ayant des enfants en bas âge). Par conséquent, les instruments précités s’appliquent à l’exécution de toute peine d’emprisonnement infligée aux femmes, indépendamment de sa durée. Ils ne concernent pas l’imposition de l’emprisonnement à vie. En outre, ils ne visent à protéger que les femmes dans certaines situations réelles (grossesse, maternité) et ne s´adressent pas à toutes les femmes, uniquement en raison de leur sexe. Leur prétendue « vulnérabilité naturelle », leur « rôle spécial dans la société » et leur « fonction reproductive », que le Gouvernement invoque pour justifier sa position (paragraphes 46 et 47 de l’arrêt), ne sont justement pas l´objet de ces règles. Quoi qu’il en soit, les textes en question ne nous semblent pas constituer, en tant que tels, une « considération très forte » et encore moins un « motif impérieux » pour justifier la différence de traitement litigieuse fondée sur le sexe.

2) L’article 4 de la CEDAW et la nature juridique des mesures litigieuses

8. Il en va de même pour ce qui est de l’article 4 de la CEDAW. En analysant le paragraphe premier de cette disposition, portant sur les « mesures temporaires spéciales », le Comité pour l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes observait avec pertinence que, parmi les « obligations fondamentales » qui sont « au centre de la lutte des États contre la discrimination à l’égard des femmes », il y a celle consistant à « aménager les relations qui prédominent entre les sexes et de lutter contre la persistance des stéréotypes fondés sur le sexe qui sont préjudiciables aux femmes et dont les effets se manifestent non seulement au niveau des comportements individuels mais également dans la législation, les structures juridiques et sociales et les institutions » (Recommandation générale no 25 concernant le paragraphe 1 de l’article 4 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes relatif aux mesures temporaires spéciales, Nations unies doc. A/59/38 (1ère partie), annexe I, paragraphes 6-7).

9. À notre avis, ce prononcé revêt une grande importance pour comprendre l’objet et le but de la CEDAW en général et la portée de l’article 4 de cette convention en particulier. Cette disposition concerne les « mesures temporaires spéciales » (paragraphe 1) et les « mesures spéciales » qui visent à protéger la maternité (paragraphe 2).

10. Ainsi qu’il est expliqué dans la Recommandation générale précitée, les « mesures temporaires spéciales » tendent principalement à assurer l’égalité des chances et, partant, à promouvoir l’instauration entre hommes et femmes de l’égalité de fait, c’est-à-dire d’une égalité réelle (ou concrète) (ibidem, paragraphe 8). Les mesures en question sont temporaires, en ce sens qu’elles « doivent être abrogées dès que les objectifs en matière d’égalité de chances et de traitement ont été atteints » (article 4, paragraphe 1, de la CEDAW). La même disposition énonce également que l’adoption de mesures temporaires spéciales « ne doit en aucune façon avoir pour conséquence le maintien de normes inégales ou distinctes ». Or, les mesures litigieuses cadrent mal avec le but de cette disposition. Il s’agit, de surcroît, de mesures législatives à vocation permanente, créant un régime juridique distinct pour les femmes en milieu carcéral. Il apparaît, dès lors, que les mesures litigieuses ne constituent pas des « mesures temporaires spéciales » au sens de l’article 4, paragraphe 1, de la CEDAW. Cette disposition est donc inapplicable à leur égard.

11. L’article 4, paragraphe 2, de la CEDAW se réfère, lui, à l’adoption de « mesures spéciales, y compris de mesures prévues dans la présente Convention, qui visent à protéger la maternité » et qui n’est pas considérée comme un acte de discrimination. La protection de la maternité apparaît dans l’article 5 b) de la CEDAW, qui stipule que les États parties « prennent toutes les mesures appropriées pour (...) [f]aire en sorte que l’éducation familiale contribue à faire bien comprendre que la maternité est une fonction sociale ». Toutefois, la disposition par excellence en la matière est celle de l’article 11, paragraphe 2, en vertu duquel les États parties s’engagent à prendre des mesures appropriées pour interdire « sous peine de sanctions, le licenciement pour cause de grossesse ou de congé de maternité » et pour instituer « l’octroi de congés de maternité payés ou ouvrant droit à des prestations sociales comparables, avec la garantie du maintien de l’emploi antérieur, des droits d’ancienneté et des avantages sociaux ». Il apparaît ainsi que les mesures prévues par la CEDAW pour protéger la maternité relèvent des relations familiales et du domaine du droit au travail. Toutefois, même si l´on entendait l´article 4, paragraphe 2, de la CEDAW dans un sens plus large, les dispositions destinées à protéger les femmes en matière de « grossesse et de maternité » appellent – en tant qu’exception au principe de non-discrimination – une interprétation très stricte. Cela a été indiqué par la CJUE dans l´arrêt Johnston, C-222/84, § 44, en vue de la directive 76/207/EEC (voir aussi Brown, C-394/96, § 17 ; Commission/Autriche, C‑203/03, §§ 43-45; Stoeckel, C-345/89, §§ 14-19). Il ressort de cette jurisprudence que les mesures de protection de la maternité doivent toujours être adaptées aux risques réels et spécifiques des situations différentes et ne justifient pas une extension au sexe féminin comme tel. Au-delà, il est douteux que la condition physique ou les responsabilités de la famille puissent – aussi bien pour les femmes que pour les hommes – justifier l´atténuation d´une peine proportionnée à l´infraction.

12. Par ailleurs, les autres dispositions citées aux paragraphes 29-31 de l’arrêt – concernant notamment, rappelons-le, les conditions de détention des femmes enceintes ou allaitantes, ainsi que des mères ayant des enfants en bas âge – sont focalisées sur les conditions d’hygiène, les services de santé, le régime alimentaire ou le suivi prénatal et postnatal. En d’autres termes, les mesures prévues par les textes internationaux pris en compte par la Cour sont de nature bien différente de celle des dispositions litigieuses.

13. Dans ces conditions, il nous semble difficile d’accepter que le fait d’interdire la réclusion à perpétuité et de prévoir une peine de réclusion maximale de vingt ans pour les femmes (voir l’article 57 du code pénal russe, mentionné au paragraphe 16 de l’arrêt) constitue une « mesure spéciale » tendant à protéger la maternité au sens de l’article 4, paragraphe 2, de la CEDAW. On peut légitimement en douter, tant il est vrai que, même dans l’hypothèse d’une réclusion de vingt ans, la perspective de la maternité sera le plus souvent compromise. Il est par ailleurs significatif que ni la majorité ni la Cour constitutionnelle ne qualifient explicitement la différence de traitement litigieuse de « mesure spéciale » tendant à protéger la maternité. Pour reprendre les termes de la Haute juridiction russe, l’interdiction de la réclusion à perpétuité prévue en faveur des femmes serait justifiée plus généralement par leurs « caractéristiques sociales et physiologiques (...) sur la base des principes de justice et d’humanisme en matière pénale » (paragraphe 18 de l’arrêt).

B) Les données statistiques

14. La deuxième considération mise en avant par la majorité pour estimer que la différence litigieuse est justifiée concerne les données statistiques présentées par le Gouvernement, qui indiquent une différence considérable entre le nombre total d’hommes détenus et le nombre total de femmes détenues. Les données en question précisent également que le nombre de personnes condamnées à la réclusion à perpétuité est restreint (paragraphe 48 de l’arrêt). Sans vouloir évaluer ces données et les raisons d’ordre pénologique justifiant de traiter différemment les hommes et les femmes à cet égard, la Cour se dit disposée à admettre que dans les circonstances de l’espèce les données en question et les éléments susmentionnés (tirés des instruments internationaux et européens examinés ci-dessus) offrent une base suffisante pour conclure qu’il existe un intérêt général justifiant l’exclusion des femmes de la réclusion à perpétuité par une règle générale (paragraphe 82 de l’arrêt).

15. Avec tout le respect dû à la majorité, il ne nous semble pas que les considérations tirées des éléments statistiques soient « très fortes » ou « particulièrement solides et convaincantes » et puissent donc justifier une différence de traitement fondée sur le sexe (paragraphe 2 ci-dessus). Nous observons, tout d’abord, que les données statistiques concernent des aspects purement quantitatifs. Elles ne disent rien sur la possibilité pour les femmes de commettre des crimes particulièrement graves. Avant tout, elles ignorent l´importance primordiale de la situation personnelle des délinquants pour la fixation d´une peine. Cette approche de conceptualisation et d´individualisation du traitement légal est, par ailleurs, intégrée profondément dans les buts du féminisme contemporain.

16. Par ailleurs, les deux tendances principales illustrées par les données statistiques susmentionnées – la disproportion hommes/femmes dans la population carcérale et le petit nombre de personnes condamnées à la réclusion à perpétuité – ne sont pas propres à la Russie. En effet, les dernières statistiques pénales du Conseil de l’Europe montrent que ces deux tendances peuvent être observées dans tous les États membres. Plus précisément, selon les statistiques en question, les femmes détenues en Russie représentent 8,2 % de l’ensemble des détenus dans ce pays – chiffre qui correspond approximativement aux données fournies par le Gouvernement – alors que la moyenne européenne est de 5 % (Conseil de l’Europe, Statistiques pénales annuelles. Space I – populations carcérales, doc. PC-CP (2015)7, 23 décembre 2015, p. 64). En d’autres termes, la disproportion invoquée par le Gouvernement est même plus grande au niveau paneuropéen qu’en Russie. Par ailleurs, au sujet des personnes condamnées à la réclusion à perpétuité par rapport à l’ensemble des détenus, les statistiques du Conseil de l’Europe montrent que la moyenne européenne est de l’ordre de 1,6 % (ibidem, p. 97). À l’instar de la Russie, ce pourcentage reflète le nombre restreint des condamnés appartenant à cette catégorie. Dans ces conditions, il ne nous semble pas que l’on puisse déceler dans ces éléments statistiques une particularité quelconque de la Russie qui constituerait un argument fort pour justifier la différence de traitement litigieuse. À cet égard, nous rappelons que, dès lors que l’existence d’une différence de traitement a été démontrée au regard de l’article 14, c’est au Gouvernement de prouver qu’elle était justifiée (voir l’arrêt récent rendu en l’affaire Biao c. Danemark [GC], no 38590/10, § 61, CEDH 2016).

C) La « disparité des approches » au niveau européen

17. La troisième considération tendant à justifier la différence de traitement litigieuse concerne « la disparité des approches » que l’on observerait en la matière parmi les États parties à la Convention. Dans cet ordre d’idées, la majorité relève que neuf États contractants ont aboli la réclusion à perpétuité, alors que d’autres États prévoient des limites d’âge différentes. Pour ce qui est des femmes, certains États excluent de la réclusion à perpétuité les femmes qui sont enceintes au moment de la commission de l’infraction ou du prononcé de la peine, alors que d’autres, dont la Russie, ont étendu cette approche à l’ensemble des femmes. Dans ces conditions, il y aurait lieu d’accorder une « ample marge d’appréciation » aux autorités de chaque État (paragraphes 83-85 de l’arrêt).

18. Il est vrai que, suivant la jurisprudence de la Cour, un manque de dénominateur commun aux systèmes juridiques internes des États contractants conduit, en principe, à reconnaître une marge d’appréciation plutôt large au profit des autorités nationales. En l’occurrence, il ne fait pas de doute que les législateurs nationaux disposent d’une ample marge d’appréciation sur la question de savoir s’il faut prévoir ou non la peine de la réclusion à perpétuité. Les États disposent également d’une marge d’appréciation importante pour ce qui est de la détermination des crimes qui seraient passibles d’une telle peine, étant entendu, toutefois, que, conformément au principe de proportionnalité, seuls les crimes particulièrement graves méritent une telle sanction. En revanche, lorsqu’il s’agit d’introduire des différences entre des délinquants placés dans des situations analogues ou comparables, comme en l’occurrence femmes et hommes peuvent l´être (paragraphes 66-68 de l’arrêt), la marge d’appréciation se rétrécit en fonction du critère de différenciation. Nous ne soulignerons jamais assez, en effet, que, conformément à une jurisprudence bien établie de la Cour, les différences de traitement fondées exclusivement sur le sexe appellent des considérations « très fortes », des « raisons particulièrement solides et convaincantes », voire des « motifs impérieux » pour être justifiées (paragraphe 2 ci-dessus).

