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15/04/2014 | CEDH | N°001-142393

CEDH | CEDH, AFFAIRE TOMASZEWSCY c. POLOGNE, 2014, 001-142393


QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE TOMASZEWSCY c. POLOGNE

(Requête no 8933/05)

ARRÊT

STRASBOURG

15 avril 2014

DÉFINITIF

15/07/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Tomaszewscy c. Pologne,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

Ineta Ziemele, présidente,

Päivi Hirvelä,

George Nicolaou,

Ledi Bianku,

Zdravka Kalayd

jieva,

Krzysztof Wojtyczek,

Faris Vehabović, juges,

et de Fatoş Aracı, greffière adjointe de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 18 mars 201...

QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE TOMASZEWSCY c. POLOGNE

(Requête no 8933/05)

ARRÊT

STRASBOURG

15 avril 2014

DÉFINITIF

15/07/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Tomaszewscy c. Pologne,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

Ineta Ziemele, présidente,

Päivi Hirvelä,

George Nicolaou,

Ledi Bianku,

Zdravka Kalaydjieva,

Krzysztof Wojtyczek,

Faris Vehabović, juges,

et de Fatoş Aracı, greffière adjointe de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 18 mars 2014,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 8933/05) dirigée contre la République de Pologne dont trois ressortissants, MM. Bożena Tomaszewska, Sebastian Tomaszewski et Artur Tomaszewski (« les requérants »), ont saisi la Cour le 14 février 2005 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Les requérants, admis au bénéfice de l’assistance judiciaire, ont été représentés par Me S. Trojanowski, avocat à Olsztyn. Le gouvernement polonais (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. J. Wołąsiewicz, succédé par Mme J. Chrzanowska, du ministère des Affaires étrangères.

3. Les requérants allèguent en particulier que leur privation de liberté, consécutive à l’interpellation par la police et la rétention au commissariat de Sebastian et Artur Tomaszewski ainsi que de leur frère Zbigniew Tomaszewski, a été irrégulière. Ils se plaignent en outre de l’absence de la possibilité d’obtenir réparation pour le préjudice subi du fait de leur privation de liberté opérée de manière contraire à l’article 5 § 1 de la Convention.

4. Le 20 mars 2007, la requête a été communiquée au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Les requérants, M. Sebastian Tomaszewski (né en 1981), M. Artur Tomaszewski (né en 1983) et Mme Bożena Tomaszewska, mère des deux premiers requérants et de leur frère, Zbigniew Tomaszewski (né en 1989 et décédé en 2004), sont des ressortissants polonais résidant à Ostróda.

A. Les circonstances de l’espèce

6. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

1. La version des faits présentée par les requérants

7. Dans la nuit du 30 au 31 août 2003, les requérants, accompagnés de leur ami M.K., se trouvaient dans la discothèque d’un bar de quartier. Ils y restèrent tous de 22 heures à 4 heures du matin sans en sortir une seule fois.

8. Vers 4 heures, les requérants appelèrent un taxi. Ils furent arrêtés par la police en patrouille vers 4 h 15, alors qu’ils rentraient chez eux. Les policiers les traînèrent hors du taxi, les fouillèrent et leur passèrent les menottes, sans leur dire pourquoi ils les arrêtaient ni pourquoi ils contrôlaient leur identité. Les requérants furent emmenés au poste d’Ostróda tandis que M.K. fut ramené chez lui.

9. Au poste, les trois frères furent obligés de se dévêtir et de se soumettre à une fouille à corps. Ils furent roués de coups de pied, de coups de matraque et de coups de poing. Le plus jeune, alors âgé de quatorze ans, fut également battu ; frappé d’un coup de pied au visage par l’un des agents, il saigna du nez et tomba par terre. Ses frères, Sebastian et Artur, subirent le même sort à la suite des coups de pied portés au visage et aux chevilles par un autre agent. Le passage à tabac, auquel se livrèrent quatre agents, dura environ une demi‑heure.

10. Vers 5 heures, les parents des requérants, informés de leur arrestation par M.K., arrivèrent au poste, mais ne furent pas autorisés à y entrer.

11. Les requérants furent débarrassés de leurs menottes et soumis à un éthylotest. Ils furent relâchés peu après sans avoir reçu ni assistance médicale ni information sur les raisons de leur arrestation et sans avoir été interrogés. Aucun rapport concernant leur arrestation ne fut établi.

12. Après que les trois frères eurent été remis en liberté, leurs parents les emmenèrent à l’hôpital pour leur faire passer des examens. Le dossier d’hospitalisation de Sebastian, admis vers 6 h 25, fait apparaître que l’intéressé souffrait de contusions à l’arrière de la tête et au pied droit – qui fut plâtré – et qu’il resta à l’hôpital jusqu’au lendemain.

2. La version des faits présentée par le Gouvernement

13. Dans la nuit du 30 au 31 août 2003, la police d’Ostróda fut alertée d’un trouble à l’ordre public aux alentours du bar « Bistro » : vers minuit, un groupe de jeunes rentrant chez eux après un concert aurait été agressé par d’autres jeunes, clients du bar en question. Une fois sur place, après une phase d’observation de la situation, les policiers identifièrent les individus les plus agressifs, dont Sebastian Tomaszewski et Artur Tomaszewski, qui accostaient les passants en leur criant des mots offensants et vulgaires, et qui lançaient des bouteilles dans leur direction et dans celle du véhicule de police. Les policiers procédèrent aux arrestations des plus virulents parmi les auteurs du trouble et emmenèrent ceux-ci en plusieurs fois au poste en vue d’un contrôle d’identité et d’un éthylotest. Pour éviter l’arrestation, certains jeunes disparurent à l’intérieur du bar.

14. Peu après 4 heures du matin, les requérants furent interpellés par des policiers en patrouille, alors qu’ils se trouvaient à bord d’un taxi. Ils furent conduits au poste et soumis à un contrôle d’identité et à un éthylotest.

15. Une note manuscrite du 31 août 2003 rédigée par un policier mentionne les résultats des éthylotests (un taux d’alcoolémie de 0,13 mg/l pour Sebastian et une absence complète de traces d’alcool pour Artur et Zbigniew) et l’heure à laquelle les intéressés ont été soumis au test (5 h 27 pour Sebastian, 5 h 16 pour Zbigniew et 5 h 41 pour Artur). Tous les individus arrêtés furent ensuite relâchés et informés qu’ils feraient l’objet de poursuites.

3. Les procédures tendant à l’établissement de l’éventuelle implication des policiers dans les mauvais traitements dénoncés par les requérants

a) L’enquête du parquet

16. Les 12 et 18 septembre 2003, les requérants informèrent le procureur de district d’Ostróda que les policiers avaient commis l’infraction d’abus d’autorité. Ils relatèrent le déroulement des événements et firent état de fouilles à corps. Ils se plaignirent du caractère irrégulier de leur arrestation et du contrôle d’identité auquel ils avaient été soumis. Ils dénoncèrent l’absence de procès-verbal de leur arrestation et l’impossibilité qui leur aurait été faite d’exercer un recours pour contrôler la régularité de cette arrestation.

17. En octobre 2003, le procureur entendit les requérants, dont le plus jeune en présence d’un psychologue. Les requérants déclarèrent qu’ils avaient été victimes des coups infligés par les agents. Artur et Zbigniew expliquèrent au procureur que, après leur sortie du commissariat, seul leur frère Sebastian avait fait l’objet d’un examen médical.

18. Les 13 et 14 octobre 2003, le procureur entendit les parents des requérants qui déclarèrent qu’après leur sortie du commissariat, leurs fils se plaignaient des douleurs résultant des coups portés par les agents. Tous présentaient des hématomes aux fesses et aux dos et Sebastian avait le pied enflé. Les parents indiquèrent à la police que la chemise de Zbigniew présentait des tâches de sang et celle de Sebastian des empreintes de pieds.

19. Les 21, 22 et 24 octobre, les 18, 20 et 30 décembre 2003 et les 7 et 12 janvier 2004, le procureur entendit les policiers présents sur les lieux, dont les quatre agents mis en cause par les requérants. Ceux-ci confirmèrent avoir retenu les requérants au poste à la suite de leur participation à l’altercation survenue dans la nuit du 30 au 31 août 2003, mais ils rejetèrent fermement les allégations de mauvais traitements formulées contre eux. Ils affirmèrent qu’aucune mesure de contrainte physique (przymus bezpośredni) n’avait été appliquée à l’égard des requérants. L’un des agents indiqua que, lors de son interpellation, Sebastian Tomaszewski se plaignait d’une douleur à la jambe.

20. En novembre 2003, le procureur entendit les témoins, dont le chauffeur de taxi et M.K. ainsi que six autres jeunes arrêtés et retenus au poste en même temps que les requérants. Seul un de ces jeunes déclara avoir vu les policiers infliger des coups de matraque aux requérants ; les autres déclarèrent n’avoir vu aucun policier infliger des mauvais traitements aux intéressés. Ils confirmèrent que les requérants s’étaient plaints de douleurs à différents endroits du corps.

21. En décembre 2003, le procureur recueillit l’expertise d’un chirurgien sur l’origine des contusions des requérants. Les conclusions concernant Sébastian Tomaszewski furent fondées sur les déclarations de ce requérant et sur les éléments du dossier médical issu de son hospitalisation du 31 août au 1er septembre 2003. Aux termes de l’expertise, les contusions présentées par Sebastian Tomaszewski, qui avaient entraîné une incapacité de travail de plus de sept jours, avaient pu se produire dans les circonstances décrites par l’intéressé. Toutefois, leur origine ne pouvait être établie avec certitude à partir de son rapport médical, vague et incomplet, qui ne mentionnait pas les contusions que le requérant affirmait avoir subies au visage, au dos et aux fesses, et que celles à la tête avaient pu résulter d’une chute, et celles au pied d’un choc contre un objet solide ou d’un coup de pied. L’expertise excluait l’hypothèse selon laquelle les contusions du requérant avaient pu avoir pour origine des coups de matraque.

22. En l’absence de rapport médical concernant Artur Tomaszewski et Zbigniew Tomaszewski, les conclusions de l’expert les concernant furent établies sur le fondement des seules déclarations des requérants. Tout en soulignant que ces déclarations étaient vagues et dépourvues d’objectivité, l’expert estima que, à supposer que la version des faits présentée par ces deux frères fût avérée, leurs contusions sous forme des traces d’abrasion aux hanches et aux cuisses avaient pu se produire dans les circonstances qu’ils avaient décrites.

23. Avant de clore l’enquête, le procureur procéda à des parades d’identification et des confrontations entre les requérants et les agents de police mis en cause.

