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05/03/2013 | CEDH | N°001-116947

CEDH | CEDH, AFFAIRE STANA c. ROUMANIE, 2013, 001-116947


TROISIÈME SECTION

AFFAIRE STANA c. ROUMANIE

(Requête no 44120/10)

ARRÊT

STRASBOURG

5 mars 2013

DÉFINITIF

05/06/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Stana c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,

Alvina Gyulumyan,

Luis López Guerra,

Nona Tsotsoria,

Kristina Pardalo

s,

Johannes Silvis,

Valeriu Griţco, juges,

et de Santiago Quesada, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 12 février 2013,

Rend l...

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE STANA c. ROUMANIE

(Requête no 44120/10)

ARRÊT

STRASBOURG

5 mars 2013

DÉFINITIF

05/06/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Stana c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,

Alvina Gyulumyan,

Luis López Guerra,

Nona Tsotsoria,

Kristina Pardalos,

Johannes Silvis,

Valeriu Griţco, juges,

et de Santiago Quesada, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 12 février 2013,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 44120/10) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, M. Florin Daniel Stana (« le requérant »), a saisi la Cour le 12 juillet 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Me G.A. Vasile, avocat à Piteşti. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme I. Cambrea, du ministère des Affaires étrangères.

3. Le requérant dénonce en particulier les mauvaises conditions de détention subies par lui dans la prison de Colibaşi.

4. Le 15 septembre 2011, la requête a été communiquée au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond. Le Gouvernement a transmis ses observations sur la recevabilité et le fond de la requête. Le requérant n’a pas répondu à ces observations, mais il a transmis ses demandes de satisfaction équitable, faisant savoir ainsi qu’il maintenait sa requête.

5. A la suite du déport de M. Corneliu Bîrsan, juge élu au titre de la Roumanie (article 28 du Règlement de la Cour), le président de la chambre a désigné Mme Kristina Pardalos pour siéger en qualité de juge ad hoc (articles 26 § 4 de la Convention et 29 § 1 du règlement).

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

6. Le requérant est né en 1979 et réside actuellement à Mioveni.

7. Le requérant avait été incarcéré le 25 décembre 2001 à la prison de Colibaşi afin de purger une peine de 14 ans d’emprisonnement pour meurtre. Il fut mis en liberté conditionnelle le 17 décembre 2011.

A. Les conditions de détention à la prison de Colibaşi

1. Les conditions de détention telles que décrites par le requérant

8. Dans son formulaire de requête envoyé en août 2010, le requérant indiquait être placé dans une cellule de 27 m² avec 23 autres détenus. En annexe à ce formulaire de requête, il joignait un état de l’occupation de la cellule no 403 révélant que cette cellule était dotée de 19 lits et qu’il y était placé avec 17 autres détenus. L’état était revêtu des signatures de ces détenus. Il souligna en outre qu’il était placé dans une autre cellule que celle mentionnée dans les documents de la prison.

2. Les conditions de détention telles que décrites par le Gouvernement

9. Le Gouvernement a envoyé une liste des cellules de la prison de Colibaşi dans lesquelles le requérant fut placé après février 2004, exposant leur superficie et le nombre et les dimensions des fenêtres. Il ressort également des informations fournies par le Gouvernement que, du 9 mars au 4 décembre 2010, le requérant fut incarcéré dans une cellule d’environ 35 m² pourvue d’une fenêtre de 1,5 m². A partir du 4 décembre 2010, le requérant fut placé dans une cellule d’environ 26 m² dotée de 17 lits et pourvue de deux fenêtres de 1,56 m², dans laquelle étaient placés, en moyenne, 12 détenus.

10. La prison était en bon état, les cellules étaient propres et bénéficiaient d’une aération et d’un éclairage naturels, l’eau chaude était disponible pour la douche deux fois par semaine, la température dans les cellules s’élevait à 20oC pendant l’hiver, la nourriture était de bonne qualité et vérifiée quotidiennement par les responsables de la prison.

B. L’assistance médicale

1. La version du requérant

11. Le requérant affirme qu’il a contracté plusieurs maladies pendant sa détention, qui se sont aggravées en raison de son état de stress. Il déclare également qu’il n’a pas demandé de contrôle de son état de santé par crainte de représailles de la part des autorités pénitentiaires. Il verse néanmoins au dossier une copie d’un certificat médical établi le 21 septembre 2010 qui atteste qu’il a été hospitalisé à l’hôpital pénitentiaire de Colibaşi, dans le service des maladies chroniques. A cette occasion, on diagnostiqua chez lui une hépatite B, une gastroduodénite, une rhinopharyngite aiguë et de l’urticaire. On lui prescrivit d’éviter de fumer ainsi que de consommer de l’alcool, du café, des condiments et des boissons gazeuses.