19. Par ailleurs, pour répondre à la question de savoir s’il existe ou non une communauté de vues entre les États membres du Conseil de l’Europe (ou si l’on peut déceler telle ou telle tendance), il importe de circonscrire avec précision le sujet dont il s’agit et, partant, le groupe d’États qui constitue le point de référence. En d’autres termes, pour répondre à cette question, il faudrait comparer ce qui est vraiment comparable (voir, mutatis mutandis, Vallianatos et autres, précité, §§ 26, 91). Mélanger des éléments différents serait susceptible de nuire à la clarté méthodologique et de conduire à des conclusions hâtives. En l’espèce, ce qui importe est de savoir s’il est justifié d’exclure les femmes de l’imposition de la réclusion à perpétuité par une règle générale. Par conséquent, le groupe de référence est celui qui est formé par les États qui prévoient dans leur législation la peine en question. Or, nous constatons que parmi les trente-sept États membres du Conseil de l’Europe dans lesquels les délinquants peuvent être condamnés à la réclusion à perpétuité, seuls l’Albanie, l’Azerbaïdjan et la République de Moldova (en plus de la Russie) excluent de manière générale dans leur droit pénal la condamnation des femmes à cette peine (paragraphes 20 et 22 de l’arrêt). Il apparaît ainsi qu’il existe une grande majorité d´États qui n´excluent pas les femmes de l’imposition de la réclusion à perpétuité par une règle générale.

III. Remarques finales

20. Nous avons examiné de près les raisons invoquées par la majorité pour justifier la différence de traitement litigieuse. Il ne nous semble pas que les considérations en question – prises isolément ou même en combinaison – soient suffisamment fortes pour constituer une telle justification. Nous estimons, par conséquent, qu’il y a eu, en l’espèce, violation de l’article 14 combiné avec l’article 5 de la Convention.

21. Cela dit, il importe de préciser également que cette approche ne placerait pas nécessairement l’État défendeur devant le dilemme consistant ou bien à abolir purement et simplement la réclusion à perpétuité, ou bien à l’étendre aux femmes. Il existe également d’autres voies qui impliqueraient un certain réaménagement de la peine en question et des modalités de son exécution, et qui seraient au bénéfice tant des femmes que des hommes. Il convient par ailleurs d’observer, enfin, que le fait de prévoir la réclusion à perpétuité dans la législation ne signifie pas que le juge n’ait pas la possibilité de tenir compte in concreto de la situation particulière, y compris de la vulnérabilité de telle ou telle personne, homme ou femme.

OPINION DISSIDENTE DU JUGE PINTO DE ALBUQUERQUE

Table des matières

I. Introduction (§§ 1-3)

Première partie (§§ 4-24)

II. La légitimité de l’objectif de protection des groupes vulnérables (§§ 4-17)

A. La protection des femmes en droit international et européen (§§ 5-11)

B. La protection des mineurs et des personnes âgées en droit international et européen (§§ 12-17)

III. La justification de la différence de traitement des groupes vulnérables (§§ 18-24)

A. L’obligation de discrimination positive (§§ 18-21)

B. L’obligation de « nivellement par le haut » dans le cas d’une « fausse » discrimination positive (§§ 22-24)

Seconde Partie (§§ 25-49)

IV. L’incompatibilité de la réclusion à perpétuité avec le droit international (§§ 25-38)

A. Les objectifs pénologiques de la réclusion criminelle (§§ 25-31)

B. L’exigence d’une lecture évolutive et pro persona des droits garantis par la Convention (§§ 32-38)

V. L’application des normes conventionnelles à l’espèce (§§ 39-49)

A. L’incohérence du traitement moins favorable du groupe majoritaire des hommes âgés de 18 à 65 ans (§§ 39-46)

B. L’incompatibilité du maintien de la réclusion à perpétuité par le code pénal russe avec la Convention (§§ 47-49)

VI. Conclusion (§ 50)

I. Introduction (§§ 1-3)

1. L’affaire Khamtokhu et Aksenchik c. Russie oblige une nouvelle fois la Cour européenne des droits de l’homme (« la Cour ») à faire face à la question cruciale de la réclusion à perpétuité, à partir de l’évaluation de la compatibilité de l’article 57 § 2 du code pénal russe avec la Convention européenne des droits de l’homme (« la Convention »). Cette affaire est d’autant plus fondamentale qu’elle induit en parallèle des questionnements complexes relatifs à la mise en place de politiques de discrimination positive à la lumière des normes conventionnelles.

2. Pourtant, la majorité n’a pas jugé utile de se pencher davantage sur les modalités particulières du droit de ne pas subir de discrimination qu’appelait l’espèce, manquant ainsi l’opportunité de clarifier ces principes fondamentaux. Elle n’a pas non plus saisi l’occasion qui lui était offerte de développer la protection offerte par la Convention en franchissant une étape décisive vers l’abolition de la réclusion à perpétuité.

3. Or, l’examen de ces deux problématiques, auquel est dédiée cette opinion, permet de mettre en lumière l’existence d’une incohérence au sein de la politique russe de discrimination positive à l’égard des auteurs de certaines infractions et l’incompatibilité du maintien de la réclusion à perpétuité par le code pénal russe avec la Convention. Pour ces deux raisons, je ne peux souscrire au constat de non-violation de l’article 14 combiné avec l’article 5 de la Convention.

Première partie (§§ 4-24)

II. La légitimité de l’objectif de protection des groupes vulnérables (§§ 4-17)

A. La protection des femmes en droit international et européen (§§ 5-11)

4. La présente opinion n’entend remettre en cause en aucune façon le caractère louable et nécessaire de la volonté politique d’établir des politiques publiques de protection des femmes, des mineurs et des personnes âgées. Il s’agit là d’un postulat fondamental qui doit être rappelé ab initio afin que les propos suivants soient appréhendés dans leur juste contexte. La lutte contre les discriminations fondées sur le sexe et l’âge est un objectif essentiel des autorités publiques et est fermement consacrée par les normes internationales.

5. Il est en effet incontestable que, encore de nos jours, les femmes constituent à certains égards un groupe vulnérable, et sont soumises à des conditions moins favorables que leurs homologues masculins. Qu’il s’agisse de protéger leur intégrité physique et morale face à des atteintes spécifiques ou d’assurer leur égalité d’accès à l’éducation et à l’emploi, ou tout autre aspect de la vie économique, sociale et culturelle, les autorités étatiques ont le devoir d’agir de manière concrète et effective afin d’assurer l’égalité réelle entre hommes et femmes. En particulier, les systèmes carcéraux tiennent rarement compte des besoins particuliers des femmes, notamment en termes de politiques de classement et de placement des détenues, de programmes et services répondant à leurs besoins, de présence suffisante de personnel spécialisé et de conditions spécifiques, liés à la santé, à l’hygiène et aux soins prénatals et postnatals ainsi qu’à la garde d’enfants vivant en prison.[19] Il n’est donc pas surprenant que les instruments internationaux et les organes chargés de veiller à leur application soient fortement impliqués dans ce processus. La Cour elle-même n’a d’ailleurs pas manqué de rappeler que « la progression vers l’égalité des sexes est aujourd’hui un but important du Conseil de l’Europe »[20].

6. Les instruments de protection des droits de l’homme de portée générale, tels que, notamment, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (« PIDCP » – article 2), la Convention américaine relative aux droits de l’Homme (article 1) ou la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (article 2) interdisent unanimement les discriminations fondées sur le sexe. En outre, l’article 6 § 5 du PIDCP interdit d’imposer la peine capitale à une femme enceinte, de même que l’article 76 § 3 du Protocole no 1 à la Convention de Genève de 1949. Au chapitre de la protection sectorielle, la Convention de 1979 sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (« CEDAW ») vise à interdire la discrimination contre les femmes dans la sphère tant publique que privée et impose notamment aux États parties en son article 2 « de poursuivre par tous les moyens appropriés et sans retard une politique tendant à éliminer la discrimination à l’égard des femmes ». L’Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (Règles Nelson Mandela) prévoit des dispositions sur la séparation des femmes et des dispositions spéciales pour les conditions de détention des femmes enceintes et allaitantes, l’interdiction de recourir à l’isolement cellulaire et à des mesures similaires, la prohibition de l’utilisation de moyens de contrainte sur des femmes pendant le travail, l’accouchement ou immédiatement après l’accouchement, ainsi que des dispositions sur le personnel de sexe féminin et l’accès des membres du personnel de sexe masculin dans la section réservée aux femmes (règles 11 (a), 28, 45 (2), 48 (2), 58 (2), 74 (3), and 81 (1)-(3)). Les Règles des Nations Unies concernant le traitement des détenues et l’imposition de mesures non privatives de liberté aux délinquantes (Règles de Bangkok) affirment la nécessité de donner priorité à l’imposition de mesures non privatives de liberté aux femmes qui ont affaire au système de justice pénale. Certaines de ces règles précisent comment les dispositions existantes de l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus et des Règles minima des Nations Unies pour l’élaboration de mesures non privatives de liberté (Règles de Tokyo) s’appliquent aux détenues et aux délinquantes, tandis que d’autres abordent de nouvelles questions appartenant au droit pénitentiaire. Dans le cadre du droit du Conseil de l’Europe, il convient de rappeler les références succinctes à la situation des femmes détenues qui apparaissent dans la Recommandation (2003)23 du Comité des Ministres relative à la gestion par les administrations pénitentiaires des condamnés à perpétuité et des autres détenus de longue durée ainsi que dans les Règles pénitentiaires européennes adoptées par la Recommandation Rec (2006)2 du Comité des Ministres. Finalement, quant au droit de l’Union européenne, il faut remarquer la position prise par le Parlement européen dans sa Résolution du 13 mars 2008 sur les besoins particuliers des femmes enceintes et mères détenues.

7. Ainsi, la nécessité et la légitimité de la protection spécifique de la population féminine par les pouvoirs publics et les instances internationales ne font aucun doute. J’ai déjà exprimé ma conviction selon laquelle « le plein effet utile de la Convention européenne des droits de l’homme ne peut être atteint qu’avec une interprétation et une application genrées, prenant en considération les inégalités factuelles entre hommes et femmes et la manière dont elles se répercutent sur la vie des femmes »[21]. Les propos suivants ne sauraient par conséquent être interprétés comme un désaveu de cette conviction.

8. Pour autant, et sans minimiser le caractère fondamental de la lutte contre les discriminations subies par les femmes en raison de leur sexe, cette protection ne doit pas servir de prétexte à une victimisation perpétuelle des femmes qui leur porterait préjudice et s’avérerait in fine contreproductive. L’un des écueils principaux auxquels doit faire face la protection de cette catégorie réside précisément dans le maintien de préjugés archaïques concernant la nature ou le rôle des femmes au sein de la société. La perpétuation de tels schémas peut s’avérer tout aussi dangereuse que les désavantages sociaux dont peuvent être victimes les femmes par comparaison avec les hommes puisqu’ils y participent en entretenant la croyance d’une différence de capacité inhérente entre les sexes. La CEDAW impose à cette fin aux États parties, en son article 5, d’adopter les mesures nécessaires en vue de « [m]odifier les schémas et modèles de comportement socioculturel de l’homme et de la femme en vue de parvenir à l’élimination des préjugés et des pratiques coutumières, ou de tout autre type, qui sont fondés sur l’idée de l’infériorité ou de la supériorité de l’un ou l’autre sexe ou d’un rôle stéréotypé des hommes et des femmes ».

9. La jurisprudence de la Cour est sans équivoque à cet égard[22]. Dans l’affaire Ünal Tekeli c. Turquie, à propos de l’extension du nom patronymique du mari à sa femme, elle a affirmé que « cette tradition trouve ses origines dans le rôle primordial de l’homme et le rôle secondaire de la femme dans la famille. Or la progression vers l’égalité des sexes dans les États membres du Conseil de l’Europe, y compris en Turquie, et en particulier l’importance attachée au principe de non-discrimination empêchent aujourd’hui les États d’imposer cette tradition aux femmes mariées »[23].

10. De même, dans l’arrêt Konstantin Markin c. Russie, à propos du refus d’octroyer un congé parental aux militaires de sexe masculin, la Grande Chambre a affirmé que « des références aux traditions, présupposés d’ordre général ou attitudes sociales majoritaires ayant cours dans un pays donné ne suffisent pas à justifier une différence de traitement fondée sur le sexe »[24]. À cet égard, la Cour a conclu à la violation de l’article 14 combiné avec l’article 8 de la Convention du fait de la différence de traitement entre hommes et femmes sur cette base. Plus encore, à l’argument du gouvernement défendeur qui entendait justifier cette mesure par une « inégalité positive » destinée à compenser le désavantage « factuel » des femmes dans la société, la Cour a répondu que « cette différence a pour effet de perpétuer les stéréotypes liés au sexe et constitue un désavantage »[25], rappelant également que « les États ne peuvent justifier la différence de traitement en cause en invoquant les traditions qui prévalent dans un pays donné [ni] imposer une répartition traditionnelle des sexes ni des stéréotypes liés au sexe »[26].