24. Le 10 mars 2004, le procureur prononça un non-lieu au motif que les éléments recueillis n’avaient pas permis de conclure à une infraction imputable aux agents. Il indiqua que, même si les requérants avaient subi des lésions, il était impossible d’établir sans équivoque si elles s’étaient produites de la manière décrite par les intéressés. Il nota que l’arrestation et la fouille des requérants avaient été pratiquées conformément à l’ordonnance du Conseil des Ministres du 17 septembre 1990 (paragraphes 55-57 ci-dessous). Il releva que, au moment de leur arrestation, les requérants pouvaient être soupçonnés d’avoir commis une infraction. Il ajouta que, aux termes de la résolution de la Cour suprême du 21 juin 1995 (paragraphes 63-67 ci-dessous), la conduite au poste de police d’une personne soupçonnée d’avoir commis une infraction aux fins de l’établissement de son identité ou de la mesure de son taux d’alcoolémie constituait une arrestation appelant à un contrôle juridictionnel prévu par le code de procédure pénale uniquement lorsqu’elle était effectuée pour les motifs prévus par l’article 15.1, alinéa 3, de la loi sur la police. Tel n’était pas le cas en l’espèce.

25. Le 22 mars 2004, les requérants firent opposition à cette décision auprès du procureur régional, contestant l’absence d’équité et de diligence des enquêteurs. Ils se plaignirent de n’avoir pas été informés des accusations formulées contre eux, de n’avoir pas obtenu de procès-verbal de leur arrestation et de n’avoir pas pu contester leur détention en justice ; ils soutinrent en outre avoir été empêchés de contacter un avocat et leurs parents lors de leur arrestation.

26. Le 28 avril 2004, le procureur régional accueillit le recours des requérants, annula l’ordonnance de non-lieu et renvoya le dossier pour complément d’instruction, au motif que toutes les circonstances pertinentes de l’affaire n’avaient pas été établies. Le procureur régional fournit au parquet de district des instructions quant aux actes d’instruction à effectuer lors du complément d’enquête.

27. Dans le cadre de cette enquête complémentaire, le parquet de district procéda à de nouvelles auditions de témoins, dont deux jeunes retenus au poste en même temps que les requérants et les agents ayant effectué des éthylotests. Aucun des témoins interrogés par le parquet n’avait vu les policiers infliger des mauvais traitements aux requérants. Le parquet entendit également les intéressés sur la question de savoir si les mauvais traitements allégués leur avaient été infligés après ou avant l’arrivée des autres jeunes au commissariat. Artur et Zbigniew Tomaszewscy avaient confirmé la première hypothèse, contrairement à leur frère Sebastian.

28. Le 30 juin 2004, le procureur de district décida de clore la procédure pour un motif essentiellement identique à celui retenu dans la décision du 10 mars.

29. À la suite d’un recours formés par les requérants contre cette décision le 8 septembre 2004, le procureur régional les informa qu’il avait transmis le dossier au tribunal de district d’Ostróda.

30. Par un non-lieu du 10 septembre 2004, le procureur décida de clore la procédure pour autant qu’elle concernait Zbigniew Tomaszewski, décédé en août 2004 dans un accident de voiture.

31. Le 15 octobre 2004, le tribunal de district d’Ostróda confirma à l’égard des frères aînés la décision du procureur du 30 juin 2004. Il releva que, après leur sortie du poste, Artur et Zbigniew n’avaient pas consulté de médecin. Il indiqua que, en l’absence de rapports médicaux susceptibles de faire apparaître la nature et l’origine de leurs contusions, la crédibilité de leurs allégations au sujet des mauvais traitements qu’ils soutenaient avoir subis au poste de police n’avait pu être contrôlée par l’expert désigné au cours de la procédure. Le tribunal nota qu’il en allait de même pour Sébastian, compte tenu de l’imprécision de son dossier médical dans lequel certaines contusions, que le requérant affirmait avoir subi, n’avaient pas été mentionnées. Le tribunal observa également que les témoins présents au poste en même temps que les requérants n’avaient pas confirmé leurs allégations de mauvais traitements par les policiers. Il estima que le seul témoignage mettant en cause les agents concernés n’était pas crédible, compte tenu du fait que son auteur avait déclaré ne pas être en mesure d’indiquer à quels endroits du corps des requérants les coups auraient été portés car il ne l’avait pas vu. Quant à Zbigniew, le tribunal ne retint pas son recours, au motif que, dans la mesure où il était mineur, ce recours aurait dû être introduit par ses parents et non par lui-même.

32. Le tribunal considéra que les bases juridiques des actions effectuées par la police à l’encontre des requérants avaient été clarifiées au cours de la procédure. Il s’agissait plus particulièrement d’une atteinte à l’ordre public ayant rendu nécessaire leur conduite au poste par les policiers en vue de l’établissement de leur identité et de procéder à un éthylotest. Le tribunal releva que, dans ces circonstances, la conduite au poste était autorisée et insusceptible de contrôle juridictionnel.

b) L’enquête de police

33. Entre-temps, le 4 décembre 2003, les requérants avaient porté plainte auprès de la police contre les agents impliqués dans les faits en cause.

34. Le 27 février 2004, le commandant adjoint de la police de district d’Ostróda les informa que l’enquête préliminaire était terminée et qu’il avait été établi que les policiers avaient reconnu en les frères Tomaszewscy des individus ayant participé au trouble à l’ordre public. Selon les résultats de l’enquête, les policiers auraient emmené les frères au poste afin d’établir leur identité et de les soumettre à l’éthylotest, démarches nécessaires à l’ouverture de poursuites contre eux. Compte tenu du nombre important de contrevenants, les mesures prises par les agents se seraient limitées au strict minimum et n’auraient pas constitué une arrestation au sens de l’article 15. 2 de la loi sur la police et des dispositions pertinentes du code de procédure pénale, ce qui ressortirait de la résolution de la Cour suprême du 21 juin 1995 (paragraphes 64-67 ci-dessous). Les policiers n’auraient donc pas été tenus d’établir de procès-verbal d’arrestation. Enfin, les enquêteurs auraient conclu qu’il n’avait pas été établi que les policiers eussent d’une quelconque façon abusé de leur autorité ou fait preuve de négligence dans l’exercice de leurs fonctions ni que la loi de 1982 sur les mineurs eût été violée.

35. Le 10 mars et le 26 avril 2004, les requérants déposèrent une nouvelle plainte auprès du commandant en chef de la police de Varsovie.

36. Le 29 avril 2004, le commandant régional de la police d’Olsztyn, à qui les plaintes avaient été transmises, estima qu’il n’y avait pas de raison de retenir une conclusion différente de celle à laquelle le commandant adjoint de la police de district d’Ostróda était parvenu.

4. Les procédures contre les requérants

a) La procédure pénale contre Sebastian Tomaszewski et Artur Tomaszewski pour commission d’une contravention

37. Entre-temps, la police d’Ostróda avait engagé des poursuites contre les requérants pour contravention (trouble à l’ordre public à Ostróda dans la nuit du 30 au 31 août 2003).

38. Le 31 décembre 2003, Artur Tomaszewski se vit notifier le chef d’inculpation qui pesait contre lui. Le 3 février 2004, la police d’Ostróda pria le tribunal de district de sanctionner l’intéressé.

39. Par des jugements rendus respectivement le 23 mars et le 26 mars 2004, à l’issue d’une procédure simplifiée menée en l’absence des inculpés (postępowanie nakazowe), Artur Tomaszewski et Sébastian Tomaszewski furent déclarés coupables des faits et condamnés chacun à vingt heures de travaux d’intérêt général.

40. Le 13 avril 2004, les deux requérants contestèrent les jugements et demandèrent que leur affaire fût examinée dans le cadre d’une procédure contradictoire.

41. Le 6 mai 2005, le tribunal de district d’Ostróda déclara les deux requérants coupables des faits qui leur étaient reprochés et condamna Artur Tomaszewski à une amende de 600 zlotys polonais (PLN) et Sébastian Tomaszewski à vingt heures de travaux d’intérêt général. Il s’appuya pour ce faire sur les déclarations des policiers présents sur les lieux au moment des faits, les jugeant empreintes de logique et convaincantes. Il retint également d’autres témoignages corroborant le trouble à l’ordre public à proximité du bar « Bistro », dont celui du chauffeur du taxi, de la gérante du bar et de clients de cet établissement. Il écarta, pour absence de crédibilité, les déclarations des requérants ainsi que celles de leur jeune frère et de leurs amis, dans lesquelles ils affirmaient n’avoir ni perçu ni participé à aucun trouble à l’ordre public.

42. Les requérants contestèrent ce jugement. Ils soutinrent notamment que leur participation au trouble à l’ordre public n’avait été confirmée par aucun témoin oculaire et que les accusations reposaient uniquement sur les témoignages des policiers. Ils demandèrent l’admission à titre de preuve d’un enregistrement de vidéosurveillance.

43. Le 23 août 2005, le tribunal régional d’Elbląg confirma le jugement du 6 mai 2005.

44. Les requérants demandèrent que la motivation écrite de ce jugement leur soit communiquée. Il ressort du dossier qu’ils ont alors été informés que celui-ci ne nécessitait pas d’être motivé dès lors qu’il confirmait, en toutes ses dispositions, le jugement de première instance.

b) La procédure concernant Zbigniew Tomaszewski

45. Auparavant, le 18 mars 2004, une procédure contre Zbigniew Tomaszewski avait été engagée devant le tribunal des affaires familiales d’Ostróda pour tapage sur la voie publique.

46. Le 10 septembre 2004, cette procédure fut close à la suite du décès de l’intéressé, intervenu le 17 août 2004.

47. La mère de Zbigniew, Bożena Tomaszewska, contesta la décision de clôture, au motif que son fils avait été privé de la possibilité d’être déclaré innocent de l’accusation portée contre lui. Elle déclara vouloir poursuivre la procédure en son nom.

48. Le 8 octobre 2004, le tribunal régional d’Elbląg rejeta le recours de Mme Tomaszewska, observant que la procédure concernée ne visait pas à trancher la question de la culpabilité du mineur mais à déterminer si des mesures éducatives, médicales ou correctives devaient être prises à son égard. Il conclut que cette procédure était devenue sans objet après le décès du mineur concerné et qu’elle ne pouvait être poursuivie.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. La Constitution polonaise

Article 31

« 1. La liberté de l’homme est juridiquement protégée.

2. Chacun a le devoir de respecter les libertés et les droits d’autrui. Nul ne peut être contraint à accomplir des actes qui ne lui sont pas juridiquement imposés.