2. La version du Gouvernement

12. A l’occasion de son incarcération, le 25 décembre 2001, le requérant subit un contrôle médical au cours duquel il déclara être porteur du virus de l’hépatite B. Jusqu’au 21 septembre 2010, il fut hospitalisé à dix reprises et traité pour plusieurs affections, parmi lesquelles une hépatite B.

13. D’après l’article 123 du règlement intérieur de la prison de Colibaşi approuvé par le directeur de la prison le 5 juin 2008, il était permis de fumer dans les groupes sanitaires de certaines cellules, à l’exception des cellules dans lesquelles étaient placés des non-fumeurs, des détenus malades et des détenus bénéficiant d’un régime de détention ouvert ou semi-ouvert.

14. Les 3 mai, 11 septembre et 23 octobre 2008 et le 1er octobre 2010, le requérant fit des déclarations écrites attestant qu’il était fumeur.

C. Le régime de détention

1. La version du requérant

15. Le 22 avril 2009, en application de la loi no 275/2006 sur l’exécution des peines et des mesures adoptées au cours du procès pénal (« la loi no 275/2006 »), le requérant fut classé dans le régime de détention ouvert. Selon ce régime, le requérant est en droit de circuler librement à l’intérieur du bâtiment de la prison et dans la cour de la prison. Le requérant relève qu’il n’a pas été autorisé à quitter sa cellule et que malgré ses plaintes auprès du directeur de la prison, aucune suite n’a été donnée.

2. La version du Gouvernement

16. D’après un rapport de l’administration nationale des prisons (« ANP ») du 22 novembre 2011 soumis par le Gouvernement au sujet de la présente affaire, les portes de la cellule n’étant pas fermées, le requérant avait accès en permanence aux cours de la prison, conformément à son régime de détention.

D. L’agression alléguée du requérant par les gardiens de la prison

17. Le 23 mai 2008, le requérant porta plainte contre quatre gardiens de la prison de Colibaşi devant le parquet près la cour d’appel de Piteşti, faisant valoir que ceux-ci l’auraient agressé, insulté et menacé le 6 décembre 2007, à l’occasion d’une perquisition effectuée dans la cellule dans laquelle il avait été placé.

18. Par une décision du 3 mars 2009, le parquet ordonna un non-lieu. Le parquet prit note du fait qu’immédiatement après la perquisition le requérant avait été accompagné au cabinet médical de la prison, où il avait été examiné. De la déclaration du médecin et de la feuille d’observations, il ressortait que le requérant présentait les traces d’une agression au niveau de la lèvre supérieure ainsi que d’autres lésions anciennes. Bien que le requérant ait été conduit à l’institut médicolégal en vue d’une expertise, il avait refusé d’être examiné, expliquant qu’il n’avait pas été agressé. Par ailleurs, le requérant avait déclaré devant le procureur qu’il entendait retirer sa plainte puisqu’en réalité, il n’avait pas été agressé.

19. Devant la Cour, le requérant affirme qu’il a dû retirer sa plainte car il craignait les représailles des gardiens.

E. Les études universitaires et les réductions de peine y relatives

20. Le requérant s’inscrivit aux cours de la faculté de journalisme, communication et relations publiques de l’Université « Spiru Haret » de Piteşti.

21. En janvier, février et juin 2009, en janvier, février, mars, juin, août et septembre 2010 et en janvier, février, mai, juin et juillet 2011, il fut accompagné dans les locaux de la faculté pour les besoins de ses études universitaires. A chaque transfèrement, on lui passa les menottes. D’après le rapport de l’ANP du 22 novembre 2011, le requérant était menotté uniquement lors de sa descente du véhicule pénitentiaire, jusqu’aux salles de cours, en vertu de l’article 159 § 2 du règlement d’application de la loi no 275/2006 et des articles 202 § 4 et 203 § d) du règlement du ministère de la Justice sur les mesures requises pour la sécurité des établissements pénitentiaires, adopté le 24 juin 2010.