11. Il est donc fondamental de souligner qu’une différenciation injustifiée entre hommes et femmes, au sens où elle ne reposerait pas sur un désavantage factuel réel mais sur une idée préconçue des faiblesses supposées des secondes par rapport aux premiers, aurait pour conséquence non pas la réduction des inégalités mais leur maintien, voire leur aggravation. Il semble que la majorité, dans la présente affaire, se soit limitée à un seul aspect de la lutte contre les discriminations sans envisager cette problématique spécifique dans une perspective globale.

B. La protection des mineurs et des personnes âgées en droit international et européen (§§ 12-17)

12. Compte tenu de leurs caractéristiques tant physiologiques que sociales, les jeunes gens comme les personnes âgées peuvent, dans certaines circonstances, requérir une protection spécifique de la part des autorités nationales. La présente opinion n’entend en aucune façon remettre en cause cet objectif essentiel des politiques publiques, consacré tant par le droit international que par le droit européen des droits de l’homme.

13. Si la protection des mineurs fait l’objet de nombreux instruments internationaux, le texte de référence en la matière demeure la Convention des Nations Unies de 1990 relative aux droits de l’enfant, dont le Préambule rappelle notamment que « la nécessité d’accorder une protection spéciale à l’enfant a été énoncée dans la Déclaration de Genève de 1924 sur les droits de l’enfant et dans la Déclaration des droits de l’enfant adoptée par l’Assemblée générale le 20 novembre 1959, et qu’elle a été reconnue dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (en particulier aux articles 23 et 24), dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (en particulier à l’article 10) et dans les statuts et instruments pertinents des institutions spécialisées et des organisations internationales qui se préoccupent du bien-être de l’enfant ». De plus, l’article 37 a) de la Convention relative aux droits de l’enfant, l’article 6 § 5 du PIDCP et l’article 26 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale interdisent de prononcer les sanctions les plus lourdes contre les mineurs. L’article 14 § 4 du PIDCP identifie la rééducation comme le principal intérêt de la justice pénale pour les mineurs.

14. La détention des mineurs fait à ce titre l’objet de règles spécifiques, particulièrement par l’intermédiaire d’instruments de soft law[27]. Ainsi, l’Ensemble de règles minima des Nations Unies concernant l’administration de la justice pour mineurs (Règles de Beijing) de 1985, les Règles des Nations Unies pour la protection des mineurs privés de liberté (Règles de la Havane) de 1990, les Principes directeurs des Nations Unies pour la prévention de la délinquance juvénile (Principes directeurs de Riyad) de 1990, les Directives relatives aux enfants dans le système de justice pénale recommandées par le Conseil économique et social dans sa Résolution 1997/30 de 1997, la Note d’orientation du Secrétaire général des Nations Unies : une approche de la justice des enfants (2008), les Lignes directrices des Nations Unies pour une prise en charge alternative des enfants (2009), et les Principes concernant le statut et le fonctionnement des institutions nationales pour la protection et la promotion des droits de l’homme (Principes de Paris) ainsi que, pour ce qui est des instances du Conseil de l’Europe, la Recommandation du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe R(87)20 sur les réactions sociales à la délinquance juvénile, la Recommandation Rec(2003)20 du Comité des Ministres concernant les nouveaux modes de traitement de la délinquance juvénile et le rôle de la justice des mineurs, la Recommandation Rec(2003)23 du Comité des Ministres relative à la gestion par les administrations pénitentiaires des condamnés à perpétuité et des autres détenus de longues peines, la Recommandation Rec(2008)11 du Comité des Ministres sur les Règles européennes pour les délinquants mineurs faisant l’objet de sanctions ou de mesures, la Recommandation Rec(2009)10 du Comité des Ministres sur les lignes directrices du Conseil de l’Europe sur les stratégies nationales intégrées de protection des enfants contre la violence et les Lignes directrices du Comité des Ministres sur une justice adaptée aux enfants adoptées le 17 novembre 2010, établissent les normes que les États doivent appliquer à ces situations particulières. Il ne fait aucun doute en effet que la détention de personnes mineures est soumise à des normes sensiblement différentes de celles applicables aux adultes qui touchent soit au droit pénal matériel, soit au droit procédural, soit au droit pénitentiaire, soit même à d’autres domaines du droit. La Règle 15 des Règles européennes pour les délinquants mineurs est symptomatique de cette vision holistique, en prévoyant que « [t]out système judiciaire traitant d’affaires impliquant des mineurs doit adopter une approche pluridisciplinaire et multi-institutionnelle, et s’inscrire dans le cadre d’initiatives sociales de plus grande échelle destinées aux mineurs, afin de leur assurer une prise en charge globale et durable (principes de participation de la collectivité et de continuité de la prise en charge) ».

15. Quant à la réclusion à perpétuité des mineurs, l’article 37 a) de la Convention relative aux droits de l’enfant interdit que « [n]ul enfant ne soit soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Ni la peine capitale ni l’emprisonnement à vie sans possibilité de libération ne doivent être prononcés pour les infractions commises par des personnes âgées de moins de dix-huit ans ». Les instruments de soft law sont également clairs à cet égard. L’Assemblée générale des Nations unies engage les États depuis 2008 à « [a]bolir, par la voie législative et dans la pratique, la peine de mort ou la réclusion à perpétuité sans possibilité de libération pour les personnes qui étaient âgées de moins de 18 ans au moment de la commission de l’acte »[28]. En 2012, elle a de nouveau invité les États « à faire en sorte que, dans leur législation et leurs pratiques, ni la peine capitale, ni la réclusion à perpétuité sans possibilité de libération, ni des châtiments corporels ne puissent être infligés pour des crimes commis par des personnes de moins de 18 ans, et (...) à envisager d’abroger toute autre forme de réclusion à perpétuité pour des crimes commis par des personnes de moins de 18 ans »[29]. Dans son Observation générale no 10, le Comité des droits de l’enfant, observe qu’« il est probable que l’imposition d’une peine d’emprisonnement à perpétuité à un enfant rende très difficile, voire empêche la réalisation des objectifs de la justice pour mineurs, en dépit même de la possibilité de libération » ; il « recommande instamment aux États parties d’abolir toutes les formes d’emprisonnement à vie pour des infractions commises par des personnes âgées de moins de 18 ans »[30]. Enfin, au sein du Conseil de l’Europe, la Recommandation Rec(2003)23 du Comité des Ministres renvoie, pour ce qui concerne le régime et la planification des peines des mineurs, aux principes consacrés par la Convention des Nations unies susmentionnée (paragraphe 32).

16. Le droit international prévoit également, quoique dans une moindre mesure, des instruments de protection des personnes âgées. Bien que les autorités internationales aient pris conscience du phénomène de vieillissement de la population mondiale et des problématiques spécifiques qu’il génère[31], il n’existe pas en effet, à l’heure actuelle, de convention sectorielle dédiée à la protection de cette partie de la population. Certains textes de portée générale, à valeur contraignante, interdisent les discriminations liées à l’âge et offrent en ce sens une protection aux personnes âgées, à l’instar de l’article 21, paragraphe premier, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et de l’article premier de la Convention internationale sur la protection de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille. La CEDAW fait quant à elle référence, à l’alinéa e) du premier paragraphe de son article 11, aux prestations de retraite et de vieillesse qui concernent directement ce groupe. Enfin, la Convention relative aux personnes handicapées, dans son article 25 § b), exhorte les États à fournir entre autres « des services destinés à réduire au maximum ou à prévenir les nouveaux handicaps, notamment chez les enfants et les personnes âgées » et les invite, dans son article 28 § 2 b), à assurer « aux personnes handicapées, en particulier aux femmes et aux filles et aux personnes âgées, l’accès aux programmes de protection sociale et aux programmes de réduction de la pauvreté ». Les instruments de soft law offrent une protection sectorielle plus complète. Le Plan d’action de Vienne sur le vieillissement de 1982 et le Plan d’action de Madrid sur le vieillissement de 2002, les Principes des Nations unies pour les personnes âgées adoptés en 1991 dans la Résolution 46/91 de l’Assemblée générale ou encore la Déclaration de Toronto de 2002 sur la prévention globale des mauvais traitements envers les aînés (Organisation Mondiale de la Santé) sont notamment dédiées aux problématiques spécifiques liées au vieillissement. Parmi les instruments offrant une protection spécifique aux personnes âgées peuvent encore être mentionnées les Recommandations de l’OIT R162 sur les travailleurs âgés[32] et R131 concernant les prestations d’invalidité, de vieillesse et de survivants[33], les Observations générales no 6 sur les droits économiques, sociaux et culturels des personnes âgées[34] et no 20 sur la non-discrimination dans l’exercice des droits économiques, sociaux et culturels[35] du Comité des droits économiques, sociaux et culturels ou encore la Recommandation générale no 27 sur les femmes âgées et la protection de leurs droits d’êtres humains du Comité pour l’élimination de toutes formes de discrimination à l’égard des femmes[36].

17. Parmi les instruments établissant des normes en matière de détention, certains prennent en considération la situation spécifique des personnes âgées[37]. C’est le cas par exemple du Principe no 5 de l’Ensemble de principes des Nations unies pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement, adopté par l’Assemblée générale dans sa résolution 43/173 du 9 décembre 1988, qui préconise que « les mesures appliquées conformément à la loi et destinées exclusivement à protéger les droits et la condition particulière des femmes, surtout des femmes enceintes et des mères d’enfants en bas âge, des enfants, des adolescents et des personnes âgées, malades ou handicapées ne sont pas réputées être des mesures discriminatoires ». De même, la Recommandation Rec(2003)23 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe relative à la gestion par les administrations pénitentiaires des condamnés à perpétuité et des autres détenus de longue durée indique notamment en son paragraphe 28 qu’« [i]l faudrait aider les détenus âgés à rester en bonne santé physique et mentale ». Toutefois, si des dispositions spécifiques existent quant à l’aménagement des conditions de détention des personnes âgées compte tenu de leurs besoins spécifiques, notamment en matière médicale, rien en droit international n’indique qu’elles doivent bénéficier d’un régime spécial de droit pénal matériel, notamment au stade de la fixation des peines.

III. La justification de la différence de traitement des groupes vulnérables (§§ 18-24)

A. L’obligation de discrimination positive (§§ 18-21)

18. L’interdiction des discriminations formulée par la Convention trouve sa source dans le concept d’égalité. L’article 14 consacre formellement l’égalité des citoyens en énonçant que « [l]a jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ». La Cour n’a jamais dérogé au principe selon lequel cet article « protège contre toute discrimination les individus placés dans des situations analogues »[38]. Plus encore, la recherche de l’égalité dans l’application des droits protégés est si prégnante qu’elle a considéré que « [t]out se passe comme si l’article 14 faisait partie intégrante de chacune des dispositions garantissant des droits et libertés »[39]. Il n’est ainsi pas permis de douter de la place centrale occupée par la promotion de l’égalité au sein du système européen de protection des droits de l’homme. J’ai déjà eu l’occasion de souligner l’importance de ce « principe général d’égalité » dans l’affaire Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu c. Roumanie, et de souligner à quel point il imprègne l’ensemble du système européen de protection des droits de l’homme[40].

19. Pour autant, le concept d’égalité est complexe quant à sa mise en œuvre dans la mesure où il se décompose, empiriquement, en deux volets distincts. Le premier consiste à garantir juridiquement les mêmes droits à tous les citoyens. Il s’agit par conséquent d’une égalité purement « formelle » puisqu’elle ne tient pas compte de la situation préexistante. Le second volet, « réel », du principe d’égalité cherche à pallier cette carence en visant l’égalité factuelle des individus. Il s’agit par conséquent de compenser les inégalités initiales pour aboutir, in fine, à des situations égales nonobstant les divergences originelles dans la situation de chacun. L’égalité rejoint ici la justice de la pensée aristotélicienne. Le concept d’égalité réelle renvoie alors à l’idée d’une justice « distributive », puisque l’application d’un traitement égal à des personnes se trouvant dans des situations inégales serait fondamentalement injuste : des personnes se trouvant dans des situations inégales doivent être traitées de manière inégale pour rétablir l’égalité. Il est donc parfois nécessaire, pour que l’objectif d’égalité soit atteint, d’introduire une forme d’inégalité. C’est ce que la Cour a déjà clairement établi à l’occasion de l’affaire linguistique belge, à l’occasion de laquelle elle a énoncé que « certaines inégalités de droit ne tendent d’ailleurs qu’à corriger des inégalités de fait »[41].