3. L’exercice des libertés et des droits constitutionnels ne peut faire l’objet que des seules restrictions prévues par la loi lorsqu’elles sont nécessaires, dans un État démocratique, à la sécurité ou à l’ordre public, à la protection de l’environnement, de la santé et de la moralité publiques ou des libertés et des droits d’autrui. Ces restrictions ne peuvent porter atteinte à l’essence des libertés et des droits. »

Article 41

« 1. L’inviolabilité et la liberté personnelles sont garanties à chacun. La privation et la limitation de la liberté ne peuvent intervenir que suivant les règles et conformément à la procédure prévue par la loi.

2. Quiconque se trouve privé de liberté hors décision judiciaire a le droit d’introduire un recours devant un tribunal afin que celui-ci statue sans délai sur la légalité de cette privation. La famille ou la personne indiquée par la personne privée de liberté sont informées sans délai de la privation.

3. Toute personne retenue en détention doit être informée sans délai et en termes, explicites pour elle, des raisons de sa détention. Dans les quarante-huit heures suivant sa détention, elle doit être mise à la disposition du tribunal. La personne détenue doit être mise en liberté si la décision du tribunal sur la détention provisoire et la formulation de l’allégation portée contre elle ne lui sont pas signifiées dans les vingt-quatre heures après sa mise à la disposition du tribunal.

4. Toute personne privée de liberté doit être traitée avec humanité.

5. Toute personne victime de privation de liberté illégale a droit à réparation. »

Article 77

« 1. Chacun a droit à réparation du dommage qu’il a subi à la suite de l’action illégale de l’autorité de puissance publique.

2. La loi ne peut fermer à personne la voie judiciaire pour faire valoir ses libertés et ses droits violés. »

B. La loi sur la police de 1990 (Ustawa o Policji)

49. L’article 14.1 de la loi sur la police de 1990 dispose que, dans le cadre de ses attributions en matière de poursuites et de prévention des infractions, la police effectue les actes de recherche (operacyjno‑rozpoznawcze), d’enquête et d’instruction ainsi que ceux de nature administrative et organisationnelle (administracyjno-porządkowe).

50. L’article 15.1 de la loi prévoit que, dans le cadre des actes indiqués à l’article 14, les policiers ont, entre autres, le droit de procéder aux interpellations en vue de l’établissement de l’identité (alinéa 1) et aux arrestations selon les modalités prévues dans le code de procédure pénale et dans d’autres lois (alinéa 2).

51. Selon l’article 15.1, alinéas 2 a) et 3, la police est en droit d’arrêter un prisonnier qui s’est évadé de son lieu de détention ou une personne qui, par son comportement, met en danger la vie et la santé humaine ou la sécurité des biens.

52. En vertu de l’article 15.1, alinéa 5, la police peut effectuer une fouille à corps d’une personne légitimement soupçonnée d’avoir commis une infraction.

53. Selon l’article 15.2 de la loi, une personne arrêtée sur le fondement de l’article 15.1, alinéa 3, dispose des garanties équivalentes à celles dont bénéficie une personne arrêtée au sens du code de procédure pénale.

54. L’article 15.8 de la loi prévoit que le Conseil des ministres sera appelé à déterminer, par voie d’ordonnance, la procédure à suivre lors de l’exercice par la police de ses attributions mentionnées notamment aux alinéas 1, 2a, 3 et 5 de cet article.

C. L’ordonnance du Conseil des ministres du 17 septembre 1990, (prise en application de l’article 15.8 de la loi sur la police), relative à la procédure à observer lors d’un contrôle d’identité, d’une fouille à corps et d’une inspection des avoirs personnels et des marchandises (Rozporzadzenie Rady Ministrów z 17 września 1990 r. w sprawie trybu legitymowania, zatrzymania osób, dokonywania kontroli osobistej oraz przeglądania bagaży i sprawdzania ładunku przez policjantów)

55. En vertu du paragraphe 1.4 de la section 1 de l’ordonnance, dans le cadre de ses attributions, la police, en cas de soupçon légitime de commission d’une infraction, est en droit d’effectuer une fouille corporelle.

56. Selon le paragraphe 3 de la section 2 de cette ordonnance, la police procède au contrôle d’identité (...) en cas de nécessité d’identifier l’auteur présumé d’une infraction ou de rechercher des témoins au trouble à la sécurité et à l’ordre public.

57. Les paragraphes 8 à 14 de la section 3 de l’ordonnance déterminent la procédure à suivre lors de l’arrestation effectuée dans les cas prévus au paragraphe 1 alinéas 2 et 3 de la section 1 de l’ordonnance (qui correspondent à ceux prévus à l’article 15.1, alinéas 2 a) et 3 de la loi sur la police (voir, le paragraphe 51 ci-dessus)).

D. Le code de procédure applicable aux contraventions (Kodeks postępowania w sprawach o wykroczenia) de 1971

58. Selon l’article 19 § 1 du code de procédure applicable aux contraventions, concernant les « contrôles » (czynności sprawdzające) dans les affaires relatives à des contraventions, la « milice » pouvait, dans le cadre des démarches tendant au rassemblement des éléments indispensables à l’ouverture des poursuites (wniosek karny), exiger de se voir présenter les explications, les déclarations ou les avis, de même que tout objet ou pièce susceptible de constituer un élément de preuve. Dans la mesure du possible, les contrôles étaient effectués sur le lieu de l’infraction aussitôt après la commission de celle-ci.

E. Le (nouveau) code de procédure applicable aux contraventions (Kodeks postępowania w sprawach o wykroczenia) de 2001

59. Selon l’article 45 § 1 du code, l’auteur d’une contravention peut être arrêté en flagrant délit ou directement après sa commission dans deux cas de figure, à savoir lorsque son identité ne peut être établie et/ou bien lorsque l’affaire appelle à l’application de la procédure accélérée (postępowanie przyspieszone).

60. L’article 54 § 1 du code dispose que la police effectue les contrôles (czynności wyjaśniające) en cas de nécessité de déterminer l’éventuelle présence de motifs susceptibles de justifier des poursuites ou de rassembler les éléments requis à cet effet. Les actions concernées sont, dans la mesure du possible, conduites sur le lieu de l’infraction et doivent être terminées dans un délai d’un mois maximum.

61. L’article 54 § 3 du code prévoit que, lorsque les circonstances dans lesquelles la contravention a été commise ne sont pas controversées, le déroulement des contrôles peut être répertorié dans une note officielle écrite, comportant les éléments indispensables au dépôt d’une demande d’ouverture des poursuites.

F. Le code civil

62. L’article 417 du code civil régit la responsabilité délictuelle de l’État. En ses termes, le Trésor public ou une autre entité de l’administration territoriale ou encore une personne morale exerçant la puissance publique en vertu de la loi est tenu pour responsable des dommages causés par une action ou une abstention irrégulière, commise à l’occasion de l’exercice de la puissance publique.

G. La résolution (uchwała) de la Cour suprême du 21 juin 1995 (I KPZ 20/95)

63. Par une résolution du 21 juin 1995, la Cour suprême, statuant en sa formation composée de trois magistrats, s’est prononcée sur la question préjudicielle suivante : « La conduite au poste d’une personne soupçonnée d’avoir commis une contravention en vue de l’établissement de son identité et du prélèvement sanguin visant à déterminer l’éventuelle présence d’alcool constitue-t-elle une arrestation susceptible de faire l’objet du contrôle juridictionnel prévu par l’article 23 du code de procédure pénale ? »

64. La Cour suprême a jugé que la conduite au poste, effectuée dans les conditions décrites dans la question préjudicielle, constituait une arrestation susceptible de contrôle juridictionnel seulement lorsqu’elle intervenait dans les conditions prévues par l’article 15.1, alinéa 3, de la loi sur la police.

65. D’après la Cour suprême, une telle conduite au poste d’une personne soupçonnée d’avoir commis une contravention en vue des contrôles (czynności wyjaśniające/sprawdząjace) nécessaires ou en vue du rassemblement des preuves était autorisée, y compris lorsqu’elle intervenait dans des circonstances autres que celles prévues par l’article 15.1, alinéa 3, de la loi sur la police.

66. Malgré l’absence d’une réglementation explicite relativement à une telle conduite au poste par le code de procédure pénale ou par le code de procédure applicable aux contraventions, celle-ci était autorisée pour des raisons pratiques, en tant que moyen d’action de la police indispensable à l’exercice de sa mission. Il pouvait arriver que les actes dont il est question à l’article 19 § 1 du code de procédure applicable aux contraventions ou à l’article 14 de la loi sur la police dussent être effectués dans des locaux adaptés et non pas sur la voie publique. Une telle situation pouvait se produire, par exemple, lorsqu’il était nécessaire d’établir l’identité d’une personne arrêtée en flagrant délit qui ne disposait pas des documents requis, et d’effectuer une fouille à corps ou un prélèvement sanguin aux fins de la constitution des preuves.

67. Selon la Cour suprême, la conduite au poste, lorsqu’elle n’était pas effectuée en application de l’article 15.1, alinéa 3, de la loi sur la police, ne pouvait faire l’objet du contrôle juridictionnel prévu par l’article 23 du code de procédure pénale. En cas d’éventuels abus d’autorité à l’égard d’une personne temporairement privée de sa liberté du fait d’une telle conduite au poste, la victime pouvait se défendre par moyen d’une plainte visant à l’établissement de la responsabilité pénale, disciplinaire ou civile d’un agent de police s’étant rendu coupable d’une irrégularité.

H. Les dispositions du code de procédure pénale relatives à l’indemnisation en cas de détention injustifiée

68. Le chapitre 58 du code de procédure pénale, intitulé « Indemnisation en cas de condamnation, de détention provisoire ou d’arrestation injustifiées », dispose que la responsabilité de l’État est engagée en cas de condamnation ou de mesure privative de liberté injustifiées prononcées dans le cadre d’une procédure pénale.

69. En ses parties pertinentes, l’article 552 énonce :

« 1. Lorsque, à l’issue de la réouverture de la procédure pénale dirigée contre lui ou d’un pourvoi en cassation, l’accusé est soit acquitté soit à nouveau condamné en vertu d’une disposition de fond plus clémente, il peut prétendre à une indemnisation du Trésor public pour le dommage matériel et moral que lui a causé l’exécution de tout ou partie de la peine qui lui avait été imposée à l’origine.

(...)

4. Peuvent également prétendre à une indemnisation pour dommage matériel et pour dommage moral les victimes d’une arrestation ou d’une détention provisoire manifestement injustifiées. »

I. Les résolutions de la Cour Suprême

70. L’une des attributions de la Cour Suprême polonaise consiste à veiller à l’uniformisation de la jurisprudence. Elle s’exerce principalement au moyen des résolutions (uchwały) adoptées en cas de nécessité de clarifier les dispositions pertinentes de la loi ou de résoudre une question juridique controversée s’étant posée à l’occasion d’un litige.