22. Le 17 décembre 2009, le requérant demanda au directeur de la prison qu’on l’accompagne à la faculté sans menottes et escorté par des gardiens habillés en vêtements civils. Par une décision du 21 décembre 2009, la demande du requérant fut rejetée au motif que les dispositions légales régissant l’escorte des détenus à l’extérieur des prisons s’y opposaient. Le requérant ne contesta pas cette décision devant le juge de l’application des peines.

23. Dans les locaux de la prison, le requérant bénéficia également de deux heures d’étude par jour, du lundi au jeudi, dans une salle aménagée à cet effet. Le requérant allègue néanmoins que le temps d’étude qui lui fut accordé ne lui suffisait pas et que ses demandes en vue d’obtenir un temps d’étude plus étendu furent rejetées, et qu’elles constituèrent aussi le prétexte d’une sanction ou de transferts dans des cellules où étaient incarcérés des condamnés agressifs. En outre, il lui fut très difficile de se procureur les fournitures scolaires, et on lui refusa l’accès aux salles aménagées en studio audio-vidéo ou à la salle informatique.

24. Par une décision du 14 décembre 2010, en application de la loi no 275/2006, le juge d’application des peines accorda au requérant une réduction de peine de 60 jours pour avoir terminé deux semestres universitaires au cours de l’année scolaire 2009-2010. Le juge prit note du fait que les dispositions pertinentes de la loi précitée avaient été modifiées par la loi no 83/2010 entrée en vigueur le 22 mai 2010, en abaissant le nombre de jours accordés à 30 par année universitaire, mais refusa d’appliquer ces dispositions, en invoquant le principe de l’application de la loi pénale la plus favorable.

25. Par une décision définitive du 20 janvier 2011, le tribunal de première instance de Piteşti annula la décision du juge d’application des peines et n’octroya au requérant qu’une réduction de peine de 30 jours. Le tribunal fit valoir que le principe de l’application de la loi pénale la plus favorable ne pouvait être appliqué en l’espèce puisqu’il s’agissait de mettre en œuvre une disposition procédurale et non de trancher une accusation pénale ou d’appliquer une peine.

26. Devant la Cour, le requérant expose, sans toutefois fournir de documents à l’appui, que les autorités de la prison de Colibaşi ont bien accordé des réductions de peine de 60 jours à d’autres détenus pour la même année universitaire.

F. Le travail en détention

27. Par une décision du directeur de la prison de Colibaşi du 8 décembre 2009, le requérant fut autorisé à travailler en prison dans la section de production de matelas. Toutefois, compte tenu du fait que la prison n’avait alors conclu aucun contrat de production de matelas, le requérant ne fut amené à effectuer aucune activité.

28. Le 13 mai 2010, le requérant porta plainte devant le juge d’application des peines pour dénoncer, entre autres, l’impossibilité de travailler. Le requérant affirmait qu’on lui opposait un refus en raison de son conflit de longue date avec le gardien F.D. La Cour n’a pas été informée de l’issue de cette plainte.

29. D’après un rapport de l’administration nationale des prisons du 22 novembre 2011 figurant dans le dossier, le requérant a effectué plusieurs activités productives au cours des années 2004, 2007, 2008, 2009, et de mars à octobre 2011.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS

30. Le droit et la pratique interne pertinents, les conclusions du Comité européen pour la prévention de la torture (« CPT ») rendues à la suite de plusieurs visites effectuées dans des prisons de Roumanie, tout comme ses observations à caractère général, et les rapports du Commissaire aux droits de l’homme au sujet des conditions matérielles de détention sont résumés dans l’arrêt Iacov Stanciu c. Roumanie (requête no 35972/05, §§ 113-129, 24 juillet 2012).

31. Les extraits pertinents de la Recommandation no (2006)2 du Comité des Ministres aux États membres sur les règles pénitentiaires européennes, adoptée le 11 janvier 2006 sont décrites dans les arrêts Enea c. Italie ([GC], no 74912/01, § 48, CEDH 2009-... et Rupa c. Roumanie (no 1), no 58478/00, § 88, 16 décembre 2008).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

32. Le requérant dénonce les mauvaises conditions de détention subies dans la prison de Colibaşi (la surpopulation carcérale et le fait d’avoir été emprisonné avec des détenus fumeurs), le fait qu’il a contracté plusieurs maladies qui se sont aggravées en raison de son état de stress, dont l’hépatite B, et le fait d’avoir été présenté menotté en public à l’occasion de ses transferts à la faculté en janvier, février et mai 2011. Il invoque expressément ou en substance l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

A. Observation préliminaire

33. Le Gouvernement allègue que, ni dans son formulaire de requête ni dans ses lettres subséquentes, le requérant n’a soulevé de grief, expressément ou en substance, concernant la surpopulation carcérale ou le tabagisme passif qu’il aurait subis dans la prison où il a été détenu et que dès lors, la Cour ne saurait s’estimer saisie d’un grief concernant les mauvaises conditions de détention à cet égard.