20. C’est précisément l’objectif des politiques de discrimination positive : rompre l’égalité formelle pour atteindre l’égalité réelle des personnes concernées, par le biais de mesures temporaires avec l’objectif de créer une égalité de chances ou de traitement. Dès lors, que cette égalité est assurée, les mesures temporaires perdent leur légitimité[42]. C’est alors au nom de la non-discrimination que s’impose une différence de traitement ou, comme le résume Kelsen, « si des individus sont égaux, plus exactement si des individus et les circonstances extérieures sont égaux, ils doivent recevoir un traitement égal, si des individus et les circonstances extérieures sont inégaux, ils doivent recevoir un traitement différent »[43]. Une telle action est compatible avec la Convention, ainsi que le prévoit expressément le Préambule du Protocole additionnel no 12[44]. La Cour l’a encore affirmé récemment dans l’affaire Andrle c. République tchèque, dans laquelle elle énonce que « [l]’article 14 n’interdit pas à un État membre de traiter des groupes de manière différenciée pour corriger des « inégalités factuelles » entre eux ; de fait, dans certaines circonstances, l’absence d’un traitement différencié pour corriger une inégalité peut en soi emporter violation de la disposition en cause »[45].

21. Pour autant, même dans ces cas de figure, la Convention requiert que la différence de traitement soit justifiée par des motifs objectifs et raisonnables, et proportionnée au but légitime poursuivi. La Cour l’a clairement indiqué dans l’affaire Stec et autres c. Royaume-Uni[46], précisément face à une discrimination positive alléguée par l’État défendeur pour rétablir l’égalité entre les sexes. Elle a rappelé à cette occasion qu’en dépit de la possibilité, voire de la nécessité de mettre en place de telles politiques de différenciation dans certains cas, « une distinction est discriminatoire au sens de l’article 14 si elle manque de justification objective et raisonnable, c’est-à-dire si elle ne poursuit pas un but légitime ou s’il n’y a pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé »[47]. Plus encore, elle a précisé que « seules des considérations très fortes peuvent amener la Cour à estimer compatible avec la Convention une différence de traitement exclusivement fondée sur le sexe »[48]. La Cour a déjà admis que l’âge est une notion qui est également couverte par l’article 14[49] et qui doit être prise en considération dans la fixation de la peine[50]. Par conséquent, les différences de traitement motivées par un souci de rétablissement de l’égalité réelle entre les citoyens des autorités publiques n’échappent pas au contrôle classique opéré par la Cour. Tout traitement différencié de personnes placées dans des situations analogues doit par conséquent satisfaire aux conditions d’objectivité, de caractère raisonnable, de proportionnalité et de légitimité.

B. L’obligation de « nivellement par le haut » dans le cas d’une « fausse » discrimination positive (§§ 22-24)

22. Dans le cas contraire, le traitement de discrimination positive devient un privilège, inadmissible devant la Convention. Quand les conditions factuelles pour traiter une catégorie de personnes plus favorablement ne sont pas présentes, la discrimination positive n’est plus justifiée et la Convention impose à l’État une obligation positive d’extension du traitement favorable à ceux qui n’en bénéficiaient pas jusque-là. C’est ce que j’ai déjà expliqué dans mon opinion en l’affaire Vallianatos et autres c. Grèce, à l’occasion de laquelle j’ai indiqué que « [s]i les juridictions nationales devaient se limiter à déclarer la disposition discriminatoire contraire à la Constitution ou à la Convention sans être en mesure d’étendre la règlementation favorable spéciale à l’individu qui subit une discrimination, la violation du principe d’égalité subsisterait et la protection judiciaire recherchée serait dépourvue de tout contenu réel »[51]. C’est là la conséquence fondamentale d’un constat de violation du principe d’égalité par la Cour, ainsi qu’en témoigne dès le début sa jurisprudence, par exemple dans l’affaire Marckx c. Belgique. Dans cet arrêt, elle indique en effet, après avoir constaté l’existence d’une discrimination à l’égard des enfants nés hors mariage en matière de succession, qu’elle « n’exclut pas qu’un arrêt constatant une violation de la Convention sur tel d’entre eux puisse rendre souhaitable ou nécessaire une réforme législative »[52]. Dans l’affaire Vallianatos, la Grande Chambre a indiqué en outre que « [l]a notion de discrimination au sens de l’article 14 englobe également les cas dans lesquels un individu ou un groupe se voit, sans justification adéquate, moins bien traité qu’un autre, même si la Convention ne requiert pas le traitement plus favorable »[53].

23. Un constat de violation de l’article 14 à raison de la différence de traitement de groupes similaires sans justification objective et raisonnable ne peut donner lieu qu’à une modalité de redressement : le nivellement « par le haut », c’est-à-dire une extension du traitement le plus favorable à toutes les personnes dans une situation similaire. Le nivellement « par le bas », c’est-à-dire le retrait du traitement préférentiel à ceux qui en bénéficiaient jusque-là n’est pas admissible du point de vue de la Convention. Les acquis en matière de droits de l’homme ne peuvent en effet être balayés d’un revers de la main. Le Préambule de la Convention établit lui-même un objectif de sauvegarde et de « développement » des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il est clair à cet égard que la protection européenne vise la progression de ces droits, et interdit leur amenuisement discrétionnaire en fonction de considérations politiques[54]. En plus, la mise en œuvre d’un jugement de la Cour ne devrait pas abolir, restreindre ou limiter des droits existants dans l’ordre juridique domestique, comme le prévoit l’article 53 de la Convention. Toute autre résultat interprétatif serait manifestement absurde (article 32 b) de la Convention de Vienne sur le droit des traités).

24. À ce propos, le bon exemple est venu de Grèce dans l’affaire Vallianatos, avec la décision du Parlement grec du 23 décembre 2015 de supprimer la différence de traitement injustifiée de sa législation et d’étendre le régime du partenariat enregistré aux partenaires de même sexe, à la suite de l’arrêt de la Cour. Le mauvais exemple est celui du Royaume‑Uni dans l’affaire Abdulaziz, Cabales et Balkandali, dans laquelle l’État britannique a redressé la violation en octroyant des droits de résidence aux conjoints des requérants, mais a ensuite nivelé « par le bas » en supprimant la possibilité de regroupement familial[55]. Pareille modalité de mise en œuvre de l’arrêt de la Cour, tout en respectant la violation expresse de l’égalité de traitement, est en contradiction flagrante avec l’esprit même de l’arrêt.

Seconde Partie (§§ 25-49)

IV. L’incompatibilité de la réclusion à perpétuité avec le droit international (§§ 25-38)

A. Les objectifs pénologiques de la réclusion criminelle (§§ 25-31)

25. Si la reconnaissance de ce que la perpétuité « réelle » équivaut à un traitement inhumain[56] constitue une avancée incontestable, la Cour doit prendre acte de la nécessité de dépasser purement et simplement ce châtiment archaïque. L’affaire Khamtoku et Aksenchik lui offrait cette opportunité, que la majorité a malheureusement refusé de saisir. Pourtant, la prise en considération des objectifs pénologiques de la réclusion criminelle, de la tendance internationale en faveur de l’abolition de ce type de sanction et de l’exigence d’une lecture évolutive et pro persona de la Convention aurait dû conduire à une conclusion différente au regard des faits de l’espèce.

26. Au sein d’une société démocratique, l’infliction d’une peine privative de liberté, compte tenu de la gravité d’un tel traitement, n’est prononcée que dans les cas les plus graves et doit être soumise à un encadrement strict. Elle ne vise plus seulement le châtiment du coupable mais revêt des fonctions sociales plurielles. C’est le choix qu’ont fait les États démocratiques, respectueux des droits de la personne, en dépassant la conception rétrograde d’une justice purement répressive. Les six finalités que peut poursuivre la sanction pénale des auteurs d’infraction sains d’esprit sont les suivantes : 1) la prévention spéciale positive (réinsertion sociale de l’auteur) ; 2) la prévention spéciale négative (neutralisation de l’auteur pour prévenir des infractions futures en le gardant à l’écart de la société) ; 3) la prévention générale positive (renforcement de la règle violée en affermissant l’acceptation et le respect par la société de la règle violée) ; 4) la prévention générale négative (dissuasion des auteurs potentiels de se livrer à des violations futures de la règle) ; 5) le châtiment (expiation de l’auteur pour le fait commis) ; et 6) la réparation de la victime[57].

27. Or, la réclusion criminelle à perpétuité annihile toute perspective de réinsertion sociale. À ce titre, elle exclut purement et simplement l’un des objectifs fondamentaux de la sanction pénale pour ne retenir que le châtiment de l’auteur et la prévention générale. Une telle conception est en contradiction inhérente avec la protection des droits de l’homme. La Cour l’a déjà relevé dans l’arrêt Vinter et autres c. Royaume-Uni. À cette occasion, les juges ont observé que « si le châtiment demeure l’une des finalités de l’incarcération, les politiques pénales en Europe mettent dorénavant l’accent sur l’objectif de réinsertion de la détention »[58]. Sur cette base, la Cour a conclu que la réclusion à perpétuité « réelle » méconnaît les exigences de l’article 3 de la Convention. Le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (« CPT »), dans l’un de ses derniers rapports, a rappelé « qu’incarcérer une personne pour la vie sans aucun véritable espoir de libération constitue, de son point de vue, un traitement inhumain »[59]. Dès lors, le fait de placer une personne en détention jusqu’à la fin de ses jours, aussi atroce qu’ait été son crime, constitue sans aucun doute un traitement inhumain puisqu’il réduit à néant tout espoir de réhabilitation. Pire encore, le message véhiculé par ce type de sanction assimile le détenu à un monstre dangereux, exclu à tout jamais de la société, qui « mérite » de croupir en prison pour le restant de ses jours sans plus de considération. Ce type de raisonnement revient, d’un point de vue moral, à nier l’humanité même de ce ces personnes, puisqu’il opère une distinction entre les détenus qui « valent la peine » d’être réinsérés et ceux considérés comme des « causes perdues ».

28. L’argument selon lequel la réclusion à perpétuité telle qu’elle est appliquée aujourd’hui en Europe offre des possibilités de libération conditionnelle fait en réalité pencher davantage encore la balance du côté de l’abolition. En effet, quel intérêt pourrait-il exister à maintenir une peine qui ne serait pas effectivement appliquée et systématiquement transformée en réclusion criminelle classique pour une durée variable ? Au contraire, la suppression définitive de cette peine permettrait de garantir à tous la certitude que la perspective d’une vie entière de réclusion n’est plus possible et que l’objectif de réinsertion sociale est à la portée de tous les détenus. Plus encore, elle permettrait d’assurer l’effectivité des procédures d’individualisation et de réexamen périodique des peines qui, si elles sont parfois complexes à mettre en place, sont néanmoins indispensables au respect des droits fondamentaux de chacun.

29. Même dans une perspective strictement pragmatique, la détention à perpétuité n’apporte aucune plus-value en termes d’efficacité de la sanction pénale. J’ai déjà souligné qu’aucune corrélation ne peut être démontrée entre l’existence de la peine de réclusion à perpétuité et la baisse du taux de commission des crimes les plus graves. Au contraire, certains États qui ont maintenu cette sanction dans leur arsenal pénal, à l’instar des États-Unis ou de la Russie, connaissent des taux de criminalités importants. En revanche, certains État l’ayant abolie, tels que le Portugal depuis la réforme carcérale de 1884[60], ne connaissent ni de taux de criminalité générale ni de taux de criminalité violente particulièrement élevés[61]. Partant, le dernier argument soutenable en faveur de la réclusion criminelle à perpétuité, qui consisterait à en rechercher les bénéfices en termes de prévention générale, ne peut davantage justifier le maintien de ce type de traitement inhumain à notre époque. Ainsi, la réclusion à perpétuité ne trouve aucune justification au regard des objectifs pénologiques de la réclusion criminelle ni même en termes d’effectivité de la prévention. La Cour se devait de prendre acte de ce constat et d’adopter une lecture adéquate de la Convention en conséquence.