71. Une résolution par laquelle la Cour Suprême statue en sa formation composée de trois magistrats sur une question préjudicielle posée par une juridiction inférieure à l’occasion d’une affaire pendante devant elle ne lie formellement que cette juridiction et seulement dans le cadre de l’affaire concernée devant elle.

EN DROIT

I. Sur le locus standi de Mme Tomaszewska

72. La Cour observe que Zbigniew Tomaszewski est décédé le 17 août 2004 à l’âge de quinze ans, soit environ six mois avant l’introduction de la présente requête. Elle doit examiner si Mme Tomaszewska, la mère de Zbigniew, peut se voir reconnaître la qualité pour agir devant la Cour en lieu et place du défunt.

73. Le Gouvernement ne s’est pas opposé à l’introduction de la requête par Mme Tomaszewska, excepté en ce qui concerne le grief tiré de l’article 6 de la Convention.

74. La Cour rappelle que l’existence d’une victime d’une violation, c’est-à-dire d’un individu qui est personnellement touché par la violation alléguée d’un droit garanti par la Convention, est nécessaire pour que soit enclenché le mécanisme de protection prévu par celle-ci, bien que ce critère ne puisse être appliqué de façon rigide, mécanique et inflexible tout au long de la procédure (Karner c. Autriche, no 40016/98, § 25, CEDH 2003-IX). Pour qu’un requérant puisse se prétendre victime d’une violation de la Convention, il doit pouvoir démontrer qu’il a été directement affecté par la mesure incriminée (Sanles Sanles c. Espagne (déc.), no 48335/99, CEDH 2000-XI, Kaburov c. Bulgarie (déc.), no 9035/06, §§ 51-53, 19 juin 2012).

75. La Cour rappelle ensuite qu’une personne ayant un lien étroit de parenté – comme celui existant entre un parent et son enfant – avec une personne qui est morte ou qui a disparu dans des circonstances mettant en cause la responsabilité de l’Etat a qualité pour agir devant la Cour (Biç et autres c. Turquie, no 55955/00, §§ 22-23, 2 février 2006). Il s’agit d’une situation particulière régie par la nature de la violation alléguée et les considérations liées à l’application effective de l’une des dispositions les plus fondamentales du système de la Convention.

76. La Cour rappelle en outre que les griefs tirés de l’article 3 de la Convention peuvent être portés devant la Cour par un proche lorsque le décès du parent est lié aux mauvais traitements subis (Keenan c. Royaume‑Uni, no 27229/95, §§ 83-116, CEDH 2001-III).

77. Quant aux droits tirés de l’article 5 de la Convention, la Cour a jugé qu’ils appartenaient à la catégorie des droits non transférables (Sanles, décision précitée, § 64, et Gengoux c. Belgique (déc.), no 76512/11, § 37, 11 septembre 2012).

78. Toutefois, dans certaines autres affaires concernant les griefs tirés des articles 5, 6 et 8 de la Convention, la Cour a reconnu que les proches pouvaient se prévaloir de la qualité de victime et introduire une requête devant elle, pour autant qu’ils ont démontré leur intérêt moral à voir le défunt blanchi de toute déclaration de culpabilité formulée contre lui (Nolkenbockhoff c. Allemagne, no 10300/83, § 33, 25 août 1987).

79. En l’espèce, la Cour observe que nul ne prétend que Zbigniew Tomaszewski soit mort des suites de circonstances imputables à l’État, en particulier des suites des mauvais traitements qu’il avait allégué s’être vu infliger par les policiers. La procédure interne relative à ses allégations de mauvais traitements s’est soldée par un non-lieu en raison de l’absence de la victime potentielle. La procédure devant le tribunal aux affaires familiales a elle aussi été close à la suite du décès de l’intéressé. La Cour souligne que cette seconde procédure, comme l’a précisé le tribunal en dernier recours, ne visait pas à trancher la question de la culpabilité du mineur mais à déterminer si des mesures éducatives, médicales ou correctives devaient être prises à son encontre. La Cour note que chacune des deux procédures concernées était strictement liée à la personne du défunt.

80. Certes, Mme Tomaszewska peut affirmer avoir été touchée par les circonstances ayant prétendument entouré l’interpellation de son fils. Toutefois, les droits qu’elle réclame au titre des articles 3, 5 et 6 de la Convention sont, en l’espèce, éminemment personnels et non transférables.

81. Il s’ensuit que Mme Tomaszewska ne peut prétendre à la qualité de victime requise par l’article 34 de la Convention et que la requête, pour autant qu’elle concerne la requérante, doit être rejetée pour incompatibilité ratione personae avec la Convention, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

82. Les requérants se plaignent, sur le terrain de l’article 3, 8 et 13 de la Convention, de s’être vu infliger des mauvais traitements par les policiers et ils dénoncent l’absence d’enquête effective à ce sujet.

83. La Cour estime opportun d’examiner, sur le terrain du seul article 3 de la Convention, l’ensemble des griefs formulés par les requérants en rapport avec les mauvais traitements que leur aurait infligés la police. L’article 3 de la Convention est ainsi libellé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

84. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes, au motif que, après la clôture de l’enquête et préalablement à la saisine de la Cour, les deux frères aînés n’auraient pas déposé leur propre acte d’accusation contre les agents de police concernés, malgré la faculté que leur aurait été offerte par l’article 157 § 4 du code de procédure pénale.

85. Sur le fond, le Gouvernement soutient que les requérants n’ont pas subi de traitements contraires à l’article 3 de la Convention. Artur Tomaszewski n’aurait présenté aucun élément susceptible d’attester de ses prétendues contusions. Quant aux éléments concernant son frère, Sebastian, ils feraient apparaître que sa contusion au pied était antérieure à son interpellation par la police. Du reste, selon le Gouvernement, les allégations des requérants n’ont été corroborées par aucun témoin oculaire.

86. En outre, le Gouvernement considère que les griefs des requérants concernant les fouilles corporelles prétendument dégradantes qui leur auraient été imposées sont incohérents, dépourvus de crédibilité et non étayés. Seuls Artur et Zbigniew Tomaszewscy auraient déclaré avoir été obligé de se dévêtir pour être fouillés, tandis que leur frère Sebastian n’aurait aucunement formulé un tel grief auprès du parquet. Le Gouvernement admet que, lors de leur interpellation et à leur arrivée au poste, la police a pu inspecter leurs poches. Or, cette mesure, autorisée par l’article 15.1, alinéa 4, de la loi sur la police, était régulière et justifiée au regard des circonstances de l’affaire.

87. Le Gouvernement soutient de surcroît que l’enquête conduite au sujet des allégations des requérants a satisfait aux exigences de l’article 3 de la Convention. Les investigations auraient été engagées sans délai et conduites sans l’assistance des agents impliqués dans les faits, et tant les agents visés que ceux présents sur les lieux au moment des faits auraient été interrogés. Le Gouvernement fait observer que le parquet a recueilli les témoignages de l’ensemble des personnes arrêtées en même temps que les requérants et qu’il a interrogé celles qui, sans être impliquées directement dans les faits, étaient présentes sur les lieux. Le parquet aurait en outre conduit plusieurs parades d’identification et confrontations entre les requérants et les agents de police mis en cause et aurait rassemblé la documentation médicale pertinente, dont une expertise médicale. Le caractère non concluant de celle-ci ne serait pas imputable aux autorités. Le Gouvernement indique ensuite que, à la suite de l’annulation de l’ordonnance initiale de non-lieu, des investigations complémentaires ont été effectuées. Les pièces recueillies n’ayant pas permis d’étayer les griefs formulés par les requérants, il aurait été procédé à la clôture de l’instruction, décision dont le bien-fondé aurait été confirmé à l’issue d’un contrôle juridictionnel.

88. Le Gouvernement ajoute que l’enquête interne de la police, conduite indépendamment de celle du parquet, n’a pas non plus confirmé les allégations formulées par les requérants contre les agents de police concernés.

89. Les requérants maintiennent leurs griefs et insistent sur l’absence de caractère effectif de l’enquête du parquet.

90. La Cour n’estime pas nécessaire de se prononcer en l’espèce sur la question de savoir si les voies de recours internes ont été épuisées, car, en tout état de cause, le grief est irrecevable pour un autre motif.

91. La Cour rappelle que, pour tomber sous le coup de l’article 3, un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravité. L’appréciation de ce minimum est relative par essence ; elle dépend de l’ensemble des données de la cause et, notamment, de la durée du traitement, de ses effets physiques ou mentaux ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime.

92. La Cour réitère également que, lorsqu’une personne est blessée au cours d’une garde à vue, alors qu’elle se trouvait entièrement sous le contrôle de fonctionnaires de police, toute blessure survenue pendant cette période donne lieu à de fortes présomptions de fait (voir Salman c. Turquie [GC], no 21986/93, § 100, CEDH 2000‑VII). Il appartient au Gouvernement de fournir une explication plausible sur les origines de ces blessures et de produire des preuves établissant des faits qui font peser un doute sur les allégations de la victime, notamment si celles-ci sont étayées par des pièces médicales (Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 87, CEDH 1999‑V, Altay c. Turquie, no 22279/93, § 50, 22 mai 2001, Dzwonkowski c. Pologne, no 46702/99, § 48, 12 avril 2007 et Lewandowski et Lewandowska c. Pologne, no15562/02, § 58, 13 janvier 2009).

93. La Cour rappelle de plus que les allégations de mauvais traitements doivent être étayées devant elle par des éléments de preuve appropriés. Pour l’établissement des faits allégués, la Cour se sert du critère de la preuve « au-delà de tout doute raisonnable » ; une telle preuve peut néanmoins résulter d’un faisceau d’indices, ou de présomptions non réfutées, suffisamment graves, précis et concordants (Berktay c. Turquie, no 22493/93, § 165, 1er mars 2001, Jasinski c. Pologne, no 72976/01 , § 35, 6 décembre 2007, Grimailovs c. Lettonie, no 6087/03, § 101, 25 juin 2013).

94. La Cour rappelle ensuite que, lorsqu’un individu affirme de manière défendable avoir subi des traitements contraires à l’article 3 de la part de la police ou d’autres autorités comparables, cette disposition requiert qu’il y ait une enquête officielle effective (Assenov et autres c. Bulgarie, no 24760/94, § 102, 28 octobre 1998, Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 131, CEDH 2000-IV, et Sorokins et Sorokina c. Lettonie, no 45476/04, § 95, 28 mai 2013). Toutefois, il s’agit d’une obligation non pas de résultat, mais de moyens. Les autorités doivent avoir pris les mesures raisonnables dont elles disposaient pour assurer l’obtention des preuves relatives aux faits en question (Šečić c. Croatie, no 40116/02, § 54, CEDH 2007-VI).