34. La Cour note que, dans son formulaire de requête du 21 août 2010, le requérant dénonçait la surpopulation carcérale qu’il devait subir dans la prison de Colibaşi dans ces termes : « à peine je demande la protection d’un droit que d’autres sont méconnus : (...) 4m²/personne (24 personnes [dans une cellule de] 6 x 4,5 m² ». De même, dans sa lettre du 13 décembre 2010, il énumérait plusieurs droits qui auraient été méconnus par les autorités de la prison parmi lesquels l’incarcération des détenus fumeurs et des détenus non-fumeurs dans des cellules séparées.

35. Dans ces conditions, la Cour s’estime bien saisie par le requérant de la question de la surpopulation carcérale et de celle du tabagisme passif dans la prison de Colibaşi où il a été incarcéré.

B. Sur la recevabilité

36. Le Gouvernement soulève une exception de non-épuisement des voies de recours internes affirmant que le requérant aurait pu introduire une plainte contre l’administration de la prison et ensuite devant les tribunaux, en se fondant sur l’ordonnance d’urgence no 56/2003 et ensuite, sur la loi no 275/2006 sur l’exécution des peines, dont les dispositions prohibent, de façon générale, les mauvais traitements et la torture. Il considère de surcroît que le requérant aurait pu saisir les tribunaux d’une action en dédommagement sur la base des dispositions de droit commun sur la responsabilité civile délictuelle (les articles 998-999 du code civil à l’époque des faits) ou, s’agissant du port des menottes, d’une plainte pénale contre les gardiens.

37. Le requérant n’a pas présenté d’observations sur ce point.

38. Dans la mesure où le grief du requérant se rapporte à l’insuffisance alléguée de son traitement médical, la Cour constate, comme elle l’a fait dans les affaires Petrea c. Roumanie (no 4792/03, § 35, 29 avril 2008) et Coman c. Roumanie (no 34619/04, § 45, 26 octobre 2010), que le requérant a omis d’introduire un recours fondé sur les dispositions de l’ordonnance d’urgence no 56/2003, puis sur les dispositions de la loi no 275/2006, qui les ont remplacées. Dès lors, il convient d’accueillir l’exception du Gouvernement. Cette branche du grief doit ainsi être rejetée pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention. En ce qui concerne plus particulièrement l’allégation du requérant selon laquelle il aurait été infecté par le virus de l’hépatite B dans la prison, il convient de noter qu’il ressort de sa fiche médicale qu’il était déjà infecté par ce virus avant son incarcération (paragraphe 12
ci-dessus).

39. En ce qui concerne le tabagisme passif et la présentation du requérant menotté en public, la Cour estime qu’il ne s’impose pas d’examiner la question de l’épuisement des voies de recours internes puisque ces branches du grief s’avèrent irrecevables pour une autre raison. En effet, s’agissant en premier lieu du tabagisme passif, la Cour note qu’il ressort des déclarations faites par le requérant les 3 mai, 11 septembre et 23 octobre 2008 et le 1er octobre 2010, qu’il était fumeur (paragraphe 14
ci-dessus). Pour ce qui est en deuxième lieu de sa présentation menotté à la faculté, la Cour observe que, dans sa lettre du 27 juin 2011, le requérant se borne à affirmer, sans plus de précisions, qu’il avait été présenté menotté à la faculté à plusieurs reprises en janvier, février et mai 2011. La Cour souligne de surcroît que le requérant n’a pas présenté d’observations en réponse à celles du Gouvernement. Dans ces conditions, elle conclut que le requérant n’a pas étayé ses allégations au-delà de tout doute raisonnable (Minculescu c. Roumanie (déc.), no 7993/05, 13 novembre 2012). Il s’ensuit que ces branches du grief sont manifestement mal fondées et doivent être rejetées en application de l’article 35 §§ 3 (a) et 4 de la Convention.