30. En outre, et quand bien même la fixation des peines prononcées relève en principe des autorités nationales, la Cour a fermement établi dans sa jurisprudence que cette discrétion n’est pas illimitée. Elle a affirmé dans l’affaire Nikolova et Velichkova c. Bulgarie que « [c]ertes, il n’incombe pas à la Cour de se prononcer sur le degré de culpabilité de la personne en cause, ou de déterminer la peine à infliger, ces matières relevant de la compétence exclusive des tribunaux répressifs internes. Toutefois, en vertu de l’article 19 de la Convention et conformément au principe voulant que la Convention garantisse des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs, la Cour doit s’assurer que l’État s’acquitte comme il se doit de l’obligation qui lui est faite de protéger les droits des personnes relevant de sa juridiction »[62]. Il appartient donc à la Cour d’exercer un contrôle adéquat en la matière.

31. Des questions aussi fondamentales pour l’intégrité physique et morale de la personne humaine, au cœur du noyau dur de la protection européenne des droits de l’homme, ne peuvent être laissées à la discrétion de chaque État, sous peine de réduire à néant les efforts déployés pour garantir une protection concrète et effective des droits de la personne en Europe. L’octroi d’une marge d’appréciation s’agissant de la durée appropriée des peines d’emprisonnement pour les infractions pénales n’est pas admissible, eu égard à la nature absolue du droit qui est en cause, à savoir la prohibition d’un traitement inhumain par l’État. Il semble ainsi incompréhensible que la majorité ait soutenu au paragraphe 81 de l’arrêt la compatibilité de la peine de réclusion à perpétuité dans le cadre légal russe avec l’article 3 de la Convention, en mettant en toile de fond la marge d’appréciation de l’État russe[63]. Cette condescendance semble en fait particulièrement inappropriée pour la Fédération de la Russie, où la Cour a constaté de manière répétée un problème généralisé de conditions de détention inhumaines et dégradantes.

B. L’exigence d’une lecture évolutive et pro persona des droits garantis par la Convention (§§ 32-38)

32. Outre le fait que la réclusion à perpétuité ne correspond pas aux finalités de la sanction pénale, elle tend à être écartée dans certains systèmes pénaux nationaux, ce qui illustre l’émergence d’une tendance internationale en faveur de l’abolition de ce type de châtiment. En Europe, outre le Portugal, Andorre (articles 35 et 58 du code pénal), la Bosnie-Herzégovine (article 42 du code pénal), la Croatie (articles 44 et 51 du code pénal), le Monténégro (article 33 du code pénal), Saint-Marin (article 81 du code pénal), et la Serbie (article 45 du code pénal) n’appliquent pas la réclusion à perpétuité[64]. Au-delà des frontières européennes, d’autres États procèdent de même, à l’instar de l’Angola (article 66 de la Constitution), du Brésil (article 5, XVVII, de la Constitution), de la Bolivie (article 27 du code pénal), du Cap-Vert (article 32 de la Constitution), de la Chine (article 41 du code pénal de la région autonome de Macao), de la Colombie (article 34 de la Constitution), du Costa Rica (article 51 du code pénal), de la République dominicaine (article 7 du code pénal), du Timor oriental (article 32 de la Constitution), de l’Équateur (article 51 et 53 du code pénal), du Salvador (article 45 du code pénal), du Guatemala (article 44 du code pénal), du Honduras (article 39 du code pénal), du Mexique (article 25 du code pénal fédéral), du Mozambique (article 61 de la Constitution), du Nicaragua (article 52 du code pénal), du Panama (article 52 du code pénal), du Paraguay (article 38 du code pénal), de Sao Tomé‑et‑Principe (article 37 de la Constitution), de l’Uruguay (article 68 du code pénal) et du Venezuela (article 44 (3) de la Constitution). Or, aucun de ces systèmes ne s’est effondré ni n’a connu une recrudescence particulière des actes criminels, démontrant de facto l’existence d’un mouvement abolitionniste et le caractère non nécessaire de ce type de sanction au sein d’une société démocratique. La Cour a d’ailleurs elle-même conscience de cette tendance, puisqu’elle a notamment indiqué dans l’affaire Vinter que « le droit européen et le droit international confortent aujourd’hui clairement le principe voulant que tous les détenus, y compris ceux purgeant des peines perpétuelles, se voient offrir la possibilité de s’amender, et la perspective d’être mis en liberté s’ils y parviennent »[65]. Les juges ont en outre pris soin de noter que « la pratique des États contractants reflète cette volonté à la fois d’œuvrer à la réinsertion des condamnés à perpétuité et de leur offrir une perspective de libération »[66].

33. Or, l’un des principes cardinaux de l’interprétation du texte conventionnel de 1950 est celui d’une interprétation évolutive des droits garantis. Depuis l’arrêt Tyrer c. Royaume-Uni, la Cour réaffirme constamment le leitmotiv selon lequel « la Convention est un instrument vivant », dont l’interprétation doit tenir compte de l’évolution des normes au niveau national et international[67]. Dans cette affaire, l’Avocat général de l’Île de Man arguait que « si l’on tient dûment compte de la situation locale dans l’île », la persistance du recours aux châtiments corporels était justifiée car dissuasive. Toutefois, pour la Cour « la grande majorité des États membres du Conseil de l’Europe paraissent les ignorer et, pour quelques‑uns d’entre eux, ne les ont du reste jamais connus à notre époque ; (...) Cela autorise pour le moins à douter que le maintien de l’ordre dans un pays européen exige la possibilité d’infliger semblable peine ». Elle en a conclu que l’Île de Man devait être considérée comme partageant totalement ce « patrimoine commun d’idéal et de traditions politiques, de respect de la liberté et de prééminence du droit » auquel se réfère le Préambule de la Convention, et que par conséquent des nécessités locales ne peuvent modifier l’application de l’article 3. Partant, l’interprétation évolutive est intimement liée à une lecture consensuelle du texte et à la prise en considération de la pratique de la « grande majorité » des États parties, considérée comme l’indicateur par excellence des « conditions de vie actuelles », dont l’évolution depuis la rédaction de la Convention justifie une telle interprétation.[68]

34. Une telle lecture consensuelle et évolutive est conforme aux règles d’interprétation du droit international. Dans l’affaire des Indemnités russes, la Cour permanente d’arbitrage a rappelé que « l’exécution des engagements est, entre États comme entre particuliers, le plus sûr commentaire du sens de ces engagements »[69]. La pratique ultérieure des parties dans l’exécution d’un traité est par conséquent un outil interprétatif fondamental, susceptible d’éclairer l’interprète quant à la manière dont l’accord doit être appréhendé. Il est dès lors logique qu’il figure parmi les moyens listés à l’article 31 de la Convention de Vienne. Il s’agit là d’une technique interprétative classique du droit international, consacrée par la quasi-totalité des juridictions internationales[70]. La Cour internationale de Justice a de longue date examiné cette pratique ultérieure pour interpréter les dispositions d’un traité[71] et elle a notamment indiqué clairement dans l’affaire opposant le Costa Rica au Nicaragua concernant un différend relatif à des droits de navigation et des droits connexes que « la prise en compte de la pratique ultérieure des parties, au sens de l’article 31-3-b) de la convention de Vienne, peut conduire à s’écarter de l’intention originaire sur la base d’un accord tacite entre les parties »[72]. Dans son acception classique, la pratique ultérieure est donc appréhendée dans une perspective centrée sur l’État, ainsi que l’avait déjà souligné Sir Gerald Fitzmaurice en indiquant qu’une telle pratique n’est selon lui caractérisée que « lorsqu’il est possible et raisonnable de déduire de la conduite des parties qu’elles considéraient leur interprétation de l’instrument en question comme juridiquement correcte et qu’elles se reconnaissaient tacitement comme liées en conséquence par une certaine manière d’agir »[73]. Il n’en demeure pas moins que l’argument tiré de l’existence d’un consensus européen est conforme à cette règle traditionnelle, dont le caractère central au sein du système européen est conforté par la formulation du Préambule rappelée ci-dessus. Dans l’arrêt Loizidou c. Turquie, la Cour réitère son attachement au respect des règles d’interprétation formulées dans la Convention de Vienne de 1969, et plus particulièrement à la « pratique ultérieurement suivie dans l’application du traité par laquelle est établi l’accord des parties à l’égard de l’interprétation du traité »[74]. Elle officialise à cette occasion le lien entre la pratique ultérieure et le consensus observable entre les États parties en estimant que, « quant à la pratique ultérieure des traités, si des déclarations vont à l’encontre de l’interprétation turque des articles 25 et 46, une pratique reflétant un consensus parmi toutes les Parties contractantes en ce qui concerne l’attachement de conditions aux instruments d’acceptation n’aurait pas été établie »[75]. Ce moyen revêt, par essence, une dimension évolutive importante en ce que la pratique des États et des acteurs non étatiques se modifie tout au long de l’exécution du traité, s’adaptant aux évolutions des mœurs et aux nouvelles réalités sociales. C’est donc pour la Cour européenne l’indice par excellence de l’état des conditions de vie actuelles.

35. Mais au-delà d’une conception du consensus strictement centrée sur l’État, la nature même de l’ordre juridique du Conseil de l’Europe permet à la Cour d’élargir considérablement cette notion. Le Conseil incarne en effet dans ce contexte la vision d’une démocratie internationale délibérante, dans laquelle la majorité ou une proportion représentative des États parties à la Convention est considérée comme s’exprimant au nom de tous et ainsi habilitée à imposer sa volonté aux autres parties[76]. Il ne s’agit plus seulement de prendre en considération les manifestations unanimes de la volonté des États parties à la Convention, mais une multitude d’indicateurs émanant d’une pluralité d’acteurs. Il ne s’agit plus d’un mécanisme de type Lotus[77], centré sur l’État, étroitement bilatéral, exclusivement volontariste et top-down, mais d’un mécanisme de création normative de type démocratique, centré sur l’individu, largement multilatéral, résolument consensuel et bottom-up qui implique des États européens et d’autres États non européens ainsi que des acteurs non étatiques. De cette « déformalisation » des sources du droit européen découlent notamment le rôle fondamental de la soft law[78] au sein du système normatif du Conseil de l’Europe, mais également les caractéristiques particulières du contenu du consensus susceptible de guider la Cour dans son interprétation de la Convention.

36. En effet, la Cour est ainsi habilitée à retenir une conception relativement large et flexible du contenu du consensus européen. Elle a pu à certaines occasions se satisfaire de tendances émergentes ou d’un consensus en cours de concrétisation pour amorcer une interprétation évolutive de la Convention. Dans l’affaire Christine Goodwin c. Royaume Uni par exemple, alors même qu’elle relève « l’absence d’une démarche européenne commune »[79] quant à la manière d’appréhender les conséquences juridiques du changement de sexe, elle affirme qu’elle « attache [...] moins d’importance à l’absence d’éléments indiquant un consensus européen relativement à la manière de résoudre les problèmes juridiques et pratiques qu’à l’existence d’éléments clairs et incontestés montrant une tendance internationale continue non seulement vers une acceptation sociale accrue des transsexuels mais aussi vers la reconnaissance juridique de la nouvelle identité sexuelle des transsexuels opérés »[80]. Enfin, la Cour a reconnu avec force le caractère indispensable d’une telle lecture de la Convention. Elle a notamment rappelé à l’occasion de l’affaire Stafford c. Royaume-Uni qu’« [i]l est d’une importance cruciale que la Convention soit interprétée et appliquée d’une manière qui en rende les droits pratiques et effectifs et non théoriques et illusoires. Si la Cour devait faillir à maintenir une approche dynamique et évolutive, pareille attitude risquerait de faire obstacle à toute réforme ou amélioration »[81].

37. Un autre principe interprétatif cardinal, étroitement lié à l’interprétation évolutive et consensuelle, et dont l’application aurait dû être envisagée par la Grande Chambre, est celui d’une lecture pro persona des droits garantis. Le Statut du Conseil de l’Europe établit en effet parmi ses objectifs la réalisation d’« une union plus étroite entre ses Membres afin de sauvegarder et de promouvoir les idéaux et les principes qui sont leur patrimoine commun et de favoriser leur progrès économique et social ». Pour ce faire sont mis en avant « la conclusion d’accords et (...) l’adoption d’une action commune » dans tous les aspects pertinents de la vie sociale (économiques, sociaux, culturels, scientifiques, juridiques, administratifs) et « la sauvegarde et le développement des droits de l’homme et des libertés fondamentales ». En proclamant de la sorte la primauté des droits de l’homme parmi les objectifs du Conseil de l’Europe, le Statut ouvre la voie au principe pro persona, plaçant l’individu au centre des préoccupations. Une telle conception des textes européens conduit à privilégier l’interprétation la plus favorable à l’individu et à ses droits, conformément au principe de l’effet utile des droits protégés[82].