95. Une exigence de célérité et de diligence raisonnable est implicite dans ce contexte. Il est essentiel que les investigations soient menées à bref délai, car l’écoulement du temps érode inévitablement la quantité et la qualité des preuves disponibles, et l’apparence d’un manque de diligence jette un doute sur la bonne foi des investigations menées et fait perdurer l’épreuve que traversent les personnes concernées (Paul et Audrey Edwards c. Royaume-Uni, no 46477/99, § 86, CEDH 2002‑II).

96. Quant aux agents chargés de l’enquête, l’effectivité requiert en premier lieu que les personnes responsables de la conduite de l’enquête soient indépendantes de celles éventuellement impliquées dans les événements : elles doivent, d’une part, ne pas leur être subordonnées d’un point de vue hiérarchique ou institutionnel et, d’autre part, être indépendantes en pratique (voir, par exemple, Slimani c. France, no 57671/00, § 32, CEDH 2004‑IX, et Paul et Audrey Edwards, précité, § 70, Yotova c. Bulgarie , no 43606/04, § 77, 23 octobre 2012, et Bursuc c. Roumanie, no 42066/98, § 103, 12 janvier 2005).

97. La Cour rappelle enfin que, lorsqu’il y a eu une procédure interne, il n’entre toutefois pas dans ses attributions de substituer sa propre vision des choses à celle des cours et tribunaux internes, auxquels il appartient en principe de peser les données recueillies par eux (Jasar c. « l’ex-République yougoslave de Macédoine », no 69908/01, § 49, 15 février 2007). Même si les constatations des tribunaux internes ne lient pas la Cour, il lui faut néanmoins des éléments convaincants pour pouvoir s’écarter des constatations auxquelles ils sont parvenus.

98. En l’espèce, la Cour relève que le certificat médical établi à l’issue de l’examen auquel Sebastian Tomaszewski s’est soumis après sa sortie du commissariat fait état de contusions à la tête et au pied droit. Elle note que l’expert commissionné au cours de l’enquête pour violences policières a constaté que ces contusions avaient entraîné une incapacité de travail de plus de sept jours. De l’avis de la Cour, les lésions subies par Sebastian Tomaszewski apparaissent comme étant suffisamment sérieuses pour entrer dans le champ d’application de l’article 3.

99. En revanche, la Cour observe que, contrairement à son frère aîné, Artur Tomaszewski n’a présenté aucun élément susceptible d’attester de la réalité de ses contusions. Ce requérant n’a pas sollicité d’assistance médicale après sa sortie du commissariat et n’a pas non plus expliqué pourquoi il ne s’était pas rendu chez un médecin en vue d’un examen.

100. La Cour relève que l’enquête diligentée par les autorités nationales au sujet des mauvais traitements des requérants a donné lieu à une décision de non-lieu motivée par l’absence d’éléments permettant d’imputer aux agents les contusions en cause. La conclusion de l’enquête était appuyée par les éléments rassemblés par les autorités dont le rapport médico‑légal présenté à leur demande par l’expert chirurgien.

101. La Cour note qu’en ce qui concerne Sebastian Tomaszewski, l’expert a conclu à l’impossibilité d’établir de manière non équivoque l’origine des contusions que ce requérant avait subies à la tête et au pied. En raison de leur description sommaire et de l’absence de précision sur leurs causes dans la documentation médicale présentée par l’intéressé, l’expert n’a pas été en mesure de déterminer laquelle de deux versions des faits, celle du requérant ou celle des policiers, était la plus crédible du point de vue médical. En même temps, l’expert a exclu la version du requérant selon laquelle ses contusions provenaient de coups assénés avec une matraque de policier.

Le rapport de l’expert fait également apparaître que certaines contusions que le requérant affirmait avoir subies n’ont pas été mentionnées dans son dossier médical. La Cour considère que les autorités nationales ne sauraient être tenues pour responsables du caractère lacunaire de la documentation médicale présentée par l’intéressé, étant donné qu’elle a établie par un médecin d’un hôpital civil où le requérant s’était rendu de sa propre initiative sans y avoir été conduit par les autorités. La Cour estime que le requérant aurait dû veiller à ce que l’ensemble des lésions imputées aux agents de police soient mentionnées dans son dossier médical.

102. La Cour relève, s’agissant d’Artur Tomaszewski, qu’en l’absence d’un quelconque certificat médical le concernant, l’expert n’a pas été en mesure d’établir - sur la base du seul récit des faits donné par l’intéressé - les causes de ses prétendues contusions.

103. La Cour relève que, hormis la documentation médicale susvisée, d’autres éléments de preuve, dont les nombreux témoignages, ont été réunis par les autorités. Toutefois, aucun de ces éléments, en particulier aucun témoignage des jeunes interpellés par la police, en même temps que les requérants, n’a confirmé leurs allégations de mauvais traitements. Le seul témoignage susceptible de mettre en cause les agents a été écarté par le tribunal pour manque de crédibilité. Aucun élément supplémentaire propre à remettre en cause les constats des autorités nationales n’a été soumis par les requérants dans le cadre de la procédure devant la Cour.

104. Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que les allégations des mauvais traitements des requérants n’ont pas été étayées de sorte que l’État soit tenu de fournir une explication sur les origines des contusions dont se plaignent les intéressés. De l’avis de la Cour, la présomption selon laquelle les blessures occasionnées lors d’une garde à vue résultent des actes des autorités est en l’espèce affaiblie par le fait que l’interpellation des requérants est intervenue dans les heures qui ont suivi les altercations violentes entre des jeunes, auxquelles les requérants avaient activement participé, selon le jugement prononcé à leur encontre en mai 2005 par une juridiction pénale.

105. En ce qui concerne le grief relatif aux fouilles dégradantes dont les deux requérants affirment avoir fait l’objet, la Cour rappelle que des fouilles corporelles peuvent parfois se révéler nécessaires pour assurer la sécurité, défendre l’ordre ou prévenir les infractions pénales ; elles doivent, dans de tels cas, être menées selon les modalités adéquates (Bülent Barmaksiz c. Turquie (déc.), no 1004/03, 23 octobre 2007).

106. En l’espèce, la Cour observe que les autorités internes ont rejeté le grief des requérants portant sur le caractère abusif des fouilles corporelles effectuées sur leurs personnes, au motif que ces mesures ont été appliquées conformément à la loi. Elle note que la loi sur la police et le règlement pris en son application autorisent les agents de police à effectuer des fouilles corporelles s’il y a des indices sérieux de commission d’une infraction et que les requérants ont fait l’objet de fouilles à corps en rapport avec l’infraction de trouble à l’ordre public dont ils étaient soupçonnés. Elle ne dispose pas d’éléments susceptibles de faire apparaître que les fouilles incriminées auraient été effectuées avec un degré d’humiliation susceptible de dépasser celui que comporte inévitablement cette forme de traitement légitime (Dell’anna c. Italie (déc.), no 16702/04, 1er septembre 2009).

107. Pour autant que les requérants se plaignent d’avoir été menottés lors de leur conduite au commissariat, la Cour note qu’il n’apparaît pas qu’ils aient soulevé cet aspect du grief devant les autorités internes et le grief n’est en outre pas étayé.

108. Quant au volet procédural de l’affaire, la Cour note qu’en l’espèce, deux enquêtes ont été conduites par les autorités pour élucider les faits à l’origine du grief formulé par les requérants.

109. Elle relève que l’enquête du parquet, au cours de laquelle de nombreux actes d’instruction avaient été entrepris, s’est étendue sur un an et un mois, phase juridictionnelle comprise. Les autorités ont interrogé les agents mis en cause et plusieurs témoins, dont tous les contrevenants à l’ordre public à Ostróda dans la nuit du 30 au 31 août 2003, et elles ont rassemblé la documentation médicale pertinente. La Cour estime que les autorités compétentes ont pris les mesures raisonnables dont elles disposaient pour assurer l’obtention des preuves relatives à l’incident. Elle note que la décision de clôture de l’enquête, motivée par l’absence d’éléments susceptibles de faire apparaître des faits infractionnels imputables aux agents, a été contrôlée par le tribunal qui n’a décelé aucune violation des règles de procédure.

La Cour observe que ni devant les autorités internes ni devant elle-même les requérants n’ont soutenu que les responsables de l’enquête n’auraient pas été indépendants à l’égard des agents impliqués dans les évènements. La Cour ne dispose pas d’éléments qui lui permettraient d’en juger autrement.

110. S’agissant de l’enquête policière, indépendante de celle du parquet, la Cour note qu’elle a donné lieu à une conclusion comparable à celle retenue à l’issue de cette dernière.

111. Dans ces circonstances, la Cour juge impossible d’établir, à partir des preuves produites devant elle, si les contusions subies par les requérants s’étaient produites du fait des actions susceptibles d’être imputées aux agents de l’État (voir, Petyo Popov c. Bulgarie, no 75022/01, § 57, 22 avril 2009), Timur c. Turquie, no 29100/03, § 33, 26 juin 2007). Elle ne dispose d’aucune donnée concluante qui pourrait l’amener à s’écarter des constatations de fait des autorités nationales concernant l’origine des contusions des requérants (Marinov c. Bulgarie, no 37770/03, § 80, 30 septembre 2010). En outre, rien dans le dossier ne fait apparaître que les autorités n’auraient pas pris les mesures raisonnables qui s’offraient à elles pour obtenir des preuves relatives aux faits allégués et mener une enquête effective, au sens de l’article 3 de la Convention.

112. Partant, la Cour rejette le grief tiré de l’article 3 de la Convention pour défaut manifeste de fondement, en application de l’article 35 §§ 3 (a) et 4 de la Convention.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 DE LA CONVENTION

113. Les requérants soulèvent plusieurs griefs au sujet de leur privation de liberté intervenue à la suite de leur interpellation et leur rétention au commissariat. Ils se plaignent plus particulièrement du caractère arbitraire de cette mesure, de l’absence de son contrôle juridictionnel et de l’impossibilité pour eux d’obtenir réparation pour le préjudice subi du fait de son application. Les requérants invoquent l’article 5 de la Convention, disposition dont les passages pertinents en l’espèce sont ainsi libellés :

« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

(...)

c) s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction (...)

(...)

4. Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale.

5. Toute personne victime d’une arrestation ou d’une détention dans des conditions contraires aux dispositions de cet article a droit à réparation. »

A. Sur la recevabilité

Sur le respect du délai de six mois

114. En l’espèce, la Cour note que les décisions prononcées dans le cadre de l’enquête pour violences policières font apparaître que la privation de liberté des requérants, qui a pris fin le 31 août 2003, n’était pas susceptible de contrôle juridictionnel (paragraphes 24 et 31 ci-dessus). Ainsi, compte tenu du fait que la présente requête a été introduite le 14 février 2005, soit plus d’un an et cinq mois après la fin de la privation de liberté litigieuse, la question du respect de la règle de six mois se pose.