40. S’agissant des conditions matérielles de détention, la Cour rappelle avoir déjà rejeté une exception similaire, ayant jugé qu’au vu de la particularité d’un tel grief, il n’y avait pas de recours effectif à la disposition du requérant (Petrea précité, § 37, et Brânduşe c. Roumanie, no 6586/03, §§ 37 et 40, 7 avril 2009). Les arguments du Gouvernement ne sauraient mener en l’espèce à une conclusion différente. En effet, le droit roumain en la matière ne permet pas, au moins pour l’instant, de mettre un terme à des conditions matérielles de détention contraires à l’article 3 de la Convention et d’obtenir une réparation suffisante pour le préjudice subi (Iacov Stanciu précité §§ 197-199). Partant, la Cour estime qu’il convient de rejeter l’exception de non-épuisement des voies de recours soulevée par le Gouvernement. Elle relève par ailleurs que cette branche du grief ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

C. Sur le fond

1. Les arguments des parties

41. Se référant à la description des conditions de détention qu’il a fournie et à la jurisprudence de la Cour en la matière, le Gouvernement soutient que les conditions de détention du requérant étaient conformes aux exigences de l’article 3 de la Convention.

42. Le requérant n’a pas présenté d’observations sur le fond de l’affaire.

2. L’appréciation de la Cour

43. La Cour relève que les mesures privatives de liberté impliquent, par nature, certains inconvénients pour les personnes auxquelles elles sont appliquées. Toutefois, elle rappelle que l’incarcération ne fait pas perdre à un détenu le bénéfice des droits garantis par la Convention. Dans ce contexte, l’article 3 fait peser sur les autorités une obligation positive de s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités d’exécution de la mesure ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier sont assurés de manière adéquate (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, §§ 93-94, CEDH 2000-XI et Norbert Sikorski c. Pologne, no 17599/05, § 131, 22 octobre 2009).

44. S’agissant des conditions de détention, la Cour rappelle que lorsque la surpopulation carcérale atteint un certain niveau, le manque d’espace dans un établissement pénitentiaire peut constituer l’élément central à prendre en compte dans l’appréciation de la conformité d’une situation donnée à l’article 3 (Karalevičius c. Lituanie, no 53254/99, § 39, 7 avril 2005). Ainsi, lorsqu’elle a été confrontée à des cas de surpopulation flagrante, la Cour a jugé que cet élément, à lui seul, pouvait suffire pour conclure à la violation de l’article 3 de la Convention. En règle générale étaient concernés des cas de figure où l’espace personnel accordé au requérant était inférieur à 3 m² (Colesnicov c. Roumanie, no 36479/03, §§ 78-82, 21 décembre 2010 et Budaca c. Roumanie, no 57260/10,
§§ 40-45, 17 juillet 2012).

45. La Cour renvoie également à sa jurisprudence en vertu de laquelle elle a fait application du principe affirmanti incumbit probatio lorsque le Gouvernement est le seul à avoir accès aux informations susceptibles de confirmer ou d’infirmer les affirmations du requérant. (Khoudoyorov c. Russie, no 6847/02, § 113, CEDH 2005‑X (extraits), et Brânduşe précité § 48). En l’espèce, concernant les allégations de surpeuplement, le Gouvernement n’a fourni de renseignements ni quant à la taille des cellules où le requérant a été détenu à la prison de Colibaşi avant 2004, ni quant au nombre de codétenus avec lesquels le requérant a dû partager les cellules de cette prison après cette date, sauf pour la dernière cellule dans laquelle le requérant a été placé après le 4 décembre 2010. Le caractère incomplet de ces données ne saurait constituer une raison suffisante à cet égard pour écarter purement et simplement les allégations de l’intéressé quant au surpeuplement des cellules. Certes, l’intéressé n’a pas fourni de détails à l’égard des différentes cellules dans lesquelles il avait été incarcéré, à l’exception d’une seule (paragraphe 8 ci-dessus), ni, le cas échéant, de déclarations des codétenus pour clarifier ces aspects, pas plus qu’il n’a contredit les renseignements incomplets présentés par le Gouvernement et relatifs à la taille des cellules. Partant, la Cour considère qu’il suffit, dans le cas d’espèce, d’examiner ce grief en prenant en compte, conjointement, les allégations non contredites des parties.

46. Faisant application des principes susmentionnés au cas d’espèce, la Cour observe que le requérant a souffert d’une situation de surpopulation carcérale grave. En effet, même en s’en tenant aux renseignements fournis par le Gouvernement (paragraphe 9 ci-dessus), chacune des personnes détenues dans la cellule du requérant après le 4 décembre 2010 disposait d’un espace individuel d’environ 2 m², ce qui est en dessous de la norme recommandée aux autorités roumaines dans le rapport du CPT, à savoir 4 m² (paragraphe 30 ci-dessus).