38. Or, en se focalisant uniquement sur les aspects rétributif et dissuasif de la sanction pénale et en omettant l’individualisation et la progressivité de la peine, la Cour s’oriente dans la présente affaire vers une appréhension strictement pro auctoritas de la réclusion criminelle. En définitive, la Grande Chambre aurait dû poursuivre l’évolution amorcée dans l’affaire Vinter, dans laquelle elle a admis l’incompatibilité à l’article 3 de la Convention de la perpétuité « réelle », et étendre son raisonnement au principe même de la réclusion à vie. Une telle interprétation de l’article 3, en conformité avec la tendance internationale en faveur de l’abolition de ce type de peine, aurait été dans le droit fil de principes d’interprétation évolutive et pro persona de la Convention. L’exemple de l’abolition de la peine de mort, entérinée tant par l’adoption des Protocole 6 et 13 que par la jurisprudence[83], illustre bien que des châtiments autrefois considérés comme normaux peuvent, avec le temps et la progression des sociétés européennes, devenir intolérables.

V. L’application des normes conventionnelles à l’espèce (§§ 39-49)

A. L’incohérence du traitement moins favorable du groupe majoritaire des hommes âgés de 18 à 65 ans (§§ 39-46)

39. En refusant de considérer que les requérants ont subi une discrimination du fait de leur condamnation à des peines de prison à perpétuité, la majorité a retenu une analyse erronée des faits de l’espèce. En effet, il ne s’agissait pas ici d’évaluer la légitimité de la protection des femmes, des mineurs et des personnes âgées, mais de contrôler la compatibilité à la Convention du traitement infligé aux hommes âgés de 18 à 65 ans.

40. La justification avancée par le Gouvernement au soutien de la différence de traitement entre hommes et femmes quant à la réclusion à perpétuité reposait, selon ses propres termes, sur « leur rôle spécial dans la société lié, avant tout, à leur fonction reproductive »[84]. Or, un tel argument, retenu par la majorité comme « un intérêt général justifiant l’exclusion des femmes »[85], relève précisément de stéréotypes sociaux fondés sur le sexe et d’une attitude paternaliste déjà condamnée dans l’affaire Konstantin Markin. Pour autant, alors même que la justification avancée par l’État défendeur était la même, la Cour fait volte-face dans la présente affaire et accepte cette fois, sans plus d’explication, cet argument. En somme, l’inégalité factuelle que les « mesures positives » entreprises par le Gouvernement visent prétendument à corriger n’est que le reflet d’une vision réductrice et archaïque de la femme dans la société russe.

41. Ainsi, la référence du Gouvernement à la promotion des « inégalités positives »[86] est hors de propos et incompatible avec l’acception donnée à la notion de discrimination positive en droit international, car la mesure pénale adoptée dans la disposition litigieuse du code pénal russe au bénéfice des femmes n’est pas une mesure temporaire ayant pour objectif de créer une égalité de chances ou de traitement, mais est fondée sur le préjugé social sexiste du législateur[87]. En d’autres termes, le texte contraignant de l’article 4 de la CEDAW ne s’applique pas à l’espèce. Par ailleurs, l’argument du Gouvernement n’est aucunement étayé par les divers instruments de soft law cités. Ces instruments visent les conditions de détention et la protection du rôle des femmes en matière de reproduction et de soins aux enfants et doivent être distingués des mesures de portée plus large, comme celle énoncée dans le droit pénal russe, qui visent la protection des femmes en général à raison de leur sexe. Il faut en outre garder à l’esprit que l’alternative à la réclusion à perpétuité en vertu du code pénal russe est une peine d’emprisonnement de vingt-cinq ans. S’il est condamné à vingt-cinq ans d’emprisonnement, le détenu peut prétendre à une libération conditionnelle seulement après seize ans. L’exclusion fondée sur le sexe de la réclusion à perpétuité prévu par l’article 57 du code pénal russe ne permet pas en soi de réaliser le but déclaré de protection des femmes enceintes et des mères de jeunes enfants, puisqu’au moment où elles pourront prétendre à la libération conditionnelle leurs enfants en seront déjà à la fin de l’adolescence. Sans prétendre que la maternité ne doit pas bénéficier d’une protection spécifique au sein des sociétés modernes, le message stéréotypé véhiculé ici est celui de la faiblesse féminine par comparaison à l’endurance masculine et ne saurait, dès lors, constituer un motif légitime de nature à justifier une différence de traitement.

42. La Cour réitère pourtant les principes qu’elle applique habituellement en matière de différences de traitement fondées sur le sexe. Elle rappelle clairement qu’elles « doivent être justifiées par des raisons particulièrement sérieuses, et que des références aux traditions, présupposés d’ordre général ou attitudes sociales majoritaires ayant cours dans un pays donné ne peuvent en soi passer pour constituer une justification suffisante de la différence de traitement en cause, pas plus que ne le peuvent des stéréotypes du même ordre fondés sur la race, l’origine, la couleur ou l’orientation sexuelle »[88]. Par conséquent, la conclusion exposée au paragraphe 82 de l’arrêt, selon laquelle le faible nombre de détenues féminines et la nécessité de protéger les femmes enceintes et les mères constituent une justification suffisante de l’exclusion de ce groupe de la réclusion à perpétuité est en contradiction flagrante avec les principes énoncés.

43. Il en va de même pour la différence de traitement vis-à-vis des personnes âgées. Aucune justification à un traitement plus favorable de ce groupe n’existe en droit international quant à la fixation des peines, ainsi que je l’ai relevé ci-dessus. L’arrêt lui-même ne fournit aucune base juridique à cette distinction. Le Gouvernement se borne à considérer que le prononcé de la détention à perpétuité pour des personnes de plus de 65 ans rendrait illusoire les perspectives de libération anticipée[89]. C’est l’argument que reprend la majorité dans le présent arrêt[90], sans que l’on puisse déceler les motifs de la détermination de l’âge à partir duquel la réclusion à perpétuité devient intolérable pour des raisons d’humanité et de justice. Au contraire, l’espérance de vie moyenne d’un homme à la naissance en Russie étant de 64,7 ans[91] et eu égard aux conditions déplorables prévalant dans les établissements pénitentiaires en Russie[92], qui doivent encore réduire l’espérance de vie des détenus, il est critiquable de fixer arbitrairement la limitation de ce type de peine à 65 ans vis-à-vis des autres détenus, car une condamnation à perpétuité à l’âge de 50 ans ou de 65 ans a un effet pratiquement identique de rendre illusoire la possibilité de libération anticipée. En plus, il est difficile d’établir une distinction entre une personne condamnée à la réclusion à l’âge de 50 ans qui ne pourrait pas prétendre à la libération conditionnelle avant 75 ans et une autre personne qui serait condamnée à une peine d’emprisonnement de 15 ans à l’âge de 64 ans, avec la possibilité de demander une libération conditionnelle après 10 ans. Les deux détenus ne pourraient prétendre à une libération conditionnelle que s’ils vivent plus longtemps que l’homme russe moyen. Partant, la justification du traitement différencié ne saurait passer pour objective, raisonnable et légitime.

44. En outre, de mon point de vue, les données statistiques avancées par le Gouvernement pour illustrer cet état de fait s’avèrent incomplètes et insuffisantes pour démontrer le bien-fondé de la différence de traitement entre les hommes et les femmes, renforçant encore le sentiment d’incohérence qui se dégage de ce jugement. En effet, la Cour a invité le Gouvernement à produire les données statistiques suivants : le nombre de détenus de sexe masculin et de sexe féminin qui purgent actuellement leurs peines en Russie et le nombre de détenus de sexe masculin condamnés à la réclusion à perpétuité et le nombre de condamnations visant des femmes, des mineurs ou des personnes âgées pour lesquelles l’article 57 § 2 du code pénal a été appliqué. Or, le Gouvernement n’a pas produit les données demandées ni expliqué les raisons pour lesquelles il ne l’a pas fait. Au lieu de cela, il a soumis une ventilation des condamnations définitives en matière pénale en 2014 et pendant les six premiers mois de 2015 par sexe, âge et catégories d’infractions. D’un autre côté, il n’a présenté aucune étude scientifique qui aurait démontré sa thèse selon laquelle il faudrait reconnaître une responsabilité atténuée à l’ensemble des personnes de plus de 65 ans[93]. Par ailleurs, aucune justification scientifique n’a été apportée pour la limite d´âge de 65 ans, ni aucune corrélation établie par rapport à l’âge de retraite en Russie, fixé pour les hommes à 60 ans. Bien évidemment, l’omission de toute preuve statistique sape la crédibilité des généralisations liées au sexe et à l’âge faites par le gouvernement.

45. En revanche, les instruments internationaux de soft law listés ci‑dessus témoignent de l’existence d’une tendance internationale en faveur de l’abolition de la réclusion à perpétuité pour les mineurs. J’ai déjà eu l’occasion d’expliciter, dans mon opinion jointe à l’affaire Muršić c. Croatie, la valeur juridique que revêt la soft law en droit international et a fortiori dans le système européen. J’ai notamment souligné qu’« il n’existe pas de distinction étanche, binaire, entre hard law et non-droit, puisque le droit européen des droits de l’homme évolue à travers une riche panoplie de sources qui ne présentent pas nécessairement les traits classiques et formels du droit international contraignant ». Force est de constater que les Résolutions et Observations générales citées ci-dessus, exhortant les États à abandonner l’infliction de ce châtiment aux enfants et adolescents de moins de 18 ans, combinées à la norme explicitement formulée au sein de la Convention relative aux droits de l’enfant, doivent être considérées comme ayant valeur normative. Partant, la différence de traitement en faveur des mineurs repose sur une base juridique d’où elle tire sa justification. Néanmoins, cela ne clôture pas la discussion, comme on le verra ci-dessous.

46. Enfin, l’argument selon lequel la remise en cause de la différence de traitement aboutirait à un nivellement « par le bas » de la protection des droits fondamentaux est purement et simplement inopérant. C’est ce que sous-entend le Gouvernement en indiquant que les requérants « aspirent à un changement du droit pénal russe qui permettrait d’infliger des peines plus sévères à d’autres personnes, notamment aux femmes, aux délinquants juvéniles ou aux personnes âgées de 65 ans ou plus, sans que leur situation personnelle en soit pour autant modifiée »[94]. Derrière cet argument, c’est la peur d’un affaiblissement de la protection des groupes vulnérables qui se profile. Pour autant, la mise en cause de l’article 57 §2 du code pénal russe ne pourrait aboutir à un tel résultat, au vu de l’obligation conventionnelle de redresser la violation de l’égalité « par le haut ». C’est là une ligne directrice fondamentale qui sous-tend notamment les principes d’interprétation évolutive et pro persona de la Convention évoqués ci-dessus. En définitive, ce type d’argument ne vise qu’à masquer le véritable problème dans la présente affaire, qui ne tient pas au refus de condamner les femmes, les mineurs et les personnes âgées à la réclusion à perpétuité, mais bel et bien au fait d’accepter de condamner les hommes âgés de 18 à 65 ans à un tel châtiment. Le constat de la violation de l’article 14 combiné avec l’article 5 en l’espèce n’aurait pas pu conduire à la suppression du régime protecteur à l’égard des groupes protégés, mais aurait dû aboutir à faire bénéficier les hommes âgés de 18 à 65 ans de la même protection.

B. L’incompatibilité du maintien de la réclusion à perpétuité par le code pénal russe avec la Convention (§§ 47-49)

47. La seconde source de mon désaccord avec la majorité dans la présente affaire tient à l’acceptation du principe même de la réclusion à perpétuité à l’égard des hommes âgés de 18 à 65 ans. Le Gouvernement lui‑même, pour justifier l’exclusion des femmes, des jeunes gens et des personnes âgées de ce type de sanction invoque les « principes de justice et d’humanisme »[95]. C’est dire alors que les autorités nationales avaient déjà conscience de l’inhumanité de ce traitement. Partant, le maintenir à l’égard du groupe majoritaire (ici, les délinquants de sexe masculin âgés de 18 à 65 ans) revient à considérer qu’il est possible d’infliger un traitement en contradiction avec les principes de justice et d’humanisme à la part la plus importante de la population considérée. En définitive, qu’il s’agisse d’un groupe majoritaire ou minoritaire importe peu. Il n’est pas possible, dans le respect du système européen de protection des droits de l’homme et du droit international, de préserver une partie des citoyens d’un mauvais traitement tout en continuant à l’infliger à d’autres. Les considérations d’humanisme ne sauraient bénéficier qu’aux groupes particulièrement vulnérables. La dignité est une qualité inhérente à la personne humaine qui ne dépend ni de l’âge, ni du crime commis, et encore moins du sexe, au sein des sociétés démocratiques.