115. La Cour rappelle, dans ce contexte, que le fait que le Gouvernement n’a pas formulé d’exception préliminaire fondée sur la question du respect du délai de six mois ne la dispense pas d’examiner d’office si les requérants ont satisfait à cette exigence (Walker c. Royaume-Uni (déc.), no 34979/97, CEDH 2000-I).

Elle rappelle en outre que le délai de six mois court à compter de la décision définitive dans le cadre de l’épuisement des voies de recours internes. L’intéressé doit avoir fait un usage normal des recours internes vraisemblablement efficaces et suffisants afin de porter remède à ses griefs (Moreira Barbarosa c. Portugal (déc.), no 65681/01, 29 avril 2004). Seuls les recours normaux et effectifs peuvent être pris en compte car un requérant ne peut pas repousser le délai strict imposé par la Convention en adressant des requêtes inopportunes ou abusives à des instances ou institutions qui n’ont pas le pouvoir ou la compétence nécessaire pour accorder, sur le fondement de la Convention, une réparation effective concernant le grief en question (Fernie c. Royaume-Uni (déc.), no 14881/04, 5 janvier 2006).

116. Lorsqu’il est d’emblée clair que le requérant ne dispose d’aucun recours effectif, le délai de six mois court à compter de la date des actes ou mesures dénoncés ou de la date à laquelle l’intéressé en prend connaissance ou en ressent les effets ou le préjudice (Dennis et autres c. Royaume-Uni (déc.), no 76573/01, 2 juillet 2002).

117. La Cour note que la conclusion à laquelle sont parvenues en l’espèce les autorités nationales, selon laquelle la privation de liberté des requérants était insusceptible de contrôle juridictionnel, était fondée sur la résolution de la Cour Suprême du 21 juin 1995. La Cour note que dans cette même résolution, la Cour Suprême a jugé qu’en cas d’éventuels abus d’autorité à l’égard d’une personne temporairement privée de liberté du fait d’une conduite au poste insusceptible de contrôle juridictionnel, la victime pouvait se défendre au moyen d’une plainte tendant à l’établissement de la responsabilité pénale, disciplinaire ou civile d’un agent de police coupable d’une irrégularité.

118. En l’espèce, respectivement onze et dix-sept jours après leur libération, les requérants ont exercé- en conformité avec la jurisprudence susvisée de la Cour Suprême - une plainte pénale à l’encontre des agents de police mis en cause dans laquelle ils ont soulevé le grief relatif au caractère irrégulier de leur privation de liberté. En répondant audit grief dans sa décision du 10 mars 2004, le procureur de district d’Ostróda a déclaré que la privation de liberté litigieuse avait été opérée conformément à la loi. La décision du procureur a été dans cette mesure confirmée le 15 octobre 2004 par le tribunal de district d’Ostróda. Quant à la présente requête, elle a été introduite par les requérants environ quatre mois après la décision du tribunal de district.

119. Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que dans les circonstances particulières de l’espèce, on ne saurait faire grief aux requérants d’avoir introduit, préalablement à sa saisine, un recours qui constituait, selon la jurisprudence de la haute juridiction nationale, l’unique moyen leur permettant de porter à la connaissance des autorités internes le grief portant sur le caractère irrégulier de leur privation de liberté (voir, par analogie Ahtinen c. Finlande (déc.), no 48907/99, 31 mai 2005).

120. Partant, la Cour estime qu’en ce qui concerne le grief en question, le délai de six mois a commencé à courir le 15 octobre 2004, date de la décision du tribunal de district d’Ostróda, et que par conséquent, ce grief a été présenté dans les délais.

121. La Cour constate que cette partie de la requête n’est pas manifestement mal fondée, au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Plus particulièrement, le Gouvernement n’a pas excipé du non-épuisement des voies de recours internes. Il convient donc de la déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Les arguments des parties

122. Le Gouvernement ne conteste pas l’applicabilité de l’article 5 de la Convention dans la présente affaire. Il soutient que la privation de liberté des requérants, très brève à ses yeux, se justifiait sous l’angle de l’article 5 de la Convention. Les requérants auraient été conduits au poste en vue de l’établissement de leur identité et d’un éthylotest, soit pour effectuer les démarches nécessaires à la constitution du dossier d’ouverture des poursuites contre eux.

123. Le Gouvernement fait observer que, après avoir constaté que la privation de liberté des requérants n’était pas intervenue pour le motif énoncé à l’article 15. 1 alinéa 3 de la loi sur la police, les autorités se sont référées à la résolution de la Cour suprême du 21 juin 1995 (paragraphes 63-67 ci-dessus). En se fondant sur cette jurisprudence, elles ont considéré que cette mesure ne constituait pas « une interpellation », au sens du droit polonais, raison pour laquelle les intéressés n’auraient pu bénéficier des garanties procédurales reconnues aux « personnes arrêtées », au sens du code de procédure pénale, telles que l’obtention d’un procès-verbal de l’arrestation, la notification des motifs de son application ou le contrôle juridictionnel de sa régularité.

124. Les requérants soutiennent que leur privation de liberté a été irrégulière en raison de l’absence des conditions de l’interpellation prévues à l’article 244 du code de procédure pénale. Leur arrestation aurait été conduite en l’absence d’éléments permettant de les soupçonner d’avoir commis une infraction ou de craindre qu’ils pussent tenter de fuir ou de détruire les éléments de preuve ou que leur identité ne pût être établie.

125. Les requérants dénoncent en outre une impossibilité d’obtenir un procès-verbal de leur interpellation et une information quant aux raisons ayant motivé le recours à celle-ci, ce qui aurait constitué une violation du droit interne et de la Convention.

2. L’appréciation de la Cour

a) Sur l’existence d’une privation de liberté

126. La Cour estime qu’il convient de déterminer d’abord si les requérants ont été privés de liberté, au sens de l’article 5 § 1 de la Convention.

127. Elle rappelle que, pour déterminer si un individu se trouve « privé de sa liberté », au sens de l’article 5, il faut partir de sa situation concrète et prendre en compte un ensemble de critères comme le genre, la durée, les effets et les modalités d’exécution de la mesure considérée. Elle rappelle également que, entre privation et restriction de liberté, il n’y a qu’une différence de degré ou d’intensité, non de nature ou d’essence (Guzzardi c. Italie, 6 novembre 1980, §§ 92‑93, série A no 39). Elle réitère enfin que l’article 5 peut trouver à s’appliquer même dans le cas d’une privation de liberté de très courte durée (voir, par exemple Gillan et Quinton c. Royaume-Uni, no 4158/05, § 57, CEDH 2010-..., où les requérants ont été arrêtés pendant environ trente minutes pour être fouillés ; Shimovolos c. Russie, no 30194/09, § 48, 21 juin 2011, où le requérant a été retenu au poste de police pendant quarante-cinq minutes ; Novotka c. Slovaquie (déc.), no 47244/99, 4 novembre 2003, concernant une garde à vue d’environ une heure, Nada c. Suisse [GC], no 10593/08, §§ 225-226, 12 septembre 2012).

128. En l’espèce, la Cour note que le Gouvernement n’a pas contesté l’applicabilité de l’article 5 de la Convention.

129. Elle relève que la durée précise de la retenue des requérants au poste n’a pas été précisément établie. Les éléments du dossier permettent cependant de conclure qu’elle n’a pas dépassé deux heures.

130. La Cour note ensuite que la conduite et la retenue des requérants au poste sont intervenues à la suite de leur interpellation par une patrouille de policiers armés. Les intéressés ont été sommés de quitter le taxi à bord duquel ils se trouvaient et ont été emmenés dans le véhicule de service au commissariat, où ils ont dû se soumettre à un contrôle d’identité et à un éthylotest. Ils n’ont pu quitter les locaux que sur autorisation expresse des policiers, après l’accomplissement des démarches nécessaires à la constitution des dossiers les concernant. La Cour considère que, malgré la courte durée pendant laquelle les requérants ont été retenus au poste de police, le niveau de contrainte dont cette mesure a été accompagnée était suffisant pour la faire tomber sous le coup d’application de l’article 5.

131. Partant, la Cour estime que les requérants ont bien été privés de leur liberté, au sens de l’article 5 § 1 de la Convention.

b) Sur l’observation de l’article 5 § 1 de la Convention

132. La Cour doit examiner si la privation de liberté des requérants a respecté les exigences de l’article 5 § 1 de la Convention. Elle rappelle que cette disposition renferme une liste exhaustive des motifs autorisant la privation de liberté, et qu’une privation de liberté n’est pas régulière si elle ne relève pas de l’un des motifs énoncés aux alinéas a) à f) de l’article 5 (Witold Litwa c. Pologne, no 26629/95, § 49, 4 avril 2000).

133. La Cour observe que l’interpellation des requérants est intervenue après que les agents de police – qui étaient présents sur les lieux des altercations à Ostróda dans la nuit du 30 au 31 août 2003 et qui avaient pris le temps d’observer leur déroulement – les avaient identifiés comme auteurs du trouble à l’ordre public. Lors de leur interpellation, les requérants pouvaient être raisonnablement soupçonnés par les policiers de s’être rendus coupables d’une contravention.

134. La Cour relève ensuite que l’interpellation des requérants n’a pas été effectuée à la suite d’un contrôle de routine par la police, mais qu’elle s’inscrivait dans une action concertée des forces de l’ordre, tendant à l’identification et à la conduite de l’ensemble des contrevenants au poste en vue des contrôles nécessaires à l’ouverture des poursuites pénales pour commission d’une contravention.

135. La Cour note que les soupçons à l’encontre de Sebastian Tomaszewski et d’Artur Tomaszewski se sont confirmés par la suite dans le cadre de la procédure pénale ayant donné lieu à leur condamnation à des peines respectivement d’amende et de travaux d’intérêt général, au titre des contraventions punies par les articles 51 §§ 1 et 2 et 141 du code de procédure applicable aux contraventions.

136. Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que la privation de liberté des requérants, effectuée en vue de leur conduite devant une autorité judiciaire compétente compte tenu du fait qu’ils étaient soupçonnés d’avoir commis une contravention, pourrait se justifier sous l’angle de l’article 5 § 1 c) de la Convention.