47. La Cour relève en outre qu’elle a récemment conclu à la violation de l’article 3 de la Convention au motif du surpeuplement dans la prison de Colibaşi pour un requérant qui y avait été incarcéré pendant la période 1999-2011 (Lăutaru c. Roumanie, no 13099/04, §§ 89-104, 18 octobre 2011).

48. La Cour admet qu’en l’espèce rien n’indique qu’il y ait eu véritablement intention d’humilier ou de rabaisser le requérant. Toutefois, l’absence d’un tel but ne saurait exclure un constat de violation de l’article 3 de la Convention. La Cour estime que les conditions de détention en cause, que le requérant a dû supporter pendant environ dix ans, de décembre 2001 à décembre 2011 (paragraphe 7 ci-dessus), n’ont pas manqué de le soumettre à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention.

49. Partant, il y a eu violation de l’article 3 de la Convention en ce qui concerne la surpopulation carcérale subie par le requérant dans la prison de Colibași.

II. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

50. Le requérant allègue également avoir été agressé le 6 décembre 2007 par quatre gardiens. Il se plaint en outre que son régime de détention, son droit au repos, son droit de recevoir des visites de sa famille et de ses amis, son droit de bénéficier des conditions matérielles propres à lui permettre de poursuivre ses études et son droit de travailler en détention n’ont pas été respectés. Le requérant se plaint enfin d’avoir subi un traitement discriminatoire de par le refus de tribunaux de lui accorder une réduction de peine de 60 jours pour l’année universitaire 2009-2010. Il fait valoir qu’une telle réduction a été accordée par les autorités de la prison de Colibaşi à d’autres détenus pour la même année universitaire.

51. Compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, et pour autant qu’elle ait compétence pour connaître des allégations formulées, la Cour ne relève aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention ou ses Protocoles. Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 (a) et 4 de la Convention.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

52. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

53. Le requérant réclame « 50 000 euros (EUR) et 1 million de lei roumains (RON) au titre du préjudice moral » qu’il aurait subi. Il ventile ainsi la somme de 50 000 EUR : 20 000 EUR pour son agression en prison, 20 000 EUR pour sa présentation menottée à la faculté et 10 000 EUR pour les conditions de détention subies dans la prison.

54. Le Gouvernement estime que la somme de 50 000 EUR constitue une demande pour dommage matériel, alors que la somme d’un million de RON est réclamée à titre de dommage moral pour avoir été infecté par le virus de l’hépatite B en prison. Le Gouvernement considère qu’il n’y a pas de lien de causalité entre les prétendues violations et le préjudice matériel allégué, qui n’a d’ailleurs pas été prouvé. S’agissant du préjudice moral subi à la suite de l’infection alléguée par le virus de l’hépatite B, il estime qu’en tout état de cause, la demande est excessive par rapport à la jurisprudence de la Cour en la matière.

55. La Cour relève que la seule base à retenir pour l’octroi d’une satisfaction équitable réside en l’espèce dans la violation de l’article 3 de la Convention en ce qui concerne la surpopulation carcérale. Elle note que, à cet égard, le requérant réclame 10 000 EUR à titre de dommage moral, et non à titre de dommage matériel comme le soutient le Gouvernement. Elle considère que le requérant a subi un tort moral indéniable du fait des conditions de détention à la prison de Colibaşi. Statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, elle estime qu’il y a lieu de lui octroyer la somme de 10 000 EUR demandée par le requérant pour dommage moral.

B. Frais et dépens

56. Le requérant n’a formulé aucune demande à ce titre.

C. Intérêts moratoires

57. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 3 de la Convention concernant la surpopulation carcérale dans la prison de Colibaşi, et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention pour ce qui est des conditions de détention subies par le requérant dans la prison de Colibaşi ;

3. Dit

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 10 000 EUR (dix mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 5 mars 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Santiago QuesadaJosep Casadevall
GreffierPrésident


Synthèse
Formation : Cour (troisiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-116947
Date de la décision : 05/03/2013
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 3 - Interdiction de la torture (Article 3 - Traitement dégradant;Traitement inhumain) (Volet matériel)

Parties
Demandeurs : STANA
Défendeurs : ROUMANIE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : VASILE G.A.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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