48. De même, il ne peut pas être soutenu, comme le fait le Gouvernement, que les conditions « très dures » de la réclusion à perpétuité « compromettraient l’objectif pénologique de l’amendement » des femmes, des mineurs et des hommes âgés de 65 au plus[96]. Cette ligne d’argumentation correspond à l’admission implicite du fait que la réclusion à perpétuité des hommes de 18 à 65 ans ne vise pas réellement l’objectif d’amendement des détenus, mais plutôt leur punition aveugle et leur exclusion sociale définitive, dans le droit fil d’une politique pénale strictement répressive. L’argument du Gouvernement est particulièrement malencontreux parce qu’il ne prend pas en compte le fait que ce sont les autorités internes qui ont en définitive la responsabilité de mettre en place un environnement décent et humain dans les établissements de détention et cette obligation s’étend à l’ensemble des détenus, sans distinction fondée sur l’âge, le sexe ou d’autres caractéristiques personnelles[97]. Même si les hommes sont beaucoup plus nombreux que les femmes à commettre des infractions, le Gouvernement ne peut pas utiliser cet élément pour justifier une politique pénale inhumaine envers les délinquants de sexe masculin âgés de 18 à 65 ans. Sinon, les hommes de 18 á 65 ans condamnés à la réclusion à perpétuité seraient les boucs émissaires des délinquants de sexe masculin, supportant une peine particulièrement inhumaine pour purger une prétendue faute collective de cette dernière catégorie. Il serait inapproprié que la Cour déclare que les femmes détenues devraient être protégées de traitements inhumains et dégradants, mais pas leurs homologues masculins. Malheureusement, la majorité ne prend pas ses distances par rapport à cette politique pénale et lui donne sa caution.

49. En outre, le seul argument juridique avancé par la majorité pour refuser de poursuivre l’évolution amorcée dans l’affaire Vinter tient à la prétendue absence de « dénominateur commun aux systèmes juridiques internes des États contractants en la matière »[98]. Or, j’ai précisément rappelé ci-dessus que la tendance internationale évolue vers l’abolition de ce type de traitement et que, de plus, la Cour n’est pas contrainte d’attendre que l’évolution en cause soit arrivée à maturité pour en prendre acte : au contraire, elle peut, et elle doit, l’accompagner et l’encourager à la lumière d’une interprétation évolutive et pro persona de la Convention. Une posture attentiste ne correspondrait pas au rôle et à la vocation de la Cour.

VI. Conclusion (§ 50)

50. Les politiques pénales européennes et internationales ont atteint un degré de maturité suffisant pour franchir aujourd’hui une étape décisive et renoncer à l’infliction de la réclusion criminelle à perpétuité. Les arguments des requérants en l’espèce auraient dû être entendus, dans la mesure où la législation russe est à l’origine d’une discrimination qui met en exergue la nécessité d’abolir purement et simplement ce châtiment et, au-delà de cette affaire, d’accompagner une évolution plus générale du droit européen des droits de l’homme, en conformité avec l’évolution des sociétés démocratiques et avec l’objectif de développement des droits de la personne. À l’instar de la peine de mort, les États européens peuvent et doivent aujourd’hui se passer de cette sanction archaïque et inhumaine, et opter pour des solutions orientées vers la réinsertion sociale des détenus. Le rôle de la Cour est d’accompagner et encourager ce changement, à la lumière d’une interprétation évolutive et pro persona de la Convention. Si la position subsidiaire de la Cour lui impose de respecter les politiques pénales spécifiques de chaque système national, des questions aussi fondamentales ne tolèrent pas qu’elle reste en retrait. Il en va de sa crédibilité et de son autorité, mais surtout de l’effectivité des droits garantis par la Convention.

* * *

[1]. Le document auquel le Gouvernement se réfère ici est un projet de résolution soumis à la troisième Commission de l’Assemblée générale des Nations unies, qui fut amendé par la suite (voir le document A/C.3/67/L. 34 Rev. 1) et finalement adopté par l’Assemblée générale plénière sous la forme reproduite au paragraphe 26 ci-dessus.

[2]. Dans le raisonnement qu’elle suit en l’espèce (voir le paragraphe 56), la Cour s’appuie sur l’arrêt Gerger c. Turquie ([GC], no 24919/94, § 69, 8 juillet 1999). Dans cette affaire qui concernait la possibilité pour un détenu condamné à la réclusion à perpétuité de bénéficier d’une libération conditionnelle, la Cour a dit que « si l’article 5 § 1 a) de la Convention ne garantit pas le droit à la liberté conditionnelle, une question peut se poser sur le terrain de cette disposition combinée avec l’article 14 de la Convention lorsqu’une politique bien arrêtée en matière de fixation des peines est de nature à affecter des situations individuelles de manière discriminatoire » (voir aussi, dans le même sens, Clift, précité, § 42). Ce n’est pas parce qu’« une question peut se poser » qu’elle se pose effectivement.

[3]. Par exemple, une étude diachronique concernant la Suède a révélé que les victimes d’homicides commis par des femmes étaient souvent des hommes, tués par leur partenaire à l’aide d’un instrument tranchant alors qu’ils étaient en état d’ébriété. Les antécédents de violence entre la victime et son agresseur (qui constituent une circonstance atténuante) étaient aussi plus fréquents dans le cas des femmes criminelles. Karin Trägårdh, Thomas Nilsson, Sven Granath & Joakim Sturup, « A Time Trend Study of Swedish Male and Female Homicide Offenders from 1990 to 2010 », 15 International Journal of Forensic Mental Health 2016 pp. 125-135. Cela correspond à un schéma observé depuis longtemps en Europe. Voir Rosemary Gartner et Bill McCarthy, The Oxford Handbook of Gender, Sex, and Crime, OUP (2014) 145.

[4]. Kathryn Ann Farr, « Classification for Female Inmates: Moving Forward », 46 Crime & Delinquency 2000, pp. 3-17.

[5]. Opitz-Welke, Annette et al., « Prison suicide in female detainees in Germany 2000-2013 », 44 Journal of Forensic and Legal Medicine, 2016, pp. 68-71.

[6]. Catharine MacKinnon, “Women’s Lives, Men’s Laws” 89 (2005) (“[Y]ou can’t change a reality you can’t name”).

[7]. Voir Ronald Dworkin, “Hard Cases”, 88 Harvard L. Rev. 1057 (1975).

[8]. Après plusieurs études sociologiques classiques menées dans les années 1970 et 1980, la littérature s’est désintéressée des détenus condamnés à la réclusion à perpétuité.

[9]. Voir la récente étude sur le genre et la souffrance liée à l’emprisonnement de longue durée réalisée par le centre de recherche pénitentiaire de l’Université de Cambridge, à l’adresse suivante : [https://prisonwatchuk.com/2016/01/19/gender-and-the-pains-of-long-life-imprisonment/](https://prisonwatchuk.com/2016/01/19/gender-and-the-pains-of-long-life-imprisonment/). Les auteurs de l’étude ont interrogé 126 hommes et 19 femmes purgeant au Royaume-Uni des peines d’emprisonnement à perpétuité, dont 15 ans ou plus au titre de la peine minimale, qui leur avaient été infligées lorsqu’ils avaient 25 ans ou moins. L’article décrivant les résultats de l’étude est toujours en cours d’élaboration : Crewe, B., Hulley, S. et Wright, S. (2016, en cours), « The gendered problems of long-term life imprisonment ».

[10]. Les auteurs de l’étude eux-mêmes notaient que la tendance des hommes à décrire leurs problèmes comme moins graves était peut-être liée à la culture de la virilité dans les prisons, et ils se doutaient que les hommes minimisaient dans leurs réponses la « souffrance » qu’ils ressentaient (ibidem).

[11]. Des récits de comportement sexuellement menaçant et inapproprié de la part de gardiens hommes dans les prisons pour femmes alimentaient aussi les sentiments relatifs à ces questions ; il était très rare en revanche que les récits faits par les hommes de leur détention fassent état de tels comportements (ibidem).

[12]. Les auteures Pallot et Piacentini (voir Judith Pallot et Laura Piacentini, « Gender, Geography and Punishment – The Experience of Women in Carceral Russia », Oxford University Press, 2012) défendent de manière convaincante la thèse que l’utilisation de l’éloignement géographique dans le système pénitentiaire russe (les détenus russes des deux sexes sont envoyés purger leur peine loin de leur domicile, de leur famille et de tout soutien social) est une forme de sanction, et que cela est particulièrement vrai pour les femmes détenues. Selon elles, l’intégralité du processus d’incarcération fait partie de la peine.

[13]. Voir Pat Carlen, « Introduction: Women and Punishment », in « Women and Punishment – the struggle for justice », pp. 3-20, à la p. 5 (éd. Pat Carlen, 2002).

[14]. Lady Corston a rédigé un rapport dans lequel, si elle n’excluait pas la nécessité de mettre en place un cadre d’imposition de la peine distinct pour les femmes à l’avenir, à la lumière de l’obligation légale de prendre des mesures concrètes pour éliminer les discriminations fondées sur le sexe et promouvoir l’égalité en vertu de la loi sur l’égalité (Equality Act), elle considérait que bien que cela pût s’imposer ultérieurement, il n’y avait pas lieu au moment où elle écrivait son rapport d’émettre une recommandation en ce sens pour le Royaume-Uni (voir « The Corston Report – A report by Baroness Jean Corston of a review of women with particular vulnerabilities in the criminal justice system », § 4.11, ministère britannique de l’Intérieur, 2007, à l’adresse suivante : [http://www.justice.gov.uk/publications/‌docs/‌corston-report-march-2007.pdf](http://www.justice.gov.uk/publications/‌docs/‌corston-report-march-2007.pdf) – page consultée le 28 novembre 2016).

[15]. Il ne s’agit pas de dire que les conditions de détention des détenus hommes condamnés à une peine de réclusion à perpétuité en Russie sont acceptables du point de vue de la Convention (ces conditions ont été vivement critiquées dans l’arrêt Khoroshenko (Khoroshenko c. Russie [GC], no [41418/04](http://hudoc.echr.coe.int/eng#%7B%22appno%22:%5B%2241418/04%22%5D%7D)) ainsi que dans l’opinion concordante que le juge Pinto de Albuquerque et moi-même avons exprimée sur cet arrêt), ni qu’il n’est pas souhaitable d’abolir les peines de réclusion à perpétuité pour les hommes également. Au contraire, je considère l’abolition des peines perpétuelles comme un optimum de Pareto dans une société démocratique guidée par le principe d’humanité.

[16]. Sur les dilemmes relatifs au nivellement par le haut ou par le bas dans le droit de l’égalité, voir Thomas Christiano, « The Constitution of Equality: Democratic Authority and its Limits (2008) », et Deborah L. Brake, « When Equality Leaves Everyone Worse Off: The Problem of Levelling Down in Equality Law », 46 William & Mary L. Rev. 513 (2004).

[17]. Selon l’interprétation de la Cour, l’article 53 de la Convention laisse aux États parties la possibilité d’offrir aux personnes relevant de leur juridiction une protection plus étendue que celle requise par la Convention (voir, par exemple, Suso Musa c. Malte, no 42337/12, § 97, 23 juillet 2013, et Okyay et autres c. Turquie, no 36220/97, § 68, CEDH 2005 VII). Ainsi, la Convention doit renforcer la protection qui est offerte au niveau national, sans jamais lui imposer de limites (Parti communiste unifié de Turquie et autres c. Turquie, 30 janvier 1998, § 28, Recueil des arrêts et décisions 1998-I, Chamaïev et autres c. Géorgie et Russie, no 36378/02, § 500, CEDH 2005 III, et Micallef c. Malte, no 17056/06, § 44, 15 janvier 2008). La Cour a souligné à plusieurs reprises que lorsqu’un État membre prend des mesures de protection des individus qui relèvent de l’un des droits protégés par la Convention, mais vont au-delà de ce que celle-ci exige, il ne peut appliquer ces mesures de manière discriminatoire (voir, mutatis mutandis, l’affaire « relative à certains aspects du régime linguistique de l’enseignement en Belgique » c. Belgique (fond, 23 juillet 1968, § 9, série A no 6).