137. La Cour rappelle que, en vertu de l’article 5 § 1 de la Convention, toute privation de liberté doit être « régulière », ce qui implique qu’elle doit être effectuée selon les « voies légales ». Sur ce point, la Convention renvoie pour l’essentiel à la législation nationale et énonce l’obligation d’en respecter les dispositions de fond et de procédure (Witold Litwa, précité, § 72). S’il incombe au premier chef aux autorités nationales, notamment aux tribunaux, d’interpréter et d’appliquer le droit interne, il en est autrement s’agissant d’affaires dans lesquelles, au regard de l’article 5 § 1, l’inobservation du droit interne emporte violation de la Convention. En pareil cas, la Cour peut et doit exercer un certain contrôle pour rechercher si le droit interne a bien été respecté (Baranowski c. Pologne, no 28358/95, § 56, 28 mars 2000).

138. Toutefois, la « régularité » de la détention au regard du droit interne est un élément essentiel et non décisif. La Cour doit en outre être convaincue que la détention pendant la période en jeu est conforme à l’article 5 § 1, qui a pour but de protéger l’individu de toute privation de liberté arbitraire (voir, parmi beaucoup d’autres, Amuur c. France, 25 juin 1996, § 50, Recueil des arrêts et décisions 1996-III, Ilaşcu et autres c. Moldova et Russie [GC], no 48787/99, § 461, CEDH 2004-VII, Assanidzé c. Géorgie [GC], no 71503/01, § 171, CEDH 2004-II, McKay c. Royaume-Uni [GC], no 543/03, § 30, CEDH 2006-X, Mooren c. Allemagne [GC], no 11364/03, § 76, CEDH 2009-..., et Medvedyev et autres c. France [GC], no 3394/03, § 79, 2010-...).

139. La Cour souligne que lorsqu’il s’agit d’une privation de liberté, il est particulièrement important de satisfaire au principe général de la sécurité juridique. Par conséquent, il est essentiel que les conditions de la privation de liberté en vertu du droit interne soient clairement définies et que la loi elle-même soit prévisible dans son application, de façon à remplir le critère de « légalité » fixé par la Convention, qui exige que toute loi soit suffisamment précise pour permettre au citoyen – en s’entourant au besoin de conseils éclairés – de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences de nature à dériver d’un acte déterminé (Steel et autres c. Royaume-Uni, 23 septembre 1998, § 54, Recueil 1998-VII).

140. En l’espèce, la Cour note que les décisions prononcées par les autorités polonaises dans l’affaire des requérants ne font pas apparaître sur quelle disposition légale leur privation de liberté aurait pu se fonder. À cet égard, elles se référent à la résolution de la Cour Suprême du 21 juin 1995 et à l’ordonnance du Conseil des Ministres du 17 septembre 1990 (paragraphe 24 ci-dessus). La Cour note que, dans ses observations présentées au sujet de la présente requête, le Gouvernement polonais a cité ces mêmes dispositions.

141. D’emblée, la Cour note que dans sa résolution susvisée, la Cour Suprême polonaise a constaté l’absence d’une réglementation explicite dans le code de procédure pénale et dans le code de procédure applicable aux contraventions concernant la conduite au poste d’une personne soupçonnée d’avoir commis une contravention, en vue des contrôles visées à l’article 14 de la loi sur la police ou à l’article 19 du code de procédure applicable aux contraventions. Toutefois, elle a jugé que, dans le cadre de l’exercice des fonctions de police, la conduite au poste était autorisée pour des raisons pratiques (paragraphe 66 ci-dessus). La Cour note également qu’en droit polonais, les résolutions de la Cour Suprême, comme celle citée en l’espèce par les autorités, n’ont pas de force obligatoire (paragraphes 70-71 ci-dessus).

142. La Cour note que le code de procédure applicable aux contraventions, auquel il est fait référence dans la résolution susvisée de la Cour Suprême, a été abrogé en 2001 à la suite de l’adoption du nouveau code (paragraphe 59 ci-dessus). Ainsi, n’étant plus en vigueur à l’époque où la privation de liberté des requérants est intervenue, ce code ne pouvait s’y appliquer. Quant à l’article 14 de la loi sur la police, qui donne aux agents l’autorisation générale d’effectuer certains actes en matière de poursuite et de prévention des infractions, il ne mentionne nullement la privation de liberté. Bien que l’article 15. 1 de cette loi, complétant l’article 14, autorise la privation de liberté dans des cas limitativement énumérés (paragraphes 50-51 ci-dessus), aucune des hypothèses y étant mentionnées ne correspond à la situation des requérants dans la présente affaire.

143. La Cour observe également que l’ordonnance du Conseil des Ministres du 17 septembre 1990, à laquelle il est fait référence dans la décision du procureur de district d’Ostróda du 10 mars 2004, détermine une procédure à suivre lors d’une arrestation effectué dans les cas stipulés au paragraphe 1 alinéas 2 et 3 de la section 1 de cette ordonnance : d’un détenu s’étant évadé de son lieu d’incarcération et d’un individu mettant en danger par son comportement la vie et la santé humaine ou la sécurité des biens (paragraphes 57 et 50 ci-dessus). Aucun de ces cas ne concerne la présente affaire.

144. Au vu de ce qui précède, la Cour constate que le Gouvernement polonais n’a pas démontré l’existence d’une base légale en droit interne pour la privation de liberté des requérants.

145. Il s’ensuit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention.

c) Sur l’absence de contrôle juridictionnel de la régularité de la privation de liberté des requérants (article 5 § 4 de la Convention)

146. La Cour rappelle que l’article 5 § 4 de la Convention vise à assurer que la personne privée de liberté dispose d’une voie de recours pour obtenir un élargissement rapide si la détention est jugée illégale. Le droit garanti à l’article 5 § 4 n’est applicable qu’aux personnes privées de leur liberté et ne peut être invoqué lorsqu’il s’agit d’obtenir, après une libération, une déclaration d’illégalité d’une détention ou d’une arrestation antérieure (X. c. Suède (déc.), no 10230/82, 11 mai 1983). Cette disposition ne traite pas des autres voies de recours pouvant permettre de vérifier la légalité d’une détention qui a déjà pris fin, en particulier d’une détention brève comme celle en cause ici (voir, Slivenko c. Lettonie [GC], no 48321/99, § 158, Recueil 2003-X, Baisuiev et Anzorov c. Georgie, no 39804/04, § 69, 18 décembre 2012).

147. En conséquence, la Cour estime superflu d’examiner le bien-fondé du grief formulé par le requérant sur le terrain de l’article 5 § 4 de la Convention.

d) Sur l’impossibilité pour les requérants de solliciter une réparation au titre de leur privation de liberté (article 5 § 5 de la Convention)

148. Les requérants se plaignent de l’impossibilité pour eux de demander réparation pour leur préjudice subi du fait de leur privation de liberté irrégulière.

149. Le Gouvernement n’a pas souhaité se prononcer au sujet du grief.

150. La Cour rappelle que le droit à réparation énoncé au paragraphe 5 de l’article 5 de la Convention suppose qu’une violation de l’un des autres paragraphes de cette disposition ait été établie par une autorité nationale ou par les institutions de la Convention (N.C. c. Italie [GC], no 24952/94, § 49, CEDH, 2002‑X ; Pantea c. Roumanie, no 33343/96, § 262, 3 juin 2003).

151. Elle rappelle ensuite avoir constaté une violation de l’article 5 § 1 de la Convention en raison du caractère irrégulier de la privation de liberté des requérants (paragraphe 145 ci-dessus). Il en ressort que l’article 5 § 5 trouve à s’appliquer en l’espèce.

152. La Cour note que l’article 552 § 4 du code polonais de procédure pénale prévoit une possibilité pour une victime d’une arrestation manifestement injustifiée de demander réparation pour son préjudice subi de ce fait (paragraphes 68-69 ci-dessus).

153. Toutefois, le dossier de la présente affaire fait apparaître que la privation de liberté des requérants, intervenue à la suite de leur conduite et de leur rétention au commissariat, n’était pas considérée par les autorités comme « une arrestation » au sens dudit code. Ainsi, il n’apparaît pas que les requérants eussent été en mesure de s’en prévaloir pour demander réparation au titre de leur privation de liberté.

154. La Cour note également que l’article 417 du code civil prévoit la possibilité pour une personne lésée par une action ou une omission irrégulière de l’État de demander réparation de son dommage subi de ce fait (paragraphe 62 ci-dessus). Le libellé de cette disposition fait apparaître que la possibilité d’intenter une action en réparation dépend de la démonstration préalable du caractère irrégulier de l’action ou de l’omission de l’État ayant causé le dommage.

155. Or, il ressort des décisions rendues en l’espèce par les autorités nationales que celles-ci considéraient que la privation de liberté des requérants avait une base légale en droit interne et n’était pas irrégulière. Ainsi, compte tenu de l’approche retenue au niveau interne, la Cour n’est pas convaincue que l’action en réparation fondée sur l’article 417 du code civil aurait constitué dans le cas du requérant un recours effectif, au sens de l’article 5 § 5 de la Convention.

156. La Cour n’a pas été informée de l’existence d’une autre disposition en droit interne, susceptible de permettre aux requérants d’obtenir réparation pour leur privation de liberté jugée contraire à la Convention. Dès lors, elle estime qu’il n’est pas établi qu’ils avaient une telle possibilité à leur disposition au niveau national.

157. Partant, elle conclut à la violation de l’article 5 § 5 de la Convention.

IV. SUR LES AUTRES GRIEFS

158. Les requérants se plaignent de n’avoir pas été informés des raisons de leur privation de liberté.

159. La Cour rappelle que l’article 5 § 2 de la Convention oblige à signaler à une personne arrêtée, dans un langage simple et accessible pour elle, les raisons juridiques et factuelles de sa privation de liberté, afin qu’elle puisse en discuter la légalité devant un tribunal en vertu du paragraphe 4 de cette disposition (Fox, Campbell et Hartley c. Royaume-Uni, nos 12244/8 et suivants, § 42, 27 juillet 2006). L’intéressé doit bénéficier de ces renseignements « dans le plus court délai », mais le policier qui l’arrête peut ne pas les lui fournir en entier sur-le-champ. Pour déterminer s’il en a reçu assez et suffisamment tôt, il faut avoir égard aux particularités de l’espèce.

160. Dans la présente affaire, la Cour relève que la note manuscrite d’un agent de police, datée du 23 août 2003, fait apparaître que, avant leur sortie du poste, soit au plus tard dans les deux heures ayant suivi leur interpellation, les requérants ont été informés des poursuites susceptibles d’être engagées contre eux en raison de leur comportement constitutif d’un trouble à l’ordre public. Aussi la Cour estime-t-elle que les intéressés ont été informés des motifs de leur privation de liberté, au sens de l’article 5 § 2 de la Convention.

161. Partant, elle rejette ce grief pour défaut manifeste de fondement, en application de l’article 35 §§ 3 (a) et 4 de la Convention.

162. Invoquant l’article 6 de la Convention, les requérants Sebastian et Artur Tomaszewscy se plaignent d’une absence d’équité des procédures pénales conduites contre eux.

163. La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 19 de la Convention elle a pour tâche d’assurer le respect des engagements résultant de la Convention pour les Parties contractantes. Spécialement, il ne lui appartient pas de connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par une juridiction interne, sauf si et dans la mesure où elles pourraient avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la Convention. Si la Convention garantit en son article 6 le droit à un procès équitable, elle ne réglemente pas pour autant l’admissibilité des preuves ou leur appréciation, matière qui relève dès lors au premier chef du droit interne et des juridictions nationales (García Ruiz c. Espagne [GC], no 30544/96, § 28, CEDH 1999‑I§ 28).

164. En l’espèce, la Cour note qu’aucun élément pertinent ne vient étayer la thèse des requérants selon laquelle les procédures conduites à leur encontre n’ont pas revêtu un caractère équitable. Elle relève que les intéressés ont eu l’occasion de présenter les arguments qu’ils jugeaient pertinents pour la défense de leur cause dans les mêmes conditions que l’accusation, dans le respect du principe du contradictoire. La circonstance que les juridictions ont, au demeurant par une décision amplement motivée, suivi plutôt la thèse de l’accusation au détriment de celle des accusés ne suffit à l’évidence pas pour conclure à la violation du principe du procès équitable.

165. Il n’y a donc aucune apparence de violation de l’article 6 § 1 de la Convention, cette partie de la requête étant dès lors manifestement mal fondée, au sens de l’article 35 §§ 3 (a) et 4 de la Convention.

V. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

166. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

167. Chacun des requérants réclame 35 000 euros (EUR) au titre du préjudice subi.

168. Le Gouvernement juge ces prétentions exorbitantes.

169. La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. En revanche, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer à chacun des requérants 6 000 EUR au titre du préjudice moral.

B. Frais et dépens

170. La Cour note que les requérants ne présentent aucune demande de remboursement des frais et dépens. Elle ne leur accorde donc aucune somme à ce titre.

C. Intérêts moratoires

171. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

1. Déclare, à l’unanimité, la requête recevable quant aux griefs tirés de l’article 5 §§ 1, 4 et 5 de la Convention concernant les requérants Sebastian et Artur Tomaszewscy et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention ;

3. Dit, par 6 voix contre 1, qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief tiré de l’article 5 § 4 de la Convention ;

4. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 5 § 5 de la Convention ;

5. Dit, à l’unanimité,

a) que l’État défendeur doit verser à chacun des requérants, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 6 000 EUR (six mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral, à convertir en zlotys polonais, au taux applicable à la date du règlement ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

6. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 15 avril 2014, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Fatoş AracıIneta Ziemele
Greffière adjointePrésidente

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée de la juge Z. Kalaydjieva.

I.Z.
F.A.

OPINION en partie concordante DE LA JUGE KALAYDJIEVA

(Traduction)

Les raisons qui m’ont conduite à conclure que l’arrestation des trois requérants – qui étaient de jeunes gens à l’époque des faits – était contraire à l’article 5 § 1 de la Convention diffèrent de celles que mes éminents collègues ont retenues.

Il me semble que le simple fait que le pouvoir de privation de liberté exercé en l’espèce par les autorités policières était fondé sur des bases juridiques sujettes à caution et que la législation nationale ne prévoyait pas de contrôle juridictionnel de la légalité de ce pouvoir suffisait à faire conclure à la violation de l’article 5 § 1 de la Convention, disposition qui vise à empêcher les privations de liberté arbitraires. La jurisprudence de la Cour sur la question de la prévisibilité des lois autorisant la privation de liberté étant très claire, j’approuve pleinement mes collègues d’avoir conclu à la violation de l’article 5 § 1 dès lors que « le gouvernement polonais n’a[vait] pas démontré l’existence d’une base légale en droit interne pour la privation de liberté des requérants », (paragraphes 141-145 de l’arrêt).

Toutefois, la majorité est allée de son propre chef au-delà de ce constat pour examiner la compatibilité potentielle de la privation de liberté litigieuse avec l’article 5 § 1 c). Qui plus est, elle a estimé que celle-ci se conciliait avec cette disposition, au motif semble-t-il que l’absence de base légale s’expliquait par une lacune du droit interne. En d’autres termes, il semble que la majorité ait estimé que, si l’arrestation litigieuse avait été prévue par la loi, elle aurait été régulière non seulement au regard du droit interne, mais aussi au regard des exigences de l’article 5 de la Convention. Je ne peux souscrire à cette opinion.

Les trois personnes arrêtées pouvaient probablement être « raisonnablement soupçonnées de s’être rendues coupables d’une infraction », mais il n’existe dans le dossier aucun élément démontrant que cette arrestation avait été « effectuée en vue de leur conduite devant une autorité judiciaire compétente », comme l’exige l’article 5 § 1 c). Si les intéressés avaient été informés des soupçons qui pesaient sur eux au moment de leur arrestation – conformément à l’article 5 § 2 – et traduits aussitôt que possible devant un magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires en vue de confirmer la nécessité de la privation de liberté au sens de l’article 5 § 3 de la Convention, les autorités auraient raisonnablement démontré que l’interpellation des requérants poursuivait un tel objectif. Cependant, il n’a même pas été allégué que l’arrestation litigieuse avait été effectuée dans ce but, et les policiers n’ont pas signalé que celle-ci poursuivait ce but moment de l’interpellation ou plus tard, ni même prétendu que ce but se déduisait de la loi ou des actes concrets qu’ils avaient accomplis. Les trois individus interpellés n’ont pas été interrogés au sujet de l’infraction dont ils étaient soupçonnés, et aucune décision indiquant que l’arrestation était motivée par la commission d’une infraction ou qu’elle visait à traduire les intéressés devant une autorité judiciaire compétente n’est intervenue. Les requérants ont été relâchés sans avoir été informés des actes dont ils étaient soupçonnés. En outre, ils ont été informés de la procédure ouverte sur l’infraction qui leur était reprochée plusieurs mois après leur arrestation, apparemment après qu’ils eurent porté plainte pour abus de pouvoir de la part de la police, alors que leur présence à cette procédure n’était même pas requise. Pour leur part, les policiers ont expliqué que l’arrestation avait été effectuée en vue de procéder à des contrôles d’identité et d’alcoolémie. Toutefois, dans le cadre de la procédure suivie devant la Cour, le gouvernement défendeur soutenait que l’arrestation litigieuse relevait de l’article 5 § 1 b) et non de l’article 5 § 1 c) de la Convention. Dans ces conditions, il m’est difficile de souscrire à l’opinion de la majorité selon laquelle l’existence en droit interne d’une disposition pertinente aurait suffi à justifier la privation de liberté infligée aux requérants sous l’angle de l’article 5 § 1 c) au seul motif qu’ils étaient soupçonnés d’avoir commis une infraction (paragraphe 136 de l’arrêt).

L’absence de consignation de données telles que la date et l’heure de l’arrestation, le lieu de détention, le nom du détenu ainsi que les raisons de la détention et l’identité de la personne qui y a procédé ne permet pas à la Cour de formuler des hypothèses par la suite, et encore moins de porter une appréciation sur la question de la compatibilité de la détention avec la Convention. Selon la jurisprudence de la Cour, pareille lacune « doit passer pour incompatible avec l’exigence de régularité de la détention et avec l’objectif même de l’article 5 de la Convention » (voir Anguelova c. Bulgarie, no 38361/97, § 154, CEDH 2002‑IV, Kurt c. Turquie, 25 mai 1998, § 125, Recueil des arrêts et décisions 1998-III, et Menecheva c.Russie, no 59261/00, § 87, CEDH 2006‑III).

Même à admettre qu’il appartenait à la Cour de présumer que les trois individus arrêtés pouvaient être soupçonnés d’avoir commis une infraction et que cette présomption était exacte, cela ne pouvait suffire en soi à rendre la privation de liberté litigieuse immédiatement et inconditionnellement compatible avec les exigences de l’article 5 § 1 c) de la Convention. Outre cette condition sine qua non, cette disposition exige à tout le moins que la personne qui procède à l’arrestation ait réellement l’intention de traduire la personne arrêtée devant une autorité judiciaire compétente.

En outre, pour être compatible avec l’article 5, une privation de liberté doit être assortie de garanties procédurales contre l’arbitraire, notamment celles énoncées par l’article 5 §§ 3 et 4. Or, comme cela a été démontré en l’espèce, pareilles garanties n’existaient pas dans le droit interne et la pratique n’offrait pas davantage de garanties visant à empêcher les détentions administratives arbitraires. À cet égard, je regrette que la majorité ait considéré que l’article 5 § 4 n’impose pas l’accès à une procédure judiciaire dès lors que la personne concernée a été remise en liberté après une brève détention (paragraphe 146 de l’arrêt) et qu’elle en ait déduit qu’il n’y avait pas lieu d’examiner le grief des requérants sous l’angle de l’article 5 § 4.

La position adoptée par la majorité, qui pose – à tort me semble-t-il – une présomption de compatibilité potentielle de l’arrestation litigieuse avec les exigences matérielles de la Convention, donne l’impression qu’aucune autre garantie procédurale n’est requise pour apprécier cette compatibilité. En conséquence, l’opinion de la majorité selon laquelle la violation de l’article 5 constatée en l’espèce découle d’une lacune du droit interne semble laisser sans réponse les griefs matériels et procéduraux (qui découlent eux-mêmes apparemment d’une lacune) formulés par les requérants.

Je ne suis pas convaincue que les exigences matérielles et procédurales de l’article 5 puissent être lues séparément. Du point de vue de la théorie juridique, ces exigences s’imposent non seulement pour assurer le respect de l’exercice effectif du droit à la liberté individuelle, mais aussi (combinées avec le droit à l’assistance d’un avocat) pour empêcher les mauvais traitements interdits par l’article 3 de la Convention. Si la police poursuivait vraiment une mission de contrôle d’identité et d’alcoolémie, on ne voit absolument pas pourquoi les parents des intéressés n’ont pas été autorisés à entrer dans le commissariat lors de la brève détention subie par leurs enfants. Par ailleurs, le gouvernement défendeur soutenait qu’il était impossible de déterminer avec certitude l’origine des blessures infligées aux requérants. Je conviens que les intéressés n’ont pas étayé leur grief de mauvais traitements devant la Cour, mais j’estime que la présence de leurs parents et les garanties offertes par l’article 5 auraient pu contribuer à prévenir des risques potentiels et des allégations injustifiées, et/ou aider les autorités nationales à établir les faits de manière plus exacte.


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