[18]. Gauthier de Beco, « Life sentence and human dignity », 9 International Journal of Human Rights 411, 418 (2005).

[19]. L’organisation Penal Reform International et l’Association pour la prévention de la torture affirment que « les femmes sont confrontées à des vulnérabilités et des risques accrus et, même si les causes sous-jacentes de ces vulnérabilités et de ces risques sont souvent extérieures à l’environnement matériel de la détention, ceux-ci n’en sont pas moins sensiblement intensifiés dans les lieux de privation de liberté » (Penal Reform International et Association for Prevention of Torture (2013), Women in Detention: a guide to gender‑sensitive monitoring [http://tinyurl.com/PenalReform-wid-2013](http://tinyurl.com/PenalReform-wid-2013)).

[20]. Konstantin Markin c. Russie [GC], no 30078/06, § 127, CEDH 2012 (extraits).

[21]. Voir mon opinion concordante dans l’affaire Valiulienė c. Lituanie (no 33234/07, 26 mars 2013.

[22]. Voir, notamment, Burghartz c. Suisse, 22 février 1994, § 27, série A no 280‑B, Schuler‑Zgraggen c. Suisse, 24 juin 1993, § 67, série A no 263.

[23]. Ünal Tekeli c. Turquie, no 29865/96, § 63 CEDH 2004‑X (extraits).

[24]. Konstantin Markin, précité, § 127.

[25]. Ibidem, § 141.

[26]. Ibidem, § 142.

[27]. Voir, à ce propos, mon opinion en partie dissidente, rédigée conjointement avec les juges Popović et Karakaş, dans l’affaire Ertuş c. Turquie (no 37871/08, 5 novembre 2013).

[28]. Résolution de l’AGNU du 24 décembre 2008, A/RES/63/241.

[29]. Résolution de l’AGNU du 9 novembre 2012, A/C.3/67/L.34.

[30]. Comité des droits de l’enfant, Les droits de l’enfant dans le système de justice pour mineurs, Observation Générale n° 10, 25 avril 2007, CRC/C/GC/10.

[31]. Voir le rapport du Secrétaire Général des Nations Unies à l’AGNU relatif aux suites à donner à la deuxième assemblée mondiale sur le vieillissement, 22 juillet 2011, A/66/173.

[32]. Adoptée à Genève le 23 juin 1990.

[33]. Adoptée à Genève le 29 juin 1967.

[34]. 8 décembre 1995, E/1996/22.

[35]. 2 juillet 2009, E/C.12/GC/20.

[36]. 16 décembre 2010, CEDAW/C/GC/27.

[37]. À ce propos, voir l’édifiant rapport de Human Rights Watch, « Old behind bars : the ageing prison population in the United States », 2012, et l’étude de Tourat et Désesquelles, La prison face au vieillissement, 2016 (http://www.gip-recherche-justice.fr/).

[38]. Marckx c. Belgique, 13 juin 1979, § 32, série A no 31.

[39]. Ibidem.

[40]. Voir mon opinion (§ 9) dans l’affaire Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu c. Roumanie ([GC], no 47848/08, CEDH 2014).

[41]. Affaire « relative à certains aspects du régime linguistique de l’enseignement en Belgique » (fond), 23 juillet 1968, § 10, série A no 6.

[42]. Recommandation générale n° 25 concernant le paragraphe 4 de la CEDAW à l’égard des femmes relatif aux mesures temporaires spéciales, Nations Unies doc. A/59/38 (1ère partie), annexe 1) ; et Observation générale 18, article 26 : Principe de l’égalité, U. N. Doc. HRI/GEN/1/Rev.1 (1994), § 10 ; The Equal Rights Trust Declaration of Principles on Equality, 2008, Principle 3.

[43]. Hans KELSEN, « Justice et droit naturel », Le droit naturel - Annales de philosophie politique, vol. III, 1959, p. 50.

[44]. Le troisième considérant du Protocole n°12 se lit comme suit : « Réaffirmant que le principe de non-discrimination n'empêche pas les États parties de prendre des mesures afin de promouvoir une égalité pleine et effective, à la condition qu'elles répondent à une justification objective et raisonnable »

[45]. Andrle c. République Tchèque, (no 6268/08, § 48, 17 février 2011.

[46]. Stec et autres c. Royaume-Uni [GC], nos 65731/01 et 65900/01, CEDH 2006‑VI.

[47]. Stec et autres c. Royaume-Uni ([GC], nos 65731/01 et 65900/01, § 51, CEDH 2006‑VI).

[48]. Ibidem, § 52.

[49]. Schwizgebel c. Suisse, n° 25762/07, § 85, CEDH 2010 (extraits), et Solis c. Pérou, Comité des droits de l’homme, communication n° 1016/2001, U.N. Doc. CCPR/C/86/D/1016/2011, § 6.3.

[50]. Farbtuhs c. Lettonie (no 4672/02, 2 décembre 2004).

[51]. Vallianatos et autres c. Grèce [GC], nos 29381/09 et 32684/09, CEDH 2013 (extraits) Dans mon opinion en l’affaire Konstantin Markin, j’avais déjà écrit : « Un nivellement par le bas de la situation parentale des militaires de sexe féminin, qui alignerait leur situation sur celle que connaissent actuellement leurs homologues masculins, non seulement diminuerait de façon abusive le degré de protection sociale conféré aux femmes qui servent dans l’armée mais mettrait également, de manière injustifiée, le personnel militaire dans une situation juridique moins favorable que les civils. »

[52]. Marckx c. Belgique, 13 juin 1979, § 42, série A no 31.

[53]. Vallianatos et autres, précité, § 76.

[54]. Voir sur la protection du contenu obligatoire minimum et la justiciabilité des droits fondamentaux, incluant les droits sociaux, mon opinion jointe à l’affaire Konstantin Markin (précitée).

[55]. Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni, 28 mai 1985, § 78, série A, no 94.

[56]. Vinter et autres c. Royaume-Uni [GC], nos 66069/09, 130/10 et 3896/10, CEDH 2013 (extraits).

[57]. Je les ai déjà identifiées à l’occasion des affaires Öcalan c. Turquie (no 2) (nos 24069/03, 197/04, 6201/06 et 10464/07, 18 mars 2014) et Khoroshenko c. Russie ([GC], no 41418/04, CEDH 2015).

[58]. Vinter et autres, précité, §115.

[59]. CPT, 25e rapport général CPT, avril 2016, CPT/Inf (2015) 10 part, §73.

[60]. Voir Ines Pinto, Punishment in Portuguese Criminal Law : A Penal System without Life Imprisonment, in van Zyl Smit and Appleton (eds), Life Imprisonment and Human Rights, Oxford, 2016, p. 291.

[61]. Voir les données statistiques du Conseil de l’Europe, Statistiques pénales annuelles, Space I – populations carcérales, doc. PC-CP (2015)7, 23 décembre 2015.

[62]. Nikolova et Velichkova c. Bulgarie, n° 7888/03, § 61, 20 décembre 2007.

[63]. L’article 3 est cité aussi au paragraphe 71 et l’« ample » marge d’appréciation aux paragraphes 85 et 87 de l’arrêt.

[64]. Le paragraphe 19 de l’arrêt inclut l’Espagne et la Norvège parmi ces pays, en oubliant que dans ces deux États il est possible de prolonger indéfiniment la peine appliquée à des personnes reconnues coupables.

[65]. Vinter et autres, précité, §114.

[66]. Ibidem, § 117.

[67]. Tyrer c. Royaume-Uni, n°5856/72, § 31, 25 avril 1978.

[68]. Voir mon opinion dans l’affaire Muršić c. Croatie ([GC], no 7334/13, 20 octobre 2016).

[69]. Affaire de l’indemnité russe (Russie c. Turquie), sentence arbitrale du 11 novembre 1912, R.S.A., vol. XI, p. 433.

[70]. Voir, par exemple, Cour de justice des Communautés européennes, The Queen c Minister of Agriculture, Fisheries and Food, ex parte S. P. Anastasiou (Pissouri) Ltd and others, Aff. C-432/92, 5 juillet 1994, Rec. 1994 I‑03087, § 42 ; Organe d’Appel de l’ORD de l’OMC, Japon – Taxe sur les boissons alcooliques, WT/DS8/AB/R, WT/DS10/AB/R, WT/DS11/AB/R, Rapport du 4 octobre 1996, Section E ; CIDH, Claude-Reyes et al. c. Chili, arrêt du 19 septembre 2006 (Fond, Réparations et Dépens), Série C n°151, §78 ; CDH, Observation Générale n°22 (article 18), 27 septembre 1993, CCPD/C/21/Rev.1/Add.4, §11.

[71]. Voir, par exemple, CIJ, Île de Kasikili/Sedudu (Botwana/Namibie), arrêt du 13 décembre 1999, Rec. 1999, § 50 ; CIJ, Différend territorial (Jamahiriya arabe libyenne/Tchad), arrêt du 3 février 1994, Rec. 1994, §§66-71 ; CIJ, Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-Unis d'Amérique), compétence et recevabilité, arrêt du 26 novembre 1984, Rec. 1984,§§36-47 ; Certaines dépenses des Nations Unies (article 17, paragraphe 2, de la Charte), (article 17, paragraphe 2, de la Charte), avis consultatif du 20 juillet 1962, Rec. 1962, pp. 160-161.

[72]. CIJ., Différend relatif à des droits de navigation et des droits connexes (Costa Rica c. Nicaragua), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, §64.

[73]. Opinion séparée du Juge Gerald Fitzmaurice, CIJ, Certaines dépenses des Nations Unies (article 17, paragraphe 2, de la Charte), (article 17, paragraphe 2, de la Charte), avis consultatif du 20 juillet 1962, Rec. 1962, p. 201.

[74]. Loizidou c. Turquie (exceptions préliminaires), n° 15318/89, § 73, 23 mars 1995.

[75]. Ibidem, § 67.

[76]. Voir, spécialement, les paragraphes 20 à 22 de mon opinion dans l’affaire Muršić (précitée).

[77]. 1927 P.C.I.J, série A no 10, p. 18: « Les règles de droit liant les États procèdent donc de la volonté de ceux-ci ».

[78]. Voir à ce sujet mon opinion dans l’affaire Muršić (précitée).

[79]. Christine Goodwin c. Royaume Uni [GC], n° 28957/95, § 85, 11 juillet 2002.

[80]. Ibidem.

[81]. Stafford c. Royaume-Uni [GC], no 46295/99, § 68, CEDH 2002 ; voir également Scoppola c. Italie (no 2) [GC], no 10249/03, § 104, 17 septembre 2009.

[82]. Voir mon opinion dans l’affaire Muršić (précitée), § 21.

[83]. Voir, par exemple, CEDH, Al-Saadoon et Mufdhi c. Royaume-Uni, n°61498/08, §§ 119 et suiv., 4 octobre 2010.

[84]. Paragraphe 47 de l’arrêt.

[85]. Paragraphe 82 de l’arrêt.

[86]. Paragraphe 46 de l’arrêt.

[87]. Voir, à cet égard, Karlheinz Schmidt c. Allemagne, n° 13580/88, § 28, 18 juillet 1994, et Emel Boyraz c. Turquie, n° 61960/08, § 52, 2 décembre 2014 ; Court of Justice de l’Union européenne, Johnston v. Chief Constable of the Royal Ulster Constabulary, case C‑222/84, §§ 44-46 ; et CEDAW Communication n° 60/2013, CEDAW W/C/63/D/60/2013, 25 février 2016).

[88]. Paragraphe 78 de l’arrêt.

[89]. Paragraphe 44 de l’arrêt.

[90]. Paragraphe 81 de l’arrêt.

[91]. Selon les statistiques les plus récentes de l’Organisation mondiale de la Santé. L'espérance de vie à 60 ans pour les hommes est de 76,3 ans.

[92]. Voir l’arrêt de principe en la matière Ananyev et autres v. Russie (n° 42525/07 et 60800/08, 10 janvier 2012), et, spécifiquement en ce qui concerne les conditions de détention après la condamnation, Burko c. Russie (n° 32036/10,12 novembre 2015).

[93]. Paragraphe 47 de l’arrêt.

[94]. Paragraphe 42 de l’arrêt.

[95]. Paragraphe 44 de l’arrêt.

[96]. Paragraphe 48 de l’arrêt.

[97]. Voir Mamedova c. Russie (n° 7064/05, § 73, 1er juin 2006).

[98]. Paragraphe 83 de l’arrêt.


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